Le Frants
Building comptait trente-huit étages. Ce n’était pas, loin s’en
fallait, et même en cette ère post-11 septembre, le plus haut de la
ville. Ni le plus beau, d’ailleurs, ou le mieux situé. Mais depuis
de nombreuses années, il avait la réputation d’être le plus sûr, et
le mieux gardé. Jamais de fausses alertes entraînant l’irruption
des pompiers, jamais de vols requérant l’intervention des
policiers. De l’avis de tous, c’était un lieu idéal pour
travailler. Les neuf sociétés et les deux cabinets d’avocats
internationaux qui se partageaient trente-six étages n’auraient
déménagé pour rien au monde.
Oliver Frants pouvait, en toute légitimité, se
montrer fier de son immeuble. Ce dont il ne se souciait guère dans
l’immédiat.
— Pourquoi me faites-vous perdre mon temps ?
lança-t-il d’une voix sèche dans le micro de ses oreillettes.
Entouré de ses gardes du corps, l’un devant,
l’autre derrière, il se dirigea vers l’ascenseur privé. En temps
normal, les vigiles ne le suivaient pas à l’intérieur de
l’immeuble. En temps normal.
Les portes de l’ascenseur se refermèrent.
— Je vous paie largement. Plus que largement.
En retour, j’attends que
vous accomplissiez la mission dont je vous ai chargés. Est-ce trop
demander ?
Vêtu d’un jogging gris trempé de sueur, Oliver
Frants regagnait ses appartements, installés sur les deux derniers
niveaux. Complètement rénovés une dizaine d’années auparavant, ils
avaient été insonorisés et isolés des espaces de bureaux. Les deux
étages différaient dans leur style. Celui du haut offrait un
spectacle quelque peu chaotique : sur la table basse du salon, des
livres aux couvertures écornées voisinaient avec des magazines
pornographiques. Autour d’une télévision à écran plat étaient
disposés un canapé et des fauteuils dont le cuir usé avait perdu sa
forme originelle. La plante verte placée près des baies vitrées
piquait du nez, assoiffée. Et la vaste cuisine ouverte débordait
d’assiettes empilées et de restes de plats.
La pièce principale distribuait sept chambres,
chacune pourvue d’une trappe aménagée dans le sol. Trappe qui
ouvrait sur un toboggan incurvé, ou sur une échelle — le tout en
plastique. Il n’y avait, en ces lieux, pas le moindre morceau de
métal, pas le moindre système informatique non plus. Rien qui
puisse conduire le Courant, ou qui puisse évoquer un intérieur
high-tech.
Les trappes, donc, permettaient d’accéder
directement au niveau inférieur, luxueusement aménagé : somptueux
mobilier en acajou, vitrines abritant des objets de prix, tapis
persans, joujoux électroniques dernier cri.
En haut, les sept gardes du corps. Au-dessous, un
homme. Un seul.
Frants sortit de l’ascenseur et se dirigea vers
son appartement. Le premier garde ouvrit la porte et jeta un regard
circulaire à l’intérieur.
— La voie est libre, annonça le second garde,
l’œil collé au scanner qu’il tenait à la main.
D’un signe de tête, le premier confirma.
— C'est bien. Laissez-moi.
Les deux vigiles se regardèrent, puis le premier
acquiesça. Si le boss voulait être seul… L'un d’eux attendrait
dehors, au cas où il changerait d’avis. L'autre regagnerait
l’appartement du dessus. Un troisième se trouvait, en outre, dans
la salle de sports de l’étage inférieur. Personne, donc, ne pouvait
approcher des appartements privés du patron sans que l’un d’eux
n’en soit immédiatement averti.
— Chérie, me voilà !
Frants éclata de rire et ôta ses baskets qu’il
laissa traîner par terre. Son majordome les ramasserait le
lendemain matin pour les désinfecter. Il détacha ses oreillettes
et, d’une main, se débarrassa de son T-shirt qu’il envoya dans le
panier à linge sale, avec ses chaussettes. Le majordome s’en
occuperait également.
Il se dirigea vers la cuisine, foulant des tapis
plus doux que la soie, indifférent à la sensation, désormais trop
familière, éprouvant néanmoins une inconsciente fierté de
propriétaire. Ouvrant le réfrigérateur, il se versa une grande
rasade de boisson protéinée, fraîchement préparée. C'était
écœurant, mais il l’avala d’un trait, sans sourciller.
Oliver Frants dormait peu, et il aimait à
s’en vanter. Une savante
combinaison de pilules, d’herbes, et une volonté de fer lui
permettaient de garder un esprit clair et affûté. Le temps,
affirmait-il, était trop précieux pour être gaspillé : l’homme
disposait d’un nombre d’heures limité, et chacune d’elles devait
être remplie.
Son père possédait une maison en banlieue, loin du
bruit et de la pollution. Son grand-père avait vécu dans un
appartement près d’Astor Place : il avait l’habitude de se rendre à
son bureau et d’en revenir chaque jour à pied. « Moi, répétait
volontiers Oliver Frants, je vis là où je chasse. Les affaires
n’attendent pas. »
— Peter ?
Son verre dans une main, son téléphone mobile de
l’autre, il se planta devant le grand écran vidéo et regarda
défiler les résultats des marchés outre-Atlantique.
— Bon. Où en est-on dans l’affaire McDonnell
?
Rageant de dépendre des autres pour sa sécurité,
il sentait physiquement la présence des gardes derrière sa porte.
Ses assureurs avaient exigé leur présence, mais il en était
profondément agacé. C'était comme une démangeaison impossible à
soulager. En outre, depuis le vol du bloc de marbre, il était suivi
non plus par un, mais par deux gardes. Et pas seulement à
l’extérieur, mais également à l’intérieur !
Au cours de la dernière décennie, Oliver Frants
n’avait quitté cet immeuble que pour quelques apparitions publiques
sous haute surveillance, et un certain nombre de voyages d’affaires
triés sur le volet. C'était moins dû à un sentiment d’agoraphobie
qu’à une obsession : il était viscéralement attaché à cet édifice du haut duquel il
dominait et manipulait le monde à sa guise.
Mais voilà… Cet univers si soigneusement
entretenu, préservé, venait d’être bouleversé par un vandale qui
n’avait pas hésité à mettre la main sur ce qui lui appartenait. A perturber sa sécurité. Peu importait ce que disaient ses
employés, pour qui le cambriolage n’était que la conséquence d’un
pari entre jeunes un peu éméchés, une sorte de défi absurde. Frants
prenait le vol pour ce qu’il était : un camouflet infligé à ce
qu’il représentait, à tout ce qu’il avait bâti.
La Solitaire qu’il avait engagée n’avait pas
encore résolu l’affaire. Il n’était donc pas question de perdre son
temps à dormir. Il fallait rétablir le monde dans son droit — le
droit dont Oliver Frants était le seul ordonnateur légitime.
— Et c’est maintenant que vous me prévenez ?
lança-t-il, d’un ton exaspéré, à son interlocuteur invisible. Une
semaine après la date limite ?
Il ne dédaignait pas la prise de risques, loin de
là : il avait consolidé la société que son grand-père avait créée.
Et s’il était aujourd’hui à la tête d’une multinationale puissante,
c’est précisément parce qu’il avait su prendre des risques
calculés, soigneusement mesurés. Il ne laisserait personne
fragiliser cet empire qu’il avait bâti de ses propres mains, en le
dépouillant de la Protection pour laquelle les Frants avaient payé
si cher !
Tant que la sécurité ne serait pas revenue, il ne
prendrait aucun repos. De toute façon, dès qu’il fermait les yeux,
les cauchemars surgissaient.
Bannissant l’idée même de fatigue, il s’obligea à la plus totale
maîtrise de soi.
— Cessez de vous excuser. Ils ne tireront aucun
profit d’une offre aussi ridicule. Que cherchent-ils ? Découvrez-le
! C'est pour ça que je vous paie !
Oliver Frants raccrocha brutalement, puis composa
un autre numéro sur son téléphone.
— Wilkinson. Gardez un œil sur lui. S'il montre le
moindre signe de faiblesse, remplacez-le. Rawkey. Oui. Rawkey
mérite une promotion. Veillez-y.
Satisfait, il posa son téléphone sur une splendide
table en marqueterie et se dirigea vers les immenses baies vitrées.
La ville s’étendait à ses pieds, brillante et multicolore comme un
assortiment de friandises sur un plateau. Il n’avait qu’à lever le
petit doigt, et elle serait sienne. Mais il voulait davantage. Bien
davantage. Il laissait aux autres le soin de se démener pour
marquer leur territoire et l’agrandir. Son ambition allait
au-delà…
Un bruit léger le fit se retourner. Un instant, il
considéra le corps étendu sur les draps d’un blanc immaculé. Un
sourire froid étira ses lèvres. La jeune femme était parfaitement
immobile, mais elle ne dormait pas : il le voyait à la sueur qui
perlait sur son visage, aux imperceptibles saccades qui agitaient
sa poitrine.
Il n’était pas cruel, non. Et il ne maltraitait
pas ses jouets. Simplement, il aimait à les voir… dociles. Denise
serait justement récompensée. Dès que ses plans seraient accomplis
— des plans qui dépassaient de loin le plaisir, somme toute banal,
qu’elle lui procurait au lit. C'était un bon petit soldat, et
elle irait jusqu’au bout de
l’engagement secret qu’elle avait contracté envers lui. Envers
Frants Enterprise.
Il se détourna et contempla de nouveau la ville
qui s’éveillait doucement.
Un rêve. Ce n’était qu’un rêve, le souvenir d’un
rêve… Si lointain, si triste, si désespérant.
La salle de classe était vide. Seul le soleil de
l’après-midi entrait à flots par les fenêtres du second étage.
Derrière elle, à l’autre bout du couloir, Wren pouvait entendre les
filles de l’équipe de foot dévaler l’escalier et ouvrir la lourde
porte coupe-feu. Le crissement des baskets, les cris haletants, les
éclats de rire semblaient provenir d’une autre planète.
Elle avança encore d’un pas et sentit la pression
de l’air se modifier. Elle eut l’impression d’être engluée dans
l’atmosphère poisseuse d’un sauna. L'angoisse, soudain, la
submergea. Le danger était là, palpable.
Fuir… il fallait fuir. Sans se retourner.
Disparaître, redevenir invisible comme auparavant. L'invisibilité
l’avait si longtemps protégée des prédateurs innombrables qui
rôdaient dans les lycées… Nerveusement, elle se rongea l’ongle du
pouce. Et continua à avancer.
— Monsieur Ebenezer ?
Elle eut du mal à reconnaître sa propre voix dans
ce murmure rauque et hésitant.
Elle savait qu’il était là. Malgré la densité de
l’air, elle pouvait sentir le bourdonnement discret du Courant qui
émanait de John Ebenezer. La magie laissait des traces.
Des traces si profondes, si insidieuses qu’elles
vous assaillaient parfois lorsque vous vous y attendiez le moins, vous donnant, un instant,
l’illusion qu’il existait un monde meilleur, avant de vous renvoyer
durement…
Fermant les yeux, Wren compta jusqu’à dix pour
parvenir à maîtriser le tourbillon d’émotions qui l’agitait. « Ne
te lance jamais tête baissée, réfléchis avant d’agir. » La voix de
son mentor résonna en elle…
Quand son pouls se mit à battre au même rythme que
le Courant qui flottait dans la pièce, elle rouvrit les yeux. Une
résolution nouvelle brillait dans ses yeux.
D’un pas ferme, elle se fraya un passage dans
l’air saturé et gagna la porte close, au fond de la salle. Sans
hésiter, elle posa la main sur la poignée et l’ouvrit.
Le laboratoire était plongé dans l’obscurité.
Seule brillait une petite lampe de bureau dont le halo éclairait un
visage pâle et tendu. Les yeux hagards, l’homme fixait ses deux
mains, étendues au-dessus de la lampe, dont les paumes semblaient
enfermer une chose invisible. Les doigts tremblaient sous l’effort,
et son corps tout entier était crispé par une tension extrême.
Autour de lui, la pression était insoutenable, parcourue de remous
violents qui l’épuisaient visiblement.
Le cœur serré, Wren ne retrouvait plus dans
l’homme qu’elle avait devant elle le professeur alerte, au regard
noisette pétillant d’intelligence, les cheveux bruns toujours en
bataille, qu’elle avait connu. Un professeur que tous
adoraient.
— Oh, John…
Toujours vêtu de sa blouse de laboratoire,
son mentor ne parut pas
entendre sa voix, ni même remarquer sa présence.
« Nous dansons sur une ligne. D’un côté, le
contrôle. De l’autre, le chaos. Deux mondes tout aussi terribles,
tout aussi séduisants. Si tu y tombes, tu n’en ressors plus.
Jamais. »
Elle entendait encore sa voix, trois ans
auparavant. Elle avait alors quatorze ans, et ils étaient assis à
une terrasse de café, sirotant paisiblement un jus de fruits. A
l’époque, elle n’avait pas vraiment attaché d’importance à ces
propos. L'idée d’être engloutie, anéantie, lui paraissait
impossible. Impensable. Elle n’y croyait guère plus aujourd’hui, à
dix-sept ans — jusqu’à ce que John disparaisse sous ses yeux.
« La magie a un prix. Quoi qu’on choisisse. » Trop
de contrôle, et la joie disparaissait. Impossible alors de créer,
d’improviser. Le Courant cessait d’être un don pour n’être plus
qu’un instrument, un outil. C'était la voie que voulait imposer le
Conseil. John se serait coupé la gorge plutôt que de s’y engager.
Mais le Chaos…
Le Chaos vous emportait, vous réduisait à néant.
Tout votre être était aspiré par le Courant, s’identifiait à lui,
jusqu’à ce que vous ne désiriez plus rien d’autre que créer,
disparaître, créer, disparaître… Dans un tourbillon sans fin.
Sa respiration devint rauque. Ses yeux
s’humectèrent de larmes brûlantes, comme sous l’effet d’une
allergie. Refoulant ses pleurs, elle tendit la main.
« Centre-toi. Enracine-toi. » Elle atteignit la
boule d’énergie qui bourdonnait en elle et entra en liaison avec
les flux qui vibraient à l’intérieur de l’édifice, qui couraient le
long des câbles électriques. L'énergie va à l’énergie, comme le fleuve va à la mer. Elle
sentait le Courant rouler et frissonner au creux de ses paumes,
apaisant sa propre tension. Doucement, elle plaça ses doigts glacés
et tremblants au-dessus de ses mains.
— John ?
Il ne répondit pas. La panique la heurta de plein
fouet, son estomac se révulsa.
— John, réveille-toi !
Dans la réalité, il s’était réveillé. Un bref
instant. Dans le rêve, il restait désespérément immobile,
silencieux.
— Nooon ! Je ne veux pas ! Je ne veux pas !
Haletante, elle se dressa sur son lit, les yeux
grands ouverts. La chambre était plongée dans le silence
particulier qui précède l’aube, seul instant de paix véritable que
connaissait la ville. Elle était trempée de sueur. Des mèches de
cheveux étaient collées sur son front, qu’elle écarta d’une main
tremblante. Des larmes se mirent à rouler lentement sur ses joues.
Elle avait mal. Mal de toute cette tristesse qui lui serrait
atrocement la gorge, et qui l’obsédait nuit et jour. « Ne me laisse
pas seule… »
— C'est à cause de l’ange, dit-elle à voix haute,
d’un ton entrecoupé. Rien d’autre. Juste l’ange.
Elle repoussa ses draps, et l’air frais apaisa les
frissons de son corps. Presque sans réfléchir, elle tendit la main
vers le téléphone et appuya sur la touche 1.
— Didier à l’appareil, marmonna une voix lourde de
sommeil.
Il l’avait quittée à peine trois heures
auparavant. Soudain, un profond sentiment de culpabilité
l’envahit. Il avait dû
s’écrouler sur son lit, tout habillé, lui qui détestait ce genre
de… désordre. Et elle venait de le
réveiller.
— Je… je te dérange ?
— Jamais, tu le sais, répliqua-t-il d’un ton plus
assuré. Quelques heures de sommeil suffisent, non ?
Elle l’entendit se redresser, réarranger ses
oreillers. Le sommier craqua. Un instant, elle eut l’illusion qu’il
était près d’elle, et elle l’imagina, repliant ses longues jambes
et rassemblant les couvertures éparpillées. Il aimait dormir sur le
dos, tandis qu’elle-même se recroquevillait en chien de fusil sur
le côté. Plus d’une fois, ils avaient réussi à s’accommoder d’un de
ces ridicules matelas dont sont pourvus les motels, voire d’une
simple bâche sous une hutte de fortune. L'argent, la réputation ne
faisaient pas tout…
— Un mauvais rêve, Zhenechka ?
Les chaudes intonations de sa belle voix grave la
rassuraient : sa « voix de la nuit », comme elle disait, et qu’il
lui réservait exclusivement, ainsi qu’au chat qu’il nourrissait en
secret dans l’arrière-cour de sa galerie.
— Oui… Enfin, non, je…
Toujours cette hésitation stupide. Pourquoi
l’appeler, si c’était pour ne rien dire ? Mais elle ne parvenait
pas à trouver les mots justes.
— Je… j’ai rêvé de John, articula-t-elle d’une
petite voix. De… de ce jour.
De ce Jour où son mentor avait admis enfin ce que
tous deux savaient au plus profond de leur cœur : qu’il était en
train de plonger dans le Chaos. De devenir un danger pour lui, et
pour elle.
De ce Jour
où le Talent avait cessé d’être un jeu pour devenir un engagement
grave, définitif, implacable.
Elle entendait le souffle long et régulier de
Sergueï, et se sentit tout à coup absurdement réconfortée, comme
s’il l’avait prise dans ses bras pour la bercer.
— J’ai peur, avoua-t-elle.
Peur, non pas seulement à cause du rêve, mais pour
tout ce qui était en train de se produire, de changer. Elle le
sentait au plus profond de son être, même si elle n’en discernait
pas la cause.
— Je sais, répliqua-t-il d’une voix basse et
profonde. Moi aussi.
Elle esquissa un faible sourire. C'était une des
choses qu’elle aimait en lui. Alors qu’une ville entière les
séparait et qu’ils n’étaient reliés que par la grâce ténue de la
technologie, il était capable de comprendre et de légitimer ses
peurs les plus intimes. L'idée lui parut soudain affreusement drôle
et pour la deuxième fois en cinq heures, elle se mit à
glousser.
— Wren ? appela Sergueï, d’une voix douce et
compréhensive. Ça ira, petite Wren. Détends-toi. La journée a été
rude, même pour un petit oiseau aussi coriace que toi.
Une douleur fulgurante traversa sa poitrine, et
lui coupa le souffle.
— Ne me quitte pas, murmura-t-elle, sans avoir
même conscience de ses paroles. Jamais.
Il y eut un long silence.
— Non. Jamais. Maintenant, rendors-toi, Zhenechka.
Je reste là, dors.
Rassurée, elle se roula en boule sur le côté,
tenant fermement le
téléphone contre elle, et sombra dans un sommeil sans rêve.
« Ne me quitte pas… » Les mots résonnaient en lui.
C'était à la fois le chuchotement désespéré d’une enfant terrifiée
et le cri du cœur lancé par une femme.
Il pouvait rester là, auprès d’elle. Ou la
protéger. Désormais, il ne serait peut-être plus capable
d’accomplir les deux. « Paie ton tribut au diable, il protégera les
siens. » Une garantie, oui, cela ne lui semblait pas une mauvaise
idée, à présent…
Alors, de l’autre côté de la ville, les yeux fixés
sur les lueurs roses de l’aube naissante, Sergueï Didier sut ce
qu’il devait faire.