De Pilate à son cher Titus

Je marche toujours.

À certains moments, je ne suis même plus certain d’avoir un rendez-vous et je dois me remémorer la lettre de Claudia pour me donner de la force. Je suis persuadé qu’il en est de même pour les autres pèlerins. Où vont-ils ? Ils l’ignorent ; là où voudra bien apparaître Yéchoua. Pourquoi y vont-ils ? Ils ne le savent pas davantage ; ils sont poussés par quelque chose d’indistinct, une soif de l’esprit qui voudrait se rassasier à une vraie source. Ont-ils été conviés ? Aucun ne le fut personnellement car les messages de Yéchoua s’adressent à tout le monde ; seule sa foi permet à chacun d’estimer qu’il a le droit d’être là.

Étrange cohorte qui soulève la poussière pour l’élever dans le soleil.

Ce matin, lors d’une halte pour vérifier qu’une écharde n’entamait pas la peau encore tendre de mes orteils, une femme s’approcha.

— Laisse-moi te laver les pieds.

Avant même que j’eusse le temps de répondre, elle s’agenouilla, versa de l’eau douce sur mes membres meurtris et commença à les frotter délicatement. J’éprouvai un bien-être immédiat.

Puis elle les essuya avec un linge propre, secoua mes sandales poussiéreuses et me les rattacha. Je n’avais vu de sa tête penchée que ses beaux cheveux noirs coiffés autour d’une raie et partiellement couverts d’un voile.

— Merci, esclave.

Je lui tendis une pièce pour son travail.

Elle releva alors le visage vers moi et je découvris Myriam de Magdala, l’ancienne courtisane, une des femmes qui suivaient Yéchoua, peut-être la première à bénéficier d’une apparition.

— Je ne suis pas une esclave.

Elle souriait, nullement vexée, le front serein.

— Pardonne-moi de t’avoir offensée.

— Tu ne m’offenses pas. Si être esclave, c’est faire du bien à son prochain, je préfère être esclave. Yéchoua lui-même lavait les pieds de ses disciples. Peux-tu imaginer cela, Romain, un Dieu qui aime tellement les hommes qu’il s’agenouille pour leur laver les pieds ?

Sans attendre ma réponse, elle sourit encore et se releva.

— Hâte-toi, Pilate, ta femme t’attend avec impatience. Elle fait partie des bienheureuses auxquelles le Seigneur s’est montré.

— Où est-elle ? Quel chemin dois-je prendre ?

— Peu importe. Tu la trouveras lorsque tu seras prêt. Tu sais très bien que ce voyage, nous ne le faisons pas seulement sur les routes, mais d’abord au fond de nous-mêmes.

Et elle disparut.

J’ai donc eu la confirmation de mon rendez-vous. Je vais où mes pas me portent. J’espère que mes pieds sont plus intelligents que moi.

Au bout de l’encre et du parchemin que m’a procurés l’aubergiste, je te quitte en te souhaitant, mon cher frère, de te porter bien.