CHAPITRE XII
Un abri aux Deux-Chênes
Tous partageaient le sentiment d'Annie. L'endroit n'était rien moins qu'accueillant. Ils l'examinaient avec une certaine appréhension lorsque François indiqua silencieusement de son doigt tendu les deux extrémités de la maison. À chacune se dressait le tronc calciné d'un arbre énorme.
« C'étaient des chênes, dit-il. Les deux chênes qui ont donné leur nom à la propriété. Ils devaient être splendides, maintenant ils ne sont plus que squelettes tordus. Les deux chênes et le lac, tout est mort et sinistre ici. »
Le soleil s'effaça à l'horizon et un vent froid balaya la plaine. Une activité fébrile s'empara du petit groupe : il leur fallait trouver un abri avant la nuit.
Ils visitèrent les ruines.
Dépourvu de toute protection depuis que le toit et les étages s'étaient effondrés, le sol lui-même retournait à l'état de nature. Pourtant Mick découvrit une retraite qui ressemblait encore à une pièce. Il en ressortit triomphant.
« C'est très logeable », affirma-t-il.
Annie alla voir l'endroit et recula avec effroi.
« C'est horrible, dit-elle, et ça sent le moisi ! Je ne pourrai jamais dormir là-dedans.
— Cherche autre chose si tu veux, concéda François, mais fais vite. Je vais d'abord aller cueillir de la fougère ou de la bruyère pour nous faire des matelas. Venez-vous avec moi, Mick et Claude ? »
Ils s'éloignèrent tous trois et revinrent peu après portant d'énormes brassées de fougères rousses et sèches.
Annie les attendait, très excitée.
« J'ai trouvé quelque chose, dit-elle. C'est mille fois mieux que cette horrible chambre. Venez voir ! »
Elle les entraîna dans ce qui avait été la cuisine. À une extrémité de la pièce, une porte vermoulue, abattue au sol, découvrait l'entrée d'un escalier souterrain.
« Cela conduit aux caves, expliqua Annie. Quand je suis entrée ici, cette porte était fermée et je ne pouvais pas l'ouvrir. Mais je l'ai secouée et secouée, tant et si bien que les gonds ont cédé et que la porte m'est presque tombée dessus. Rien ne tient plus ensemble dans cette baraque. Mais si les caves sont sèches, nous y serons bien à l'abri. Peut-être n'y a-t-il là ni murs noircis, ni poutres calcinées ?
— On peut voir ! » répondit François.
Il alluma sa lampe-torche et dirigea son rayon au long de l'escalier. Murs et marches apparurent en bon état. Il s'y engagea, faisant signe aux autres de l'attendre, mais Dagobert le devança et s'élança le premier.
Puis on entendit une exclamation de joyeuse surprise.
« C'est une très belle pièce, criait la voix de François. On dirait presque un salon. Il y a même des fauteuils et une table. Et au-delà il y a d'autres caves plus petites. Descendez ! Nous allons certainement nous installer ici. »
C'était une pièce étrange où subsistaient encore quelques meubles et des tapis mangés des mites. Les araignées avaient pris possession des lieux et leurs toiles poussiéreuses, tombant des plafonds ou s'étirant d'un mur à l'autre, vous frôlaient mollement la figure au passage. Claude y donnait de grands coups rageurs, car elle détestait leur contact.
« Il y a encore des bougies dans les bougeoirs sur cette étagère, s'écria Mick surpris. Nous pourrons les allumer et faire un dîner aux chandelles. On sera très bien ici. Beaucoup mieux que dans ces pièces à demi brûlées. Annie a raison. »
Les fauteuils, vermoulus, cédèrent lorsque les enfants voulurent s'y asseoir, mais les bruyères et les fougères empilées le long des murs firent des sièges et des lits très acceptables. La table résista au traitement brutal que Claude lui fit subir pour la débarrasser de son épais revêtement de poussière : nettoyage si efficace que toute la bande dut se réfugier à la cuisine pour fuir le nuage de poussière qu'il avait soulevé.
La lune n'était pas levée et, au-dehors, la nuit était profonde. Le vent faisait bruire les feuilles encore attachées aux branches, mais aucun clapotement ne se faisait entendre du côté du lac. Sa surface demeurait lisse comme une feuille d'étain.
Les enfants redescendirent dans leur cachette et les filles déballèrent les provisions, tandis que les garçons continuaient à perquisitionner. François découvrit un placard dissimulé dans une boiserie.
« Encore des bougies ! s'écria-t-il. Bonne affaire ! Et puis des tasses et des assiettes ! Quelqu’un a-t-il remarqué un puits quelque part ? Nous pourrions les laver — et aussi nous offrir un peu d'orangeade pour notre dîner. »
Personne n'avait vu le moindre puits, mais Annie se souvint d'avoir remarqué, près de l'évier de la cuisine, quelque chose qui ressemblait à une pompe.
« Va voir, dit-elle à François. Peut-être fonctionne-t-elle encore ! »
François monta, une bougie allumée à la main. Annie ne s'était pas trompée. Il y avait une vieille pompe qui devait remonter l'eau d'un puisard et la conduire jusqu'au robinet encore en place au-dessus de l'évier. François l'ouvrit et, saisissant le bras de la pompe, l'actionna vigoureusement de haut en bas. Quelques efforts sans résultat et puis, brusquement, l'eau gicla. Tout allait bien. François poursuivit la manœuvre. Cette première eau qui remontait lui parut croupie et fétide, ce qui n'avait rien de surprenant après sa longue station dans les tuyaux rouilles. François ne se découragea pas. Poursuivant la manœuvre, il pompa et pompa. Enfin, prenant une des tasses découvertes dans le placard, il la rinça et goûta l'eau. Elle était froide comme de la glace, et sans aucun arrière-goût désagréable.
« Bravo, Annie, cria-t-il en descendant. Grâce à toi, nous ne mourrons pas de soif. Il y a de l'eau en quantité et elle est délicieuse ! Mick, trouve-moi un récipient où je puisse laver les tasses et, si possible, un genre de cruche pour transporter l'eau. »
La petite pièce où François venait de redescendre avait à présent un aspect accueillant et presque pimpant. Claude et Annie avaient allumé une bonne douzaine de bougies et les avaient disposées un peu partout, jusque dans les coins les plus sombres. Elles dégageaient chaleur et lumière, et faisaient paraître extrêmement appétissantes les provisions joliment étalées sur des serviettes blanches couvrant la table.
« Je ne peux pas dire que j'ai aussi faim qu'à déjeuner, s'écria François, mais je sens que ça vient et je vote pour que nous dînions sans plus attendre. »
Le pâté fut découpé et distribué, et les enfants le mangèrent assis sur leurs lits de branchages. Les toiles huilées étalées dessous en guise de tapis de sol les protégeaient de l'humidité probable du sol et une bonne odeur se dégageait des feuilles roussies de soleil. On était bien et la nourriture était bonne, mais ce confort ne faisait oublier à personne les véritables raisons qui les avaient conduits là, et, tout en dévorant, les quatre discutaient âprement de leurs projets.
« Qu'est-ce que nous cherchons au juste ? demanda Annie. Croyez-vous vraiment que ces ruines cachent un secret ?
— J'en suis sûr ! affirma François, et je crois même savoir lequel.
— Pas possible ! » s'exclamèrent Claude et Annie, mais Mick, avec un petit sourire mystérieux, se tut, car il croyait avoir deviné, lui aussi.
François s'expliqua.
« Nous savons qu'un prisonnier de droit commun, nommé Hortillon, a fait parvenir un message à deux personnes : l'une est Mick Tagard, qui ne l'a pas eu; l'autre est Margot, qui l'a reçu. La question est de savoir maintenant ce qu'il avait à leur dire.
— Je crois que je le sais, dit Mick, qui trouvait bien pénible de se taire. Mais continue. »
François ne se fit pas prier.
« Supposez que ledit Hortillon ait commis un vol important. Peu importe lequel : vraisemblablement des bijoux; c'est ce qui excite le plus la convoitise des voleurs. Bon. Il a donc commis un vol, et il a caché le produit de son larcin en attendant que le silence se fasse autour de l'affaire. Il me semble que les choses ne peuvent pas s'être passées autrement. Êtes-vous d'accord ? je continue. Mais la police n'est pas aussi bête qu'Hortillon le croyait : elle lui met la main au collet et l'enferme en prison pour un nombre X d'années. Naturellement le voleur ne raconte pas où il a caché son magot. Il voudrait bien l'écrire à ses amis, mais il n'ose pas : toutes ses lettres sont lues au départ de la prison. Alors que fait-il ?
— Il attend qu'un prisonnier s'évade et le charge d'un message, riposta Mick fièrement. Et c'est bien ce qui s'est passé, n'est-ce pas, François ? Cet homme aux cheveux rasés que j'ai vu derrière les carreaux de la grange, c'était le prisonnier échappé, et il était chargé de révéler à Margot et à Mick-qui-pique l'emplacement de la cachette, afin que ceux-ci puissent récupérer le trésor avant que d'autres le découvrent !
— Oui ! fit François. Je suis certain que nous ne nous trompons pas. Le prisonnier évadé, lui-même, ignorait probablement le sens du message qu'il s'était chargé de transmettre. Mais Margot et le fils Tagard devaient le comprendre, car ils étaient au courant du vol. Ce dernier n'a pas reçu le message, puisque Mick l'a intercepté, mais Margot, elle, va certainement se lancer à la recherche du trésor.
— Alors, il faut que nous le trouvions avant elle ! s'écria Claude, les yeux brillants d'excitation. Nous sommes arrivés les premiers sur les lieux, c'est déjà beaucoup. Demain, aussitôt que possible, nous nous mettrons en chasse ! Quelle était la suite de la phrase, après « Deux-Chênes et Eaux-Dormantes » ?
— « La Belle-Berthe », répondit Mick.
— Pas très explicite, fit Annie. Cela n'a pas l'air d'un nom de lieu. Est-ce un troisième personnage dans le secret ?
— Je trouve que cela ressemble plutôt à un nom de bateau, dit Mick lentement.
— Tu as raison, s'écria Claude. Un bateau, pourquoi pas ? Il y a un lac et les gens qui construisent une maison près d'un lac doivent bien pratiquer la pêche ou le canotage ! Je parie que nous trouverons demain une barque appelée la Belle-Berthe et que le trésor sera caché dans sa cale !
— Pas si vite ! fit Mick. Ce serait trop facile, et la cachette ne serait pas fameuse, N'importe qui pourrait trouver des marchandises dissimulées dans un canot abandonné. Non. La Belle-Berthe est un indice, mais rien de plus ! Il ne faut pas oublier, non plus, le papier qui accompagnait le texte oral. Il doit avoir un sens, lui aussi, et tant que nous n'aurons pas compris ce qu'il signifie nous n'aurons rien compris.
— Où est-il ce papier ? s'écria François. Cet idiot de gendarme l'a déchiré en morceaux. Les as-tu toujours, Mick ?
— Bien sûr ! fit Mick fouillant dans sa poche. Quatre petits morceaux ! Est-ce que l'un de vous a du papier collant ? »
Personne n'en avait, mais Claude promenait, au fond de son sac un petit rouleau d'albuplast. Elle en découpa des petites bandes qui furent collées derrière le papier déchiré. En quelques instants les quatre morceaux n'en firent plus qu'un seul, sur lequel les quatre amis promenèrent des regards anxieux.
« Pas facile à comprendre, dit François. Quatre traits se rencontrent au centre. À l'extrémité de chacun de ces traits un mot, mais si pâle et si effacé qu'on peut à peine le lire. Qu'est-ce que c'est que celui-là ? bol ? Mais avant ? ti, té ? je ne vois pas. Et cet autre ? cloche ? clocher ? Oui, clocher ! Je ne peux pas lire les autres. »
On rapprocha les bougies et, l'un après l'autre, les enfants tournèrent et retournèrent entre leurs doigts le fameux papier. Enfin Annie parvint à lire le troisième mot : cheminée, et Claude le quatrième : Haute-Pierre.
« Qu'est-ce que tout cela veut dire, s'exclama-t-elle dépitée. Cela n'a aucun sens, et nous ne trouverons jamais rien avec de pareils indices !
— Pour ce soir, le plus sage serait de nous coucher. Les bonnes idées germent pendant le sommeil. C'est bien connu ! Je parie que demain nous trouverons ce que cette haute pierre et cette cheminée viennent faire sur ce clocher et ce bol… »