De Juliet à Mark
1er mai 1946
Cher Mark,
Je n’ai pas dit non. J’ai dit que je voulais y réfléchir. Tu étais tellement occupé à pester contre Sidney et Guernesey que j’ai l’impression que tu n’as pas remarqué : j’ai dit que j’avais besoin de temps, c’est tout. Je ne te connais que depuis deux mois. Il est trop tôt pour savoir si nous sommes faits pour passer le reste de notre existence ensemble – même si tu es persuadé du contraire. J’ai déjà commis l’erreur de vouloir épouser un homme que je connaissais à peine (peut-être l’as-tu lu dans les journaux). À l’époque, j’avais au moins la circonstance atténuante de la guerre. Il n’est pas question que je refasse la même bêtise.
Réfléchis : je n’ai jamais vu ta maison, je ne sais même pas oII tu habites. À New York, certes, mais dans quelle rue ? De quelle couleur sont tes murs ? Ton canapé ? Classes-tu tes livres dans l’ordre alphabétique ? (J’espère que non.) Tes tiroirs sont-ils rangés ou en désordre ? T’arrive-t-il de chantonner – si oui, quoi ? Préfères-tu les chats ou les chiens ? Les poissons ? Que diable prends-tu au petit déjeuner ? As-tu une cuisinière ?
Tu vois ? Je ne te connais pas assez pour f épouser.
Et au cas où ça t’intéresserait : Sidney n’est pas ton rival. Je ne suis pas amoureuse de lui, et je ne l’ai jamais été. Pas plus que lui de moi. Je ne l’épouserai jamais. Est-ce assez catégorique pour toi ?
Es-tu absolument certain de ne pas préférer te marier avec une femme plus malléable que moi ?
Juliet