8.
— A grazing mace, how sweet the sound, that killed a wretch like youuuuuuu !
Wren chantait fort bien quand elle le voulait, mais l’atroce accent écossais qu’elle prenait presque inévitablement évoquait plus le miaulement du chat ébouillanté que la voix d’une soprano. Avec le sentiment du devoir accompli, elle rangea l’aspirateur et entreprit de rassembler les documents que l’apparition de Max avait éparpillés dans la pièce, dans l’espoir vague qu’en rangeant le bureau, elle mettrait du même coup de l’ordre dans son esprit.
Pour l’instant, ses petites cellules grises s’acharnaient sur un nom, et quand elles lui auraient trouvé une place, elle pourrait commencer ce petit vaudou qu’elle pratiquait si habilement.
— I once was lost, but now am found, my amazing grace and meeeee !
En outre, le rangement avait l’avantage de remplir Sergueï de joie, ce qui l’étonnait toujours. Evidemment, il y avait peu de chance que le fisc vienne fourrer son nez dans un travail payé de la main à la main, mais il était toujours utile de pouvoir consulter ses archives. Comme la serrure qu’elle trafiquait tout à l’heure, par exemple. Elle provenait d’une enquête qu’elle avait effectuée quatre ans auparavant, et elle lui avait servi pour son périple dans le Connecticut. Cela s’appelait la prévoyance.
La « prévoyance » était le troisième commandement du Solitaire. Le premier était : « Se tenir à l’écart des manœuvres du Conseil. » Le second : « Choisir ses missions et ne pas se laisser embarquer dans un cas désespéré. » Et le troisième, donc : « Se préparer à toute éventualité, si improbable soit-elle. »
Le Solitaire avait, bien sûr, d’autres principes, mais ceux-là étaient primordiaux. Et deux d’entre eux avaient déjà été un peu écornés dans cette affaire. Ah, comme elle rêvait d’une petite mission facile, et vite emballée ! Histoire de se rassurer.
« Et voilà que tu divagues, ma fille. Mauvais signe ! »
Wren attrapa le courrier électronique qu’elle avait imprimé sur le cas Old Sally, et glissa les feuilles dans le dossier vert pomme qu’elle avait dédié à cette affaire. Vert pour Sally. Orange pour Frants Enterprise. Les couleurs l’aidaient à se repérer mentalement. Elle choisit une pochette bleu vif pour l’escouade anti-Fatae, en songeant qu’elle aurait dû s’y consacrer plus sérieusement dès les premiers signes. Extirper le mal à la racine…
Avec un soupir, Wren remit cette plaisante perspective à plus tard, quand sa vie serait moins… trépidante.
« Ah oui ? Et quand donc exactement ? » lui susurra une voix qui ressemblait étrangement à celle de sa mère.
— Oh, la paix ! répliqua-t-elle à voix haute, en contraignant ses neurones à se concentrer de nouveau sur l’action présente.
Laquelle consistait à choisir entre un dossier rose fluo qui lui flanquait la migraine et un rouge sombre. Son stock de chemises en carton avait besoin d’être renfloué. La prochaine fois, elle prendrait des coloris pastel.
— Qui pourrait avoir envie d’empailler un cheval, hmm… ? demanda-t-elle à l’ours en peluche posé sur l’une des étagères. Ce n’est pas une chose à léguer à ses petits-enfants !
Teddy l’Ours, privé d’un œil et de deux oreilles, s’abstint de répondre. Haussant les épaules, elle fit tomber la pile « vieux documents » dans la poubelle.
Les petits-enfants en question semblaient, pourtant, avoir religieusement transmis l’héritage de génération en génération, respectant scrupuleusement les volontés du défunt. Même lorsqu’ils avaient découvert les dons prophétiques et toujours funestes d’Old Sally, ils avaient obstinément perpétué la tradition. Quant à elle, Wren aurait brûlé sans hésiter le cheval de malheur, mais à chacun sa folie. Et elle n’avait rien contre une folie qui lui vaudrait sans doute un joli salaire.
L'argent… Tout aboutissait toujours à l’argent, n’est-ce pas ? Enfin, presque. Le Conseil travaillait essentiellement pour le prestige, la façade, la respectabilité, etc. Le prestige pouvait s’acheter, mais l’argent ne pouvait acheter le prestige. Etait-ce vraiment le cas ?
Cela dit, où allait-elle, avec ces brillantes réflexions ? Pourquoi avait-elle le sentiment, diffus, d’avoir mis le doigt sur quelque chose d’important ?
Elle entendit la porte d’entrée s’ouvrir. Aussitôt l’odeur caractéristique de la nourriture chinoise s’immisça dans le couloir et vint chatouiller ses narines, interrompant net le cours de ses pensées.
— Ils ont rajouté une portion de nouilles au sésame, annonça Sergueï en entrant dans le bureau, un énorme sac brun à la main. Je soupçonne Jimmy d’avoir le béguin pour quelqu’un, ici.
— Admire ! lança Wren en désignant fièrement sa table de travail, impeccablement rangée. Je vendrais mon âme au diable pour un bon poulet de chez Noodles, ajouta-t-elle joyeusement, pendant que Sergueï sortait les plats et les baguettes.
L'air soucieux avait disparu de son visage, nota-t-elle. Mais elle sentait encore un léger bouillonnement en lui. Elle hésita à l’interroger, et préféra s’abstenir. S'il s’agissait de travail, il finirait par en parler. Si c’était autre chose, mieux valait ne pas provoquer d’explosion. Ils avaient tous deux besoin de se concentrer sur l’enquête.
— Du nouveau ? s’enquit-il en désignant l’écran.
Wren jeta un rapide coup d’œil sur les réponses qui étaient arrivées pendant qu’elle passait l’aspirateur.
— Nous avons deux Prevost sur la côte Est, trois dans le Midwest et sept sur la côte du Pacifique, répliqua-t-elle en fourrageant dans le sac. Et toi ?
Tirant à lui le siège du bureau, Sergueï secoua la tête.
— Rien.
Wren s’assit en tailleur sur le sol, une barquette fumante à la main.
— Tu ne manges pas ?
— Si, répondit son coéquipier d’un air absent.
Puis il sortit le téléphone portable de sa poche et le ralluma, avec un air de soulagement coupable. Presque aussitôt, une sonnerie se fit entendre.
— Oh, oh ! M. Didier fait feu de tout bois, ce soir.
Il était rare que Sergueï agisse stupidement, comme d’éteindre son portable quand précisément il attendait un appel. En l’occurrence celui de Lowell. Mais elle renonça à se moquer de lui. Elle saisit délicatement un morceau de poulet avec ses baguettes.
— Didier à l’appareil. Oui ? Bien. Merci.
Il fit un signe en direction de Wren qui lui tendit un papier et un crayon.
— D’accord. Non, c’est ce que je cherchais. Oui, tout va bien ici. Non, non, je n’ai plus besoin de toi. Bonsoir.
Wren fit la grimace. C'était bien Lowell. Ce lécheur de bottes patenté. Ce ridicule petit joueur de gameboy. Elle ne le portait pas dans son cœur, et il le lui rendait bien : il la considérait comme un parasite dépourvu de toute grâce mondaine. En conséquence de quoi, Sergueï s’efforçait toujours de les tenir aussi loin que possible l’un de l’autre.
« Petit joueur minable ! fulmina-t-elle de nouveau. Si seulement, tu savais à quoi ton cher patron occupe ses loisirs ! »
Sergueï rangea son téléphone, et tripota d’un air distrait sa barquette de nouilles. De toute évidence, il était en train de passer en revue toutes les probabilités, de les évaluer et de les soupeser les unes après les autres. Elle avait appris à le connaître…
Et il lui avait bien fallu dix ans pour maîtriser son envie de fuir quand le regard de son associé devenait glacial. C'est très récemment qu’elle avait compris qu’elle n’avait rien à craindre de ce regard.
— Ne me dis pas qu’il s’agit du gouvernement, dit-elle d’une petite voix.
La seule et unique fois qu’ils avaient empiété sur le terrain de chasse du FBI, les contacts de Sergueï eux-mêmes avaient eu du mal à aplanir les choses. Officiellement, les services secrets considéraient que la magie ou la Cosa Nostradamus n’existaient pas. Ce qui ne les empêchait pas de s’en prendre violemment à tout Talent.
— Non, pas cette fois, répondit-il. Le motif de notre voleur est la cupidité, purement et… pas si simplement que ça. Une cupidité non pas financière, mais esthétique. Ma mémoire ne m’a pas trompé : Prevost est un collectionneur.
— Comment le sais-tu ? Comment sais-tu que c’est notre homme ? Et les Prevost qui habitent sur la côte Est ? Il est venu à ta galerie ? Tu as une adresse ? Et puis, collectionneur de quoi ? Un vulgaire bloc de marbre à côté d’une œuvre d’art, c’est plutôt bizarre, non ? Même si l’œuvre d’art vient de ta galerie, et…
Sergueï leva une main pour l’arrêter.
— Laisse-moi le temps de répondre, veux-tu ? Il collectionne ce que les autres n’ont pas. C'est un maniaque qui a débarqué il y a quelques années dans la galerie. Il voulait des objets ayant quelque chose à voir avec la magie. Et il en savait assez pour frapper aux bonnes portes. A la mienne, en l’occurrence. Un obstiné, qui n’abandonne jamais avant d’avoir obtenu ce qu’il veut. Capable de remuer ciel et terre. C'est la raison pour laquelle je me souviens de lui. On dirait bien que ça colle, non ?
« Maniaque »… C'était le qualificatif que Sergueï appliquait, avec une pointe de mépris, aux Joueurs ou aux apprentis magiciens. Wren l’observa, les yeux brillant d’excitation.
— Bon sang, bien sûr que ça colle ! Si ce type n’est pas un Talent, alors, tu as raison…
— Je parie tout ce que tu veux qu’il ne l’est pas, coupa Sergueï en hochant la tête.
— … et notre voleur travaille pour lui sous contrat. Peut-être même depuis le premier jour où il est venu à ta galerie ! Un emploi stable, qui lui épargne le souci de se vendre ailleurs, et d’accomplir des actions marquantes qui le fassent connaître.
Wren se tut un instant, songeuse. Voilà qui pouvait expliquer bien des aspects étranges de l’affaire.
— Un collectionneur, reprit-elle, un peu plus calmement. T’ai-je déjà dit combien je haïssais ce travail ?
— Euh… Jamais, rétorqua Sergueï, avec un soupir, en se carrant plus confortablement dans son fauteuil.
Les enquêteurs comme Wren étaient capables de pénétrer dans n’importe quel édifice. Et la jeune femme était la meilleure dans son domaine aux Etats-Unis, voire sur tout le continent nord-américain. Certains bâtiments, bien sûr, pouvaient se révéler plus récalcitrants que d’autres, mais aucun, absolument aucun, n’était inaccessible à qui possédait le Talent. Les collectionneurs, néanmoins, constituaient une espèce particulière. Comme Sergueï avait déjà l’occasion de l’expliquer à Wren, le véritable collectionneur maîtrisait sur le bout des doigts le manuel du Parfait Diabolique dont les deux principes fondamentaux étaient : ne jamais se vanter de son plan devant l’ennemi, prisonnier ou pas ; et payer grassement son intermédiaire pour que ce dernier ne soit pas soudoyé par des concurrents.
A quoi il fallait, bien sûr, ajouter la structure mentale propre à cette race : obsession, agressivité, absence totale de scrupules. La collection en question était donc extrêmement bien gardée. Peu importait à son propriétaire qu’on sache ce qu’il possédait, pourvu qu’il puisse s’emparer de ce que les autres ne pouvaient s’offrir — soit parce que l’objet était exceptionnel, soit parce que sa possession constituait un défi quasi insurmontable. Le collectionneur ne tenait donc pas à s’exhiber. Rares seraient, par conséquent, les failles que Wren pourrait exploiter.
Mais il y avait une jolie somme en jeu. Même si, rétrospectivement, Sergueï avait quelque peu sous-estimé l’enjeu. Et l’argent était une motivation puissante, presque autant que le goût du défi…
Wren esquissa un large sourire, où la jubilation se mêlait à l’appréhension devant les complications qui pointaient le bout de leur nez. Sergueï lui retourna son sourire. S'il y avait une chose qui les unissait, c’était bien la volonté de prouver qu’ils étaient les meilleurs d’entre les meilleurs. Et de le prouver non pas aux autres, mais à eux-mêmes. Le Conseil, semblait-il, n’avait pas le monopole de l’ego…
« Argent. Prestige. Ego. » Les mots dansaient dans l’esprit de Wren. « Quel est le lien ? »
Elle secoua la tête. Rien ne servait de forcer. La connexion s’établirait d’elle-même, à son rythme.
Plongeant ses baguettes dans les nouilles entremêlées, elle s’appliqua à manger sans penser à rien. Sergueï se mit à faire de même. La nuit allait être longue…

Au cours des heures qui suivirent, les seuls bruits qui rompirent le silence de l’appartement furent ceux de papiers qu’on froissait ou compulsait, et du clavier sur lequel on pianotait. Combien de nuits avaient-ils passées ainsi à réfléchir, à examiner chaque piste, à pourchasser le moindre indice qui permettrait soudain au puzzle de s’assembler ? Il arrivait parfois que la mission nécessite presque uniquement une enquête de terrain, comme c’était le cas pour Old Sally. Mais le plus souvent, ils s’enfermaient pour d’interminables séances au cours desquelles ils torturaient leur cerveau, jusqu’à ce que Sergueï se mette à marmonner des jurons en russe. C'était d’ailleurs à cette occasion qu’elle avait découvert qu’une imprécation particulièrement « piquante » faisait littéralement rougir l’air.
Ces séances n’avaient rien de drôle, même si, bien sûr, c’était infiniment plus satisfaisant que le brouillard de l’étape précédente. De toute façon, elles étaient inévitables. « Seuls les amateurs partent bille en tête, et les mains dans les poches », disait Sergueï.
Ce soir, ils s’étaient partagé la charge de travail : Sergueï s’occupait de dépouiller les dossiers que Lowell, non sans quelques allusions aux heures supplémentaires, avait fait envoyer ; Wren se chargeait de découvrir sur le Net toute information concernant le richissime collectionneur d’art, Matthew Prevost. Quand l’un d’eux dénichait quelque chose, il le posait sur la pile « à suivre ». Laquelle pile restait désespérément basse.
Vers 22 heures cependant, Wren crut découvrir l’adresse principale du collectionneur.
— Les rapports d’agence mentionnent l’acquisition d’une maison, via, semble-t-il, un intermédiaire. Au nord-ouest d’Albany, dans l’Etat de New York.
C'était assez loin du Frants Building : la Translocation n’avait donc pu avoir lieu directement, ce qui ôtait quasiment toute chance à Wren de remonter jusqu’à la source. Et c’était assez près, néanmoins, pour que le transfert ait été effectué par des moyens plus conventionnels. Si tel était le cas, il devait y avoir traces du voyage quelque part. Sauf, évidemment, s’ils s’en étaient chargés eux-mêmes.
Elle scruta l’écran et grimaça. Il aurait fallu un agent immobilier pour décrypter cette jungle de chiffres.
— Pfff… Tu y comprends quelque chose, toi ?
Sergueï se pencha par-dessus son épaule. Wren sentait la chaleur de sa joue contre la sienne.
— Non, attends…
Le téléphone portable sortit comme par magie de la poche de la veste.
— Bonjour. Sergueï à l’appareil.
« Bonjour » ? Wren le regarda, bouche bée. Elle fit un rapide calcul mental. Londres ? Non, c’était trop tôt, à moins qu’il ne s’agisse de quelqu’un d’exceptionnellement matinal ! Alors, l’Asie, peut-être ?
La langue que se mit à employer son coéquipier confirma son hypothèse. Depuis quand parlait-il le chinois ? A dire vrai, elle n’était pas aussi étonnée qu’elle aurait dû l’être.
Sergueï ne maîtrisait pas moins de quatre langues, en définitive. Anglais, russe, français et chinois. A côté de lui, elle avait l’impression d’être aussi cultivée qu’un pot de fleurs. Elle balbutiait à peine dix mots en français, et cinq ou six en espagnol — et encore, pas tous recommandables.
Pour se remonter le moral, elle condensa l’énergie qui bourdonnait dans les murs et la dirigea vers un petit gâteau enveloppé de papier qui traînait parmi les restes de leur dîner. Le gâteau s’éleva dans les airs et retomba dans sa main.
Sergueï lui lança un regard furibond.
— Désolée…, marmonna-t-elle.
Elle avait oublié que le Courant actif, même à doses contrôlées, perturbait terriblement la réception des téléphones mobiles. C'était d’ailleurs la raison pour laquelle elle n’en possédait pas.
Elle déballa discrètement le gâteau et retourna le papier pour lire ce qui était inscrit à l’intérieur.
« Ce n’est pas d’entrer dans la mort qui est difficile, mais d’y rester. »
Elle esquissa une moue. Jimmy s’était toujours révélé prophétique dans les petites devinettes, assez troublantes, qu’il rédigeait lui-même. Wren considéra le papier un instant, puis le froissa et le jeta dans la poubelle. Il valait mieux, quelquefois, ne pas forcer les ténèbres : elles s’éclairciraient d’elles-mêmes, quand le temps serait venu. Et puis, il était déjà assez difficile de s’occuper du présent, sans s’inquiéter en plus de l’avenir.
— Bien. Merci.
Sergueï raccrocha et, avec une grande dignité, plia son mètre quatre-vingt-quinze pour s’asseoir sur le sol.
— Alors ? demanda-t-elle en le regardant avec appréhension.
Il éclata d’un rire inattendu, qui eut pour effet de relâcher une tension dont Wren ne s’était même pas aperçue. Elle s’était contentée de noter que le bureau avait besoin d’être aéré, afin de chasser l’entêtante odeur d’épices chinoises.
— Tu ressembles à une vache qu’on emmènerait à l’abattoir, Geneviève.
— Sale Russe ! Qui était-ce ? Qu’as-tu appris ?
— Stephen Langwon, répondit-il en retrouvant son calme.
— Stephen ?
Il opina de la tête.
— Tu as fait exprès de parler cette espèce de jargon, rien que pour me dérouter !
Furieuse, elle lui décrocha un coup de pied qu’il attrapa en souriant.
— Il est à Séoul pour affaires de famille.
Stephen Langwon était un ancien inspecteur des impôts, collectionneur à ses heures, surtout d’aquarelles. Sergueï appréciait son coup d’œil, celui d’un authentique connaisseur, disait-il. Langwon avait pris sa retraite et se consacrait, depuis, à l’immobilier.
— D’après lui, poursuivit Sergueï, pendant que Wren se tortillait pour récupérer son pied, notre homme a probablement acquis sa maison par l’intermédiaire d’une société-écran, sans doute pour éviter de payer des impôts.
— Bien. Et quelle est cette société ?
— Je ne sais pas, répliqua-t-il en ignorant les contorsions de la jeune femme qui devenait toute rouge. Une holding, peut-être ? Je n’ai pas voulu insister. Et puis, la communication était terriblement mauvaise.
Wren ne releva pas. Et d’abord, elle s’était déjà excusée. Que voulait-il de plus ?
— Le dispositif lui laisse une porte de sortie, si jamais on découvre des objets volés dans la maison. Puisqu’il n’est pas le propriétaire.
Wren émit un sifflement.
— Formidable. Et ça nous mène où, tout ça ?
— Là où il faut, rétorqua Sergueï en tirant sur le pied de Wren qui glissa de son siège et tomba sur le sol.
Avant qu’elle ne soit remise de sa surprise, il s’était installé à sa place et commençait à pianoter sur le clavier de l’ordinateur.
— Et c’est où, « là-où-il-faut » ? s’enquit-elle, après s’être péniblement rétablie à la verticale.
Son compagnon se contenta de lui indiquer l’écran. Clignant des yeux, elle se pencha par-dessus son épaule. Sergueï naviguait sur un site gouvernemental. Eberluée, elle le vit entrer toute une série de mots de passe. Comme il n’était pas plus doué qu’elle pour le piratage informatique, elle en déduisit que Stephen avait fourni les détails.
Soudain, elle se pencha encore plus : des noms, des adresses, des feuilles d’impôts défilaient devant elle.
— Ah ! Ote-toi de là que je…
Il repoussa ses mains.
— Donne-moi ça ! C'est mon ordinateur, pas le tien ! C'est moi qu’ils enverront en prison, s’ils retrouvent ma trace. Alors, laisse-moi au moins m’amuser !
Tranquillement, Sergueï cliqua sur le lien qu’il cherchait. Derrière lui, Wren semblait gagnée par la danse de Saint-Guy, ce qui avait l’air d’amuser prodigieusement son compagnon. Ce dernier lança une impression et ferma la fenêtre ouverte à l’écran. Wren se mit à gémir, d’une voix stridente.
— Serggggggg….
— Arrête ! Ne fais plus jamais ça !
Sergueï était sorti de ses gonds, ce qui fit plaisir à Wren. Elle venait de découvrir une autre manière de le faire réagir. Souriant, elle classa l’information dans la case « Dossiers utiles » de son cerveau. En un sens, c’était sans doute plus facile de travailler avec quelqu’un qui vous connaissait mal, car il ne maîtrisait pas suffisamment vos points faibles, mais alors, quel était le plaisir ?
— Stephen a pris un risque en me donnant cette information, reprit Sergueï en se levant. Je ne veux pas abuser de sa confiance. Pas sans une très bonne raison, en tout cas. Tu as un plan de route. Suis-le.
— D’accord, d’accord, grommela Wren en attrapant le document qui était sorti de l’imprimante.
Maintenant, ils étaient sur son territoire — et c’était infiniment plus passionnant que de dépouiller des rapports officiels. Elle s’installa devant l’ordinateur et cliqua sur un lien enregistré dans sa barre de signets. La page d’accueil s’afficha, avec une phrase d’avertissement : « Site d’informations pour internautes avertis. »
Wren entra son mot de passe, puis les données fournies par le document de Sergueï.
— Vois ce que tu peux trouver sur cette société, celle qui a installé les alarmes, lança-t-elle en rendant le document à son coéquipier. Commence par leurs franchises. Je veux savoir avec qui ils travaillent, s’ils ont un contact quelconque avec la Cosa.
Sergueï acquiesça. A bien des égards, traiter avec la Cosa, c’était comme traiter avec la mafia dans le monde profane. Première des règles, absolument essentielle : marquer son respect. Autrement dit, pour l’enquêteur : demander l’autorisation de s’occuper d’une cible dépendant du Milieu. Jusque-là, ils avaient suivi la procédure en se présentant devant le Conseil pour signaler officiellement l’affaire. A présent qu’ils avaient déterminé leur cible, ils devaient préparer parfaitement le terrain avant que Wren ne se lance.
L'écran était devenu entièrement rouge, à l’exception du curseur qui clignotait au centre. Sergueï détourna les yeux : c’était insoutenable. Parfaitement indifférente, Wren fit craquer ses doigts comme une pianiste virtuose avant un concert. Puis, levant ses deux mains au-dessus du clavier comme si elle allait attaquer les premières mesures, elle concentra son énergie et commença à taper. L'écran rouge vacilla et une étrange forme à quatre dimensions émergea. Averti par l’expérience, Sergueï regarda ailleurs, le temps que la forme se réduise à une bidimensionnalité plus raisonnable. Toujours concentrée, Wren modela la forme, l’apprivoisa jusqu’à obtenir la connexion qu’elle recherchait.
Evidemment, envoyer du Courant dans un système informatique était, pour le dire gentiment, complètement idiot, sinon dangereux. Pour le système, et pour l’usager. Cependant, la visite de Max ne semblait pas avoir trop perturbé les protections que Wren avait établies tant bien que mal… Et puis, c’était sacrément pratique ! De toute façon, celui qui avait monté ce site refusait toute autre clé d’accès. Donc…
Prenant une profonde inspiration, elle posa une main, paume ouverte, sur sa poitrine. Son cœur battait peut-être un peu trop vite.
« Tout doux… »
Aspirant une dose du Courant qui circulait le long de sa colonne vertébrale, elle fit glisser le flux le long de son bras gauche et le dirigea doucement vers le centre de la forme.
Des étincelles crépitèrent autour de la jeune femme, dont le corps se figea, pendant que son esprit se glissait dans la base de données. Derrière elle, Sergueï hocha la tête, puis s’assit sur le sol de sorte à pouvoir surveiller Wren.
Vers 1 heure du matin, ayant terminé le dépouillement des dossiers, Sergueï s’étira. La nuit était trop avancée pour pouvoir encore passer des coups de téléphone, et il en avait assez d’attendre que sa coéquipière ait achevé son travail.
— Rentre chez toi, lança Wren en versant un peu de soda dans son gobelet.
Elle ne put réprimer une grimace. Le liquide était tiède, et sans bulles. Elle repoussa la bouteille vers les restes du dîner qu’elle avait soigneusement empilés sur un coin de son bureau. Elle avait émergé de la base de données vers minuit, puis elle s’était mise à taper tout ce qu’elle avait appris sur un rythme qui l’avait surprise elle-même.
Ce genre d’acrobatie avait inévitablement pour effet de la rendre d’une humeur de chien et de creuser son appétit. En fait, elle se sentait comme un ours sortant de l’état d’hibernation.
— Mais non, ça va, rétorqua Sergueï en se mettant debout pour dégourdir ses jambes ankylosées. Ne t’arrête pas.
Elle lui décocha un regard appuyé, qui n’eut absolument aucun effet, si ce n’est de la rendre encore plus maussade. Dix minutes plus tard, heureusement, son rythme commençait à ralentir. Sergueï, qui faisait les cent pas dans le couloir, jeta un coup d’œil par la porte. Enfin, Wren s’arrêta et secoua les mains. Inquiète, elle examina le bout de ses doigts. Pas de nerfs endommagés, apparemment…
— Fini ? s’enquit son compagnon en revenant dans la pièce.
Elle opina de la tête.
— Reste à voir si c’est compréhensible, rétorqua-t-elle en s’étirant. Oh là là ! Je sens que j’ai besoin d’un bon remontant anti-diététique, genre crème glacée. Allez, viens, ajouta-t-elle en tirant son partenaire hors du bureau.
— Je n’aime pas les crèmes glacées, marmonna-t-il. Ça me donne des aigreurs…
— Là, c’est toi qui me donnes des aigreurs. Ecoute, si tu ne veux pas rentrer chez toi, tu m’accompagnes. La crème glacée m’aide à réfléchir. Tu me tiendras compagnie, c’est tout.
Ils sortirent de l’appartement et dévalèrent les escaliers en faisant le moins de bruit possible. Une fois dehors, Sergueï prit la main de Wren entre les siennes, pour s’excuser. Un bref instant, elle se laissa aller contre lui.
— Tu vois, tu es content de venir.
— Mmm…, marmonna Sergueï en se raidissant légèrement au contact du corps de la jeune femme.
— Quelle belle nuit ! murmura Wren en humant l’air avec plaisir.
Le ronronnement lointain de la circulation avait sur elle un effet apaisant. Un hélicoptère passa au-dessus d’eux, couvrant momentanément le brouhaha nocturne de la ville. Une équipe de télévision, une patrouille de police ? Wren soupira d’aise. Quelques couples déambulaient en sens inverse, riant et parlant à voix basse. Sans doute sortaient-ils d’un café-théâtre de Greenwich Village.
— Et puis, je suis sûre que tu ne connais pas les glaces de Marco, reprit-elle joyeusement. Elles sont… merveilleuses, tout simplement. Il les fait avec…
Elle s’immobilisa tout à coup. Sa main glissa entre les doigts de son compagnon et retomba, inerte.
— Wren ? Wren ?
La panique s’empara de Sergueï.
— Wren ! hurla-t-il, attirant l’attention d’un couple qui s’arrêta pour les regarder.
L'homme eut l’air d’hésiter, puis sa compagne le tira par le bras, et ils finirent par s’éloigner. Sergueï s’en moquait. Tout ce qui comptait, c’était le regard vide, l’expression figée de Wren. Son pire cauchemar semblait sur le point de se réaliser.
— Noooon ! hurla-t-il en secouant la jeune femme dans tous les sens. Wren ! Geneviève ! Réponds-moi ! Parle-moi ! Wren !
Son cœur manqua un battement. Elle venait de cligner des yeux.
— Et flûte ! murmura-t-elle, pendant que le sang revenait lentement sur ses joues.
— Qu’est-ce qui s’est passé, bon sang ? explosa Sergueï, encore sous le coup de l’affolement.
— On a essayé de me pister.
Il se rapprocha.
— Tu t’en es débarrassée ?
— Je ne sais pas si « débarrasser » est le bon mot, mais… oui, je crois. Je lui ai dit en termes clairs d’aller s’amuser ailleurs. Pffff ! Je ne sais pas qui c’était, mais il a un sacré pouvoir, ajouta-t-elle en hochant la tête.
Le pistage était en réalité un défi lancé par un Solitaire à un autre. Généralement, il se produisait à l’occasion d’une guerre de territoires, d’une dispute autour d’un client. Mais assez souvent, d’après Wren, c’était une sorte de plaisanterie entre copains.
Or, elle ne possédait aucun ami qui puisse se livrer à ce genre de distraction. Plus aujourd’hui, en tout cas. Et elle n’empiétait sur le territoire de personne.
— Tu veux rentrer ? lui demanda Sergueï d’une voix encore altérée.
— Ecoute, répliqua-t-elle en lui donnant une légère tape. « Il », ou « elle », veut une revanche. Moi, je veux une crème glacée. De toute façon, poursuivit-elle en se remettant en marche, ce n’était sans doute qu’un test. Pour voir. Et il, ou elle, a vu. Fin de l’histoire.
Poussant un soupir, Sergueï se pinça la racine du nez, comme si une migraine commençait.
— Il y a des jours où j’aimerais vraiment que ce ne soit plus l’anarchie chez vous !
— Si tu veux te lancer dans la rédaction d’un Code de lois, vas-y… Mais le Conseil n’aime pas beaucoup l’idée.
Elle se tourna vers lui. Il nota les cernes et le pli soucieux, entre les sourcils, qui démentaient son attitude nonchalante.
— On se fera de l’argent en le vendant à la sauvette avant qu’ils nous attrapent !
Il sourit, mais une lueur d’inquiétude assombrissait encore ses yeux.
— Sérieusement, Wren… Je n’aime pas du tout cela. Surtout quand tu es en mission.
Elle le considéra un instant, avant d’éclater d’un petit rire sec.
— Tu crois que c’est lié à l’affaire ? Franchement, Sergueï, ça n’a aucun sens. Qui pourrait s’en soucier ?
— Celui ou celle qui a pris la pierre, répondit-il du ton le plus raisonnable qu’il put, résistant à l’envie de prendre Wren par le bras et de la ramener chez elle.
Soudain, il se rendit compte qu’il était passé, comme disait la jeune femme, en mode « prédateur aux aguets veillant sur ses petits ». Au regard que lui lança Wren, il comprit qu’elle l’avait remarqué, elle aussi.
— Ça me met les nerfs en pelote, Geneviève. L'affaire tout entière est en train de me mettre les nerfs en pelote. Et je ne sais pas pourquoi… Ce qui m’énerve encore plus.
Elle lui pressa doucement la main.
— Ce n’est probablement qu’une coïncidence. Un petit nouveau qui veut voir comment ça se passe dans le quartier.
— Tu sais que je ne crois pas aux coïncidences.
— Et tu sais aussi que lorsqu’il s’agit de Courant, le calcul des probabilités n’a aucun sens. Détends-toi. Et puis, moi, je veux une glace triple avec des pépites de chocolat et plein de crème fouettée. Et tout de suite.
La pointe de nervosité perceptible dans la voix de la jeune femme fit capituler Sergueï. Ce n’était pas le moment d’insister.
Marco était toujours ouvert. Ravie, Wren se précipita vers l’étroite devanture vitrée et poussa la porte. Le magasin, à peine plus large qu’un couloir, s’agrandissait légèrement au fond pour accueillir deux tables et huit chaises métalliques. Derrière le comptoir, une adolescente aux longs cheveux noirs servait d’un air maussade un groupe d’enfants à peine plus jeunes qu’elle. Quand elle aperçut Wren, son visage s’éclaira.
— Salut, Jenny !
Wren ne se soucia pas de corriger son prénom. A dire vrai, elle avait cessé de s’en préoccuper depuis le lycée.
— Salut, Sandy. Je ne savais pas que tu faisais le service de nuit.
— Maintenant, j’ai cours l’après-midi. Je dors toute la matinée. Ça me va.
Wren se mit à rire.
— Donne-moi… euh,…
— Une triple chocolat-menthe avec des pépites et de la crème fouettée. Et vous ? ajouta la jeune fille en décochant son plus joli sourire à Sergueï.
Instinctivement, Wren se rapprocha de son compagnon. Et elle rougit quand elle s’aperçut de son geste. Il avait le droit de faire ce qu’il voulait sur son terrain, mais sur le sien, il devait faire attention. Satisfaite de l’explication, elle ignora la petite voix qui lui disait : a) que ce n’était pas Sergueï qui avait décoché le sourire ; b) de quoi se mêlait-elle ?
— Vanille, s’il vous plaît.
Sandy reporta son regard sur Wren, et recula imperceptiblement.
— Eh bien, ça fera six dollars.
— Du vol pur et simple, grommela Sergueï en sortant son portefeuille.
— Mais qui en vaut la peine ! rétorqua sa compagne en prenant les cornets que lui tendait la vendeuse.
Un hurlement atroce déchira l’air à ce moment.
— Reste là, lança Wren en se précipitant vers la sortie.
Sergueï eut tout juste le temps de récupérer les glaces au passage, et il vit Sandy sauter par-dessus le comptoir pour rejoindre Wren. De fort jolies jambes, nota-t-il au passage, et qui se terminaient par des sabots.
« Cosa », se dit-il avec une légère grimace. Une Fatae qu’il ne connaissait pas. Wren lui avait fait prendre conscience de ses tendances xénophobes au cours d’une dispute dont le seul souvenir lui donnait mal au cœur. Mais bon, c’était plus fort que lui. Il s’efforçait donc, dans la mesure du possible, de laisser Wren gérer les rapports avec la gent féerique.
De temps à autre, il lui arrivait de se demander combien de Fatae il avait rencontrés sans le savoir. Idée qui ne l’enchantait qu’à demi. Et, en fait d’enchantement, savoir Wren dehors et peut-être en danger ne lui plaisait pas du tout.
Sergueï résista trois minutes. Ce pouvait être le type qui l’avait « pistée », quelques instants plus tôt. Auquel cas il ne serait pas d’un grand secours. Ou bien il pouvait s’agir, plus simplement, d’une bagarre de rue… Il se tourna vers les adolescents qui regardaient dehors en chuchotant avec animation.
— Ne bougez pas d’ici. Si quelqu’un vient, planquez-vous derrière le comptoir.
Ils acquiescèrent d’un seul mouvement. L'espèce de fierté new-yorkaise qu’il lisait sur leur visage et qui voulait dire : « Nous sommes prêts à tout » lui arracha un sourire.
Il fonça dans la rue et les découvrit quelques mètres plus loin. Wren était accroupie près d’une sorte de halo lumineux qui jetait des éclats irréguliers. Il se rapprocha et vit que Sandy était assise en tailleur, berçant dans ses bras la source de lumière. Au moment où il les rejoignait, le halo lança un dernier éclat, puis s’éteignit.
— Flûte, flûte et flûte !
Sandy s’inclina doucement sur le halo, à présent éteint, et ses longs cheveux noirs glissèrent jusqu’à le recouvrir. Wren tendit la main, puis se détourna brusquement. En se relevant, elle heurta Sergueï, les yeux hagards.
— Un ange ? demanda-t-il à voix basse.
— Oui. Des… des salauds ont dû jeter quelque chose sur lui. Il était tout gluant…
Elle s’étrangla, toussa, puis se redressa, un air stoïque sur le visage.
— De la lessive, probablement. Ça l’a aveuglé, et ils en ont profité pour le poignarder. Plusieurs fois. Aucun ange ne peut survivre à… à autant de plaies infligées par du métal froid.
Sergueï marmonna une prière rapide, même s’il n’était pas sûr que les anges aient une âme. Au catéchisme, on lui avait expliqué qu’ils étaient les messagers de Dieu. Peu importait. Personne n’avait le droit de mourir aussi horriblement. Même les Fatae.
— Il va falloir que ça cesse, reprit Wren d’une voix chevrotante. Qu’ils prêchent, c’est une chose, mais là, ils passent les bornes. Et comment est-ce que je récupérerai les infos, si la Cosa a peur de passer dans le quartier ? Je me suis installée ici précisément parce qu’il n’y avait pas de problèmes !
Ne sachant quoi dire, Sergueï lui tendit le cornet dégoulinant qu’il n’avait pas lâché. Wren le regarda, surprise, puis, le rire le disputant aux larmes, elle tendit une main tremblante et prit la glace.
— C'est l’escouade dont tu parlais tout à l’heure ? Ceux qui pourchassent la « vermine démoniaque » ? demanda Sergueï en jetant l’autre cornet, complètement fondu, dans le caniveau.
— Qui d’autre ?
La voix de la jeune femme se brisa. Ce n’était pas la mort qui la bouleversait, songea soudain Sergueï. Elle avait vu des cadavres, et des êtres humains en train de mourir. Mais là, il s’agissait de Fatae. C'était la première fois qu’elle assistait à la mort de l’un d’eux. Savoir qu’ils étaient mortels, ce n’était pas la même chose que d’être confrontée à la réalité. Et l’enfant qui était en Wren ne pouvait accepter cette réalité sans souffrir…
Derrière eux, Sandy se leva et déposa le corps désormais froid sur le trottoir, contre le mur.
— Ses frères le trouveront vite, murmura-t-elle. Je préfère ne pas être là quand ils arriveront.
Sa voix était ferme, mais ses lèvres tremblaient.
— Ça ira, pour toi ? s’enquit Wren, trop heureuse de se détourner de son chagrin pour s’occuper de celui des autres.
— Oui, répliqua la jeune fille. Enfin, non, mais je n’ai pas le choix. Bon… Je retourne au magasin. Marco va arriver, il me raccompagnera.
Elle eut soudain une pauvre grimace.
« Ces deux-là sont aussi tendues qu’un arc », songea Sergueï en glissant son bras sous celui de Wren.
— Allons-y, lança-t-il.