17.
— Je n’arrive pas à croire que c’est la première fois que je mets les pieds dans ton appartement !
Sergueï haussa les épaules et cassa rapidement quatre œufs dans une jatte.
— Je donne très peu de fêtes.
— Tu veux dire que tu n’en donnes aucune. Enfin, aucune où j’aie été invitée.
Wren marqua une légère pause, mais son compagnon ne releva pas.
— Alors, pourquoi ne suis-je jamais venue ? reprit-elle. Arroser les plantes, nourrir ton chat… Mets plus de poivre, ajouta-t-elle en regardant dans la jatte.
— Je n’ai pas de chat. Et les plantes ont un système d’arrosage automatique.
Il est probable qu’il avait voulu garder une distance, maintenir la jeune femme loin de sa vie privée, de ce refuge où, jusque-là, elle n’avait pas pénétré. Et voilà qu’elle avait franchi les ultimes barrières.
— Pourquoi ces barrières ? Pourquoi si longtemps ?
Sergueï donna encore un tour de poivrier, ajouta une pincée de paprika et battit vigoureusement les œufs. D’un geste vif, il versa le mélange dans la poêle qui grésilla. Sa cuisine était petite, mais bien conçue. Le comptoir permettait aux invités de s’asseoir et de le regarder officier tout en discutant. Ce que faisait Wren.
En fait, ils avaient parlé toute la nuit. Ou plutôt, Sergueï avait parlé, évoquant le Silence, ses agents, son travail en tant qu’Opérateur. Et Wren l’avait écouté tout en déambulant dans l’appartement, effleurant de sa main les objets auprès desquels elle passait. On eût dit une aveugle qui ne peut découvrir le monde que par le toucher. Ce qui avait été son antre, sa tanière, portait désormais la marque de la jeune femme. Tout comme son passé, désormais.
Il allait falloir un peu de temps pour que ces deux aspects de sa vie s’habituent l’un à l’autre.
— La question, reprit-il, est plutôt : pourquoi es-tu venue ce soir ?
Wren s’agita sur son haut tabouret, visiblement désireuse d’éviter le sujet.
— Euh… si je te parlais de prémonition, tu me croirais ?
— Non.
Les dons de seconde vue de la jeune femme étaient, pour ainsi dire, quasiment nuls. Sa Wren était entièrement dans l’ici et le maintenant.
— Hmm, pourquoi mes verres ne brillent-ils jamais comme ça ? dit-elle en observant le gobelet éclatant dans lequel elle venait de verser du jus d’orange. Ils sont toujours ternes.
— Wren…, lança Sergueï en hochant la tête, un sourire aux lèvres.
Elle faillit éclater de rire. Décidément, il y avait des choses qui ne changeaient pas. Qui ne changeraient jamais. C'était toujours amusant d’agacer Sergueï.
— O.P. est passé à la maison, hier.
Hier ? Seulement hier ? Il lui semblait qu’une éternité s’était écoulé depuis.
— La Cosa, les trucs habituels, poursuivit-elle.
Brièvement, elle se demanda si elle devait lui communiquer les renseignements obtenus. Elle décida que non. Est-ce que ce n’était pas un peu « deux poids, deux mesures » ? Après tout, elle venait de passer six heures à fouiller dans le passé de Sergueï. Mais là, il s’agissait de la Cosa, et ça ne faisait pas partie de leur partenariat. Enfin, pas vraiment. D’un froncement de sourcils, elle chassa la petite voix qui lui rappelait que Sergueï était son représentant auprès du Conseil, chose qui l’arrangait bien, non ?
De toute façon, le cher homme ne se sentait jamais à l’aise quand elle évoquait la Cosa.
Quant au rôle de bouc émissaire que semblait lui réserver le Conseil, cela pouvait attendre. Elle avait déjà assez à faire comme ça avec la mission Frants, sans y rajouter le Conseil, les Fatae, le Silence… N’en jetez plus ! semblait gémir son cerveau.
Donc, on verrait ça plus tard. Ils avaient besoin, tous deux, de se concentrer, pas de se disperser. Et puis, ce n’était sans doute qu’une affaire mineure.
Cela n’était peut-être pas la décision la plus sage, mais ce ne serait ni la première, ni la dernière qu’elle prendrait. Et puis, il y avait cette incertitude, ténue, infime, mais présente. Combien de renseignements, donnés par elle, Sergueï avait-il transmis au Silence ? Il y avait des loyautés en jeu qu’elle ne pouvait ni ne voulait trahir.
« Bon. De quoi parlions-nous ? Ah oui, O.P. »
— J’ai eu besoin d’aller faire un tour, après, reprit-elle.
— En ville ? Ça a dû être une sacrée discussion.
Sergueï n’insista pas. Il savait qu’elle n’en dirait pas plus.
— Hmm… Quand j’ai voulu rentrer, je me suis aperçue que j’avais oublié mon portefeuille…
— Et tu t’es dit que tu pouvais passer ici pour emprunter un ticket de métro.
— En fait, je pensais prendre un taxi…
Elle essaya d’adopter un air mutin, et ne réussit qu’à bâiller. La fatigue s’abattit soudain sur elle. Instinctivement, elle vérifia l’état de sa réserve de Courant. Il ne restait presque plus rien. Au besoin, elle pouvait puiser à des sources extérieures, mais c’était comme… comme de ne pas dormir pendant une semaine. Etre capable de faire quelque chose ne voulait pas dire que c’était une bonne idée.
Elle avait besoin de se recharger, et vite. Pomper en catastrophe le courant de l’appartement d’autrui, ce n’était pas très poli.
Sergueï coupa délicatement l’omelette en deux et en fit glisser une moitié dans l’assiette de la jeune femme, l’autre dans la sienne. Au même instant, les tranches sautèrent du grille-pain et une délicieuse odeur de grillé se répandit dans la cuisine. L'estomac de Wren grogna. Sergueï se mit à rire.
— Mange d’abord. On parlera du taxi après.
Il prit place à côté d’elle et attaqua sa part. Wren en fit autant. Tous étaient des cuisiniers plutôt médiocres, mais elle s’en fichait. Elle mourait de faim !
Quand ils eurent fini et lavé la vaisselle, l’horloge de la cuisine marquait 8 heures. Sergueï partit prendre une douche, en grommelant quelque chose à propos d’un rendez-vous, cet après-midi.
Wren en aurait bien pris une, elle aussi, mais il n’y avait, ici, aucun vêtement de rechange pour elle. L'idée d’être propre et d’enfiler de nouveau ses vêtements sales lui répugnait. Elle se contenterait de voler à Sergueï une paire de chaussettes, et… ce n’était pas du tout parce qu’elle mourait d’envie d’examiner sa chambre.
Elle mit en route un café frais et grimpa jusqu’à la mezzanine. L'aménagement était sobre, à la japonaise. Recouvert d’un édredon rouge sombre et pourvu de deux oreillers en plumes, le lit présentait des dimensions étrangement carrées ; il était grand, mais sans plus. A dire vrai, l’espace qu’offrait la mezzanine n’était pas immense. Sur le côté, une petite table d’ordinateur à roulettes, recouverte d’une pile de papiers surmontée d’une tasse en porcelaine raffinée. Le long du mur, une armoire et une commode, du même bois blond que le cadre du lit. Et c’était tout.
Wren aurait volontiers prolongé son « inspection », mais le bruit de la douche au-dessous s’arrêta. Ouvrant un tiroir au hasard, elle attrapa une paire de chaussettes, dévala les escaliers, saisit au vol sa veste posée sur le pommeau de la rampe, et courut prendre ses bottes près du canapé. Après quoi, elle ralentit le rythme et pénétra d’un pas tranquille dans la cuisine où Sergueï venait de se servir un café. Vêtu d’un pantalon noir, d’une chemise blanche immaculée, les cheveux humides lissés en arrière, il paraissait si frais que Wren eut soudain désespérément besoin d’une brosse à dents et de dix heures de sommeil. Distraitement, elle jeta un regard vers la petite fenêtre de la cuisine et écarquilla les yeux à la vue des nuages qui assombrissaient le ciel.
— Bon sang ! Je ne l’ai pas senti venir.
— Tu étais sans doute trop préoccupée, lui suggéra Sergueï d’une voix douce.
Elle hocha la tête. La tension émotionnelle de la nuit, plus le fait que l’immeuble où habitait son associé était moderne et bien isolé, avaient dû effectivement l’empêcher de percevoir les signes avant-coureurs de l’orage.
— Un premier front est passé au sud de la ville, cette nuit, d’après les informations. Sans doute était-il trop loin pour que tu te sentes affamée.
De fait, à présent, elle ressentait une faim dévorante — une faim que nul aliment ne pouvait satisfaire. Glissant un bras sous le sien, son compagnon la guida vers la sortie. Dans le hall d’entrée, ils attendirent l’arrivée du taxi que le portier avait appelé pour eux, puis ils s’y engouffrèrent.
Wren ne protesta pas en voyant son compagnon monter avec elle. Depuis un certain petit incident, cinq ans auparavant, à propos d’un balcon étroit et d’un orage, elle acceptait sa présence.
Quand ils arrivèrent chez elle, il était 10 heures passées. L'air était lourd et dense, comme s’il tentait de se solidifier. Wren déposa rapidement son sac à l’appartement et escalada l’échelle de secours jusqu’au toit. Se tenant à une distance raisonnable du parapet, elle observa les immeubles brun rouge de son quartier et écouta la rumeur de la circulation qui montait des rues au-dessous. L'odeur caractéristique de la ville au printemps, mélange d’ozone et de gaz d’échappement, emplissait ses narines. Elle regarda les nuages qui arrivaient, imaginant qu’elle se tenait sur une colline, foulant sous ses pieds l’herbe fraîche, sa peau frissonnant sous la brise aiguë qui annonçait l’orage.
L'opération était beaucoup plus délicate en ville. Mais la difficulté avait son côté positif : elle vous rendait plus attentif au Protocole. Le Protocole — la procédure qui permettait d’aspirer l’énergie — réduisait les risques d’être emporté dans le Courant. Voire anéanti.
Un grondement sourd roula dans les airs, l’obscurité s’accrut. Une rafale de vent froid gonfla le T-shirt de Wren, qui se félicita d’avoir conservé sa veste en cuir. Elle sentait l’approche de l’orage à la façon dont les poils de ses bras et de sa nuque se hérissaient, à l’irritation qui gagnait tout son système nerveux, à l’accélération involontaire de sa respiration.
Comme de la limaille réagissant à un aimant. L'énergie présente dans un orage prenait une multitude de formes différentes. Quand il était sorti avec son cerf-volant et sa clé métallique, Benjamin Franklin n’avait pas seulement découvert une nouvelle façon d’éclairer les intérieurs. Pour la plupart des Talents, l’électricité créée par l’homme constituait la seule source d’approvisionnement. Une source qui avait l’avantage d’être domestiquée, maîtrisée. Aucun risque d’être emporté, aspiré dans un tourbillon furieux et de perdre le contrôle de son esprit.
Mais s’il n’y avait pas de risque, il n’y avait pas de plaisir, ni d’ivresse possible. Bien sûr, Wren pouvait toujours se dire qu’elle était sortie prendre le frais sur le toit et admirer le déferlement des cieux. Mais si elle ne mentait pas souvent à Sergueï, elle ne trichait jamais avec elle-même. Fermant les yeux, elle tourna son visage vers l’est — vers le New Jersey d’où venait la tempête.
Autrefois, on accusait les variations atmosphériques d’influer sur l’humeur des hommes, au point qu’une théorie pseudo-scientifique sur le sujet avait même cours dans les procès criminels dont elle affectait parfois l’issue. Avec un peu de chance, ce joli petit orage suffirait à la recharger magiquement et émotionnellement. Elle pourrait alors redescendre et affronter toutes les catastrophes qui pointaient leur nez, sans se défouler sur Sergueï.
Le ciel devint entièrement noir. Dans les rues, l’éclairage municipal se mit en route et, derrière les fenêtres des immeubles, des lampes s’allumèrent. Un coup de tonnerre, bas et sourd, éclata plus près. Une pluie fine commença à tomber. Wren ôta ses bottes, puis ses chaussettes, et les jeta vers le petit hangar qui abritait l’entrée de l’escalier de secours. Un instant, elle hésita à faire suivre le même chemin à sa veste en cuir, puis renonça. En dépit de la sueur qui coulait sous ses bras et le long de sa colonne vertébrale, la veste était confortable. Et le confort était important, aussi.
« Bien. A présent, concentre-toi. Enracine-toi dans le sol. »
Elle entendait la voix de son mentor, une dizaine d’années auparavant. Et malgré l’énorme masse de béton qui se déployait sous ses pieds, elle parvenait à sentir la terre, et jusqu’à la roche sur laquelle était construite l’île de Manhattan, s’arrimant par mille liens au moindre atome de boue et de poussière. Concentration. Enracinement. Liens. Trois mots qui signifiaient une seule et même chose : « Pense à toi. »
Quand le premier éclair déchira le ciel sombre, Wren était prête. Alors, du fond de l’état de réceptivité extrême qui était le sien, elle s’avança. Mais l’énergie était encore trop faible, trop insaisissable. La pluie s’intensifia et elle fut bientôt trempée jusqu’à la moelle. L'eau ruisselait sur son visage, sur son corps, alourdissait ses vêtements, mais elle n’en avait cure. Ses doigts de pieds se recroquevillèrent comme pour mieux s’enfoncer dans un terreau lourd et plein. Renversant la tête, elle se mit à rire dans l’orage. Un autre coup de tonnerre éclata, suivi de près par un éclair. La tempête déferlait sur Manhattan avec une fureur majestueuse. Dans les câbles, les fondamentaux se mirent à bourdonner avec force, chantant leur joie, et Wren sentit l’énergie se gonfler en elle, déborder, l’entraîner.
Se concentrer. Attendre. S'enraciner. Attendre le tonnerre. Alors seulement, s’étirer.
C'était comme de glisser un doigt mouillé dans une prise électrique, comme de dévaler en roue libre des montagnes russes. C'était un moment de jouissance solitaire. La porte ouverte à la transmutation ultime que cherchaient ardemment les sorciers, la chair enfin transcendée dans un rayonnement magique. Une puissance brute envahit son corps. Grande était la tentation de s’y abandonner, de laisser le Courant l’emporter où il le voudrait.
« Non. Contrôle-toi. Concentre-toi. » Lentement, entre douleur et joie, Wren aspira l’énergie, la contraignit à obéir, à suivre la direction qu’elle lui imprimait. L'énergie résista, se rebella, force vive presque palpable, mais la jeune femme tint bon. Et le Courant se soumit à sa volonté, se plia à la structure rigide du Protocole.
La pluie faiblit. Des rayons de soleil filtrèrent entre les nuages, illuminant les eaux noires de l’Hudson. Des pans de ciel bleu réapparurent. Wren prit une profonde inspiration. Sa réserve d’énergie se remplissait lentement, sagement. Enfin, elle soupira, satisfaite, repue. Levant les bras, elle s’étira longuement. Et comme pour clore l’événement, un arc-en-ciel se dessina au-dessus de sa tête.
— Comment fais-tu ça ? demanda Sergueï, partagé entre l’émerveillement et l’irritation.
Wren sourit en entendant son associé. Elle n’était pas surprise. Tout au long de la séance, elle avait senti sa présence à l’arrière-plan de son esprit.
— Magie ! répliqua-t-elle joyeusement.
Elle ne plaisantait pas. Ou si peu. Elle se retourna. Sergueï se tenait sur le seuil du petit hangar. Rapidement, il s’approcha d’elle, ôta le blouson détrempé et lui jeta sur les épaules sa propre veste. Un bref instant, elle savoura la chaleur et le sentiment de sécurité qui en émanait. Le tissu de laine fine était doux et sentait ce parfum singulier, mélange d’eau de Cologne épicée et de chair légèrement salée, qu’elle aurait pu identifier au milieu d’une foule.
Peu importait ce qu’il lui cachait. Ce n’était pas la première fois qu’ils se blessaient mutuellement. Ni la dernière, sans doute. C'était inévitable, quand on connaissait quelqu’un aussi intimement, presque dans sa chair. Mais quel bonheur, aussi, cette proximité pouvait créer ! Wren sourit. Pas maintenant, ni même bientôt… Mais le bonheur était là, attendant patiemment. Comme l’énergie qu’elle sentait bourdonner en son centre.
— Tu te sens mieux ? demanda-t-il.
— Oh, oui ! Bon, il est temps de retourner au travail.

Le deuxième orage éclata une heure plus tard, obligeant les passants à courir se réfugier sous l’abri le plus proche, cependant que d’autres, à demi courbés sous leur parapluie, luttaient contre le vent. A la demande de Wren, Sergueï ouvrit toutes les fenêtres de l’appartement. La jeune femme était encore étourdie par la soudaine accumulation d’énergie en elle. Survoltée, elle arpentait les pièces les unes après les autres comme un tigre en cage, s’arrêtant de temps à autre pour humer l’air frais et humide.
— Il se passe quelque chose, dit-elle soudain.
Assis à la table de la cuisine, des papiers étalés devant lui, Sergueï leva la tête et la dévisagea pardessus ses lunettes.
— Comment ça ?
— Je ne sais pas, répliqua-t-elle en reprenant sa marche dans le couloir. Mais je sais.
— Eh bien, fais-moi savoir quand tu sauras ce que tu ne sais pas comment tu le sais, répondit Sergueï en se replongeant dans ses notes.
Tant que le Courant ne s’était pas apaisé en elle, il n’obtiendrait rien de plus d’elle. Elle vibrait littéralement. Et le nouvel orage n’arrangeait pas la situation. New York étant New York, il se passait nécessairement quelque chose en ce moment.
Mais qui ne les concernait probablement pas.

Le hall d’entrée de Frants Enterprise était aussi immaculé que le jour où Wren s’y était rendue, une semaine auparavant. Les nuages projetaient une ombre sourde sur le marbre poli et le métal brillant. S'accordant instinctivement à l’atmosphère, les gardiens avaient baissé la voix pour discuter des résultats du dernier match de base-ball.
— Il a pris des risques. S'il avait réussi à tromper l’adversaire…
— Arrête de rêver. Tu sais très bien que leur saison est fichue.
— Ecoute, on est toujours dans la course. Les Mets n’auront pas une chance si, en face, tu leur mets Willie May.
Les yeux sur les écrans, ils continuèrent à débattre âprement. L'un d’eux se tenait debout, la main gauche détendue le long du corps, comme pour mieux saisir un pistolet inexistant dans un étui tout aussi inexistant. Le silence du hall était de temps à autre rompu par le claquement de talons d’un employé revenant d’un déjeuner qui s’était éternisé, ou d’un autre qui partait tôt ce jour-là. Le hurlement d’une sirène se rapprocha et, au bas des marches, dans la rue, les deux gardiens aperçurent un ambulancier qui se penchait à la fenêtre de son véhicule.
— Voulez-vous dégager la voie ?
« Espèce de salaud », complétèrent silencieusement les gardiens qui connaissaient le code de conduite new-yorkais. Soudain, un rayon de soleil perça entre les nuages, puis disparut aussi vite qu’il était apparu. L'homme qui était debout se frotta la nuque, mal à l’aise.
— Est-ce que tu as… ?
— Quoi ? demanda son collègue en le regardant avec curiosité.
— Rien. Ça doit être un courant d’air ou quelque chose comme ça.

Le spectre observa les deux hommes avant de se détourner dédaigneusement. Non. Ce n’étaient que de vulgaires employés. Pas le genre de celui qu’il cherchait. Les lieux avaient changé, mais peu importait. Cet immeuble était la chair de sa chair, et il en connaissait l’âme mieux que quiconque. C'était cet édifice de pierre et de métal qui l’avait appelé, tiré des ténèbres où il se morfondait. C'était là que tout avait commencé. Et que tout finirait.
Quand il aurait trouvé celui qui était responsable.
Quand il l’aurait puni. Détruit.