De Pilate à son cher Titus

Rien de nouveau, mon cher frère, sinon une barbe naissante qui me permet de circuler plus discrètement. Mais je ne me fais guère d’illusions sur ma capacité de passer pour un Juif : outre mes jambes lisses et poncées qui révèlent le Romain, je sais qu’une nation dépose toujours sa trace indélébile sur les traits d’un visage ; le langage fait autant la bouche que les dents ; le régime alimentaire huile ou assèche les peaux ; les mœurs créent des regards audacieux ou pudiques, mobiles ou fixes ; même le ciel qui les voit naître modifie la couleur des yeux. Aussi ai-je la nuque cassée à force de marcher tête courbée, capuchon baissé. Mon cou souffre autant que mes pieds.

Curieusement, alors qu’au départ de Jérusalem je m’estimais isolé au milieu des pèlerins, je me sens chaque jour plus proche des autres. Ce qui s’use sur ces chemins pierreux de Galilée, ce ne sont pas seulement mes semelles, mais le sentiment que j’avais d’être unique. Quelque chose me fait éprouver une plus grande proximité avec mes compagnons de voyage, je ne sais pas trop quoi… Peut-être la marche, la soif, la quête. Ou tout simplement la fatigue.

Porte-toi bien.