Mameha avait gagné son pari. Je n’en restais pas moins un investissement pour elle. Aussi, durant les années qui suivirent, me fit-elle connaître ses meilleurs clients, ainsi que les geishas de Gion. Nous sortions à peine de la Dépression, à l’époque. Les banquets étaient trop rares, au goût de Mameha. Cependant, nous étions très occupées – fêtes dans les maisons de thé, sorties à la campagne, durant lesquelles on se baignait, promenades touristiques, pièces de Kabuki. C’était l’été, nous étions détendus. Dans les fêtes, tout le monde s’amusait – même les geishas, censées travailler. Il nous arrivait de descendre la rivière Kamo en bateau, avec un groupe de clients. Ils buvaient du saké, ils se trempaient les pieds dans l’eau. J’étais trop jeune pour participer aux réjouissances. Le plus souvent, je cassais de la glace pour les granités, mais c’était tout de même agréable.
Certains soirs, de riches hommes d’affaires ou aristocrates organisaient des fêtes en petit comité. Ils passaient la soirée à danser, à chanter, à boire avec les geishas, souvent tard dans la nuit. Je me souviens d’une réception, en particulier. À la fin de la soirée, la femme de notre hôte nous remit à chacune une enveloppe, avec un généreux pourboire. Elle en donna deux à Mameha, et lui demanda d’en remettre une à Tomizuru, une geisha rentrée tôt « parce qu’elle avait mal à la tête », précisa la dame. Or Tomizuru, qui était la maîtresse de son mari, passait la nuit avec lui dans une autre aile de la maison. La dame le savait, comme nous toutes.
Dans les fêtes brillantes, à Gion, on rencontrait des artistes célèbres : peintres, écrivains, acteurs de Kabuki. Il nous arrivait de vivre de grands moments. Cela dit, la plupart des réceptions se traînaient en longueur. L’hôte était souvent le dirigeant d’une petite société, l’invité d’honneur un employé fraîchement promu, ou un fournisseur. Il arrivait qu’une geisha bien intentionnée me fasse la leçon. Mon rôle d’apprentie, disait-elle, consistait non seulement à plaire, mais à écouter les conversations en silence, dans l’espoir de devenir moi-même éloquente. Cependant, je n’avais pas le sentiment d’assister à des échanges très brillants. Par exemple, un homme se tournait vers une geisha, à sa gauche, et disait : « Il fait très chaud pour la saison, vous ne trouvez pas ? » Et la geisha répondait : « Oh oui, il fait vraiment chaud ! » Après quoi elle jouait avec lui à qui boira le plus, ou elle faisait chanter les invités en chœur. L’homme ne tardait pas à être trop éméché pour s’apercevoir qu’il ne s’amusait pas autant qu’il l’avait espéré. Pour ma part, j’ai toujours considéré cela comme une perte de temps. Si un homme vient à Gion passer un bon moment, et joue à pierre, papier, ciseaux, il aurait mieux fait de rester chez lui, à mon avis, et de jouer avec ses enfants, ou ses petits-enfants – qui sont probablement plus intelligents que ces geishas insipides à côté desquelles il a eu la malchance d’échouer.
Il m’arrivait tout de même de passer des soirées avec des geishas intelligentes – Mameha, par exemple. J’ai appris beaucoup de choses à son contact. Lorsqu’un homme lui demandait : « Il fait chaud, vous ne trouvez pas ? », elle avait douze réponses possibles. Si le monsieur était vieux et lubrique, elle répondait : « Chaud ? Peut-être est-ce le fait d’avoir autant de jolies femmes autour de vous ! » Si c’était un homme d’affaires jeune et arrogant, elle le remettait à sa place en répliquant : « Vous êtes là, avec six geishas, parmi les plus brillantes de Gion, et vous ne trouvez rien de mieux que de parler du temps ! » Un jour, comme je la regardais, Mameha s’agenouilla à côté d’un jeune homme qui ne devait pas avoir plus de vingt ans. Il assistait à cette réception parce que son père était l’hôte. Il ne savait quoi dire, ni comment se comporter avec des geishas. Sans doute était-il intimidé. Toutefois, il se tourna vers Mameha et lui dit, bravement : « Il fait chaud, n’est-ce pas ? » Elle lui répondit, en baissant la voix : « Vous avez raison, il fait très chaud. Vous auriez dû me voir quand je suis sortie de mon bain, ce matin ! Généralement, ça me rafraîchit, de me mettre toute nue. Mais ce matin, j’avais la peau moite. Sur les cuisses, sur le ventre, partout ! »
Ce pauvre garçon reposa sa tasse de saké sur la table d’une main tremblante. Il n’a sans doute jamais oublié cette soirée !
Pourquoi ces fêtes étaient-elles si ennuyeuses ? Je vois deux raisons à cela. Ce n’est pas parce qu’une petite fille a été vendue par sa famille à une okiya, et qu’elle a suivi une formation de geisha depuis son tout jeune âge qu’elle va se révéler intelligente ou qu’elle a des choses intéressantes à dire. Cette vérité s’applique également aux hommes. Ce n’est pas parce qu’un homme a gagné suffisamment d’argent pour venir le dépenser à Gion comme bon lui semble, qu’il est drôle ou intéressant. La plupart des hommes ont l’habitude d’être traités avec respect. Ils vont s’asseoir, les mains sur les genoux, froncer les sourcils et penser que ça suffit. Un jour, Mameha passa une heure à raconter des histoires à un homme qui ne lui accorda pas un seul regard. Il observait les autres invités, pendant qu’elle parlait. Curieusement, cela le satisfaisait. Chaque fois qu’il venait à Gion, il demandait Mameha.
*
* *
Outre ces fêtes et ces sorties, je continuai mes cours, je dansai sur scène le plus souvent possible. Au bout de deux ans, je cessai d’être apprentie pour devenir geisha. Ce fut durant l’été 1938. J’avais dix-huit ans. Devenir geisha, c’est « changer de col » : une apprentie porte un col rouge, une geisha en porte un blanc. Cela dit, si vous voyiez une apprentie et une geisha côte à côte, la couleur de leur col est la dernière chose que vous remarqueriez. L’apprentie, avec son kimono à longues manches et son obi en traîne, ressemble à une poupée japonaise. La geisha, dans sa tenue plus simple, a davantage l’air d’une femme.
Le jour où je changeai de col fut l’un des plus heureux dans la vie de Mère. Sur le moment, je ne compris pas pourquoi. Je sais à présent à quoi elle pensait. Une geisha, contrairement à une apprentie, peut faire autre chose que servir du thé, s’il s’établit un accord dans des conditions acceptables. Vu mes accointances avec Mameha, et ma popularité à Gion, Mère avait toutes les raisons de jubiler – le fait de jubiler, dans son cas, étant toujours lié à l’argent.
Depuis que je vis à New York, j’ai compris ce que les Occidentaux entendent par geisha. De temps à autre, dans des réceptions chic, on me présente une jeune femme vêtue avec élégance et portant des bijoux. Quand elle apprend que j’ai été geisha à Kyoto, elle m’adresse un sourire contraint. Elle ne sait plus quoi dire ! La personne qui nous a présentées prend le relais – après toutes ces années, je parle toujours très mal anglais. À ce stade, hélas, il est absurde d’essayer de communiquer, car la femme pense : « Mon Dieu, je parle à une prostituée ! » Quelques minutes plus tard arrive son cavalier, un homme riche, de trente ou quarante ans son aîné. Souvent je m’interroge : comment peut-elle ainsi se voiler la face ? C’est une femme entretenue. Comme moi, dans le passé.
Sans doute y a-t-il beaucoup de choses que j’ignore, sur ces jeunes femmes élégamment vêtues. Cela dit, j’ai souvent l’impression que, sans leurs riches amants ou maris, nombre d’entre elles devraient se battre pour survivre et n’auraient pas une aussi fière opinion d’elles-mêmes. Le raisonnement s’applique à une geisha de grande classe. C’est bien d’aller de fête en fête et de plaire aux hommes. Mais si elle veut devenir une star de la danse, la geisha dépend totalement de son danna. Même Mameha, devenue célèbre après cette campagne publicitaire, eût rétrogradé dans la hiérarchie des geishas si le Baron n’avait couvert les dépenses liées à sa carrière.
Trois semaines après que j’eus changé de col, je prenais un déjeuner rapide, au salon, quand Mère vint s’asseoir en face de moi. Elle resta là un certain temps, à tirer sur sa pipe. Je lisais en mangeant, mais j’interrompis ma lecture, par politesse – bien que Mère ne semblât pas avoir de choses importantes à me dire. Après quelques minutes, elle posa sa pipe et déclara :
— Tu ne devrais pas manger ces radis marinés, ça va gâter tes dents. Regarde dans quel état sont les miennes.
Ainsi, Mère pensait devoir ses dents tachées aux légumes marinés ! Lorsqu’elle eut fini de me montrer l’intérieur de sa bouche, elle reprit sa pipe et tira une bouffée.
— Tatie adore le radis mariné, madame, et ses dents sont en parfait état.
— Quelle importance, qu’elle ait de bonnes dents ou pas ? Le fait d’avoir une jolie petite bouche ne lui a jamais rien rapporté. Dis à la cuisinière de ne plus te donner de radis marinés. Enfin, je ne suis pas venue te faire un exposé sur les légumes au vinaigre, mais t’avertir que le mois prochain, à cette date, tu auras un danna.
— Un danna ? Mère, je n’ai que dix-huit ans…
— Hatsumomo n’a eu un danna qu’à vingt ans. Et bien entendu, ça n’a pas duré. Tu devrais être contente.
— Oh, je suis contente. Mais ça va me prendre du temps, de m’occuper d’un danna. Mameha pense que je devrais d’abord me faire connaître, pendant deux ou trois ans.
— Mameha ! Parce qu’elle est douée pour les affaires, peut-être ! Quand je voudrai savoir à quel moment il faut rire dans une fête, j’irai le lui demander.
Aujourd’hui, les jeunes filles se lèvent de table et crient après leur mère, même au Japon, mais à mon époque, nous nous inclinions et répondions : « Oui, madame. » Puis nous nous excusions. Ce que je fis.
— Laisse-moi m’occuper de tes affaires, reprit Mère. Il faudrait être stupide pour décliner une offre comme celle de Nobu Toshikazu.
Mon cœur faillit s’arrêter. Cela dit, il était évident que Nobu allait un jour se proposer d’être mon danna. Après tout, il avait fait une offre pour mon mizuage, quelques années plus tôt. Et depuis, aucun homme n’avait aussi souvent requis ma compagnie. J’avais envisagé cette possibilité, sans réellement y croire. Le jour où j’avais rencontré Nobu, mon almanach disait : « Un mélange de bonnes et de mauvaises influences peuvent infléchir le cours de votre destinée. » Depuis lors, j’y avais pensé presque chaque jour. De bonnes et de mauvaises influences… C’était Mameha et Hatsumomo ; mon adoption et mon mizuage. Le président et Nobu. Je ne dis pas que je n’aimais pas Nobu. Je l’aimais beaucoup. Mais le fait de devenir sa maîtresse me privait définitivement du président.
Mère dut voir que cette nouvelle m’avait causé un choc – quoi qu’il en fût, ma réaction lui déplut. Mais avant qu’elle pût parler, nous entendîmes un bruit étouffé dans le couloir. Hatsumomo parut, un bol de riz à la main, ce qui était très impoli – elle aurait dû finir son riz à table. Elle avala sa bouchée, puis elle éclata de rire.
— Mère ! dit-elle. Vous voulez que je m’étouffe ?
Apparemment, elle avait écouté notre conversation.
— Ainsi la grande Sayuri va avoir Nobu comme danna, poursuivit-elle. N’est-ce pas mignon ? !
— Si tu as quelque chose d’important à dire, vas-y, s’écria Mère.
— Oui, j’ai quelque chose d’important à déclarer, déclara Hatsumomo, d’un ton solennel.
Elle vint s’asseoir à table.
— Sayuri-san, dit-elle, tu n’en as peut-être pas conscience, mais quand une geisha a un danna, elle peut tomber enceinte. Or un danna n’apprécie pas que sa maîtresse donne naissance à un enfant qui n’est pas de lui. Tu devras faire doublement attention avec Nobu. Il saura tout de suite si c’est son enfant ou pas. Il suffirait que le bébé ait deux bras, comme tout le monde !
Hatsumomo s’esclaffa de sa petite plaisanterie.
— Tu devrais te faire amputer d’un bras, Hatsumomo, dit Mère, si ça pouvait te permettre de réussir aussi bien que Nobu Toshikazu.
— Sans doute que cela m’aiderait aussi d’avoir un visage comme ça ! s’exclama Hatsumomo, en levant son bol, pour que nous puissions voir ce qu’il y avait dedans.
Elle mangeait du riz mélangé à des azukis, et l’ensemble ressemblait à une peau couverte de cloques.
*
* *
Dans l’après-midi, je fus prise de vertiges. J’allai chez Mameha. Assise à sa table, je sirotai ma tisane d’orge glacée – nous étions en été – et m’efforçai de lui cacher mon état d’âme. Depuis des années, je n’avais qu’un seul but : faire du président mon danna. Si ma vie devait se résumer à Nobu, à des spectacles de danse, et à une succession de soirées à Gion, à quoi bon tous ces efforts ?
Je n’avais toujours pas exposé le motif de ma visite à Mameha. Je reposai mon verre sur la table. Je n’osai pas parler, de peur que ma voix ne se brise. Je pris quelques secondes de plus pour me calmer, je déglutis, puis je déclarai :
— Mère m’a annoncé que j’aurais un danna le mois prochain.
— Oui, je sais. Ce sera Nobu Toshikazu.
À nouveau je craignis d’éclater en sanglots.
— Nobu-san est un homme d’une grande bonté. Il t’aime beaucoup, ajouta Mameha.
— Oui, mais Mameha-san… comment dire ça… ce n’est pas ce que je voulais !
— Enfin, Sayuri, Nobu-san t’a toujours traitée gentiment !
— Ce n’est pas de la gentillesse que je veux, Mameha-san !
— Ah bon. Pourtant tout le monde a envie de gentillesse. Peut-être veux-tu autre chose que de la gentillesse. Ce qu’une geisha n’est pas en droit d’attendre.
Elle avait raison. J’éclatai en sanglots. Je posai ma tête sur la table et pleurai tout mon soûl. Mameha attendit que je retrouve mon calme pour parler.
— Qu’espérais-tu, Sayuri ? demanda-t-elle.
— Autre chose !
— Nobu n’est peut-être pas très beau à regarder, mais…
— Mameha-san, ce n’est pas cela. Nobu-san est un homme adorable. C’est juste que…
— Tu voudrais avoir le même destin que Shizue, n’est-ce pas ?
Shizue était considérée comme la plus heureuse des femmes, à Gion, bien qu’elle ne fût pas une geisha très demandée. Depuis trente ans, elle était la maîtresse d’un pharmacien. Il n’était pas riche, elle n’était pas belle, mais il n’y avait pas deux êtres aussi heureux ensemble dans tout Kyoto. Mameha m’avait devinée, comme toujours.
— Tu as dix-huit ans, Sayuri. Ni toi ni moi ne pouvons savoir quelle sera ta destinée. Il n’y a pas que des destins exceptionnels. La vie n’est parfois qu’un long combat quotidien.
— Mais, Mameha-san, c’est trop cruel !
— Oui, c’est cruel. Mais personne n’échappe à son destin.
— Oh, je ne veux pas échapper à mon destin. Nobu est un homme gentil. Je devrais éprouver de la gratitude à son égard, mais… il y a tellement de choses dont j’ai rêvé !
— Et tu crains qu’elles ne se réalisent plus, une fois que Nobu t’aura touchée ? Qu’attendais-tu de la vie de geisha, Sayuri ? Nous ne devenons pas geishas pour jouir de la vie, mais parce que nous n’avons pas le choix.
— Oh, Mameha-san… ai-je vraiment été stupide d’espérer qu’un jour, peut-être…
— Les jeunes filles imaginent des choses insensées ! Les espérances, c’est comme les ornements que l’on porte dans les cheveux. Les filles en ont trop. Une fois vieilles, il suffit qu’elles en mettent ne serait-ce qu’un seul pour se rendre ridicules.
J’allais maîtriser mes émotions, cette fois. Je parvins à retenir mes larmes – sauf celles qui perlèrent au coin de mes paupières, comme la résine, sur un arbre.
— Mameha-san, repris-je. Éprouvez-vous des sentiments profonds pour le Baron ?
— Le Baron a été un très bon danna.
— Certes, mais éprouvez-vous des sentiments pour lui, en tant qu’homme ? Certaines geishas ont des sentiments pour leur danna, n’est-ce pas ?
— La relation que j’entretiens avec le Baron lui convient et m’est profitable. S’il y avait de la passion entre nous… Qui dit passion dit jalousie. Ce genre d’amour peut se transformer en haine. Je ne puis me mettre un homme puissant à dos. Je me suis battue des années pour me faire une place à Gion, mais si un homme puissant décide de me détruire, il le fera ! Si tu veux réussir, Sayuri, assure-toi que les sentiments des hommes restent sous « ton » contrôle. Le Baron est parfois dur à supporter, mais il a beaucoup d’argent, et il n’hésite pas à le dépenser. Et puis il ne veut pas d’enfants, grâce au ciel. Nobu sera un défi, pour toi. Je ne serais pas surprise qu’il attende beaucoup de toi. Le Baron n’a jamais eu ces exigences avec moi.
— Mais Mameha-san, et vos sentiments à vous ? Il n’y a jamais eu un homme qui…
Je me demandais si elle avait jamais connu l’amour fou. Son agacement était visible. Elle se redressa, les mains sur les genoux. Elle allait me réprimander, pensai-je. Je la priai d’excuser mon indiscrétion. Elle se détendit.
— Nobu et toi avez un « en », Sayuri, et tu ne peux y échapper, dit-elle.
Elle avait raison. Un en est un lien karmique qui dure toute la vie. Aujourd’hui, les gens croient au libre arbitre. À mon époque, nous nous considérions comme des morceaux d’argile qui gardent les empreintes de tous ceux qui les ont touchés. Les empreintes de Nobu s’étaient imprimées plus profondément en moi que bien d’autres. Mon destin s’accomplirait-il en lui ? Impossible à dire, mais j’avais toujours senti ce lien karmique entre nous. Nobu ferait toujours partie de ma vie. À dix-huit ans, j’avais compris beaucoup de choses, mais la pire leçon était-elle à venir ? Devrais-je renoncer à mes rêves ?
— Retourne dans ton okiya, Sayuri, me conseilla Mameha. Prépare-toi pour ce soir. Il n’y a rien de tel que le travail pour surmonter une déception.
Je levai les yeux vers elle, prête à formuler une dernière requête. Je vis son expression et je me ravisai. Je n’aurais su dire à quoi elle pensait. Elle semblait fixer le vide. Le bel ovale de son visage était crispé, sous l’effet de la tension intérieure. Mameha poussa un grand soupir, et baissa les yeux vers sa tasse de thé avec une expression amère.
*
* *
Une femme qui habite une belle maison s’enorgueillit de ses jolies possessions. Mais dès que le feu se déclare, elle s’empare des deux ou trois choses qu’elle veut sauver. Dans les jours qui suivirent ma conversation avec Mameha, j’eus l’impression que ma vie partait en fumée. Plus rien n’aurait d’importance, me semblait-il, après que Nobu serait devenu mon danna. Un soir de tristesse, à l’Ichiriki, j’eus la vision d’un enfant perdu dans les bois, sous la neige. Je regardai les hommes à cheveux blancs que j’étais censée distraire : des arbres couverts de neige ! La panique me prit. Pendant quelques instants, j’eus le sentiment d’être la dernière créature vivante sur terre.
Les soirées avec des militaires étaient les seules qui redonnaient un peu de sens à ma vie. Déjà, en 1938, nous écoutions des communiqués quotidiens sur la guerre en Mandchourie. Chaque jour, de petites choses nous rappelaient que nos troupes combattaient de l’autre côté de la mer : le déjeuner du Soleil Levant, par exemple – un plat de riz avec une prune salée en son milieu, qui évoque le drapeau japonais. Depuis plusieurs générations, des officiers de la marine et de l’armée de terre venaient à Gion pour se distraire. Aujourd’hui, ces soirées à Gion leur redonnaient courage, prétendaient-ils. Sans doute les soldats ont-ils toujours dit ça aux femmes qui les écoutent. Et je contribuais à l’effort de guerre, moi, petite fille du bord de mer ! Ces fêtes ne chassaient pas ma tristesse, mais elles me permettaient de prendre cette tristesse pour ce qu’elle était : un spleen égoïste.
*
* *
Quelques semaines passèrent. Un soir, dans l’entrée de l’Ichiriki, Mameha m’informa qu’elle allait réclamer le fruit de son pari. Mère et Mameha avaient parié sur le fait que j’aurais, ou n’aurais pas, remboursé mes dettes avant mes vingt ans – j’avais épongé ma dette à dix-huit ans.
— Tu as changé de col, ajouta Mameha. Je ne vois aucune raison d’attendre plus longtemps.
La vérité était plus compliquée, à mon avis. Mameha savait que Mère détestait régler ses dettes, et qu’elle y serait d’autant moins disposée que l’enjeu grandirait. Mes gains allaient augmenter dès que j’aurais un danna. Mère deviendrait d’autant plus jalouse de ce revenu. Mameha dut juger préférable de récupérer son argent le plus tôt possible. Elle pourrait ensuite se préoccuper de mes gains futurs.
Deux jours plus tard, on me demanda de descendre au salon de notre okiya, où je trouvai Mère et Mameha assises à table, face à face. C’était l’été. Elles parlaient de la chaleur. À côté de Mameha, une dame à cheveux gris, Mme Okada, que je connaissais. Elle dirigeait l’okiya où avait grandi Mameha et tenait les comptes de cette dernière, en échange d’un petit pourcentage sur ses revenus. Je ne lui avais jamais vu cet air sérieux. Elle fixait la table, comme si la conversation ne l’intéressait pas.
— Te voilà ! lança Mère. Ta grande sœur a la gentillesse de nous rendre visite. Elle a amené Mme Okada avec elle. La politesse exige que tu te joignes à nous.
Mme Okada prit la parole, les yeux toujours fixés sur la nappe.
— Je ne sais si Mameha vous l’a expliqué au téléphone, madame Nitta, mais il s’agit davantage d’un rendez-vous d’affaires que d’une visite de courtoisie. Sayuri n’est pas obligée de se joindre à nous. Elle a des occupations, j’imagine.
— Je ne voudrais pas qu’elle soit impolie, répliqua Mère. Elle va s’asseoir avec nous pendant ces quelques minutes où vous nous honorez de votre présence.
Je pris place à côté de Mère. La servante arriva, servit le thé. Après quoi Mameha déclara :
— Vous devez être fière de la réussite de votre fille, madame Nitta. Une réussite qui va au-delà de toutes nos attentes ! Ne trouvez-vous pas ?
— Que sais-je de « vos » attentes, Mameha-san ? répliqua Mère.
Là-dessus elle serra les dents et eut l’un de ses rires grasseyants. Elle nous regarda l’une après l’autre, pour s’assurer que nous goûtions la finesse de sa remarque. Personne ne rit. Mme Okada chaussa ses lunettes et s’éclaircit la voix.
— Pour ce qui est de mes attentes, ajouta Mère, Sayuri est loin de les avoir comblées.
— Lorsque nous avons parlé de son avenir, il y a quelques années, continua Mameha, j’ai eu l’impression que vous aviez une piètre opinion d’elle. Vous étiez même réticente à l’idée que je m’occupe de sa carrière.
— Je n’étais pas certaine qu’il fût sage de remettre l’avenir de Sayuri entre les mains d’une personne extérieure à l’okiya. J’espère que vous voudrez bien me pardonner, dit Mère. Nous avons notre Hatsumomo, vous savez.
— Oh, de grâce, madame Nitta ! s’exclama Mameha, dans un rire. Hatsumomo aurait étranglé la pauvre fille, au lieu de lui apprendre le métier !
— J’admets qu’Hatsumomo peut être difficile. Mais avec une fille exceptionnelle comme Sayuri, il faut prendre les bonnes décisions au bon moment – comme cet arrangement dont nous sommes convenues, Mameha-san. Vous êtes ici pour mettre nos comptes à jour, j’imagine ?
— Mme Okada a eu la bonté de porter les chiffres sur le papier, répondit Mameha. Je vous serais reconnaissante de les examiner.
Mme Okada remonta ses lunettes, prit un livre de comptes dans son sac. Mameha et moi restâmes silencieuses, comme elle ouvrait le livre sur la table et expliquait à Mère à quoi correspondaient les colonnes de chiffres.
— C’est le total des gains de Sayuri l’année passée ? s’exclama Mère. Ils seraient supérieurs aux revenus de notre okiya ? ! Impossible !
— Oui, ces chiffres sont impressionnants, reprit Mme Okada, mais je pense qu’ils sont exacts. Ce sont ceux que m’a transmis le Bureau d’Enregistrement de Gion.
Mère serra les dents et rit – sans doute pour masquer son embarras.
— Peut-être aurais-je dû surveiller davantage les comptes, décréta Mère.
Après une dizaine de minutes, les deux femmes s’accordèrent sur la somme que j’avais gagnée depuis mes débuts. Mme Okada sortit un petit abaque de son sac, et fit quelques calculs, inscrivant des chiffres sur une page vierge du livre de comptes. Elle finit par écrire le chiffre final, qu’elle souligna.
— Voilà la somme que Mameha-san est en droit de toucher.
— Vu ses bontés à l’égard de notre Sayuri, dit Mère, Mameha-san mérite plus que ça. Hélas, selon notre accord, elle s’est engagée à réduire ses gains de moitié jusqu’à ce que Sayuri ait remboursé ses dettes. Les dettes étant remboursées, Mameha va toucher l’autre moitié. Pour solde de tout compte.
— J’ai cru comprendre que Mameha prendrait la moitié de son tarif habituel, mais serait finalement payée le double, dit Mme Okada. C’est pour cela qu’elle a accepté de prendre un tel risque. Si Sayuri n’avait pas remboursé ses dettes, Mameha n’aurait été en droit de toucher que la moitié de la somme. Mais Sayuri a réussi. Mameha touchera donc le double.
— Enfin, madame Okada, vous me voyez accepter un tel arrangement ? s’écria Mère. Tout le monde, à Gion, sait à quel point je fais attention à l’argent. Mameha a été très utile à Sayuri. Je ne puis payer le double, mais je veux bien ajouter dix pour cent. Une offre généreuse, à mon sens, car notre okiya ne peut se permettre de jeter l’argent par les fenêtres.
Jamais on n’aurait mis en doute la parole d’une maîtresse d’okiya – d’aucune maîtresse d’okiya sauf Mère. Qui avait décidé de mentir. Un silence s’installa. Finalement, Mme Okada déclara :
— Vous me mettez dans une position délicate, madame Nitta. Je me souviens très bien de ce que m’a dit Mameha.
— C’est normal, répliqua Mère. Mameha se souvient d’une chose, et moi d’une autre. Il nous faut une troisième personne, pour trancher. Heureusement nous en avons une. Sayuri n’était qu’une enfant, à l’époque, mais elle a la mémoire des chiffres.
— Je n’en doute pas, dit Mme Okada. Mais Sayuri a des intérêts dans l’affaire. Après tout, elle est la fille de l’okiya.
— Oui, intervint Mameha, qui n’avait pas parlé depuis un certain temps. Mais c’est une fille honnête. Pour moi, sa parole fera foi, si Mme Nitta se range à son avis.
— Bien sûr que je me rangerai à son avis, dit Mère, en posant sa pipe sur la table. Alors, Sayuri, qu’en est-il ?
Si j’avais pu à nouveau glisser du toit et me casser le bras plutôt que de répondre à leur question, j’aurais opté pour la première solution sans hésiter. De toutes les femmes de Gion, Mère et Mameha étaient celles qui influaient le plus sur ma vie, et j’allais en mécontenter une. Je me souvenais parfaitement de l’accord qu’elles avaient passé, mais d’un autre côté, il me fallait continuer à vivre à l’okiya, avec Mère. Cependant, Mameha m’avait éduquée, soutenue, aidée. Je pouvais difficilement prendre le parti de Mère contre elle.
— Eh bien ? me dit Mère.
— Je me souviens que Mameha a accepté de toucher seulement la moitié des gains qui lui revenaient. Mais vous-même avez accepté de lui payer le double, au bout du compte. Je suis navrée, Mère, mais c’est ce dont je me souviens.
Il y eut un silence, puis Mère déclara :
— Je ne suis plus toute jeune ! Ce n’est pas la première fois que ma mémoire me joue un tour.
— Nous avons toutes ce genre de problème de temps à autre, répondit Mme Okada. Mais n’avez-vous pas offert dix pour cent de plus à Mameha ? C’était dix pour cent sur le double de la somme que vous aviez accepté de payer à l’origine, je suppose.
— Si seulement j’étais en position de faire une telle chose, soupira Mère.
— Mais vous le lui avez proposé il y a cinq minutes. Vous n’avez pas déjà changé d’avis ?
Mme Okada avait cessé de regarder la nappe pour fixer Mère.
— Restons-en là pour aujourd’hui, conclut-elle. Nous nous verrons un autre jour pour fixer le chiffre définitif.
Mère avait une expression sinistre, mais elle acquiesça d’un petit hochement de tête, et remercia nos deux visiteuses d’être venues.
— Vous devez être contente que Sayuri ait bientôt un danna, reprit Mme Okada, en rangeant son abaque dans son sac. Elle n’a que dix-huit ans ! C’est jeune, pour franchir un tel pas.
— D’après moi, Mameha en aurait été capable, au même âge, rétorqua Mère.
— Dix-huit ans, c’est jeune pour la plupart des filles, fit observer Mameha. Cela dit, je suis certaine que Mme Nitta a pris la bonne décision en ce qui concerne Sayuri.
Mère tira un moment sur sa pipe, en fixant Mameha, assise de l’autre côté de la table.
— J’ai un conseil à vous donner, Mameha, dit-elle. Contentez-vous d’apprendre à Sayuri à rouler des yeux, comme elle sait si bien le faire. Quant aux décisions d’affaires, laissez-les-moi.
— Je n’aurai jamais la présomption de discuter affaires avec vous, madame Nitta. Vous avez fait un choix avisé, j’en suis persuadée. Mais puis-je vous demander ? Est-ce vrai que Nobu Toshikazu a fait l’offre la plus généreuse ?
— C’est la seule offre que nous ayons eue. Aussi est-ce la plus généreuse.
— La seule offre ? Dommage… Les prix montent, quand plusieurs hommes entrent en compétition. Vous ne savez pas ?
— Laissez-moi gérer les affaires de Sayuri, Mameha-san. J’ai une stratégie pour obtenir un meilleur prix de Nobu Toshikazu.
— J’aimerais savoir laquelle, si cela ne vous ennuie pas, insista Mameha.
Mère posa sa pipe sur la table. Je crus qu’elle allait réprimander Mameha, mais elle continua :
— Oui, je vais vous la dire, puisqu’on aborde le sujet. Peut-être allez-vous pouvoir m’aider. J’ai pensé que Nobu Toshikazu serait plus généreux s’il apprenait qu’Iwamura Electric a fabriqué le radiateur qui a tué notre Granny. Qu’en pensez-vous ?
— Oh, je m’y connais très peu en affaires, madame Nitta.
— Vous pourriez glisser cela dans la conversation la prochaine fois que vous le verrez. Vous, ou Sayuri. Qu’il sache quel coup cela a été pour nous. Il voudra nous dédommager, j’en suis certaine.
— Oui, c’est sans doute une bonne idée, assura Mameha. Mais enfin, j’avais l’impression qu’un autre homme avait du goût pour Sayuri.
— Cent yen, c’est cent yen, que cela vienne d’un homme ou d’un autre.
— Cela est vrai dans la plupart des cas, répondit Mameha. Mais l’homme auquel je pense est le général Tottori Junnosuke…
À partir de là, je perdis le fil de la conversation. Mameha essayait de me trouver un autre danna ! Je ne m’étais pas attendue à cela. Avait-elle changé d’avis et décidé de m’aider, ou bien me remerciait-elle d’avoir pris son parti ? Il se pouvait aussi qu’elle ait sa propre stratégie me concernant. Je retournais ces pensées dans ma tête, quand Mère me donna une petite tape sur le bras avec le tuyau de sa pipe.
— Eh bien ?
— Madame ?
— Je t’ai demandé si tu connaissais le général !
— Je l’ai rencontré deux ou trois fois, Mère, fis-je. Il vient souvent à Gion.
Je ne sais pourquoi je lui répondis cela. En vérité, j’avais souvent vu le général. Il venait à Gion toutes les semaines, invité par divers hôtes. Il était de petite taille – plus petit que moi, en fait. Mais ce n’était pas le genre d’homme qu’on oublie – on n’oublie pas le canon d’un fusil braqué sur soi. Il avait des gestes nerveux. Il fumait cigarette sur cigarette, je ne l’avais jamais vu qu’à travers un nuage de fumée. Un soir où il avait trop bu, le général m’avait longuement parlé des différents grades, dans l’armée. Je n’arrivais pas à les retenir, ce qui le fit beaucoup rire. Le grade de Tottori était « sho-jo », ce qui signifie « petit général », ou général avec une étoile. Et moi, jeune idiote, j’avais l’impression que ce n’était pas grand-chose. Il avait sans doute minimisé l’importance de son grade par modestie.
Mameha précisa à Mère que l’on venait de donner une responsabilité nouvelle au général : il était désormais chargé du ravitaillement de l’armée, occupation assez proche de celle de la ménagère, quand elle va au marché, ajouta Mameha. Si l’armée manquait de pierres à encrer, par exemple, le général devait lui en procurer à un prix intéressant.
— Un nouveau travail qui va permettre au général d’entretenir une maîtresse pour la première fois de sa vie. Or je suis presque sûre qu’il s’intéresse à Sayuri.
— Et alors ? fit Mère. Un militaire ne s’occupe pas aussi bien d’une geisha qu’un aristocrate, ou un homme d’affaires.
— C’est peut-être vrai, madame Nitta. Mais le général pourrait être utile à votre okiya.
— C’est absurde ! Je n’ai pas besoin d’aide pour gérer cette okiya. Ce qu’il me faut, c’est un revenu important, et régulier, ce qu’un militaire ne peut m’offrir.
— Nous sommes privilégiés, ici, à Gion, murmura Mameha. Mais si la guerre continue, nous allons souffrir des restrictions.
— Si la guerre continue, oui, dit Mère. Mais ce sera fini dans six mois !
— Et quand la guerre se terminera, les militaires auront d’autant plus de pouvoir. N’oubliez pas, madame Nitta, que le général Tottori est l’homme qui s’occupe du ravitaillement de l’armée. Personne, au Japon, ne saurait aussi bien que lui vous procurer ce dont vous pourriez avoir besoin, que la guerre dure ou non. C’est lui qui décide de la circulation des marchandises.
Mameha avait un peu enjolivé les choses, je l’appris par la suite. Tottori était seulement chargé de cinq circonscriptions administratives. Cela dit, son grade étant plus élevé que celui des autres superviseurs, il avait le pouvoir d’un responsable général.
L’attitude de Mère, quand Mameha lui eut parlé du général ! On la vit réfléchir, supputer, calculer en pensée ce que l’aide de Tottori pourrait lui apporter ! Elle jeta un coup d’œil à la théière, se disant, j’imagine : « Je trouve facilement du thé – pour le moment – bien que le prix ait grimpé… » Après quoi elle glissa une main dans son obi, tâta sa tabatière en soie. Sans doute pour voir combien il lui restait de tabac.
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* *
La semaine suivante, Mère fit le tour de Gion et passa des coups de téléphone pour obtenir le plus d’informations possible sur le général Tottori. Cette tâche l’occupait entièrement. Elle m’entendait à peine, quand je lui parlais. Les pensées se bousculaient dans sa tête. Elle m’évoquait un train qui a trop de wagons à tirer.
Durant cette période, je continuai à voir Nobu, chaque fois qu’il venait à Gion. Je faisais de mon mieux pour qu’il croie que rien n’avait changé. Sans doute avait-il envisagé que nous serions amants dès la mi-juillet. Juillet se termina. Il n’était toujours pas mon danna. Dans les semaines qui suivirent, je le surpris, à plusieurs reprises, en train de me fixer avec perplexité. Un soir, il salua la maîtresse de l’Ichiriki de façon presque insultante : d’un simple hochement de tête, en passant devant elle à grands pas. Cette dame avait toujours considéré Nobu comme un bon client. Elle me lança un regard à la fois inquiet et surpris. Quand j’entrai dans la salle où Nobu donnait sa réception, je remarquai des signes de fureur chez lui – la mâchoire contractée, le saké bu d’un trait. Je ne pouvais lui reprocher d’éprouver de tels sentiments. Il devait me trouver sans cœur de l’ignorer, après toutes ses bontés. Une tristesse insigne s’abattit sur moi, puis le bruit d’une tasse de saké posée sèchement sur la table me fit sursauter. Je levai les yeux. Nobu me regardait. Autour de nous, les invités riaient et s’amusaient. Nobu me fixait, perdu dans ses pensées – tout comme moi. Nous étions comme deux charbons mouillés dans un brasier.