CHAPITRE XIV











Lorsque P-H.1 et P-H.2 gravirent le sentier qui conduisait à la caverne, ils étaient persuadés de trouver Hokar mort. Il n’était pas possible, pensable, qu’une créature normalement alimentée, pût vivre si on supprimait sa nourriture D’ailleurs, depuis des milliers d’années, les Phons alimentaient le Cerveau-Conseil, parce que cela entrait dans le cadre de leur activité.

Leur espoir se confirma lorsqu’ils franchirent le champ d’ondes, ou plus exactement son emplacement. D’habitude, lorsqu’ils arrivaient à quelques mètres de la caverne, Hokar entrait en contact télépathique avec eux. Cette fois, il n’y eut aucun contact et le champ d’ondes était interrompu.

Les deux Phons pénétrèrent dans la caverne. Ils aperçurent l’énorme masse, grouillante, palpitante. Car elle palpitait, elle vivait. Très rapidement, Hokar entra en relation mentale avec les nouveaux arrivants.

— Vous pensiez me trouver mort. Pourquoi avez-vous cessé de m’alimenter ?

— Eh bien ! dit fermement P-H.2 sans regret, parce que nous en éprouvions le désir.

— Je vois. L’usure de vos cellules s’accélère et perturbe vos fonctions vitales. C’était normal, prévu, et je ne vous tient aucune rigueur de votre comportement. Vous échappez à votre propre volonté et vous commettrez encore beaucoup d’erreurs de jugement.

Les androïdes ne songèrent pas à demander au Cerveau-Conseil par quel miracle il se trouvait encore en vie. La question ne leur venait pas à l’esprit, pour l’instant, et cela dispensa Hokar de répondre. Mais celui-ci aborda l’avenir :

— Je prévois des heures extrêmement difficiles, pénibles. Vous ne serez plus maîtres de la situation et, encore une fois, la faute ne vous incombe pas. Mais, tant que je vivrai, vous n’aurez rien à redouter et tous mes efforts tendent à reculer aussi loin que possible la redoutable échéance. Inéluctablement. nous déclinons. Plaise que la chute ne soit pas trop brutale.

Déçus, les deux Phons retournèrent vers leur astronef. Ils rejoignirent le Point Zéro où P-H.3 attendait avec impatience. Quand il connut le résultat négatif, il remarqua :

— C’est extraordinaire. Hokar semble immortel. Comment admettre qu’il ait pu résister à plusieurs jours de jeûne ?

— Nous ne le lui avons pas demandé, reconnut P-H.1.

— Il n’aurait pas répondu. Je pense que, seuls, nous n’arriverons pas à nous débarrasser du Cerveau-Conseil.

— Que suggérez-vous ? s’informa P-H.2.

Le troisième androïde réfléchit quelques instants. Il dut lutter, intérieurement, contre les tendances diverses qui l’assaillaient. Finalement, la mauvaise pente l’emporta.

— Je vais convoquer les Terriens. Du moins deux d’entre eux. Après tout, n’avons-nous pas le droit d’utiliser leur compétence puisqu’ils sont chargés d’assurer notre sécurité ?

Il se pencha sur un écran qui montrait la cellule occupée par Merson et ses compagnons. Il pria les deux hommes de se rendre immédiatement dans la super-centrale. Deux minutes plus tard, Carle et l’Américain se présentaient devant les membres du Triumvirat.

P-H.3 commenta, sans réserve :

— Nous avions décidé de supprimer Hokar, parce qu’il est en train de nous supplanter, par l’intermédiaire d’Aza.

Carle lança un rapide regard circulaire. Il fronça les sourcils et nota :

— Je ne vois pas Aza.

— Il est au labo 9. Je disais qu’il nous supplanterait.

— Alors, conseilla Merson, supprimez Aza-1, mais pas Hokar.

— Je m’étonne que vous parliez ainsi, dit P-H.2. Vous ignorez sans doute que l’Arphon se compose de trois créatures vivantes. Ou plutôt, si vous ne l’ignorez pas, la vie de vos compagnons compte bien peu pour vous.

— Soukaï ! gémit le Français, livide.

— Oui, apprit l’un des androïdes. Soukaï, S’Lan et Zed ne forment plus qu’un seul et même être. Un seul corps, mais un triple cerveau. C’est sur l’ordre d’Hokar que nous avons créé Aza.

— Quelle monstruosité ! glapit Merson. Hokar est immonde… Et, pensez-vous que ces trois malheureux, unis, soudés, mêlés, retrouveront un jour leur état moléculaire de jadis ?

— Possible. Mais je n’assure rien, car cela ne dépend pas de moi, de nous. Mais du Cerveau-Conseil.

— Si vous le détruisez, remarqua Carle, que deviendra l’Arphon ?

— Je ne sais pas. Je ne vous ai pas convoqués pour vous parler d’Aza.

— Fort bien. Je vous écoute, grommela le chimiste.

P-H.3 expliqua qu’ils avaient cessé d’alimenter Hokar, mais que celui-ci conservait toute sa vitalité, malgré l’absence de nourriture.

— Hum ! toussa Merson. Ça saute aux yeux. Depuis des millénaires, Hokar ne vit que grâce aux riotus. Je suppose que quelqu’un vous aura remplacés dans votre tâche habituelle. Vous ne pensiez quand même pas qu’Hokar vous conseillait de créer Aza pour des prunes !

— Oh ! Aza ! répéta P-H.2.

— Oui, lui, insista l’Américain. Si vous voulez vous débarrasser d’Hokar, nous pouvons nous en charger. Voyez-vous, nous ne manifestons aucune sympathie pour cette saloperie gélatineuse.

Les trois androïdes ne relevèrent pas l’adjectif, car ils ne comprenaient pas non plus l’ironie, la trivialité, ou des sentiments de ce genre. Mais comme ils espéraient l’aide des Terriens, ils manifestèrent intérieurement une certaine satisfaction.

— Hokar paraît inattaquable, certifia P-H.1. Nous ne pouvons pas le prendre en défaut depuis que nous l’avons doté d’un appareil protecteur. Rien ne peut franchir la barrière d’ondes.

— Même un rayon ? demanda Merson.

— Oui. Il serait immédiatement réfléchi, détourné.

— Evidemment. Pourtant, Hokar ne résisterait pas à une trop grande clarté, à une trop grande lumière. Supposez que nous parvenions à faire entrer le soleil dans la caverne.

— Difficile, admit P-H.3. Hokar ne vous laissera jamais approcher. Car, à une certaine distance, il lit dans la pensée. En conséquence, il devinera vos intentions.

— Nous verrons, dit l’Américain. Laissez-nous carte blanche.

— Nous comptons sur vous. Mais n’exigez, en retour, aucune faveur, aucune compensation. Vous appartenez à nos services de sécurité, et nous vous suggérons cet ordre dans le cadre d’une collaboration désintéressée, sans restriction.

Merson et Carle retournèrent à leur cellule et rejoignirent Ingrid L’heure de la relaxation arriva et les Terriens s’endormirent. Lorsqu’ils s’éveillèrent, huit heures plus tard, ils étaient prêts à effectuer leur besogne.

— C’est moche, conclut Ingrid Nielle. Moche, parce qu’Hokar représente quelque chose de vivant, malgré sa laideur, sa répugnance, son origine incertaine. Nous n’avons pas tiré le maximum de lui et qui sait s’il ne joue pas un rôle très important dans l’Organisation des androïdes. Sans lui, les Phons vont peut-être se trouver désemparés.

— Bah ! soupira Carle en haussant les épaules. De toute manière, nous sommes appelés, avec les Harix et les Glors, à remplacer progressivement les androïdes. Pour le moment, nous restons encore sous leur domination. Ils nous ont donné un ordre.

— Bien, dit la jeune Suédoise sans enthousiasme. Je ne discute pas un ordre du Triumvirat.

Ils se rendirent tous trois auprès de P-S.12.

— Vous contrôlez toujours les sorties ? demanda Merson.

— En permanence, vous le savez, répondit l’androïde.

— Avez-vous noté, récemment, le départ d’un astronef ?

— Oui. Il partait vers le Continent Trois. Aza-1 était à bord. En ce moment même, il doit se poser au-delà de l’océan.

Le Phon vérifia certains écrans.

— Oui, ajouta-t-il. Aza-1 s’est posé sur le Continent Trois.

— Allons-y, décida Carle.

Il entraîna ses compagnons vers un autre astronef. Tous les engins spatiaux se ressemblaient et ils disposaient des mêmes performances. A bord, le

Français enclencha le pilotage automatique. La buse d’accès libéra le véhicule, qui mit le cap sur le Continent Trois.

— Vous paraissez sûr de vous, Fred, remarqua la biologiste devant le visage rasséréné du chimiste.

— J’ai des raisons.

— Vous oubliez qu’il sera difficile, sinon impossible, de rompre le champ protecteur, autour de la caverne.

— Je n’ai jamais prétendu que je romprais le champ d’ondes. Aza va favoriser nos projets, car en se dirigeant vers Hokar, il a signé l’arrêt de mort du Cerveau-Conseil.

Carle ne s’étendit pas davantage sur son plan. Très rapidement, l’astronef survola le Continent Trois et s’immobilisa à plusieurs milliers de kilomètres d’altitude, à la verticale de la grotte.

Le Français désigna les gros blocs de rocher qui formaient l’entrée de la caverne et apparaissaient sur l’écran :

— Guettons le retour d’Aza.

L’attente ne s’éternisa guère. L’Arphon surgit de la faille, sans se douter qu’il était épié à distance. Il descendit lentement le chemin conduisant au plateau rocheux et où il avait laissé son astronef.

Carle suivait sa progression sur l’écran. Brusquement, il s’écria :

— Top ! C’est le moment. Aza traverse le champ d’ondes qui, de tous les côtés, protège la tanière d’Hokar. En réalité, il ne le traverse pas, mais le Cerveau-Conseil, pour permettre le passage de l’Arphon, interrompt momentanément l’émission des champs répulseurs. Profitons de cette coupure pour lancer un rayon modifié vers la grotte. Nous n’avons que quelques secondes.

Le chimiste se tenait devant un appareil dont l’antenne était braquée vers le sol, en direction de la caverne. Il appuya sur une touche et un rayon invisible gicla. Il modifia très rapidement la puissance et la nature du rayonnement jusqu’à ce que, sur un oscilloscope, apparût une zone de lumière orangée, noyant des points beaucoup plus lumineux, sporadiques.

Sur le panoramique, Merson et Ingrid constatèrent les effets de l’opération. Ils discernèrent une sorte de cratère, à la place de l’amas rocheux, tandis qu’Aza, surpris, retournait à toute allure vers la tanière d’Hokar.

— Ce rayon, précisa Carle, ne dématérialise que la matière inerte. Hokar a été respecté, car, voyez-vous, je ne tiens pas à l’abattre ouvertement. Je veux savoir quels effets la lumière trop intense produit sur son organisme. D’ailleurs, je n’avais pas le choix des moyens et j’aimerais qu’Hokar, face à la mort, livrât son secret.