De Pilate à son cher Titus

Les pèlerins affluent de toutes parts, comme les ruisseaux joignent et grossissent le fleuve.

Les mêmes conversations, les mêmes anecdotes, les mêmes espoirs sont charriés par le courant, passant de bouche en bouche.

Chaque jour je ressens davantage l’énergie énorme, redoutable, formidable, qui pousse les flots des marcheurs. Cette force qui leur fait les yeux clairs, le front serein et les cuisses inépuisables, c’est la Bonne Nouvelle. Je commence juste à saisir ce qu’ils entendent par là. Ils croient qu’un monde nouveau commence, le Royaume dont parlait Yéchoua. Je m’étais mépris sur ce mot « royaume ». En bon Romain pratique, inquiet et responsable, j’y voyais la Palestine et je soupçonnais que Yéchoua voulait reprendre l’œuvre d’Hérode le Grand, abolir la division en quatre territoires, les réunifier, nous chasser et s’asseoir sur un trône unique. Puis, comme Craterios, j’ai pensé qu’il parlait d’un royaume imaginaire, un territoire d’après la mort, tel l’Hadès des Grecs, une promesse de salut. Je me suis trompé deux fois. Il s’agit en fait d’un royaume à la fois très concret et très abstrait : ce monde-ci va être transformé par la parole de Dieu. Il va demeurer en apparence le même, mais infiltré de l’intérieur par l’amour. Chaque individu va se changer lui-même. Pour que le Royaume advienne, il faut que les hommes le désirent. Si la graine tombe sur une mauvaise terre, elle sèche et meurt. Si, au contraire, elle tombe sur la bonne terre, elle croît et porte ses fruits. La parole de Yéchoua n’existera que si elle est reçue. Le message d’amour de Yéchoua ne se réalisera que si les hommes veulent bien aimer.

Je ne sais pas encore, mon cher frère, ce que j’en pense. Je jugerai plus tard. Mais j’apprécie que ce Yéchoua n’assène rien sans faire appel à la liberté de ses interlocuteurs. Quelle différence avec les prêtres qui vous assomment de dogmes, les philosophes de raisonnements, les avocats de rhétorique. Yéchoua ni n’impose, ni ne raisonne, ni ne convainc. Il sollicite une disponibilité intérieure, une porte que nous consentirions à ouvrir, et, à cette condition-là, propose son message qui nous offre une vie différente. Quelle étrange douceur…

Pas de nouvelles de Claudia. Parfois, mon cœur s’affole. Je ne sais combien de temps mettront mes messages à te parvenir… Qu’ils t’apportent, avec mes doutes et mes errances, mon affection. Porte-toi bien.