16

Enchanté par sa visite à Montpellier et son premier contact avec son futur directeur, Marcelin bavarda avec son père pendant tout le voyage du retour.

Son bonheur faisait plaisir à voir. Il était plein de projets et d'idées pour les années à venir. Il brossait même un plan de culture pour Tierra Caliente dont l'ambition eût appelé bien des réserves si elle n'avait été l'attendrissant reflet de l'enthousiasme d'un néophyte.

Antoine savait à quel point la terre se plie mal aux utopiques prédictions et comment elle se plaît à faire payer les rêveurs. Mais, persuadé que les leçons, concrètes et sévères, viendraient tôt ou tard, il se garda bien de décourager son fils.

Il dut néanmoins se faire violence, non pour tempérer sa fougue verbale, mais simplement pour ne pas lui paraître trop rabat-joie et le mêler trop intimement aux affaires de Panamá.

Il avait eu confirmation de l'échec de la souscription en lisant quelques journaux achetés à Toulouse. Le comble était qu'ils affirmaient presque tous des contre-vérités d'une telle ampleur qu'il en vint à se demander qui, des journalistes ou de lui, conservait une once de bon sens !

« C'est quand même incroyable, pensa-t-il en relisant les articles ; d'un côté, ils nous assurent qu'il manque presque cinq cents millions pour faire le compte ; de l'autre, ils garantissent que tout ne va pas si mal et que le canal sera ouvert comme prévu ! Parole, ils nous prennent pour des benêts ! »

Mais pour autant qu'il fût informé – il savait que la Compagnie était exsangue –, il n'était pas encore au bout de son étonnement.

Il gardait en effet une triste impression de sa dernière entrevue avec Octave Granet et ne pouvait oublier son découragement. Or ce fut un homme confiant, sûr de lui et de l'avenir, qu'il retrouva lorsqu'il se rendit aux bureaux de la Sofranco.

À entendre le gérant, de Lesseps avait une fois de plus réussi à relever la situation. D'abord, parce que la souscription n'était pas annulée et que les banques lui étaient toujours favorables. Ensuite, parce que toute l'entreprise était de plus en plus soutenue par des personnalités dont on ne pouvait mettre l'intégrité en doute.

— Tenez, lisez ce que vient de faire paraître la Compagnie ! invita Octave Granet en lui tendant une épaisse brochure. Ça c'est du sérieux ! Je vous dis, avec M. de Lesseps on est tranquille. C'est un lion, cet homme !

Antoine parcourut quelques feuillets et hocha hypocritement la tête d'un air entendu, pour mieux masquer son scepticisme.

— Et vous avez vu ce qu'ils déclarent tous ? dit le gérant en reprenant le bulletin : « Le canal de Panamá s'achèvera et il sera inauguré, et il sera ouvert à la grande navigation à l'heure dite… » Et ce sera donc le 1er juillet 90, assura-t-il. Et vous avez vu les signatures de tous ceux qui se sont rangés de notre côté ? Des députés, des sénateurs, des banquiers ! Tenez, prenez par exemple le sénateur Denormandie, on ne peut rien demander de mieux, c'est l'ancien gouverneur de la Banque de France !

— Comme vous dites, on ne peut rien demander de mieux, approuva Antoine de plus en plus déconcerté. Mais alors, si je comprends bien, vous avez gardé vos titres ?

— Mes panamas ? Oui, bien sûr, confirma le gérant. Oh, j'ai hésité, c'est vrai, car ils ont baissé. Mais nul doute qu'ils remonteront d'ici peu, alors ce n'est pas le moment de vendre ! Vous voulez mon avis ? Nous avons eu tort de nous affoler, c'est ce que voulaient nos adversaires !

— Sûrement, approuva Antoine.

Mais il n'en dit pas plus car il ne se sentait pas le courage d'anéantir la bonne humeur et les espérances de son interlocuteur.

Encore désagréablement impressionné par la conversation qu'il venait d'avoir, Antoine sut gré à Pauline de l'accueillir avec le sourire.

— Tiens, c'est pour toi, dit-elle en lui tendant une lettre.

L'enveloppe était toujours fermée, mais le cachet à lui seul expliquait la bonne humeur de la jeune femme.

— C'est le notaire, son adresse est derrière, dit-elle.

— Et alors, c'est ce qui te rend si joyeuse ?

— Oui, s'il écrit c'est que l'affaire marche ! J'en suis certaine !

— Tu t'avances peut-être beaucoup, dit-il en décachetant la missive.

Contrairement à sa femme, il n'était pas du tout certain que les nouvelles soient bonnes ; les affaires du canal le rendaient trop soucieux pour l'inciter à l'optimisme.

Il parcourut la lettre, la tendit à Pauline et retrouva toute sa bonne humeur en entendant l'exclamation de joie qu'elle poussa.

Après avoir assuré – mais Antoine n'était pas dupe – qu'il avait eu le plus grand mal à décider les vendeurs, le notaire annonçait qu'il était en mesure de procéder aux formalités qui redonneraient à Antoine la jouissance des terres des Fonts-Miallet. Un peu plus de deux hectares de friche dont la vente, presque vingt ans plus tôt, avait complètement bouleversé le cours de son existence.

Depuis son arrivée à Santiago, Romain se sentait vraiment revivre. D'abord, et c'était délicieux, Clorinda était plus amoureuse que jamais. Tellement amoureuse et infatigable qu'il se demandait parfois fugitivement comment elle avait pu s'habituer à son absence ; mais c'était une question qu'il jugeait peu prudent de lui poser.

Ensuite, quelques jours de repos dans un climat sain lui avaient permis de mesurer à quel point la vie à Panamá était éprouvante, usante, assassine même. Car là-haut, outre la pluie, les moustiques et la moiteur ambiante, il fallait chaque jour affronter un travail dont la démesure était souvent démoralisante et la répétition lassante.

Et maintenant qu'il s'en était coupé – et il pressentait que la rupture était définitive – il s'étonnait d'avoir pu rester presque huit ans dans cette sorte d'enfer gluant, débilitant, immonde.

Il en arrivait presque à se reprocher d'avoir perdu toutes ces années dans le seul but d'amasser un peu plus d'argent, de constituer une belle fortune en oubliant – ou en s'obligeant à oublier – qu'un accès de fièvre jaune ou une morsure de serpent pouvaient brutalement l'empêcher d'en jouir jamais !

De plus, lorsqu'il s'interrogeait, il ne comprenait pas comment il avait pu mener pendant si longtemps une vie aussi sédentaire, dans un horizon aussi limité.

Certes, tout s'en mêlait, surtout le pire, pour donner du piquant à cette forme d'existence. Il n'en restait pas moins vrai que l'amateur de grands espaces, de chevauchées et d'aventures sans cesse renouvelées qu'il était, avait réussi, pendant des années, à se transformer en ramasseur de boue, de glaise et de caillasses !

Et sans doute s'en fût-il voulu d'avoir ainsi étouffé ce que, jadis, était sa raison d'être, s'il n'avait eu la certitude que des milliers d'hommes avaient, un jour, cédé comme lui à la fascination qui se dégageait de ce chantier surhumain, inhumain.

Comme eux, il avait ressenti la folle excitation que procurait le désir d'ouvrir et de mater une jungle vierge, mauvaise, tueuse. Il avait aussi connu la jouissance de domestiquer un río réputé indomptable, de faire reculer des marécages et des marigots jusque-là inviolés, d'aplanir des montagnes, de réunir les océans.

Là, beaucoup plus que dans l'appât du gain, était l'explication. Et c'était bien toujours cette sorte d'exaltation qui permettait de comprendre pourquoi un homme comme Martial s'entêtait encore là-haut, les pieds dans la boue, le dos à la pluie et des moustiques sur tout le corps. S'entêtait et aimait le faire, s'entêterait jusqu'au bout, jusqu'au dernier jour.

Mais, pour lui, c'était fini. Non seulement il n'avait plus envie de céder à l'hypnose redoutable que dégageait le chantier, mais il voulait s'en détourner. Et le fait d'avoir ainsi volontairement tranché tous les liens qui l'avaient attaché à Panamá pendant si longtemps le mettait d'humeur joyeuse, entreprenante.

Et, comme jadis, il se prenait à rêver à de longues courses dans la sierra de Moreno, dans la pampa de Tamarugal, dans le désert d'Atacama. Dans toutes ces immensités désolées mais si belles où tant de trésors restaient à découvrir.

Déjà, plus simplement, il se faisait une joie à l'idée de remonter bientôt inspecter toutes les mines que la Sofranco possédait dans le nord, là où l'atmosphère était si sèche, si vide de la moindre parcelle d'humidité que même le brouillard n'était qu'un leurre cotonneux, un fantôme de brume.

« Ça me changera agréablement de Panamá ! » songea-t-il avec amusement en se dirigeant ce matin-là vers les bureaux de la Sofranco.

Après une joyeuse soirée au théâtre, il avait passé une excellente nuit et se sentait de très bonne humeur. Elle tomba dès qu'Edmond lui parla.

D'abord le peina beaucoup l'annonce du décès de Lino. Contrairement à Martial, il ne se sentit pas responsable. Certes la mort du jeune Italien le révoltait, l'attristait. Mais il avait vu mourir tant d'hommes sur le chantier, et pour des raisons tellement diverses et parfois tellement stupides, qu'il savait bien que seul le destin décidait. Peut-être avait-il été son intermédiaire, mais un intermédiaire passif, involontaire, donc innocent.

Cela n'enlevait rien à la tristesse et au sentiment de gâchis que lui inspirait la mort de Lino. De ce brave et si ambitieux Lino à qui il se faisait une joie d'écrire bientôt qu'il lui cédait sa place sur le chantier. Une place maintenant doublement vide…

— Je comprends votre émotion, mais il y a autre chose…, dit Edmond. Non, non, pas d'autre décès, Dieu soit loué, ajouta-t-il en voyant son inquiétude.

— Ah bon, vous me rassurez !

— Oui, c'est quand même moins grave, intervint Herbert, mais il y a cependant un problème… À vous entendre, nous croyons avoir compris que vous ne teniez plus à remonter à Panamá. Du moins dans l'immédiat ?

— C'est exact. Et j'avoue même que chaque jour qui passe me renforce dans l'idée de ne plus jamais y remettre les pieds. Comprenez-moi, j'estime avoir fait mon temps, et même mieux que ça…

— C'est tout à fait notre avis, approuva Herbert, mais il y a un problème…, redit-il en jouant avec sa tabatière.

— Que se passe-t-il ? demanda Romain en les dévisageant l'un après l'autre.

— Il se passe que notre ami Martial nous donne des soucis, intervint Edmond.

— Ça, c'est pas nouveau ! s'amusa Romain.

— D'accord, mais ce qui est récent c'est qu'il ne répond même plus aux dépêches que nous lui expédions, ou plutôt qu'il répond à côté ! expliqua Edmond.

— Oui, renchérit Herbert après s'être chargé les narines de tabac, nous l'avons mis au courant des difficultés de la Compagnie, et surtout nous l'avons conjuré de tout mettre en œuvre pour liquider au plus vite, et dans les moins mauvaises conditions possibles, toutes nos affaires de Panamá…

— C'en est à ce point-là ? s'étonna Romain.

Depuis son retour à Santiago, il s'était quelque peu désintéressé des affaires du canal. Et s'il n'ignorait pas qu'elles allaient mal, du moins ne pensait-il pas qu'elles soient moribondes à ce point.

— Oui, affirma Herbert, c'est la fin. Même les banques les plus engagées n'y croient plus. Dieu sait pourtant si ce chantier les a enrichies ! Quand on connaît la façon dont la Compagnie a dû les intéresser à l'opération… Et les pourcentages qu'elle leur a concédés ! Enfin, bref, même elles vont tout lâcher avant peu. Il faut donc que la Sofranco se dégage elle aussi, tant qu'il est temps et, croyez-moi, nous sommes à la limite…

— Comprenez bien, c'est l'hallali, dit Edmond. Même les politiciens les plus favorables au canal s'en désintéressent ! Pire, il paraît que des plaintes vont être déposées à l'encontre de quelques hommes d'affaires… Tout cela est très mauvais, aussi j'ai, quant à moi, déjà revendu toutes mes actions du canal, à perte, mais je préfère encore ça… Et je ne saurais trop vous conseiller de faire la même chose…

— Merci du conseil, mais, à part ça, qu'est-ce que je viens faire dans cette histoire ? demanda Romain.

— Martial ne veut pas arrêter de travailler. Or il faut absolument nous séparer des trois cent cinquante hommes que nous employons, si possible vendre le matériel, rapatrier les capitaux, bref, tirer un trait, dit Herbert. Il faut faire comprendre à Martial que l'aventure est finie. Actuellement, nous pouvons encore sauver les meubles, mais dans quelques mois, quelques semaines peut-être, il sera trop tard. Il faut que vous remontiez là-haut, vous seul pouvez décider notre ami, lui faire comprendre…

— Vous vous foutez de moi ? demanda Romain en puisant un cigare dans le coffret ouvert sur le bureau d'Herbert.

— Pas du tout, c'est très sérieux. Martial ne tient aucun compte de nos câbles ! Il n'a même pas daigné répondre à Edmond qui lui demandait s'il devait vendre ses actions ! Or, il possède pour plus de deux cent mille francs de titres ! On ne peut pas vendre sans son ordre ! Croyez-moi, il faut agir, il est impossible de rester comme ça. Et plus nous insistons, moins il répond !

— Ça, je conçois volontiers qu'il se moque de vos câbles, ce n'est plus son affaire, et depuis longtemps ! dit Romain.

— C'est bien ce que nous disions, il faut que vous y montiez ! insista Edmond.

— Il n'en est pas question et je vais vous dire pourquoi, dit Romain avant que ses interlocuteurs aient eu le temps de protester. Martial se moque de laisser sa chemise dans cette affaire ! La preuve, il se fout même d'y laisser la peau ! Alors, que voulez-vous que lui fassent vos petites histoires d'argent !

— Mais dites, c'est aussi notre argent, et le vôtre ! Celui de la Sofranco, quoi ! protesta Edmond. Son entêtement risque de nous coûter une fortune, on ne peut pas…

— Eh bien, allez-le-lui dire vous-même ! coupa Romain, ça vous donnera l'occasion de découvrir le pays !

— J'y serais déjà si j'étais sûr qu'il m'écoute, mais je le connais, il me rira au nez, dit Herbert.

— Au minimum, approuva Romain, et s'il est mal luné, vous risquez même le coup de pied dans les fesses ! Allons, je plaisante, assura-t-il en redevenant sérieux, mais comprenez que ni vous ni moi ne le ferons rentrer. Il ne s'arrêtera que si le chantier s'arrête, pas avant. Et si je dis que personne n'y changera rien, c'est parce qu'il ne fait pas ça pour de l'argent. Aussi invraisemblable que cela paraisse, il fait ça pour le plaisir ! Et, moi, j'en souhaite à celui qui voudra l'en priver, surtout si près de la fin…

— Alors, on doit le laisser faire, laisser filer notre argent, tout perdre peut-être ? demanda Edmond.

— Tout perdre ? Vous y allez fort ! Nous avons tous déjà beaucoup gagné et ça, c'est à l'abri, je pense, enfin en ce qui me concerne. Mais, bien sûr, on risque quand même d'y laisser quelques plumes.

— À ce niveau, ce sera un édredon ! grogna Herbert. Donc vous ne voulez pas aller essayer de le convaincre ?

— Non, ce serait un voyage inutile. Je les entends d'ici, les deux compères, s'amusa Romain.

— Quels deux compères ? demanda Edmond.

— Martial et O'Brien, vous ne pouvez pas comprendre, dit Romain. Pour cela, il faut avoir travaillé là-haut. Il faut avoir été assez fou pour y passer plusieurs années. Cela dit, ajouta-t-il en voyant la mine dépitée de ses amis, rien ne vous empêche d'expédier un câble à Antoine. Il revient bientôt, non ? Alors, au retour, il peut passer par Panamá et voir Martial. Mais je suis prêt à parier que même lui ne le fera pas changer d'avis.

— Eh bien, on va quand même tenter le coup, et deux fois plutôt qu'une ! assura Herbert en retrouvant sa bonne humeur.

Martial se demanda pendant plusieurs jours s'il arriverait à se débarrasser des épouvantables maux de tête que l'ingestion du whisk'isthme d'O'Brien lui avait donnés.

Il conservait un souvenir très confus de tout ce qu'il avait dit et fait après l'absorption du cinquième ou sixième verre. Tout au plus se souvenait-il, fugitivement, d'avoir pleuré et ri à en perdre le souffle. D'avoir aussi, pour d'obscures raisons, vertement insulté l'Irlandais, puis tenté enfin de regagner son bungalow.

L'expédition avait tourné court puisqu'il s'était retrouvé le lendemain après-midi couché dans la propre case d'O'Brien. À côté de son hamac, lui souriant de ses gencives roses ponctuées de quelques rares chicots, la femme d'O'Brien lui avait gentiment proposé un grand bol d'alcool.

Révulsé à la seule odeur du tord-boyaux, il avait eu juste le temps de se précipiter dehors pour y vomir à s'en retourner les viscères.

Ensuite, et pour plusieurs jours, étaient venues de terribles migraines et aussi d'insupportables brûlures d'estomac. Pendant plus d'une semaine, il en avait tellement voulu à l'Irlandais de l'avoir sournoisement encouragé à avaler rasade après rasade qu'il avait fait en sorte de ne pas le rencontrer.

Puis, ses douleurs de crâne et d'estomac s'estompant, il avait eu l'honnêteté de reconnaître que si O'Brien lui avait fourni l'alcool, il ne l'avait pas pour autant contraint à en boire. Il était donc peu correct de lui tenir rigueur de sa générosité.

Pour finir, les deux hommes s'étaient retrouvés un matin sur le chantier où quelques amicales bourrades avaient tout effacé. Sauf une chose : Martial était désormais certain qu'il ne toucherait plus à une seule goutte de l'alcool fabriqué par l'Irlandais.

C'était pendant qu'il titubait encore dans un douloureux et tenace brouillard qu'était arrivée une très pessimiste dépêche expédiée par Edmond et Herbert. Elle ne lui avait rien appris qu'il ne sût déjà sur la situation financière de la Compagnie. Rien appris non plus quant à la prudence, pour ne pas dire la pusillanimité de ses amis de Santiago. Aussi, l'idée ne lui était même pas venue de céder en quoi que ce soit à leurs demandes.

D'autant qu'elles étaient toutes irréalisables et irréalistes et que seuls pouvaient les concevoir des gens qui ignoraient tout du canal.

Vendre les machines, disaient-ils, ces bons apôtres ? Mais à qui, grand Dieu ! Plus personne n'était assez fou, dans l'isthme, pour investir une poignée de piastres dans l'achat du moindre matériel !

Licencier les trois cent cinquante Chinois et Jamaïcains qui travaillaient dans les ateliers et sur les machines ? C'était grotesque puisque, pour l'instant, même si elle payait parfois avec retard, la Compagnie réglait toujours les travaux. Cesser toute activité, c'était donc perdre ce que rapportait ne serait-ce qu'une journée de travail !

Non, ce qu'il fallait, ce n'était ni brader le matériel, ni fermer les ateliers, ni se séparer des ouvriers, c'était tenir ! Tenir coûte que coûte tant que seraient payés les tâches effectuées, les mètres cubes extraits, les réparations de machines. Tenir jusqu'au dernier jour, jusqu'à la dernière minute.

Certes, il y avait des risques à appliquer cette politique, mais il fallait les prendre. Il avait de toute façon décidé de ne baisser les bras que contraint et forcé, soit par la maladie, soit par l'arrêt des travaux. Et tant que l'une et l'autre ne se concrétiseraient pas plus qu'ils ne le faisaient pour l'instant, il continuerait à travailler, à creuser, à batailler.

Tout au plus, parce qu'il était réaliste, n'avait-il pas donné suite à ses projets de réparation des excavateurs hors d'usage.

Retirés du chantier et repoussés vers la jungle, trois d'entre eux servaient maintenant de perchoirs aux gallinazos, aux hérons, aux pélicans et aux toucans et d'abri aux serpents. Déjà les lianes les encerclaient, les absorbaient. Mangés par une rouille vorace, ils disparaissaient, se délitaient.

Quant aux trois autres engins qui tournaient encore, ils donnaient des signes manifestes d'usure. Il savait bien qu'eux aussi cesseraient bientôt de ronger en grinçant la roche rouge de la Culebra. Il espérait simplement qu'ils tiendraient encore quelques semaines, peut-être quelques mois, si tout allait bien.

Seule la Ville de Lodève se comportait au mieux, comme une bonne et solide drague, reconnaissante d'avoir été remise à neuf, choyée, entretenue.

Patiente, régulière, sans précipitation, tel un diplodocus barbotant dans la vase, elle avalait goulûment la boue verte du marécage.

« Et c'est elle qu'il faudrait que je vende ? pensait-il en la regardant travailler, eh bien, il devra faire encore plus chaud qu'aujourd'hui ! »

Décidé à ne tenir aucun compte des injonctions amicales, mais fermes, que lui expédiaient régulièrement Herbert et Edmond, il ne les lisait plus que distraitement. Seul le contraria un peu le câble d'Edmond lui annonçant la chute des actions de Panamá et suggérant de s'en débarrasser au plus vite.

Il faillit expédier un ordre de vente, puis oublia. Ces histoires d'actions, d'obligations, de titres ne l'intéressaient plus. Là n'était pas l'essentiel.

Antoine ne put s'empêcher d'adresser un sourire complice à Pauline lorsque le notaire commença la lecture de l'acte qui allait les rendre propriétaires des terres des Fonts-Miallet. Et ce fut avec une petite émotion qu'il écouta relater brièvement l'origine de la propriété : « …achetée par le sieur Léon Vergnes à la veuve Octavie Leyrac, née Peyrissac, le 15 février 1871, laquelle dite veuve était légitime et seule héritière de feu Antoine Peyrissac, son père… »

« Et voilà, j'achète en 88 des terres que mon grand-père avait lui-même déjà achetées en 1815, c'est fou cette histoire ! »

Parce qu'ils avaient préféré accompagner Rosemonde et Armandine qui partaient pour quelques jours aux bains de mer à Biarritz, Pierrette et Silvère avaient boudé le voyage à Brive. En revanche, Marcelin avait tenu à suivre ses parents.

Antoine en était heureux car pour modeste, pour ne pas dire dérisoire, que fût la transaction, elle était lourde de symbole. Il était donc bon qu'un Leyrac de la quatrième génération assistât au retour dans la famille de ces deux hectares. Ils devenaient désormais un point d'attache invulnérable.

À l'inverse de la maison qu'un incendie avait transformée en une ruine pitoyable, la terre était indestructible. Et en supposant même que Marcelin et ses descendants s'en désintéressent et l'oublient, cela n'empêcherait pas les arbres de naître et de peupler le modeste lopin.

Après avoir tout réglé avec le notaire, ce ne fut pas uniquement pour le plaisir de revoir la propriété qu'Antoine revint aux Fonts-Miallet. Car s'il était heureux d'avoir pu ramener le petit domaine dans la famille, le lamentable état des terres le choquait.

Déjà, lors de son premier retour, en mai 71, outre la peine que lui avait faite la découverte de la maison brûlée et du pin parasol roussi, la friche qui gagnait les labours l'avait attristé. Or, maintenant, c'était des taillis, des ronciers énormes et des buissons qui proliféraient partout, ce n'était plus admissible.

Aussi, au lieu d'aller directement aux Fonts-Miallet, poussa-t-il la carriole sur le chemin de pierres blanches qui filait vers le hameau du Peuch.

— On risque d'arriver un peu tôt, mais tant pis, prévint-il.

— Un peu tôt pour quoi ? demanda Pauline.

— Ils font tous sûrement encore la sieste et, ma foi, je les comprends, expliqua-t-il.

En cet après midi d'août, la chaleur était accablante. Tellement pesante et suffocante que même les oiseaux avaient déserté le ciel d'un bleu de plomb, vide du moindre nuage.

Tout l'horizon frémissait d'une haleine de feu et, seules à être encouragées par la fournaise, les cigales accrochées aux feuilles flétries des petits chênes du causse craquetaient en un strident et lancinant concert.

Ruisselant de soleil, engourdi à l'abri de ses volets fermés, le hameau du Peuch dormait. Même les chiens, vautrés à l'ombre bleue des maisons et des granges, ne bronchèrent pas lorsque Antoine poussa l'attelage sous le chapeau vert sombre d'un noyer centenaire.

Dans la poussière des cours et du chemin, des volailles ébouriffées, ouvertes comme des livres, prenaient leur bain de sable à petits coups d'ailes paresseux.

— Tu avais raison, ils dorment tous, dit Marcelin.

Pour le contredire, un volet fit miauler ses gonds, s'entrebâilla l'espace d'un regard, d'un clin d'œil, comme une paupière encore lourde de sommeil, se referma en grinçant.

— Ça va, ils savent que nous sommes là, sourit Antoine, tu vas voir, quelqu'un va sortir… Tiens, qu'est-ce que je disais ! ajouta-t-il en voyant s'ouvrir les lourds vantaux de chêne d'une porte à double battant.

Un homme parut. Hirsute, cillant sous la lumière trop crue, chemise ouverte et pantalon tombant sous la ceinture de flanelle desserrée, il observa les nouveaux venus, se gratta le crâne et remit un peu d'ordre dans sa tenue.

— Vous cherchez quelque chose ? demanda-t-il enfin en fourrageant à pleins doigts dans la toison noire de sa poitrine.

— Oui, un renseignement, enfin, pour commencer, dit Antoine en s'avançant.

Il observa l'homme, fit un effort de mémoire pour tenter de retrouver en lui l'image de quelqu'un qu'il aurait connu quelque vingt-cinq ans plus tôt. Il comprit vite que c'était inutile car son hôte n'avait même pas trente ans.

« Ce gars-là avait peut-être quatre ou cinq ans quand je suis parti à l'armée, pas plus, alors pour savoir… »

— Mais dites, je sais qui vous êtes ! assura soudain l'homme. C'est vous l'Américain, pas vrai ? Le père Delmas nous a parlé de votre visite il y a deux mois, ça l'avait tout retourné, le pauvre !

— Je sais, il me croyait mort !

— Alors comme ça c'est vous le père Leyrac, celui des Fonts-Miallet ?

— C'est moi, sourit Antoine amusé et ému de s'entendre appeler « père Leyrac » car, dans ses souvenirs, c'était son père qu'on appelait jadis ainsi.

— Eh ben, finissez d'entrer, invita l'homme, et votre dame et votre gars aussi, faut pas qu'ils restent sous le noyer, son ombre est mauvaise, elle donne mal au ventre… Et puis vous prendrez bien un verre ?

— Dans le temps, cette maison était celle des Bordes, dit Antoine, il y avait là un garçon de mon âge, Guillaume…

— C'était mon pauvre frère. L'est mort ça fait tout de suite plus de dix ans. Et mon pauvre père aussi, lui ça fera douze ans à la Noël. Mais voyez, moi je suis là, alors la maison est toujours aux Bordes. Allez, finissez d'entrer et dites-moi ce qui vous amène au Peuch par cette chaleur !

Antoine, Pauline et Marcelin rejoignirent Brive à la nuit. Avec elle la fraîcheur était venue et des nappes d'air presque froid surprenaient même les voyageurs dès que la route plongeait dans les vallons.

Antoine sifflotait, heureux d'avoir conduit au mieux l'affaire qui lui tenait à cœur.

— Tu étais sûr qu'il accepterait, ou bien tu as tenté le coup ? lui demanda Pauline en resserrant son châle autour de ses épaules.

— J'ai tenté le coup. Si lui n'avait pas voulu, j'aurais demandé à un autre et j'aurais été bien étonné qu'aucun n'accepte. Enfin, voilà qui est réglé.

Il était très satisfait d'avoir si bien résolu la remise en état des terres des Fonts-Miallet. Il avait trouvé en Ferdinand Bordes un interlocuteur sérieux à qui le travail ne faisait pas peur. Il est vrai que sa propriété couvrait à peine six hectares et que la surface proposée par Antoine représentait donc une indiscutable valeur.

Une fois défrichées, nettoyées et labourées, les terres lui rapporteraient, bon an mal an, au moins dix à douze quintaux de blé et quinze à vingt quintaux de sainfoin et de luzerne. À cela s'ajouterait la possibilité d'y faire paître ses bêtes dès la récolte faite.

Sitôt l'accord conclu et scellé par un nouveau verre de vin – une affreuse et râpeuse piquette dont le goût avait rajeuni Antoine de plus de vingt ans –, ils s'étaient tous rendus aux Fonts-Miallet. Là, pendant que Pauline s'installait à l'ombre du pin parasol, Antoine, Marcelin et Ferdinand Bordes étaient partis faire le tour de la propriété.

Malgré les années, les broussailles et les taillis, Antoine, sans hésiter, avait retrouvé toutes les bornes. Elles étaient là, à leur juste place aux angles des parcelles, les pierres jadis dressées par son grand-père.

— Écoute bien, avait-il plaisanté en attrapant l'oreille de son fils, quand mon grand-père me les a montrées, il m'a expliqué qu'il allait m'administrer la plus belle correction de ma vie ! De cette façon, assurait-il, je n'oublierais jamais l'emplacement des bornes ! Il rigolait, bien sûr, mais quand même, pour marquer le coup, à chaque borne il m'a caressé les jambes avec une branche de genévrier ! C'est comme ça qu'on faisait dans le temps. Et ça avait du bon, tu vois : je n'ai pas oublié où se trouvent nos limites ! Alors tâche de t'en souvenir, toi aussi !

— Et voilà, on peut repartir tranquilles. Les terres, nos terres, vont reprendre bel aspect, avait-il dit peu après en rejoignant Pauline.

Et maintenant, heureux, bercé par le pas du cheval, il sifflotait sur la route blanchie par une lune énorme qui éclaboussait tout le paysage.

— Je voulais te demander…, hasarda Marcelin, oui, j'ai pas bien compris…

— Quoi donc ? demanda Antoine.

— Ben… tu ne crois pas que tu aurais pu tout lui laisser, à ce pauvre Bordes ? Ça fait un travail terrible de tout remettre en état…

Antoine approuva d'un signe de tête, sourit à Pauline et feignit de ne rien comprendre, bien qu'il sût exactement à quoi son fils faisait allusion.

— Du travail ? Oui, sans doute, dit-il. Mais quoi : pour la première année, je lui fais cadeau de tout le bois qui dévore nos terres et qu'il va arracher. Il y a là peut-être pas loin de quinze cordes de bon bois de chauffage et plusieurs douzaines de bons fagots, ça le paie largement de son travail, non ?

— Si l'on veut, reconnut Marcelin, mais pour les années à venir, pourquoi lui as-tu demandé un fermage ? On n'en a pas besoin de ces soixante-quinze malheureux francs qu'il devra verser au notaire de Brive. C'est… c'est ridicule, voilà !

— Je sais, soixante-quinze francs, pour nous, ça ne compte pas. Mais que crois-tu qu'il se serait passé si je lui avais tout donné gratuitement ?

— Eh bien, il aurait économisé soixante-quinze francs, et pour lui c'est peut-être beaucoup !

— Non, je me suis renseigné, c'est très en dessous du fermage habituel pratiqué dans la région. Mais ce n'est quand même pas un cadeau. Il ne fallait pas que ce soit un cadeau, tu comprends ?

— Non ! grogna Marcelin d'un ton buté.

— Ton père a eu raison, intervint Pauline. Il faut connaître les gens. Ce brave Bordes n'aurait jamais accepté qu'on lui fasse cadeau de tout. Ça l'aurait vexé. Les hommes comme lui n'aiment pas devoir quoi que ce soit à quiconque. Ils ont toujours peur qu'on veuille leur faire l'aumône. Ils n'aiment pas ça et ils ont bien raison. Voilà pourquoi il fallait lui demander un petit fermage, pour marquer le coup. Pour le principe, si tu préfères.

— Ta mère a compris, dit Antoine, enfin, presque tout…, ajouta-t-il en riant doucement.

— Pourquoi ris-tu ? demanda-t-elle en pressentant que l'affaire était moins limpide qu'elle ne l'avait cru.

— Pourquoi ? réfléchis ! Tiens, à cette heure, l'ami Bordes doit être en train de dire à tous ses voisins qu'on ne connaît pas le prix du fermage ! Et tu vois, il est tout content d'avoir roulé les Américains qu'il pense que nous sommes ! Et plus il produira sur nos terres, plus il sera content. Car, chaque année, en versant ses soixante-quinze francs au notaire, il pensera : « Est-il couillon, ce père Leyrac, je l'ai roulé comme un gamin ! Vrai, c'est pas la peine d'aller si loin aux Amériques pour en revenir aussi tabanard ! Des terres pareilles, ça mérite beaucoup plus ! » Et je suis sûr qu'il le dira partout, pour le plaisir de faire quelques jaloux. Et toujours pour le plaisir de gagner un peu plus à chaque fois sur notre dos, il soignera encore mieux nos terres ! Tiens, je parie que d'ici à cinq ans, elles seront les mieux entretenues du secteur. Et moi, c'est tout ce que je demande… Eh ? pourquoi tu me pinces ? sursauta-t-il en s'écartant pour échapper aux doigts de Pauline crochetés dans son flanc.

— Parce que tu me fais honte d'être aussi voyou ! Et de t'en vanter, surtout devant ton fils ! dit-elle en riant.

— Mon fils ? Il est grand temps qu'il se souvienne que son père est resté un paysan corrézien !

— C'est pas une blague ? Tu avais calculé tout ça avant de proposer le marché ? demanda Marcelin à la fois perplexe et surpris de découvrir chez son père un aspect complètement méconnu.

— Oui, tout calculé, dit Antoine en redevenant sérieux. Mais tu sais, insista-t-il en voyant que son fils ne savait trop que penser, l'important, d'une affaire, c'est que tout le monde soit d'accord. Et dans celle-là, en plus, personne n'est volé et tout le monde est gagnant, alors que demander de mieux ?

Le câble qui attendait Antoine à Bordeaux le plongea dans l'embarras. Il n'avait pas prévu de rejoindre Santiago en empruntant la route du nord, celle de Colón et Panamá. Il avait toujours en mémoire – et il savait que c'était à vie – l'atroce spectacle d'Andrew Freeman mourant de la fièvre jaune et celui, tout aussi poignant, des yeux verts de Mary se fermant pour toujours. Il y pensait souvent et c'était alors l'image de Pauline ou des enfants, atteints eux aussi et succombant dans les mêmes souffrances, qui venait le hanter.

Or, traverser l'isthme, surtout en plein invierno, c'était courir le risque de voir Pauline, Pierrette et Silvère, touchés par le mal. C'était une éventualité qu'il rejetait, une responsabilité qu'il ne voulait prendre à aucun prix.

— Je ne vois pas ce qui te tracasse, lui dit Pauline lorsqu'elle prit à son tour connaissance du câble expédié par Herbert. Tu ne peux pas refuser d'aller voir Martial.

— C'est bien mon avis.

— Alors où est le problème ?

— Je ne veux pas que vous passiez dans ce pays. Il est bourré de maladies, de malaria, de fièvre jaune, de toutes ces saloperies qui tuent en quelques jours.

— C'est ridicule. Tu m'as dit toi-même que, dans les premières années, de Lesseps avait séjourné là-bas avec sa femme et trois de ses enfants, dont sa plus jeune fille qui n'avait que six ans ! dit-elle en haussant les épaules.

— Je me fous complètement de ce qu'a fait de Lesseps, coupa-t-il. Moi, j'ai suffisamment vu le résultat de la fièvre jaune, et tu sais à qui je pense… Il n'est donc pas question que vous passiez par Panamá.

— Mais on traverse tout le pays en moins d'une matinée ! Ce n'est pas en si peu de temps qu'on peut attraper quoi que ce soit ! protesta-t-elle.

— Ne discute pas. Personne ne sait en combien de temps s'attrape la fièvre jaune, personne ne sait même comment elle s'attrape ! Je ne veux pas que vous preniez le moindre risque. Donc, comme prévu, vous rentrerez par la route du sud. D'ailleurs, je ne vois pas pourquoi on palabre, ça a toujours été prévu comme ça !

— Ça veut donc dire que toi tu passeras par Panamá et nous par Magellan, murmura-t-elle.

Elle était très dépitée à la pensée de voyager sans lui. Déjà, l'idée de quitter la France en laissant Marcelin derrière elle lui serrait le cœur. Jusque-là, elle savait que le retour allait être difficile, sans Antoine, il risquait d'être déchirant.

— Comprends-moi, expliqua-t-il en voyant à quel point sa décision la heurtait, tu l'as dit, je ne peux pas refuser d'aller voir Martial, c'est impossible. Mais ne me demande pas de venir avec moi, ça, j'y oppose, définitivement.

— Très bien, on fera comme ça, dit-elle après quelques instants de réflexion. Mais… mais alors promets-moi de faire en sorte de quitter la France après nous. Si tu pars le premier, si tu me laisses seule avec les enfants, j'ai bien peur de manquer de courage pour embarquer…

— Entendu, Marcelin et moi nous vous mettrons au bateau. Je partirai ensuite pour Colón. On va être très loin les uns des autres pendant quelque temps, mais tu verras, tout se passera quand même très bien.