CHAPITRE XVII











P-S.12 s’approcha de Carle et d’Ingrid qui observaient un astronef dans la salle de départ. Ils avaient décidé de se rendre sur le Quasar 16 où K’Bar avait été affecté dernièrement.

Ils n’ignoraient rien de la naissance d’Aza-2 dont le regard humain rappelait étrangement celui de Merson. Or, le malheureux Américain restait introuvable. Nul doute, donc, qu’il avait facilité la formation d’Aza-2, en compagnie d’un Glor et d’un Harix.

L’angoisse étreignait le Français. Aza-3 naîtrait à son tour, un jour ou l’autre, et ainsi, le nouveau Triumvirat serait édifié. Mais Carle en ferait les frais.

L’arrivée silencieuse de l’androïde – puisqu’il flottait à quelques centimètres du sol – surprit les Terriens. Le jeune chimiste se retourna, comme piqué par un serpent. Son regard lança des éclairs et il se tint sur la défensive. Il songea que P-S.12 venait le chercher pour l’emmener au labo de dématérialisation.

— Que voulez-vous ? haleta-t-il.

— Aza-1 et Aza-2 viennent de partir pour le Continent Trois, apprit l’androïde. Je m’étonne de cette initiative, car, depuis la mort d’Hokar, personne de sensé n’aurait l’idée de retourner vers la caverne.

Carle se détendit. Il comprit que P-S.12 ne venait pas pour ce qu’il craignait.

— Bizarre. Vous m’apprenez une nouvelle qui n’aurait pas dû sortir de votre bouche.

— Je sais, reconnut le Phon, sans regret. Mais parfois, vous le savez, mon comportement se modifie. Une soif de savoir me tenaille. Je pense que vous êtes mieux qualifié que moi pour aller sur le Continent Trois.

— Vous êtes le chef des gardes, rappela Ingrid. En conséquence, nous vous devons obéissance.

— D’accord. Mais j’aimerais que vous preniez vous-même cette initiative puisque, selon toute probabilité, vous me remplacerez un jour. D’ailleurs, je vous donne cet ordre.

— Bien, accepta Carle. Nous remettrons à plus tard notre voyage au Quasar 16. K’Bar m’aurait peut-être appris lequel de ses compagnons avait été intégré à un Glor et à mon ami Merson, pour former Aza-2.

P-S.12 fit demi-tour et disparut. Les deux Terriens grimpèrent à bord de l’astronef et quittèrent le Point Zéro. Très rapidement, ils survolèrent le Continent Trois.

— Vous avez vu, Fred, P-S.12 semblait anxieux. Cela ne lui était jamais arrivé.

— Anxieux, non, rectifia le Français. Mais curieux. L’altération de ses cellules explique son comportement bizarre, et cet état de choses ne s’améliorera pas. Le Triumvirat l’a si bien compris qu’il accélère la mise en place de ses successeurs.

Il désigna un écran où une zone de lumière bleue apparaissait :

— Regardez. L’astronef des Arphons s’est posé sur le plateau, à proximité de la caverne.

— Quel plan poursuivent ces deux créatures ?

— Aucune idée. Nous l’apprendrons, car voyez-vous, nous nous attachons particulièrement aux Arphons en ce sens que Soukaï et Merson se sont intégrés à eux.

Carle atterrit à l’autre extrémité du plateau. Puis, à pied, accompagné d’Ingrid Nielle, il se dirigea vers l’ancienne caverne. Il gravit le sentier et s’insinua dans la faille qui, jadis, accédait à la grotte.

Il s’arrêta, figé, médusé. Ce qu’il découvrait dépassait sa propre imagination. Il n’existait pas de mots assez forts, pas de vocabulaire précis, pour décrire la scène.

De nombreuses créatures se trouvaient réunies dans l’ancienne caverne maintenant inondée de soleil. Le décor constituait un genre de cirque, ou de puits profond, cerné de rochers. La lumière du jour ne semblait pas gêner la nombreuse troupe présente.

Au centre, se tenaient Aza-1 et Aza-2 et, à côté d’eux, un être pour le moins extraordinaire. C’était Hokar-2. Celui qui ne l’avait jamais rencontré le trouvait évidemment fantastique, anachronique. Comment était-il apparu sur Za ? Quelle mission remplissait-il ?

Mais la stupéfaction d’un observateur non averti ne s’arrêtait pas là. Tout autour de ces trois créatures déjà ahurissantes, par leur aspect et par leur comportement, voltigeaient d’autres créatures encore plus fantastiques.

Carle en compta exactement vingt. Elles se ressemblaient toutes. Sphériques, grosses comme des ballons de football, à l’épiderme légèrement bleuté, sous lequel transparaissait un réseau de capillaires. Des vacuoles, proportionnellement énormes, les assimilaient aux cellules uniques, alors qu’il s’agissait bien d’autre chose, d’un véritable agglomérat de cellules, d’un organisme indépendant.

Le plus spectaculaire était certainement leur façon d’évoluer. Elles se déplaçaient par bonds, comme des balles de caoutchouc. Des bonds nullement en rapport avec leur taille, qui les projetaient à plusieurs mètres de hauteur. Elles semblaient planer dans l’air, avec quelque chose de léger, d’élégant, de puissant, puis, parvenues au summum de leur ascension, elles redescendaient lentement vers le sol pour un nouveau bond. Parfois, elles s’immobilisaient à terre.

Ces bizarres organes se gavaient sûrement d’air et d’oxygène, jusqu’à saturation et, de ce fait, devenaient d’une légèreté qui facilitait leurs déplacements. Ils avaient la propriété d’absorber et de rejeter les gaz avec rapidité.

Carle sentit Ingrid sur ses talons.

— Vous avez vu ?

— Oui, haleta la jeune fille, le cœur oppressé, les tempes battantes. Aza-1 et Aza-2 manigancent avec ces créatures. Vous y comprenez quelque chose ?

— Pas pour l’instant. Il se pourrait qu’Hokar, en mourant, ait libéré certaines gènes et nous assistons à leur développement.

— Mais la créature qui se trouve avec les deux Arphons… Elle ne se compare pas avec ces masses sphériques, bondissantes.

— Je sais. C’est un mystère que nous devons élucider, dit le Français avec empressement. Ne serait-ce que pour assurer la sécurité de l’Organisation.

Hokar achevait de se putréfier au fond de l’ancienne caverne. Son corps pourrissait et dégageait une odeur nauséabonde. Des colonies de moisissures, ces mêmes champignons miscroscopiques qui s’accrochaient aux rochers humides en plaques lépreuses, dévoraient le protoplasme du Cerveau-Conseil. C’était même un spectacle hallucinant.

Carle repoussa soudain Ingrid en arrière.

— Filons. Il ne faut pas que les Arphons nous découvrent ici, car alors ils se montreraient terriblement méfiants à notre égard. A tout prendre, je les préfère dans notre camp.

— Hum ! douta la biologiste. Justement, sont-ils dans notre camp ? La présence, parmi eux, de Soukaï et de Merson vous autorise-t-elle à le penser ? J’ai peur que nos deux amis ne soient définitivement perdus pour nous.

Le chimiste poussa sa compagne au-dehors. Ils respirèrent à pleins poumons un air moins vicié, moins répugnant. Des effluves odorants s’exsudaient de la terre humide, des frondaisons épaisses.

Ils regagnèrent leur astronef et décollèrent à la verticale. Ils s’immobilisèrent à des milliers de mètres d’altitude et observèrent des écrans. Ils contrôlaient pratiquement tout ce qui se passait sur le Continent Trois.

Ils s’assurèrent que les deux Arphons étaient repartis pour le Point Zéro, mais ils notèrent quelque chose qui les préoccupa.

— Ils ont emmené la créature à antennes, dit Carle en parlant d’Hokar-2. Vont-ils l’introduire sur le Point Zéro ?

— J’ai crainte, Fred, que cette créature ne vienne déjà d’un laboratoire. P-S.12 a remarqué les allées et venues incessantes qu’Aza-1 effectuait entre le Point Zéro et le Continent Trois.

— Sur quoi basez-vous votre hypothèse ?

— Oh ! Un pressentiment. Les Arphons ne sont-ils pas nés dans un laboratoire ?

— Ecoutez, Ingrid. Je suis sûr que P-H.1 et ses confrères ignorent ce qui se passe. Il est de notre devoir de les alerter, et comment pourrions-nous mieux le faire qu’en capturant l’une de ces créatures sphériques ? Jusqu’à preuve du contraire, nous obéissons aux androïdes, non aux Arphons.

Carle dirigea une antenne vers le sol. Il abaissa même l’altitude de l’astronef et lorsque, sur le panoramique, plusieurs de ces énormes spores apparurent, un sourire de satisfaction tirailla sa bouche.

Il contrôla un écran et déclencha un faisceau d’ondes. Immédiatement frappé par le rayonnement, l’un des congénères d’Hokar-2, encore en évolution physiologique, se dématérialisa. Ses atomes, captés par des champs magnétiques, furent absorbés jusque dans une sphère et retenus captifs.

Le Français contempla la boule translucide, où n’apparaissait que le vide. Pourtant, les milliards de molécules d’une créature vivante étaient maintenues dans un état vibratoire, et, reconverties, redeviendraient une substance solide.

— Nous rematérialiserons cette… saloperie sphérique ! expliqua Carle avec excitation, comme s’il touchait le fond du problème, la vérité. Nous la montrerons au Triumvirat, et peut-être celui-ci prendra-t-il conscience de la gravité de la situation.

L’inquiétude ombra le front de la biologiste. Ses traits se contractèrent.

— Sincèrement, Fred, vous pensez qu’Aza-1 est responsable de cette… invasion ?

— Aza-1 ? Non, certainement pas. Le problème dépasse ses propres compétences, car il a beau avoir trois cerveaux, il ne comprendra pas certains phénomènes. Mais il a sûrement favorisé l’éclosion de ces créatures en forme de sphères qui, pour ma part, n’en seraient qu’à un stade intermédiaire d’évolution.

L’astronef se dirigea vers le Point Zéro et lorsqu’il eut atterri à côté de l’engin piloté par les Arphons, rentrés tout récemment, Carle entra résolument dans la super-centrale.

Il marcha vers P-H.3 absorbé devant un écran, décidé à lui avouer la vérité.