21.
Agonie ! Tout n’était plus qu’agonie et douleur. Une douleur lancinante, absolue, sans commencement ni fin…
L'empathie était l’un des procédés les plus appréciés des auteurs de romans fantastiques autant que des Talents. Pourtant, à l’instant même où elle franchit le seuil, Wren fléchit sous le poids des émotions qui s’abattirent sur elle. La souffrance déferla par vagues — métal s’enfonçant dans sa gorge, peur révulsant son estomac, solitude asphyxiant ses pensées, regrets serrant son cœur…
— Résiste, Wren !
C'était la voix de Sergueï, sévère et péremptoire, mais les mots étaient produits par son propre cerveau. Elle mit quelques secondes à réaliser qu’il lui faudrait combattre sur deux fronts à la fois. Erigeant aussitôt une barrière qu’elle seule pouvait percevoir, elle se prépara à affronter à la fois un homme et un fantôme.
Une déflagration de Courant balaya la pièce.
Relevant lentement la tête, elle cligna des yeux et, d’un revers de main, essuya les larmes qui l’empêchaient de voir. Ses tempes battaient atrocement, comme si elle avait une gueule de bois infernale.
L'explosion avait figé les deux assaillants. Auréolé d’un éclat vert jaune, le spectre était penché sur sa victime. Un bras levé devant son visage, l’autre tendu derrière lui comme s’il cherchait quelque chose, Frants gisait à terre. Près de sa main, Wren discerna un objet métallique. Un pistolet.
Wren haïssait les armes par-dessus tout. Impossible de négocier avec elles, impossible d’y échapper. Et d’expérience, elle savait que ça pouvait faire sacrément mal… Un filet de Courant s’enroula autour de l’objet, qui fondit jusqu’à devenir inutilisable.
C'était du gaspillage d’énergie, mais Wren se sentit soulagée.
Frants tenta de remuer, comme s’il avait compris ce qui se passait. Aussitôt, elle renforça sa prise sur lui. Cela ne tiendrait pas une éternité, mais c’était suffisant pour l’empêcher de finir ce qu’il avait commencé, et réfléchir à la suite des événements.
— Vous aviez dit qu’il était à moi…
C'était à peine un murmure — un bruissement aussi léger que le vent dans les feuilles. Toute la souffrance du monde s’exprimait dans ce souffle. Wren frissonna et regarda le spectre.
— Oui, mais j’avais tort.
Instinctivement, elle engagea un dialogue silencieux. Le Courant, soutenu par une obstination typiquement humaine, était ce qui maintenait le fantôme dans ce monde-ci. Et parler par le truchement des ondes magiques était pour Wren aussi évident que de conférer avec soi-même dans le secret de son esprit.
Le spectre reporta son attention sur Frants. Un instant, il considéra la forme recroquevillée devant lui, d’une pâleur mortelle et suant à grosses gouttes.
— Je l’aurai. Quoi qu’il arrive.
Et soudain, levant une main aux doigts incroyablement crochus, il lacéra le visage de Frants. Des lambeaux de chair pendaient sous ses ongles.
— Il souffrira comme j’ai souffert.
Et, de nouveau, il leva sa main ensanglantée.
— Non !
Wren ne savait pas si elle avait crié réellement ou en pensée.
— Vous le regretterez, ajouta-t-elle très vite.
Se relevant lentement, elle avança avec prudence vers le spectre. Ne pas l’effrayer. Continuer à parler, faire appel à ce qui restait d’humanité dans cette âme surgie d’outre-tombe.
— Vous n’êtes pas comme lui. Vous n’avez jamais été comme lui. Vous étiez un bâtisseur, n’est-ce pas ? C'est vous qui avez créé cet immeuble, qui l’avez imaginé. C'est votre rêve… Un rêve que vous avez concrétisé.
Une intuition que Wren et Sergueï avaient eue juste avant que tout n’explose. Pour que la magie qui liait l’homme à la pierre entre en action, il avait fallu faire appel à des forces plus puissantes que la mort, des forces présentes aux deux bouts de la chaîne. D’un côté, le désir du grand-père d’Oliver Frants — désir de protéger son bien — de l’autre, le désir de la victime elle-même — désir de pérenniser son œuvre.
Wren éprouva un sentiment de chaleur à l’idée que son associé était en route. Elle l’entendait presque courir comme un fou à travers les rues. Bien sûr, il n’arriverait pas à temps, mais c’était bon de savoir qu’il viendrait, quoi qu’il arrive. De savoir qu’elle pouvait compter sur lui. En toutes circonstances.
Rassérénée à cette pensée, elle sut qu’il fallait réintégrer le monstre qui se tenait devant elle dans la ronde des sentiments qui liaient les êtres entre eux. Tendresse. Estime. Amour.
— C'est vous qui avez fait de ce bâtiment ce qu’il est aujourd’hui.
— Je… Je l’ai fait pour cet homme !
Le spectre se pencha sur la forme larmoyante à ses pieds.
— Il ne le méritait pas.
Pas le temps d’expliquer à un esprit en déroute qu’il retardait de deux générations.
— Pas pour lui, non, corrigea doucement Wren. Pour eux.
Et d’un geste, elle désigna les gardes, puis, plus loin, la femme affalée contre le mur du couloir.
— Pour tous ceux qui travaillent dans cet immeuble. En connaissez-vous le nombre ? C'est un excellent bâtiment. Solide et sûr. Grâce à vous.
Tout ce qu’elle avait appris sur l’édifice, au cours de ses recherches, lui vint naturellement aux lèvres. Le système de sécurité sophistiqué. Les escaliers larges et lumineux. Le réseau de ventilation à sûreté intégrée. Tant d’années après sa création, l’immeuble était toujours aussi impeccable.
— Je veux…
— Je sais, l’interrompit Wren, d’un ton de regret sincère. Je comprends. Mais peut-être qu’il existe un autre moyen…
Elle lança un regard à l’homme recroquevillé à terre.
— Dites-moi. Vite.
Le fantôme se tourna vers elle. A terre, Frants leva des yeux sanguinolents et paniqués. Mais qui était la victime ? Qui avait le droit d’exiger que justice soit faite ?
— Rentrez dans la pierre…
— Jamais !
Le hurlement la bouleversa, tant il exprimait de désespoir et de souffrance.
— Jamais, entendez-vous !
Le cerveau de Wren travaillait à une allure vertigineuse, dont elle ne se serait pas crue capable. Son corps frissonnait sous la pression du Courant qui immobilisait les deux adversaires.
— Pour un temps seulement, dit-elle. Un temps que vous remarquerez à peine. Pas plus long que la durée d’une vie…
— Et alors ?
Il avait compris où elle voulait en venir. Un sourire terrible éclaira soudain le sinistre visage.
— Alors, il prendra votre place.
Un long gémissement se fit entendre à terre. Wren et le fantôme se tournèrent simultanément.
— Il prendra votre place, reprit-elle en lançant un regard sévère à Frants pour qu’il n’interfère pas dans la partie qu’elle était en train de jouer. Et vous serez libre.
— Etes-vous capable d’accomplir ce que vous proposez ?
— Quand le temps sera venu, la promesse sera tenue.
Même s’il fallait faire appel à tous les Solitaires de la planète pour maintenir le misérable pendant qu’elle lèverait le couteau. Et le Conseil ne serait qu’un spectateur impuissant. Ils s’étaient servis d’elle pour dissimuler le fait qu’un des membres de leur coterie préférait recourir au sang et au meurtre plutôt qu’au Courant pour accomplir ses incantations. Et Frants, bien sûr, était au courant. A son tour, il s’était servi d’elle dans sa partie de poker avec le Conseil. Pourquoi se soucierait-elle d’eux ?
— Non… non, articula Frants d’une voix rauque.
— Tu préférerais aller rôtir en enfer tout de suite ? demanda le spectre avec curiosité.
Les yeux de l’homme s’agrandirent de frayeur. Ses lèvres remuèrent sans émettre le moindre son. Le sang ruisselait sur son visage, qui n’avait presque plus rien d’humain.
— Jure-le. Jure que quand ton tour sera venu, tu prendras ma place pour que l’incantation perdure.
Il n’avait, en somme, d’autre choix que de mourir maintenant, ou un peu plus tard. Il leva un regard suppliant vers Wren, qui demeura impassible. Son menton se mit à trembler comme s’il allait pleurer.
— Je… je le jure, bafouilla-t-il d’une voix lamentable.
Wren poussa un soupir de soulagement. Elle n’aurait pas pu contenir plus longtemps le fantôme. A dire vrai, elle n’était même pas sûre d’en avoir encore envie. Frants allait passer le reste de sa vie à tenter d’échapper au serment, par tous les moyens, magiques ou non magiques. La poupée inerte était là pour témoigner de ses essais.
— Satisfait ? demanda-t-elle mentalement au spectre.
Le revenant considéra sa victime, puis essuya ses mains ensanglantées sur son pantalon. Les doigts avaient retrouvé leur aspect normal.
— Il fait froid, là-dedans, murmura-t-il. Et on y est si seul…
— Ce n’est pas pour toujours, répliqua Wren.
Elle ne pouvait faire davantage.
— Quel est votre nom ? demanda-t-elle.
— Jamie.
Alors, sous les traits déformés et terrifiants, apparut un visage jeune et énergique. Le visage d’un homme sérieux, dont la gravité était tempérée par un véritable enthousiasme. Un costume des années cinquante remplaça la tenue salie et déchirée, et l’architecte leva la main comme pour retirer un chapeau invisible. Ses sourcils épais se haussèrent, sous l’effet de la surprise, et ses yeux bruns se mirent à chercher de tous côtés. Il n’y avait pas de chapeau.
Le fantôme haussa les épaules, d’un air contrit.
Pointant un doigt vers Frants, pour lui rappeler son serment, il devint peu à peu transparent et disparut. Il y eut un remous dans l’air, et ce fut tout.
Enfin, pas complètement. Toujours enracinée dans l’immeuble, Wren pouvait sentir l’énergie du fantôme reprendre possession de son œuvre, s’infiltrer dans chaque poutre, dans chaque mur… Elle éprouva un sentiment de sécurité identique à celui de l’enfant jouant paisiblement sous la protection de ses parents.
Lentement, elle se désengagea. De très loin lui parvint l’écho d’un remerciement. Puis tout s’évanouit définitivement, et la jeune femme redevint totalement elle-même.

Il y eut comme un déclic, suivi d’un long gémissement, et soudain, la lumière revint. Une série de tintements indiqua que les ordinateurs se remettaient en route — tout au moins dans les autres bureaux, celui-ci étant ravagé. Le vagissement d’une sirène se fit entendre au loin. Et le chuintement discret des ascenseurs rappela à Wren qu’il ne leur restait pas beaucoup de temps.
— Allez, debout ! lança-t-elle à Frants.
Visiblement apeuré, l’homme rampa à reculons.
— Debout ! ordonna-t-elle, avec toute l’autorité dont elle était capable. Les gens vont bientôt arriver. Vous ne voulez tout de même pas qu’ils vous voient par terre ?
Pour sa part, elle s’en moquait royalement, mais tant qu’à faire, elle préférait qu’on se rue sur lui, plutôt que sur elle, pour savoir ce qui s’était passé.
Cet appel à l’amour-propre fit son effet, comme elle l’avait escompté. S'appuyant sur le rebord encore intact d’une table, il se hissa péniblement sur ses pieds. D’un revers de main, il essuya son visage et regarda, hébété, le sang qui maculait ses doigts.
« Quand il sortira de l’état de choc, ça fera vraiment mal », songea Wren, non sans une certaine sympathie.
— Venez ici, lui intima-t-elle en frottant ses paumes l’une contre l’autre.
Il restait en elle une trace de Courant qui réagit lentement, paresseusement, à sa sommation. Impossible de puiser dans les systèmes de l’immeuble, trop fragiles encore. Et il n’y avait aucune autre source immédiatement disponible. Il fallait donc qu’elle se débrouille avec ce qu’elle avait.
Frants fit quelques pas, mais refusa d’approcher davantage. Avec un soupir, Wren enjamba les vestiges d’un fauteuil ancien et vint près de lui. Elle comprenait sa peur.
— Ne bougez pas. Je vais simplement arrêter l’épanchement de sang pour que vous ne tourniez pas de l’œil.
Elle avait lu quelque part que les blessures à la tête saignaient abondamment. Etait-ce vrai aussi pour les plaies au visage ?
Dans un souffle lent et paisible
Le corps se régénère
La chair cicatrise et le sang retourne au sang
Une petite formule de secours qu’elle utilisait depuis le lycée. Son Talent lui permettait tout juste de l’appliquer avec succès aux entailles ou écorchures superficielles. Si, en revanche, l’hémorragie était interne, c’était autre chose…
En laissant retomber ses bras, Wren grimaça. Elle avait oublié que Frants n’était pas le seul à être blessé. Mais voilà, elle ne pouvait s’appliquer la jolie formule qu’elle venait de chantonner. S'envoyer à soi-même du Courant risquait de provoquer des dégâts extrêmement graves. John lui avait rapporté des histoires atroces d’organes qui s’étaient soudés entre eux, notamment. Brrr ! Wren en frissonnait encore rien que d’y penser. Non, merci !
Fronçant les sourcils, elle observa son « patient ». Les cicatrices risquaient d’être assez laides. Elle ne pouvait pas dire qu’elle ne s’en réjouissait pas. Frants ne donnait guère envie de se montrer charitable.
Un léger carillon retentit. Suivi d’une rumeur qui enflait progressivement. Le gros de la cavalerie était arrivé. Wren éprouva un intense soulagement en discernant, dans le brouhaha, la voix de Sergueï.
— Par ici ! cria-t-elle.
Deux infirmiers firent irruption. Fonçant vers Frants, ils s’agenouillèrent près de lui et déballèrent leur trousse. Ils étaient suivis d’un homme qui devait être un agent de sécurité, comme en témoignait le talkie-walkie dans lequel il parlait.
Elle se pencha vers le plus jeune des infirmiers.
— Il y a une femme là-bas…
— Quelqu’un est avec elle, madame, répondit-il en levant le tête. Oh… Et vous ?
— Moi ?
Wren baissa les yeux. Le bandage était à moitié déchiré, et la plaie causée par la balle saignait de nouveau. Jusqu’à ce que l’infirmier en fasse la remarque, elle n’avait rien senti.
— Euh… Ce n’est rien. Merci.
— Mon Dieu !
Wren se retourna. L'agent de sécurité venait de découvrir les membres épars.
« Il est temps de s’éclipser discrètement », songea-t-elle. Il lui restait tout juste assez de Courant pour déclencher l’allumage d’une voiture. Néanmoins, elle parvint à se rendre impossible à identifier et glissa sans bruit vers la porte.
Dans le couloir, une main saisit son coude. La formule d’invisibilité ne marchait pas sur Sergueï, nota Wren. Encore un de ces mystères qu’il lui faudrait étudier plus tard.
— Que s’est-il passé ?
Une question, ma foi, fort raisonnable. Que diable s’était-il réellement passé ? Un infirmier était agenouillé à côté de la femme aux cheveux noirs, qui semblait reprendre vie.
— Euh… J’ai sauvé cette femme, j’ai sauvé le client, au moins pour quelques années, et j’ai apaisé un fantôme tourmenté, pour un temps non négligeable. Ah, et puis, vu que Jamie a réintégré la pierre, on peut aller chercher le chèque. Et Oliver Frants a intérêt à nous payer ! Quels que soient les accords passés.
Wren fronça les sourcils. Elle ne savait absolument pas comment elle s’y prendrait pour faire respecter ces accords. Mais Jamie comptait sur elle, et elle était la seule à pouvoir agir. Personne ne se soucierait d’un homme depuis longtemps disparu.
— Un vrai gentleman, murmura-t-elle. Jusqu’au bout.
Sergueï la regarda avec un amusement perceptible sous son inquiétude. Wren hocha la tête. Elle devait prononcer des paroles sans suite ni cohérence.
« J’ai promis, Jamie. Personne ne te trahira plus. »
Elle s’écarta pour laisser passer un autre agent de sécurité qui remontait le couloir, son talkie-walkie à la main, suivi d’une dame qui prenait des notes.
Evidemment, elle avait aussi condamné un homme à mort et attiré sur elle les foudres du Conseil. A dire vrai, elle ne s’en souciait pas vraiment. Elle ne se souciait plus de grand-chose. Son corps et son cerveau étaient totalement engourdis. Etrange…
« Tu es à sec, idiote ! Tu ne peux pas prendre ce genre de risques. Tu ne peux plus, avec les ennemis que tu viens de te faire ! »
La voix de John ? Non… Max !
Sans doute Sergueï avait-il vu son expression changer. L'attirant à lui, il l’entoura d’un bras solide.
— Tout va bien, Geneviève, murmura-t-il. Tout va bien.
Wren enfouit son visage dans la large poitrine et ferma les yeux avec un soupir de soulagement. Non, tout n’allait pas bien. Mais durant un instant — un bref instant —, elle fit semblant d’y croire. L'affaire était joliment emballée, et rien d’autre ne l’attendait que le somme de deux jours qui suivait immanquablement.
Rassérénée par l’étreinte sécurisante, elle sentit l’énergie de Sergueï s’insinuer en elle, et la ranimer suffisamment pour que la douleur se réveille.
— Je veux rentrer, murmura-t-elle.

Dans le taxi qui les emmenait, Wren se blottit contre Sergueï et ne bougea plus de tout le trajet. Son corps était agité de frissons, en dépit de la tiédeur de la journée et des bras qui l’enveloppaient étroitement. De fines gouttes de sueur perlaient sur son visage, et ses mains étaient glacées. Soucieux, Sergueï écarta délicatement une mèche qui retombait dans ses yeux.
— C'est l’épuisement, murmura-t-elle, d’une voix à peine audible. Ça ira mieux quand j’aurai dormi.
Arrivé devant l’immeuble, Sergueï prit Wren dans ses bras et la porta jusqu’au cinquième étage. Au moment où il arrivait sur le palier, une silhouette massive surgit devant eux.
— Comment va-t-elle ?
Sergueï observa le gros ours. L'inquiétude était visible au fond de ses yeux rouges.
— Elle est épuisée. Prends les clés dans ma poche et ouvre la porte, veux-tu ?
Avec une délicatesse étonnante, O.P. plongea sa grosse patte velue et en retira le trousseau sans que ses griffes effleurent même le tissu de la veste. Rapidement, il ouvrit la porte et courut en avant du couple jusqu’à la chambre.
— Vous êtes une belle bande d’anxieux, marmonna Wren, pendant qu'O.P. écartait la couette et que Sergueï la déposait doucement sur le lit.
— On se refait pas, répondit O.P., d’une voix bourrue. Tu sais quels sont les bruits qui courent ? On dit que le Conseil essaie de trouver un trou de souris pour se cacher. Joli !
Les yeux à demi fermés, Wren agita la main d’un geste lent.
— Il faut que… je dorme. Doooormiiir… Bonne nuit, les petits.
Sergueï remonta la couette sous son menton. Wren attrapa sa main et le tira vers elle. Quand son visage fut près du sien, elle glissa sa main derrière la nuque et, sans trop savoir comment, réussit à approcher ses lèvres des siennes.
Pas très romantique, pour un premier baiser, mais il y eut des étincelles ! Wren entrouvrit les yeux et sourit devant la mine ébahie de son compagnon.
— Oui, encore un truc dont il faudra qu’on parle…, réussit-elle à articuler.
— Plus tard, ma Wren, plus tard. Dors, maintenant.

Après avoir réussi à se débarrasser — gentiment — d'O.P., Sergueï mit de l’eau à bouillir. Récupérant la boule à thé dans l’évier, il la vida, la rinça et la remplit de feuilles fraîches. Dans le placard, il prit la plus grande tasse qu’il put trouver, y déposa la boule, ajouta trois sucres et versa l’eau frémissante. Puis, il s’installa devant la table et remua pensivement avec la cuillère.
L'affaire était close. Pour l’essentiel. Restait tout ce qu’il avait mis de côté jusque-là, et à quoi il allait devoir songer sérieusement. Tirant son étui à cigarette de la poche intérieure de sa veste, il le posa devant lui, puis l’écarta d’un geste rapide.
Sa Wren s’était fait des ennemis puissants. Beaucoup savaient, à présent, que le Conseil avait trempé ses mains dans une sale histoire où il y avait eu des morts. La réputation des Mages Suprêmes était en jeu, et il doutait fort que le Conseil passe l’éponge. Surtout si la Cosa était secouée par une rébellion des Fatae, comme le laissait entendre Wren.
Et puis, il y avait cette tentative d’assassinat sur la jeune femme. Sergueï en tremblait encore de rage et de peur. Ce qui était un autre problème qu’il leur faudrait considérer sérieusement, dans les jours à venir. Une perspective qui n’était pas nécessairement déplaisante.
Retournant entre ses doigts la carte de visite qu’il avait sortie de son portefeuille, il réfléchit un long moment.
Négocier. Passer des accords. Après tout, c’était là son talent à lui.