CHAPITRE XXI
 
Le trésor, enfin !

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FRANÇOIS et Mick se retrouvèrent de nouveau auprès de l'épave. Ils achevèrent de ficeler la corde autour du sac et François, d'une secousse brutale, s'assura que rien ne le retenait à la barque. Puis il enroula l'autre extrémité de la corde autour de son poignet et remonta en surface.

Mick était déjà sur le radeau, soufflant comme un phoque. Il le rejoignit et, debout, se secouant et s'ébrouant, il souffla et haleta deux fois plus fort que lui. Cette fois, les filles se mirent à rire.

« Est-ce fini ? demanda Claude. Voulez-vous que je vous frictionne ? »

François ne répondit qu'en secouant la tête de droite à gauche. Il grelottait de froid, mais il n'avait qu'une hâte : hisser le trésor hors de sa cachette. Se sécher et se rhabiller lui aurait fait perdre trop de temps. D'ailleurs, la moindre anicroche pouvait le contraindre à replonger une troisième fois et il fallait ne pas mouiller inutilement les serviettes… Elles étaient rares.

Il s'approcha du bord du radeau et commença à tirer sur la corde. Mick l'imita. La corde se tendit, le radeau s'inclina et Annie n'eut que le temps de se jeter sur la pile de vêtements qui, déjà, glissait vers l'eau.

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Mick était déjà sur le radeau, François le rejoignit.

« Ça vient ! » cria Mick donnant une secousse plus brutale. Mais il ne put en dire davantage, son pied glissa sur le bois mouillé et plouf ! il piqua une tête dans le lac.

Il remonta à bord en crachant.

« Il faut tirer moins fort, dit-il. Mais le sac a bougé, je l'ai senti. »

François approuva d'un signe de tête. Il tremblait de froid, mais ses yeux brillaient de joie.

Annie posa un imperméable sur ses épaules et un autre sur celles de Mick, mais ni l'un ni l'autre ne s'en aperçurent.

« Allez, cale-toi bien, et tire ! souffla François. Doucement ! Doucement ! Ça bouge. Nom d'une pipe ! ça vient pour de bon ! Tire, Mick ! Tire. »

Tandis que le lourd sac s'élevait, invisible à l'autre extrémité de la corde, le radeau penchait de plus en plus et les garçons reculèrent jusqu'à l'autre bord, craignant de le voir chavirer. Dagobert, très excité par ce jeu nouveau, se mit à aboyer bruyamment.

« Tais-toi », lui dit Claude. Elle savait combien l'eau porte les bruits et ce n'était vraiment pas le moment de réveiller les dormeurs sous leur tente.

Annie n'avait d'yeux que pour la corde qui, lourdement tendue, émergeait toron par toron au-dessus de l'eau noire.

« Ça vient, répétait-elle, ça vient. J'aperçois quelque chose de noirâtre. Oh ! c'est gros ! ça monte ! ça monte. Encore un effort ! »

Mais il fut impossible de hisser le sac à bord sans faire chavirer le radeau. Tel qu'il était, l'eau le couvrait en partie et, à chaque instant, les petites vagues causées par le remous venaient tremper ses occupants.

« Je ne vois qu'un moyen, dit François. Regagnons la terre ferme en traînant le sac derrière nous. Rhabille-toi, Mick. J'ai si froid que je ne sens plus mes doigts. Nous attendrons d'être dans le souterrain pour ouvrir le sac… »

Les deux garçons se séchèrent et s'habillèrent avec difficulté. Ils voulaient faire vite, mais il leur fallait faire attention au moindre geste qui aurait pu détruire le fragile équilibre de leur embarcation. Ce fut un soulagement quand tout le monde se retrouva en place, pagaies ou avirons en mains.

L'avant du radeau se dressait hors de l'eau, l'arrière s'inclinait dangereusement sous le poids du sac, et la manœuvre en était rendue plus ardue. Mais c'était bon de pouvoir se donner du mouvement. Une douce chaleur commençait à circuler sous les vêtements plus ou moins trempés. Dix minutes plus tard, personne ne grelottait plus et chacun se sentait à la fois satisfait de la réussite de l'entreprise et brûlant du désir d'arriver au terme de la course pour découvrir le contenu du mystérieux bagage.

Sa masse confuse traînant sous l'eau derrière l'embarcation, loin d'être un frein, semblait stimuler la rapidité de la course.

Dagobert partageait l'excitation générale. Debout au milieu du radeau, il ne quittait pas des yeux le mystérieux objet qui apparaissait et disparaissait au gré des remous créés par son passage dans le sillon de la barque.

Il leur fallut longtemps pour atteindre l'entrée du chenal, bien plus longtemps qu'ils n'en avaient mis en sens contraire, mais personne ne songeait à s'en plaindre. Personne même n'y pensait. Toutes les imaginations étaient tournées vers le moment proche où il serait enfin possible de connaître quel genre de trésor Hortillon avait confié à la Belle-Berthe.

Les enfants attachèrent le radeau à l'endroit exact où ils l'avaient laissé la veille afin que Margot et son complice ne puissent remarquer qu'il avait été utilisé depuis.

Mick et François reprirent pied sur la terre ferme et, de là, tirant sur la corde, ils hissèrent le sac hors de l'eau. Informe et ruisselant, l'objet de tant de peines leur parut avoir assez piteuse mine à la clarté de la lune. Mais sa vue ne provoqua que des rires, vite étouffés.

Les deux garçons le soulevèrent chacun par un bout, et le portant entre eux, regagnèrent les ruines, en suivant les lignes d'ombre des arbres et des murs aussi soigneusement qu'au départ. Les filles suivaient, Claude tenant Dagobert par son collier. Celui-ci avait bien compris que le silence était de rigueur cette nuit-là, et il lui emboîtait le pas sans un bruit.

Quand ils furent arrivés à la cuisine, François laissa choir le colis.

« Descends avec Dagobert, dit-il à Claude à voix basse, et allume les bougies. Les autres ont pu remarquer notre absence et en profiter pour visiter les lieux. »

Annie suivit Claude au long de l'escalier, tandis que les garçons, devant l'entrée, scrutaient le paysage baigné de lune. Pas une feuille ne bougeait. Pas un son ne se faisait entendre.

« Il n'y a personne ! » lança la voix de Claude du fond du souterrain.

« Je le savais puisque Dagobert n'a pas grogné, répondit François. Fais-le remonter ici, et j'arrive… avec le butin. »

Le chien revint fidèlement monter la garde à l'entrée de la cuisine et les deux garçons, traînant derrière eux le lourd colis dégoulinant d'eau, descendirent l'escalier avec une lente gravité, sans aucun rapport avec la rapidité de battement de tous les cœurs.

Enfin le sac fut là, éclairé par la lumière clignotante des bougies, prêt à être ouvert.

Les doigts de François s'accrochaient à la corde mouillée sans parvenir à défaire les nœuds. Claude se sentait incapable de supporter cette attente.

« Prends mes ciseaux, je t'en prie, dit-elle, et coupe les nœuds ! Je vais devenir folle. »

François la regarda en grimaçant un sourire, mais il était lui-même trop impatient pour prolonger ce supplice. Il coupa la corde et cisailla le sac imperméable.

« Ce n'est pas tout ! annonça-t-il. Dans ce sac, il y en a un autre, également imperméable. Non ! ce n'est pas un sac, c'est un tissu soigneusement cousu.

— Coupe-le aussi ! cria Claude» coupe-le ! ou je déchire tout. »

François coupa les grands points qui attachaient le tissu et développa le colis. Mais cela n'en finissait pas. On aurait dit qu'on avait utilisé des mètres et des mètres de cette toile imperméable pour protéger son mystérieux contenu.

Le travail avait été bien fait, pas une goutte d'eau n'avait traversé ce soigneux emballage.

« Oh ! oh ! » faisaient Claude et Annie, à chaque apparition d'une nouvelle épaisseur de tissu. « Oh ! vite ! par pitié !»

Enfin, au milieu du tas de plis qui couvraient la table, des quantités de petites boîtes apparurent, recouvertes en cuir de toutes couleurs : des écrins à bijoux !

« Ce sont bien des bijoux qu'il a volés ! » s'écria Annie, prenant une boîte et l'ouvrant.

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Un même cri d'admiration échappa à toutes les bouches. Sur le fond de velours noir de l'écrin, un magnifique collier de diamant scintillait de toutes ses facettes, à la lueur dansante des bougies. Les deux garçons, eux-mêmes, en furent éblouis.

« À qui pouvait appartenir une pareille splendeur ! s'exclama Annie. Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau ! Combien croyez-vous que cela peut valoir ?

— Plusieurs millions, dit François gravement. On comprend pourquoi Hortillon s'est donné tant de mal à cacher sa prise et pourquoi Margot et Tagard sont si pressés de remettre la main dessus.

— Regardons ce qu'il y a dans les autres boîtes !» s'exclama Claude, frémissante de curiosité.

Chaque boîte contenait un merveilleux bijou. Bracelets de saphir, bagues d'émeraude ou de rubis, un étrange et merveilleux collier d'opale, des pendants d'oreilles en diamant, si lourds qu'Annie assura que pas une paire d'oreilles au monde n'était capable d'en supporter le poids.

Ce détail parut rappeler quelque chose à Claude.

« Ah ! s'écria-t-elle, tout à coup. J'ai lu cela quelque part. Vous ne vous rappelez pas ? C'était dans les journaux. Oh ! c'est vieux, il y a un an peut-être. Tous les bijoux d'une princesse hindoue…, comment s'appelait-elle donc ?

— Fallonia ! s'écria Annie soudain. La princesse Fallonia, je me rappelle. Il y en avait pour une fortune… et j'ai vu une photographie des pendants d'oreilles et du collier.

— Cela me dit quelque chose à moi aussi; fit Mick, mais j'ai oublié les détails.

— Comment une femme peut-elle avoir tant de bijoux ! s'exclama Claude. C'est de la folie furieuse !

— Ce qui est de la folie, dit François gravement, c'est de penser que c'est nous qui sommes maintenant responsables de cette fortune. Cela ne me plaît pas du tout !

— Il vaut pourtant mieux qu'elle soit entre nos mains qu'entre celles de Margot », affirma Claude. Elle faisait briller entre ses doigts une énorme boucle de diamant aux reflets éblouissants. « Qui croirait, reprit-elle, que cette merveille a séjourné, peut-être pendant des mois, au fond de l'eau ? »

Mais François l'interrompit.

« Parlons sérieusement, dit-il en s'asseyant. Nous devons être à l'école demain après-midi. Non ! aujourd'hui même. S'il est plus de minuit, nous sommes déjà lundi.

— Il est presque trois heures, dit Annie, qui, depuis le plongeon de son cousin, portait sa montre à son poignet. Je n'aurais jamais cru qu'il pût être si tard !

— Moi, rien ne peut plus m'étonner, dit Mick. Donc, nous n'avons même pas douze heures pour avoir regagné l'école, après être sortis d'ici sans nous faire remarquer et avoir remis ces bijoux à la police.

— Oh ! s'écria Claude, à la police si tu veux, mais pas à l'horrible gendarme de l'autre jour !

— Non ! la rassura François. Il est trop désagréable et puis il serait furieux d'être obligé de convenir qu'il s'est trompé sur notre compte. Non ! J'aimerais mieux téléphoner à ce brave M. Gaston. Il a été si gentil pour nous… et il connaît tout le pays. Il saura bien nous indiquer un poste de gendarmerie plus important.

— Et comment ferons-nous pour emporter toutes ces boîtes ? demanda Mick.

— Je crois que nous ne les emporterons pas. Elles sont très encombrantes et risquent d'attirer l'attention. Je serais d'avis d'envelopper tout simplement les bijoux dans du linge et de les tasser au fond de nos sacs. La police pourra venir chercher les boîtes plus tard, si elle en a besoin. »

Il fut fait comme François en avait décidé. Les bijoux, sortis de leurs écrins, furent divisés en quatre lots. Chaque lot enveloppé dans un mouchoir ou une chaussette et calé au fond des sacs parmi les affaires de toilette.

Quand ce fut fini, Mick remarqua ironiquement :

« Nous voilà à la tête d'une fortune telle que nous n'en posséderons jamais l'équivalent au cours de notre vie, si longue qu'elle puisse être. C'est une curieuse sensation, n'est-ce pas ?

— Et nous n'avons pas le temps d'en jouir ! dit François. Je tombe de sommeil et il serait bon de partir tôt demain. Je vote pour quelques heures de repos, pendant lesquelles Dag veillera sur notre immense fortune. Bonsoir, tout le monde. »

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