CHAPITRE VII
Les Phons tentèrent un essai. Les trois membres du Triumvirat tombèrent d’accord, sans quérir l’avis du Cerveau-Conseil. Un essai qui ressemblait à un test et qu’il fallait entreprendre, nécessairement, un jour ou l’autre.
Les Harix furent emmenés chacun sur un Quasar, par les soins de P-S.12 ou de ses gardes. Les Glors, répartis en deux groupes, remplacèrent des androïdes techniciens sur deux autres planétoïdes, différents de ceux choisis pour les Harix. Les Phons, remplacés par ces créatures de chair, retournèrent au Point Zéro et surveillèrent l’opération.
Naturellement, ils étaient prêts à regagner leurs postes dans les délais les plus brefs – quelques secondes – si un incident survenait. De toute façon. les Harix et les Glors ne dirigeaient pas seuls les Quasars et ils avaient des Phons à leurs côtés.
Le chef du Quasar, pour les Glors, et les techniciens, pour les Harix.
En fait, il s’agissait d’éprouver les capacités des futurs opérateurs de l’univers. Simple test, certes, mais qui fournirait aux responsables actuels de précieux enseignements. Tous ces êtres vivants avaient subi une préparation préalable. Des psycho-inducteurs avaient éduqué les sujets en leur enseignant certaines données scientifiques, mais tout en les laissant ignorants du véritable but poursuivi par les Phons.
Dans la super-centrale du Point Zéro, Cerveau de l’Univers, les androïdes qui présidaient aux destinées des galaxies semblaient légèrement inquiets. Ce genre d’inquiétude, ils ne l’avaient jamais connue. Il fallait croire qu’avec le temps de nouveaux sentiments apparaissaient, imposant une conduite, une initiative adaptées.
Sur son écran de contrôle, P-H.1 apercevait K’Bar, lui-même immobile devant un récepteur d’images.
— Les Harix prennent leur rôle très au sérieux. Pratiquement, les Quasars 24, 32, 7 et 16 sont sous leur surveillance.
— Les Glors aussi, assura P-H.3, qui, devant un autre appareil, contrôlait les réactions de Hix et Zed, placés ensemble sur le Quasar 26. Leur attention ne se relâche pas une seconde. Ils suivent constamment le mouvement des astres, des galaxies qui dépendent de leur Quasar.
P-H.2 avait sous les yeux plusieurs écrans allumés. Dans les lointaines ramifications de son cerveau, il découvrit une faille au test actuellement en cours.
Une difficulté à laquelle ses collègues n’avaient pas pensé et qui, pourtant, devait être aplanie.
— Ces créatures vivantes… Elles sont de chair. Elles se nourrissent et leurs corps exigent du repos.
— Exact, approuva P-H.1. Mais nous leur assurons une nourriture adaptée et un repos régulier.
— Je m’explique mal. Je veux dire que nos successeurs ne pourront contrôler indéfiniment leurs Quasars, sans nourriture, sans repos. Cela exigera une coupure dans leur travail. Or, vous le savez, les machines ne doivent pas demeurer sans surveillance.
— Je comprends, dit P-H.3. Vous avez bien fait de soulever cette question. Mais elle ne présente aucune difficulté. Les Harix, comme les Glors, comme les hommes de la Terre, se nourriront et se reposeront à tour de rôle. Chaque Quasar restera ainsi sous un contrôle permanent.
— Très bien, apprécia P-H.2, satisfait. Si tous les problèmes étaient résolus aussi rapidement, nous n’éprouverions aucune inquiétude pour notre avenir. Reste également une question très importante. Ces créatures de chair sont sujettes parfois à des maladies. D’autre part, leur temps de vie est court.
P-H.3, en pleine forme, montra qu’il obtenait des réponses avec facilité :
— Nous prendrons modèle sur les Zax. Ils avaient vaincu toutes les maladies par des procédés qu’ils nous ont légués, mais que nous n’utilisons pas, puisque nous ne sommes pas constitués de matière vivante. Enfin, souvenez-vous, nos créateurs se reproduisaient. Cela implique l’apport de créatures des deux sexes.
— Hum ! argua P-H.1, très sombre. Vous savez bien ce qui est arrivé aux Zax.
— Justement, nous l’ignorons. Nous savons simplement qu’un jour ils ont disparu progressivement de l’univers. Nous n’avons jamais expliqué ce phénomène. Nous supposons qu’ils ont péri et, devant ce péril, ils nous ont créés, afin de poursuivre leur œuvre.
— Alors, un jour, assura P-H.2, les Harix, les Glors, et même les hommes de la Terre, un jour, ils créeront d’autres Phons. Le cycle se perpétuera, parce qu’il a été mis en route, en mouvement, pour ne plus jamais s’arrêter.
Pendant que les trois membres du Triumvirat discutaient des possibilités de plus en plus certaines de survie, P-S.12, dans un autre laboratoire, surveillait Merson et ses compagnons.
Son écran de contrôle montrait les Terriens devant l’océan aux eaux rougeâtres de la planète O.7.-G.2. Ils avaient quitté l’astronef et Soukaï, le Japonais, tenait dans ses mains la sphère de détection qui localisait très exactement les bancs de riotus.
La boule se colora en rosé et diverses indications s’inscrivirent sur un compteur. Merson parut satisfait :
— Les riotus pullulent. Allons-y.
Ils revinrent vers l’astronef et Ingrid Nielle, orientant convenablement les antennes, projeta le rayonnement en direction de l’océan. Les récipients, destinés à recevoir les atomes des riotus, s’emplirent.
La pêche terminée, Carle retira son scaphandre.
— Nous rentrons au Point Zéro.
— Entendu, approuva Merson, lisant les coordonnées du cerveau électronique. Passons dans la chambre de dématérialisation.
Pendant qu’ils étaient réduits en corpuscules, l’astronef quittait la planète O.7-G.2 et franchissait automatiquement la barrière du temps. L’engin resurgit à proximité du Point Zéro et les Terriens abandonnèrent leur forme vibratoire, recouvrant leur état normal.
Immédiatement, Soukaï désigna une ligne lumineuse qui se brisait d’une certaine façon sur un écran et chevauchait des bandes parallèles séparant des zones à colorations diverses.
— Voyez, dit-il. Ça signifie qu’un astronef, vraisemblablement de l’Organisation des androïdes, orbite également autour de Za.
Za était le nom que donnaient aussi les Phons au Point Zéro. Cette planète comportait des océans, plusieurs continents, des montagnes, des forêts. Il semblait anormal qu’elle fût habitée par des créatures synthétiques qui n’avaient besoin d’aucune atmosphère pour respirer. Mais c’était, jadis, le monde des Zax.
— Non. rectifia le Japonais après un examen plus approfondi. Je me trompe. Cet astronef n’orbite pas autour du Point Zéro. Il est posé à sa surface, au-delà du continent Trois.
— Bizarre, affirma Carle, attentif. Que feraient les Phons au-delà du continent Trois, alors que, pratiquement, ils ne quittent jamais la super-centrale de contrôle ? D’ailleurs, à l’instant même, P-S.12 doit nous observer.
— Rien ne prouve qu’il s’agisse des Phons, fit Ingrid en hochant la tête, comme si elle avait une idée bien précise.
— Vous êtes folle ! s’inquiéta Merson. Qui diable, autre que les androïdes, serait venu jusqu’ici, en vol spatial ? Un chef de Quasar ? Un technicien ?
— Non, certifia le Français. Impossible. Totalement impossible. Les chefs de Quasars, comme les techniciens, ne quittent absolument pas leurs postes. Jamais.
— N’oublions pas, rappela Soukaï. Notre tâche ne consiste pas seulement à pêcher des riotus sur la planète O.7-G.2. Nous devons contrôler toute manifestation anormale, en dehors du Point Zéro. Bref, nous devons assurer la sécurité de Za et des Quasars.
Merson, très facilement, grâce aux instructions mentales qu’il avait reçues, dirigea l’astronef vers le Continent Trois. Il perdit de l’altitude et rasa la cime des arbres. Le décor était montagneux, couvert de forêts épaisses. Sur un plateau rocheux, il découvrit l’autre véhicule spatial.
Plus exactement, il le localisa, à l’aide des appareils détecteurs. En réalité, l’engin était invisible, car sa coloration le confondait avec les rochers voisins.
— Un de nos astronefs, dit Carle. Enfin, un astronef des Phons. Ça signifie que des androïdes se trouvent dans les parages. Devons-nous nous en assurer avec plus de certitude ?
— Ma foi…, hésita Merson, ennuyé. Ce rôle nous concerne-t-il ?
— Il nous concerne, insista le Français d’une voix autoritaire. Voyez-vous, P-S.12 serait très mécontent de nous si nous ne prenions pas certaines initiatives. Je suis certain que cet astronef a été placé là tout exprès. Un genre de test, si vous voulez. L’essai doit prouver que nous sommes capables de remplacer les gardes, si le besoin l’exigeait.
— Très bien, opina Merson. Ne vous emballez pas. Je suis certain, aussi, que P-S.12 nous surveille. De toute façon, si nous commettions une erreur, le chef des gardes serait là pour nous le rappeler.
Ce silence, de la part de P-S.12, incita les Terriens à aller jusqu’au bout de leur initiative. Merson posa l’astronef sur le plateau rocheux et, par prudence, donna à l’engin l’apparence du sol. Pas un observateur ne l’aurait signalé, sans le secours de détecteurs spéciaux.
Un sentier se présenta. Carle et ses compagnons l’empruntèrent. Soukaï, extrêmement attentif, se penché et examina des traces, des empreintes. Il reconnut des sillons dans la terre rafraîchie par des pluies récentes.
— Hum ! dit-il avec une grimace. Vous ne trouvez pas ça bizarre ? Ces sillons pourraient bien être laissés par les ventouses que les Phons portent à la base de leur masse ovoïde.
— Pourtant, remarqua Ingrid Nielle, les androïdes se déplacent à quelques centimètres du sol, sans le toucher, grâce à un champ d’ondes porteuses.
— D’accord, convint le Japonais, sûr néanmoins de son diagnostic. Mais la difficulté du terrain explique que les Phons manquent parfois d’habileté, dans certaines circonstances. Ils n’ont pas été fabriqués pour se déplacer dans un sentier escarpé. Vous saisissez ? Alors, par moment, ils heurtent le sol, et cela se traduit par ces sillons caractéristiques.
— Admettons, opina Merson. Mais que viendraient faire les androïdes dans cette région inhospitalière ? Les Phons n’ont pas l’habitude de s’occuper de la nature. Ils sont dépourvus de sentiments.
Soukaï prit la tête de la troupe. Il était extrêmement résistant à la fatigue. Il sautillait presque allègrement. Maintenant, le sentier devenait très raide, terreux, voire glissant. Il s’insinuait entre des arbres épais, s’enfonçait comme un tunnel. On n’apercevait le ciel que par éclaircies, à travers les frondaisons.
Après de multiples virages, à droite, à gauche, le, chemin parvint devant un amas de rochers, de gros blocs noirâtres, sinistres. Une faille étroite incita Soukaï à poursuivre sa route. Sa petite taille disparut aux yeux de ses compagnons un peu inquiets.
Brusquement, le chirurgien resurgit, très pâle, aussi livide qu’un mort. Ses yeux bridés se dilataient sous le coup d’une grande frayeur. Il haletait, oppressé.
— Eh bien, Soukaï ? interrogea Merson. Qu’avez-vous vu ?
— Ah ! Quelque chose qui a glacé mon sang dans mes veines, et que notre imagination ne peut concevoir. Quelque chose d’horrible, d’innommable…
— Les Phons…, dit Carle. Ils sont là ?
— Oui. Mais le passage est si étroit que nous ne pouvons nous y glisser que l’un après l’autre.
Le Français se précipita dans la faille Son cœur battait à tout rompre et les propos de Soukaï lui revinrent en mémoire. Horrible. Innommable. Il serra les dents et parvint à la caverne.