De Pilate à son cher Titus
Je n’ai toujours pas retrouvé Claudia mais j’ai la réponse à la question de ma lettre précédente.
Assis pour bivouaquer au bord du chemin, j’avais, accablé par la chaleur, enlevé mon capuchon lorsqu’une main me tapota l’épaule.
— Mon bon Pilate, je n’aurais jamais pensé te voir avec une barbe.
Fabien, le beau cousin de Claudia, me contemplait avec son visage ouvert de Romain bien nourri de femmes et de viandes. Sans attendre ma réaction, il s’accroupit en face de moi, ordonnant à ses esclaves de parquer leurs mules dans le champ voisin.
— Quelle déception ! Non, excuse-moi, Pilate, mais je crois que Claudia nous a mis sur une mauvaise piste. Un roi, ce Yéchoua ? Incapable de tenir une lance, de diriger une armée. Au lieu de profiter de l’insondable crédulité du peuple à son égard, il se fait rare, mystérieux et maintenant il annonce son proche départ ! Quelle incohérence ! Quel manque d’opportunisme ! Et cette phrase, cette phrase idiote, si, si, je t’assure, il l’a prononcée, comment est-ce ?… « Aime ton prochain comme toi-même, y compris ton ennemi. » Absurde ! Inconséquent ! Un roi n’est roi que parce qu’il a des ennemis, qu’il en triomphe et qu’il s’en fait respecter. Un roi n’aime pas ! Non, ce garçon n’a décidément aucun avenir politique.
Fabien était si convaincu qu’il ne cherchait même pas mon assentiment. Il se releva.
— Je pars chercher du côté de Babylone. Ces gens-là ont une réputation d’excellents guerriers. D’eux pourrait venir le Roi annoncé par les devins.
Il époussetait sa toge, si convaincu de sa bonne décision que je ne pris même pas la peine de lui mentionner ma découverte concernant le signe des Poissons.
— Cela dit, Pilate, je ne suis pas mécontent de te voir arriver dans les parages. Sans me mêler de ce qui ne me regarde pas, tu aurais tout intérêt à ce que les idées de ce Juif ne se diffusent pas. Il propose une morale dangereuse, qui pourrait bouleverser tout l’équilibre de notre monde si elle avait le moindre écho : il prétend que tous les hommes sont égaux. Tu entends, Pilate ? Te rends-tu compte ? Aucun homme ne vaut mieux qu’un autre ! Cela veut dire qu’il attaque l’esclavage ! Imagine qu’on l’écoute, il pourrait provoquer une révolte, mettre tout l’ordre à bas, devenir un Spartacus qui réussit. Car la faiblesse de Spartacus, c’est qu’il restait un esclave qui avait ameuté des esclaves, tandis que ce Juif libre s’adresse à la terre entière et prétend briser toutes les chaînes. Méfie-toi, Pilate ! Surveille-le ! Bou-cle-le !
— Je l’ai déjà crucifié. Que puis-je faire de plus ?
Fabien me regarda longuement. Se repassant ma réponse dans son esprit, il tentait de se convaincre qu’il avait bien entendu ce qu’il avait entendu et il y eut un éclair de pitié méprisante dans ses yeux. Puis il éclata de rire.
— Que me racontes-tu, Pilate ? Je l’ai rencontré, ton homme, et pas plus tard qu’hier. Pas très solide, pas très fort sur ses jambes. Du charme mais pas de santé.
— Vous avez parlé ?
— Naturellement.
— Et alors ?
— Je n’ai pas été convaincu.
Fabien signala à ses hommes qu’ils allaient repartir.
Je ne pus m’empêcher de crier :
— Mais enfin, Fabien, tu as parlé avec un ressuscité !
Fabien ne cilla même pas. Il monta sur son cheval et me considéra avec désolation.
— Ah non, Pilate, tu ne vas pas me faire croire que tu gobes ça aussi ! Cela fait trop longtemps que tu demeures en Palestine. Décidément, le pouvoir est romain, la culture grecque, la folie juive…
Il donna un coup d’éperon et disparut.
Je n’avais même pas eu le temps de lui demander où était Claudia. Mais peut-être ne voulais-je pas l’apprendre de lui.
Je deviens compliqué. Ou beaucoup plus simple ? En attendant, porte-toi bien.