CHAPITRE XIII
Carle et Merson abordèrent le Quasar 32 avec la ferme conviction de parler sérieusement à S’Lan. D’ailleurs, l’Américain ne connaissait pas les Harix et il avait manifesté le désir d’admirer l’une de ces créatures.
Mais en arrivant dans la centrale, ils n’aperçurent que trois androïdes. Aussitôt, ils interrogèrent P-0.32, chef du Quasar.
— S’Lan ? Vous parlez de l’habitant de K.2-G.18. Je vois. P-S.12 l’a ramené au Point Zéro et j’ai repris mon poste. Je ne peux pas vous en dire davantage.
— Vraiment ? insista Merson. P-S.12 a bien dû vous expliquer pourquoi il ramenait S’Lan sur Za.
— Je vous assure, je ne sais rien, s’obstina P-0.32.
— Venez, dit Carle, tirant son compagnon par le bras. Nous ne ferons pas parler un androïde qui n’en a pas envie. D’ailleurs, ce chef de Quasar ignore certainement la vérité.
Les deux hommes regagnèrent leur astronef. Ils se dématérialisèrent et franchirent la barrière temporelle. Lorsqu’ils eurent repris leur état normal, ils se trouvaient à proximité du Point Zéro, dont ils apercevaient la luminosité sur l’écran. Mais il était à noter que Za ne brillait pas autant que les Quasars.
— A propos…, demanda Merson. Evaluez-vous le nombre des troupes de P-S.12 ?
— Sans doute. Le chef des gardes ne me l’a pas caché. Il dispose d’un effectif de onze androïdes. Plus sa propre personne. Mais j’ignore combien il possède d’astronefs. Probablement plusieurs.
La buse d’accès absorba l’engin et Carle, accompagné de l’Américain, trouva P-S.12 dans son laboratoire de contrôle.
— Vous venez du Quasar 32, nota le Phon.
— Exact. Nous voulions parler à S’Lan. Or, d’après P-0.32, vous l’auriez ramené au Point Zéro. Sur l’ordre de qui ?
— Je n’obéis qu’au Triumvirat.
— Qu’avez-vous fait de S’Lan ?
— Je l’ai remis à P-H.2. Dès lors, j’ignore ce qu’il est devenu.
— Comme Soukaï ! grommela Merson.
Poings sur les hanches, Carle réfléchissait. Il prit une rapide décision :
— Filons à la super-centrale. Nous interrogerons P-H.2.
Quand les deux Terriens entrèrent dans le centre principal, ils s’arrêtèrent sur le seuil, sidérés, le souffle coupé, le cœur battant. Leurs jambes se dérobaient sous eux. tant l’étonnement les clouait.
Certes, ils apercevaient bien P-H.2, mais l’androïde n’était pas seul. A côté de lui, se dandinait une créature extraordinaire qui tenait à la fois du Phon, de l’Harix, du Glor, de l’homme.
P-H.2 nota la présence des Terrestres, mais il ne manifesta aucune mauvaise humeur. Aucun règlement n’interdisait l’accès de la super-centrale.
— Voici Aza-1, présenta l’androïde.
Il désigna Carle et Merson.
— Les habitants de S.3-G.14, dont je vous avais parlé, ajouta-t-il.
— Les nouveaux gardes ? précisa l’Arphon, dardant son regard humain sur les hommes.
— Oui, dit P-H.2. Du moins, semblent-ils susceptibles de conserver ce poste.
Alors Aza émit cette réflexion stupéfiante, dictée certainement par une intuition spontanée :
— Je suis votre compagnon !
Le premier, Carle reprit son aplomb. Son cerveau travailla à plein régime et il attaqua, la mâchoire crispée et les poings serrés :
— Où est Soukaï ?
— Je ne sais pas. Je cherche aussi Zed et S’Lan.
Carle et Merson échangèrent un long regard d’incompréhension.
— Qui est Zed ? demanda le Français.
— Je ne sais pas, répéta Aza. C’est bizarre. Mes compagnons seraient-ils des créatures aussi diverses ? Il me semble que je vous connais déjà tous. Les hommes, les Harix, les Glors…
— Les Glors ? sursauta l’Américain.
— Ah ! Vous ne les connaissez pas. Faites un saut au Quasar 14. Deux Glors sont embauchés comme techniciens. D’ailleurs…
L’Arphon se déplaça jusqu’à une machine. Il désigna un écran qui montrait justement deux habitants de N.5-G.21. Merson et Carle admirèrent ces créatures à grosse tête, à protubérance et à quatre membres.
— A quoi bon vous déranger jusqu’au Quasar 14 ! Regardez, invita Aza en tendant l’une de ses mains vers l’écran.
P-H.2, impassible, n’intervint pas. On ne savait pas trop ce qu’il pensait de la tournure des événements. Aza-1 apparaissait bien bavard, prolixe. Peut-être que les membres du Triumvirat, en créant l’Arphon, ne se doutaient-ils guère des réactions de cet être tricéphale, aussi intelligent qu’un Harix, qu’un Glor, qu’un Terrestre associés !
De toute manière, P-H.2 était incapable de modifier le comportement d’Aza. Certes, la psycho-induction l’amènerait à exécuter des ordres précis et l’obligerait à une certaine soumission, mais il resterait toujours une créature supérieure.
— Ces… Glors, d’où viennent-ils ? demanda Merson.
— De la galaxie 21, récita Aza qui avait déjà appris beaucoup de choses, en très peu de temps. Les Haris, de la galaxie 18, et vous, hommes de la Terre…
— La Terre ? répéta Carle, comme si ce nom reflétait en lui un certain sens.
Il chercha dans sa mémoire, ne trouva pas, et enfouit sa tête entre ses mains, se lamentant :
— Je ne me souviens pas de mon passé.
— La Terre, une planète de la galaxie 14, précisa l’Arphon. Les Glors, les Harix… eux aussi ne se souviennent de rien. Cela n’a, en fait, aucune importance puisque nous sommes destinés, tous, à travailler pour l’Organisation, pour Za, ou le Point Zéro, qui est exactement le centre de l’univers.
Merson releva la tête :
— Le centre ?
— Oui, alors que les Quasars sont répartis à travers le cosmos de façon à contrôler en permanence toutes les galaxies. Mais je ne crois pas que les Quasars jouent seulement un tel rôle. Leur rôle est plus vaste, plus prépondérant, plus actif. Il assure un équilibre qui, s’il venait à se rompre, plongerait l’univers dans le chaos.
Aza, qui avait trop parlé, se rétracta soudain, ajoutant :
— Je n’ai pas le droit de tout vous dire, de tout vous expliquer, parce que vous n’êtes que des auxiliaires subalternes.
— Très bien, dit Carle avec une certaine ironie. Je pense que vous ne manquerez pas l’heure du repos. A moins que, comme les androïdes, vous vous passiez de sommeil.
Le Français désignait la lampe qui clignotait impérativement dans la centrale. L’Arphon redressa sa haute taille et son regard s’emplit de fierté :
— Je suis une créature de chair. Je respire, je me nourris. Comme vous, mon corps a besoin de relaxation.
Il regarda à son tour le clignoteur.
— Regagnons nos cellules respectives.
Aza sortit, suivit des Terriens. P-H.2 demeura seul dans la grande centrale. Les machines de contrôle fonctionnaient parfaitement et sa préoccupation ne s’orientait pas sur ce point. Par contre, les fortes initiatives personnelles d’Aza-1 signaient déjà la décadence des Phons.
P-H.2 s’ouvrit de son inquiétude devant ses compagnons, lorsque ceux-ci furent de retour. P-H.3 approuva sans réserve :
— Incontestablement, Aza-1 est plus une créature créée par Hokar que par nous. C’est sur les conseils d’Hokar que nous avons réuni en un seul être trois échantillons de races différentes. Nous serons très rapidement supplantés.
— Mais… c’est ce que nous cherchions, remarqua P-H.1. Nous avons envoyé P-S.12 à travers le cosmos afin qu’il ramène des créatures intelligentes susceptibles de nous remplacer. Devant l’usure vérifiée de nos cellules, quelle autre décision adopter ?
— Il n’existait pas d’autres décisions, conclut P-H.2. Nous ne pouvons nous remplacer nous-mêmes. Nous préservons l’avenir, l’œuvre de nos créateurs, les Zax. Mais nous n’avions pas prévu qu’Hokar manifesterait le désir, la volonté, de créer un Arphon. Déjà, Aza s’installe à la tête de l’Organisation. Bientôt, Hokar nous conseillera de créer deux autres Arphons et nous serons totalement éliminés.
Une difficulté surgit, et que P-H.3 envisagea le premier :
— Vous oubliez un détail très important. Aza-1, créature de chair, ne vivra pas indéfiniment. Pour survivre, il aura besoin d’une descendance, comme les Harix, les Glors, les Terrestres. Il faudra créer un couple d’Arphons.
— Hum ! dit P-H.2. J’ai peur que nous ne parvenions jamais à ce résultat, illusoire, parce qu’Aza est un être asexuel.
— Alors, Hokar ne l’ignorait pas ! Pourquoi a-t-il décidé la création d’une quatrième race, avec le secours des trois autres ?
— Nous le lui demanderons, affirma P-H.3. J’ai peur qu’Hokar, à son tour, ne subisse les conséquences funestes d’une trop longue existence. Il s’use, il s’étiole, il vieillit. Tout ce que nous croyions immortel ne l’est pas. Tout meurt, inéluctablement, infailliblement.
A nouveau, les Phons ressentirent cette perturbation intense, au niveau de leurs neurones, qui les tiraillait d’une tendance à l’autre, où une certaine inquiétude remplaçait leur indifférence primitive, coutumière. Ils cherchèrent des tas de raisons pour expliquer leur comportement.
— Hokar serait-il le véritable Cerveau de l’univers ? s’interrogea P-H.1. Dans ce cas, nous serions ses subordonnés. Or, j’avais toujours cru que nous occupions le poste suprême, et qu’Hokar n’était qu’un auxiliaire.
— Il prend une place prépondérante, conclut P-H.3. Il guette notre chute. Je crois que nous devrions lui faire sentir le poids de notre autorité.
— Par quels moyens ? S’il juge notre présence dangereuse auprès de lui, il refusera d’interrompre le champ d’ondes et nous ne pourrons accéder à la caverne. En le dotant de cet appareil protecteur, nous l’avons placé dans une position encore supérieure.
— Cessons de l’alimenter, décida P-H.2. Il périra de lui-même.
— C’est une grave responsabilité.
Néanmoins, les trois membres du Triumvirat tombèrent d’accord. La naissance d’Aza-1 les effrayait et, pour circonscrire cette redoutable influence, ils désiraient la suppression du Cerveau-Conseil.
Les Phons oubliaient qu’ils ne décidaient déjà plus en leur âme et conscience. Les cellules de leur cerveau, notamment, s’altéraient, et ils agissaient sous le signe de la déchéance. Pendant un certain temps, ils ne se rendirent plus sur le Continent Trois. Hokar, privé des éléments nutritifs indispensables à sa vitalité, ne devait plus être déjà qu’une énorme masse molle, immobile et sans vie.