En ouvrant
la porte, la première chose qu’elle aperçut fut le clignotant rouge
de son répondeur. Ce qui signifiait qu’il y avait un message. Avec
un soupir, elle jeta les clés dans le bol vert posé près du frigo,
et le courrier sur le comptoir de sa minuscule cuisine. Puis elle
appuya sur le bouton du répondeur.
« — Wren, il est 9 h 15… »
La voix calme de Sergueï s’éleva, aussi nette que
s’il était dans la pièce.
« — Je viens de vérifier ton compte. La moitié du
règlement a été déposée, comme prévu. »
Avec un hochement de tête approbateur, elle ouvrit
son réfrigérateur et en tira une bouteille de jus d’orange.
« — Puis-je me permettre de te rappeler que le
client attend une élucidation rapide de l’affaire ? »
Elle leva la bouteille vers le répondeur, dans un
salut moqueur, et but une longue rasade. Il n’était jamais question
de « travail », pour Sergueï. Uniquement d’« affaires »… Une
affaire est plus rémunératrice.
— Bon sang, Sergueï ! Même le Christ a mis trois
jours à ressusciter. Laisse-moi une petite chance !
La voix continua imperturbablement.
— Je suis déjà pourvue d’une mère-poule, mon
vieux, rétorqua Wren, en grimaçant en direction de l’appareil qui
s’arrêta avec un déclic discret.
Evidemment, ce n’était pas désagréable d’être
chaperonnée de la sorte, surtout pour ces petites choses qui
avaient une tendance perverse à vous sortir de l’esprit. Comme de
poster le chèque du loyer, par exemple.
En fait, c’était la base même de leur partenariat.
Sergueï s’occupait de l’argent, négociait, arrondissait les angles.
Wren, pour sa part, effectuait le travail — ou, pour parler comme
son mentor, « rectifiait la situation ». A chacun ses compétences,
en somme. Même si Sergueï ne refusait pas, au besoin, de retrousser
les manches, et si elle savait également marchander. Mais elle
était incapable de mentir avec l’aisance et la virtuosité de
Sergueï.
Une qualité, ma foi, fort précieuse. Et qui les
avait souvent tirés du pétrin…
Wren esquissa un sourire. Elle se rappelait ce
soir mémorable où Sergueï avait, en l’espace d’une heure, joué à la
fois le rôle de son père et de son mari, devant deux personnes
différentes. Il avait été tellement convaincant qu’elle s’était
amusée à l’appeler « papa » pendant plusieurs semaines, ce qui
l’avait passablement agacé.
Il était réconfortant, en tout cas, de savoir
qu’il était là et qu’au moindre signe d’elle, il accourrait. Rien
de magique à cela : c’était le résultat de dix années de
collaboration. En réalité, il y avait bien un peu de magie… Elle
avait sans doute prélevé un
peu plus de son énergie interne qu’elle ne le lui avait avoué, mais
elle en avait besoin pour pouvoir le retrouver dans n’importe
quelle circonstance. Dans la plus noire obscurité ou au beau milieu
de la foule.
Pour rien au monde elle n’aurait admis avoir
besoin de lui. Il aurait été trop heureux de s’en rendre compte !
Comme il aurait été heureux, aussi, de gérer ses finances… Ce
n’était pas qu’il ne l’en croyait pas capable, non. Simplement, il
était ultra-protecteur. Sans doute voyait-il encore en elle la
jeune fille de dix-sept ans qu’il avait rencontrée la première
fois. A cette époque, elle cherchait à comprendre son Talent, et
lui tentait de se débarrasser de deux magiciens particulièrement
irascibles.
Wren remit le jus d’orange au frigo, éteignit la
lumière et s’engagea dans le couloir. Dans la pièce qui lui tenait
lieu de salon et de salle de musique, elle alluma la chaîne stéréo.
Les premières notes d’un morceau de jazz s’élevèrent, et la tension
qui raidissait son dos au niveau des omoplates se relâcha. Un monde
pourvu de saxophones ne pouvait pas être fondamentalement mauvais,
non ?
Hormis la chaîne de musique, les deux
haut-parleurs et un confortable fauteuil en tweed brun, la pièce
était vide. Son acoustique était si parfaite que Wren s’était
refusée à la perturber par un excès de meubles : ç’aurait été un
véritable sacrilège !
Elle aimait bien son cinq pièces sans ascenseur —
un véritable palace, pour Manhattan —, même si les pièces en
question n’étaient pas plus grandes que des mouchoirs de poche.
Outre la salle de musique et la cuisine, le couloir distribuait
trois autres chambres dont
chaque fenêtre donnait sur le mur de briques de l’immeuble voisin.
La salle de bains avait subi de nettes améliorations au cours de la
décennie, faisant passer le loyer du tout juste raisonnable au
modérément douloureux.
Certes, les voisins n’étaient pas des plus
agréables, dans le genre soupçonneux. L’ascension des cinq étages
était terrible, particulièrement en été. Et la circulation sur
Houston Street était parfois insupportable. Mais Wren s’en moquait.
Quand, deux ans auparavant, elle était entrée dans l’appartement
sur les talons d’une agent immobilière hystériquement collée à son
portable, elle avait senti couler en elle un véritable sentiment de
confort, comme si elle avait pénétré dans un de ces courants
d’énergie psychique que sont les méridiens. Elle venait de trouver
son foyer. Son sanctuaire. Tôt ou tard, l’immeuble finirait bien
par passer en copropriété, et elle pourrait l’acheter. C'était pour
cette raison qu’elle versait presque tout l’argent gagné sur un
compte d’épargne. Pas de vacances, pas de joujou hors de prix, pas
de folie.
Wren était une jeune femme pragmatique. Certes,
elle se savait compétente dans sa partie, mais aucune carrière
n’était éternelle. Surtout avec les risques inhérents à son
activité. Elle se montrait donc prévoyante. Et elle priait pour que
la nature humaine ne change pas, et continue à avoir besoin de son
Talent.
Jusqu’à présent, aucun problème de ce côté-là. Il
en est toujours qui convoitent ce qui ne leur appartient pas, et
d’autres qui sont prêts à payer pour récupérer ce qui leur
appartient.
— Facture de téléphone, carte de crédit,
boniments, niaiseries et fadaises politiques, marmonna-t-elle, en
jetant les papiers à mesure dans la poubelle de tri, sous sa table
de travail.
Elle feuilleta ensuite rapidement les prospectus.
On lui proposait encore d’éradiquer les cafards. En l’occurrence,
les éradiqueurs étaient bien plus gênants que leurs victimes,
parfaitement inexistantes à ce jour. Le Courant se trouvait, en
effet, avoir un effet insecticide aussi puissant que
sous-utilisé.
— Si je parvenais à commercialiser ce petit effet
secondaire du Courant, m’man, lança-t-elle en direction de la photo
épinglée sur le tableau de liège, je nous rendrais riches en une
nuit ! Et Sergueï aussi.
La pièce qui lui servait de bureau était certes la
plus grande de l’appartement, mais elle parvenait tout juste à
contenir une table de bois noir, sur laquelle trônaient son
ordinateur et son kit téléphone, un confortable fauteuil en tissu,
et, dans le coin, une haute plante verte. Le panneau de liège,
au-dessus de la table, était littéralement recouvert d’un fouillis
de papiers et prospectus, d’où émergeait la photo de sa mère.
Contre le mur en face, deux meubles de rangement servaient aussi de
fourre-tout. Wren avait posé dessus toute une série d’objets
parfaitement étranges et extrêmement utiles qu’elle ne savait où
mettre. Un peu plus loin, une bibliothèque de fortune avait été
aménagée dans une armoire dont on avait ôté les portes. Un store en
papier de riz, placé sur la fenêtre, laissait passer la lumière
tout en empêchant les regards inquisiteurs.
Elle
s’assit et alluma l’ordinateur. Tandis que la machine se mettait à
bourdonner, elle composa rapidement un numéro sur son téléphone et
enfila ses oreillettes avec une moue. Ce sacré machin finissait
toujours par s’emmêler dans ses cheveux ! De toute façon, elle
n’avait pas le choix… Le téléphone comme l’ordinateur avaient été
complétés par tant de dispositifs contre les coupures de courant
qu’elle ne pouvait rien y changer sans provoquer un véritable
désastre.
Une sonnerie retentit. Puis un « Allô » sec claqua
à ses oreilles.
— C'est moi.
La voix rauque de Sergueï se modifia
imperceptiblement, et seul quelqu’un de très averti aurait pu y
percevoir une nuance d’affection.
— Tu es allée sur place ?
— Oui. J’ai fait ce que j’ai pu, répondit Wren
laconiquement.
Avec un soupir, elle se renversa dans son fauteuil
et posa ses pieds sur la table noire. Ses mocassins avaient besoin
d’un bon coup de cirage.
— Aucune bavure à l’extérieur. En revanche, sur le
plafond, à l’intérieur, un joli petit indice. Même si, en fait, il
pourrait bien être là depuis qu’Adam a renoncé à sa feuille de
vigne. Ça exclut le reste, en tout cas. Vol à distance, aucun
doute. Un pro, acheva Wren avec un petit hochement de tête.
— Magicien ?
Comme l’immense majorité de l’humanité, Sergueï
naviguait dans cette vaste zone située entre Profanes et Talents.
Cependant, leurs dix années de fréquentation assidue lui avaient permis d’acquérir un savoir
suffisant pour avancer quelques hypothèses.
— Bravo, répliqua-t-elle avec une légère pointe de
sarcasme. Il s’est servi du câblage de l’immeuble pour transmettre
l’incantation. Les employés ont dû être sacrément mystifiés. Je
suis sûre qu’ils auraient été incapables de dire quelle était la
couleur de leurs chaussettes.
— Bon… Il en a donc profité pour subtiliser la
pierre angulaire. Comment ?
Wren esquissa encore une moue.
— Je ne sais pas encore très bien. Une
Translocation, probablement.
En soi, une incantation de Translocation n’était
pas difficile à réaliser, sous réserve d’utiliser les bons canaux
et de disposer d’un pouvoir efficace. Mais le cas présent sortait
largement de l’ordinaire. Si le voleur n’était pas sur place, il
lui fallait être impérativement en ligne de mire. Ce qui était tout
bonnement impossible. On ne pouvait accéder à la pierre sans
laisser de marques d’effraction. Or, il n’y en avait aucune. En
outre, un vol à distance de cette ampleur coûtait très cher, et
plus grande était la distance, plus élevé était le prix. Même le
plus génial des Talents devait manger et payer son loyer. Et une
Translocation de ce genre vous épuisait pour une semaine au
moins.
— Peut-être le voleur avait-il l’intention de
remplacer la pierre par autre chose pour maintenir l’intégrité du
volume, poursuivit-elle. Ce qui est le problème numéro un d’une
Translocation. Mais l’alarme l’a dérangé.
Wren fouilla dans la pile de papiers posée sur son
bureau. Elle en retira le plan du bâtiment, découpé en carrés de
douze par douze pour plus de commodité, et recouvert d’encre rouge
— écriture de Sergueï — et de taches bleues — pâtés de Wren.
— Oui. Une alarme. J’ai senti les échos quand je
suis descendue au sous-sol. Un joli petit dispositif
anti-magiciens, ma foi. Il y a quelqu’un qui est un peu nerveux,
là-dedans, si tu veux mon avis. Je me demande si le voleur en
connaissait l’existence, ou s’il s’attendait à un boulot du genre «
Je prends, je m’en vais ». Et avant que tu ne paniques, non, je ne
l’ai pas déclenchée à mon tour… Les paramètres sont bien trop
élevés pour une pauvre petite chose comme moi.
Pur mensonge… Elle avait décelé les fils
invisibles à temps et s’était glissée entre eux. C’était plus une
question d’attitude que de Talent. De toute façon, elle n’entrerait
jamais au Conseil des Mages, même s’ils la lobotomisaient. Elle
savait parfaitement détourner l’attention d’elle-même. Son mentor
appelait cela la Dissociation — façon chic de dire qu’elle savait
faire croire aux gens, ainsi qu’aux objets comme les alarmes,
qu’elle n’était pas là.
Le seul hic, c’est qu’elle était un peu trop
dense, magiquement parlant. Elle savait
canaliser le Courant, mais parfois, l’énergie empruntait des voies
étranges et l’empêchait d’accéder à des Talents essentiels comme la
lévitation ou la translocation. Dommage, car ç’aurait été
infiniment utile pour sa carrière.
— Alors, ton avis ? Chantage ? Rançon ? Du genre : « J’ai ton incantation,
qu’est-ce que tu me donnes en échange » ?
— Ou préparation du terrain en vue d’une attaque
directe.
Sergueï prenait un ton détaché, comme s’il livrait
une pensée longuement mûrie.
— Pourquoi pas ? grommela Wren. Bon, je sais, ce
n’est pas notre problème. Moi, je préférerais le chantage.
Sacrément plus facile de retrouver quelqu’un qui a l’obligeance de
vous envoyer une carte de visite.
Si seulement elle était meilleure Conductrice !
Elle haussa les épaules. Le côté positif de sa densité, c’est
qu’elle risquait moins qu’un autre de voir son esprit emporté par
le flux magique. Le Courant ne pourrait jamais pénétrer dans
certaines parties de son cerveau.
— Et puis, on perçoit mieux les bourdonnements,
déclara-t-elle à voix haute.
— Tu dis ?
— Rien. Ecoute, ce Magicien est peut-être subtil,
mais pas forcément malin. Il a secoué les Fondamentaux, en oubliant
tout bonnement de les endormir au préalable.
— Ce qui, en langage simple, veut dire ? demanda
Sergueï, sur un ton de patiente exaspération.
Oubliant qu’il ne pouvait la voir, Wren esquissa
une belle grimace. C’était si amusant de parvenir à troubler
Sergueï ! Il s’identifiait tant à l’homme d’affaires qu’il en
oubliait parfois de cesser d’y jouer.
— Si tu écoutais ce que je te raconte, de temps à
autre, tu le saurais, répliqua-t-elle doucement.
Il avait
d’étranges blocages sur certains aspects du Courant. Wren avait
renoncé à comprendre pourquoi. Et puis, après tout, il était normal
que les non-spécialistes se sentent perdus. Ou qu’ils n’aient pas
envie d’y regarder de trop près, comme Sergueï.
— J’ai examiné le système électrique,
poursuivit-elle. Il grouillait de fondamentaux. Pas agressifs, mais
agités, comme s’ils avaient reçu une forte charge de courant. Quand
je les ai bousculés, ils se sont à mis crier. Comme s’ils
attendaient le retour de cette chose…
Une fois qu’elle les avait eus en main, elle avait
pu récupérer le résidu de l’explosion de magie. Ça, c’était un
autre de ses Talents : savoir lire la magie, comme d’autres
déchiffrent n’importe quel code. Le revers de la médaille étant
qu’en cas d’afflux énergétique extrême — un violent orage, par
exemple —, elle ressemblait à un chat piquant une crise de folie.
Mais le reste du temps, elle exploitait ce don avec virtuosité.
Comme un vrai chien de chasse, elle remontait la piste, et flairait
la magie avec une acuité remarquable. Jamais, dans aucun grimoire,
ni aucun livre de magie, elle n’avait vu mentionné ce Talent.
Peut-être lui était-il spécifique. Ou alors, si d’autres le
possédaient, ils n’en parlaient pas plus qu’elle. Bref, elle
l’utilisait sans savoir comment ça marchait, ni pourquoi.
Après tout, elle n’en savait pas plus sur son
ordinateur, et il fonctionnait très bien. La plupart du temps, en
tout cas.
— J’ai recueilli suffisamment de traces
émotionnelles du voleur pour
être capable de l’identifier, la prochaine fois.
Sergueï émit un étrange grognement qui semblait
venir du fond de sa gorge. Wren savait qu’il lui était tout
spécialement destiné. Jamais, elle en était sûre, il ne le ferait
entendre devant des clients ou devant les prétentieux
collectionneurs qui fréquentaient sa galerie d’art. Elle appelait
cela la « plainte adressée à Wren ».
— Voilà qui ne nous aide pas beaucoup, dit-il. A
moins que tu ne rentres dans ce type.
— Ou cette femme.
— Ou cette femme, en effet. Wren…
Un soupir. Un bruit de froissement. Il était en
train de tourner et retourner dans sa main l’une de ces longues
cigarettes brunes qu’il emportait partout et ne fumait
jamais.
— Oui, je sais, répliqua-t-elle. Ça ne nous aide
en rien. Mais quoi, tu attendais qu’il laisse une carte de visite ?
Ça arrive, sûr, mais pas souvent. Ce qui n’est pas plus mal,
d’ailleurs, sinon nous n’aurions plus de travail.
Cette fois, Sergueï émit un bruit hybride qui
pouvait signifier l’accord, l’amusement, ou simplement qu’il
s’éclaircissait la voix.
— Ecoute, tout ce dont j’ai besoin, reprit-elle,
c’est d’une liste raisonnable de ceux qui ont quelque chose à
gagner à la disparition de la pierre. A partir de là, on creuse
pour voir qui est capable de réaliser un tel vol, ou qui a les
moyens d’engager un mage de cette puissance. Ensuite, je pars en
chasse et je rapporte la pierre rien qu’en claquant des doigts.
Donc, pas de souci. De l’argent facile, tout ça !
Wren appuya sur le bouton du téléphone sans se
préoccuper de dire au revoir, et se redressa en grimaçant. Il
allait falloir qu’elle se remette à la gym, car elle s’était un peu
ramollie, cet hiver. Les derniers temps, elle avait surtout
travaillé devant un bureau.
Avec un soupir, elle classa cette pensée dans le
tiroir étiqueté « Quand j’aurai du temps » et, saisissant son
clavier, se mit en devoir d’envoyer quelques mails à ses contacts —
humains et moins humains — pour recueillir tout commérage
intéressant qui aurait circulé dans la Cosa Nostradamus.
L’un des avantages qu’il y avait à appartenir à
une communauté dont le monde, dans son immense majorité, ignorait
l’existence, était que le téléphone arabe y fonctionnait avec une
célérité et une efficacité remarquables. Elle envoya dans l’espace
cybermagique quelques messages de son cru, certaine d’avoir une
piste à suivre avant l’heure du déjeuner.
D’ailleurs, en parlant de ça… Elle attrapa de
nouveau ses oreillettes et composa un numéro.
— Salut, c’est Valère, 5 J. Une pizza fromage et
un litre de ginger ale. Mettez sur la note.
Elle se tut un instant, puis éclata de rire.
— Oui. A vous aussi. Merci.
Reposant ses oreillettes, elle ébouriffa ses
cheveux et glissa un regard en coin vers la photo de sa mère qui la
fixait avec désapprobation.
— Ecoute, m’man ! lança-t-elle d’un ton suppliant,
c’est un petit déj’ de champion, quoi ! Et à quoi ça sert, sinon, d’avoir une pizzeria
ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre près de chez soi
?
De toute façon, le frigo ne contenait rien, hormis
un reste de riz thaï qu’elle se réservait pour le déjeuner.
Elle avait une demi-heure avant le coup de
sonnette du livreur. Autant rentabiliser le temps. Tirant le
magnétophone de la poche de sa veste, elle le plaça devant elle.
Une brève prière pour que le courant qu’elle avait
malencontreusement absorbé ce matin n’ait pas mis les batteries à
plat, et elle appuya sur le bouton. Puis elle se mit à transcrire
en pestant silencieusement contre le parasitage sonore dû à la
proximité de son corps.
— Allez, petites cellules grises, marmonna-t-elle.
Donnez à maman quelque chose à se mettre sous la dent, pour que je
puisse en finir vite et avoir un vrai week-end !