CHAPITRE XIII
 
Une nuit dans une cave !

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LA FEUILLE de papier fut soigneusement pliée et François se chargea de là conserver, mais tous étaient trop excités pour se mettre aussitôt au lit.

« Je n'ai pas la moindre idée de ce que signifie ce gribouillage, dit Claude. Mais il est certainement de la plus haute importance ! Un simple indice peut nous mettre sur la piste… et alors tout deviendra clair.

— Je l'espère, murmura Annie.

— N'oublions pas, ajouta Mick, que la chère Margot possède une copie de ce papier, et sait probablement mieux que nous à quoi il se rapporte !

— Si c'est vrai, fit Claude, et si nous ne nous sommes pas trompés dans nos déductions, elle viendra ici, elle aussi. Il va falloir se méfier.

— Mais que ferons-nous si nous la voyons ? demanda Annie, assez effrayée à cette idée. Où nous cacher ? »

François réfléchit un moment et répondit : « Nous ne nous cacherons pas ! certainement pas ! Margot ne peut pas savoir que nous avons intercepté le message et le papier de son ami Hortillon. Faisons comme si de rien n'était : au cours d'une balade, nous avons découvert cette maison en ruine et décidé de nous y installer. D'ailleurs, c'est la vérité pure !

— Mais cela ne nous empêche pas de l'avoir à l'œil si elle vient, et de surveiller ses agissements, ajouta Mick avec un clignement de paupière entendu. Il est probable que cela la dérangera quelque peu ! mais tant pis pour elle !

— Rien ne dit qu'elle viendra seule, reprit François après un moment de réflexion. Il est même probable qu'elle amènera Mick Tagard. Elle a dû être informée qu'il était au courant de tout et sera entrée en rapports avec lui.

— Alors, elle aura eu la surprise d'apprendre que Mick-qui-pique n'a reçu aucun message, intervint Claude. Mais ils ne s'en étonneront ni l'un ni l'autre. Ce prisonnier en rupture de ban peut fort bien avoir été empêché d'accomplir sa mission jusqu'au bout !

— Comme c'est compliqué tout ce que vous racontez là ! fit Annie en étouffant un bâillement. Je ne peux plus vous suivre. Allez-vous discuter encore longtemps ?

— J'ai aussi sommeil que toi, fit Mick en bâillant, lui aussi. Ce lit de fougères me paraît terriblement tentant, et il ne fait pas froid du tout ici, n'est-ce pas ?

— L'endroit est très confortable, dit Annie, mais je n'aime pas cette porte ouvrant sur ces petites caves. Qui nous dit que Margot et ses amis ne s'y cachent pas, attendant que nous nous endormions pour nous sauter dessus ?

— Tu es stupide ! riposta Claude. Vraiment stupide ! Crois-tu que Dagobert se tiendrait aussi tranquille si des gens se cachaient à proximité ? Tu sais bien qu'il ne cesserait pas de gronder et d'aboyer.

— Oui. Je le sais, fit doucement Annie se glissant sous sa couverture, j'ai trop d'imagination. Mais toi, tu n'en as pas du tout ! Tu ne cèdes jamais à des craintes irraisonnées. Je n'ai pas réellement peur tant que Dago est ici, mais je ne trouve pas drôle d'être toujours entraînée dans des aventures invraisemblables dès que nous sommes tous les cinq ensembles.

— Les aventures arrivent toujours à certaines personnes, expliqua Mick. Tu n'as qu'à voir comme les explorateurs vont d'aventure en aventure.

— Mais je ne suis pas un explorateur, gémit Annie, je ne suis qu'une personne comme les autres qui voudrait bien pouvoir passer quarante-huit heures avec ses amis sans avoir aussitôt à faire face à des bandits, des voleurs ou des contrebandiers. »

Son air malheureux, plus encore que ses paroles, firent que les autres ne purent s'empêcher de rire.

« Je ne crois pas que tu aies grand-chose à craindre cette fois, dit François, cherchant à la rassurer. Nous rentrons à l'école lundi et, d'ici là, il nous reste bien peu de temps pour des aventures extraordinaires… »

François se trompait, naturellement. Des événements invraisemblables peuvent se précipiter en quelques minutes. Cependant, ses paroles réconfortèrent Annie, qui se pelotonna dans son lit improvisé avec un sentiment de quasi-sécurité.

Elle se sentait mille fois plus rassurée que la nuit précédente, seule dans son horrible petite mansarde. Les autres étaient auprès d'elle et Dagobert aussi. Elle s'endormit sans crainte.

Ses frères et sa cousine ne tardèrent pas à l'imiter, bien au chaud sous leurs couvertures et leurs vêtements, qu'ils n'avaient pas quittés. Les bougies avaient été éteintes, sauf une qui continuait à brûler paisiblement sur la table. Sa lueur vacillante promenait un rond lumineux au plafond. Dagobert s'allongea comme de coutume tout contre les jambes de Claude et le silence emplit la pièce.

Les quatre cousins dormirent comme des loirs. Aucun d'eux ne remua. Seul Dago se leva une ou deux fois. Il avait entendu du bruit dans les caves. Il s'arrêta devant la porte y conduisant, la tête penchée de côté, les oreilles droites.

Un moment plus tard, il retournait se coucher, satisfait. Ce n'était qu'un crapaud. Dago connaissait bien l'odeur des crapauds et s'il leur plaisait de déambuler dans les souterrains ce n'est pas lui qui les en empêcherait !

Le second bruit qui l'éveilla provenait de l'étage supérieur. Il grimpa silencieusement l'escalier de la cuisine, et se tint immobile, au sommet des marches, ses yeux brillant comme des lampes vertes au reflet de la lune.

Un animal à la queue longue et touffue se glissa hors de la cuisine, et se perdit dans la nuit. C'était un renard. Attiré par des senteurs inhabituelles, il était venu voir ce qui se passait d'insolite. Il reconnut l'odeur d'êtres humains, et surtout celle du chien. Alors, silencieux comme un serpent, il était prudemment reparti.

Mais sa brève incursion avait suffi pour réveiller Dago. Maintenant, alerté, celui-ci attendait. Il suivit la piste du renard en fuite, se demandant s'il devait se lancer à sa poursuite ou donner de la voix pour éveiller ses maîtres.

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Mais le renard était loin et Dagobert décida qu'il n'y avait pas lieu de faire du tapage.

Il redescendit l'escalier et se recoucha sur les pieds de Claude. Il était très lourd, mais Claude dormait trop profondément pour le repousser. Dago en profita. Une oreille dressée, il demeura un long moment aux aguets, puis, rien ne venant, il se rendormit, l'oreille droite, comme une bonne sentinelle.

Quand la bougie s'éteignit, la nuit se fit complète dans la cave. Aucune lueur du jour, aucun rayon de soleil ne pouvait pénétrer dans l'obscure petite pièce, et les enfants y dormirent tard.

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François fut le premier à s'éveiller. Les bruyères et les fougères s'étaient écrasées sous son poids et son matelas lui parut tout à coup très dur. Il se retourna pour trouver une position plus confortable, et ce mouvement l'éveilla. L'obscurité totale le surprit. Pendant un instant, il se demanda où il se trouvait. Puis la mémoire lui revint et il se redressa.

Mick ouvrit un œil et bâilla. François le tira par la manche.

« Il est huit heures et demie, lui dit-il, après avoir jeté un coup d'œil au cadran lumineux de sa montre. Nous avons dormi bien trop longtemps ! »

Ils se levèrent et Dago vint joyeusement les saluer en leur balayant les jambes de sa queue. Il y avait longtemps qu'il ne dormait plus qu'à moitié, attendant que quelqu'un s'éveillât et lui donnât à boire, car il avait très soif.

Cette agitation arracha les filles à leur sommeil et bientôt le sous-sol fut plein de bruit et de mouvement. Claude et Annie allèrent se laver à la pompe et l'eau froide dissipa leurs derniers restes de torpeur. Dago eut droit à une grande bolée d'eau claire et les garçons se tâtèrent pour savoir s'ils auraient le courage ou non de prendre un bain dans le lac. Ils se sentaient très sales, mais le seul aspect de cette eau sombre et sans mouvement les faisait frissonner.

« Ce sera froid ! fit Mick en se grattant la nuque, mais je crois que ça nous fera du bien ! Viens, François !»

Ils s'élancèrent d'un même bond jusqu'aux rives du lac et plongèrent. L'eau était glaciale. Ils n'y restèrent qu'un instant, nageant vigoureusement puis s'en revinrent gesticulant et criant, la peau rougie de froid.

Quand ils entrèrent dans le sous-sol les filles avaient préparé le petit déjeuner; il y faisait sombre, mais on y était mieux que dans la cuisine aux murs noircis. Le pain, le beurre, le chocolat et même le pâté furent appréciés et disparurent en quantités surprenantes.

Au milieu du repas, un bruit inattendu les immobilisa soudain. Les cloches ! Le cœur d'Annie se mit à battre anxieusement. Mais ce qu'elle entendait n'était pas l'angoissant appel des cloches sonnant l'alarme dans la nuit.

« C'est le 11 Novembre aujourd'hui », s'écria joyeusement François pour chasser le regard de crainte qu'il venait de découvrir dans les yeux de sa jeune sœur. « Toutes les cloches se mettent en branle pour annoncer que c'est fête !

— Oh ! oui, s'écria Annie soulagée. C'est fête et il n'y a plus de prisonniers évadés qui rôdent dans la campagne.

— Oui ! c'est fête, répéta François, mais nous n'avons pas le temps de nous amuser. Il nous faut d'abord élucider le mystère de la Belle-Berthe. Y a-t-il ici un rafiot qui porte ce nom ? Où est-il ? Il doit bien y avoir un hangar à bateaux, cherchons-le. Il sera temps ensuite d'attaquer le second point : l'énigme du papier aux quatre mots et quatre traits. Même si nous ne trouvons rien, nous pourrons nous promener aux environs et peut-être rencontrer des gens qui nous diront ce qu'est la Haute-Pierre, ou la Cheminée.

— As-tu l'intention de passer encore une nuit ici ? demanda Annie.

— Cela me paraît nécessaire. Nous avons bien de la besogne en perspective et je suis décidé à ne pas repartir bredouille.

— En ce cas, poursuivit Annie, toujours bonne ménagère, le plus pressé n'est pas de chercher la Belle-Berthe, mais bien de nous installer. Va avec Mick cueillir de la bruyère fraîche, j'arrangerai tout ici avec Claude pendant ce temps-là. »

Les filles firent la vaisselle. Elles n'avaient rien pour essuyer les tasses et les assiettes mais les laissèrent à sécher sur la table. Elles rangèrent le reste des provisions dans le placard, et alignèrent proprement les sacs et les vêtements au long du mur. Quand François et Mick revinrent, rapportant trois fois plus de branchages que la veille, les lits furent refaits et une épaisseur triple donnée aux matelas.

Tout le monde avait eu à se plaindre de la dureté du sol et Claude se sentait tout ankylosée.

Quand ces préparatifs furent achevés, les quatre amis se regardèrent, satisfaits de leur œuvre.

« Et maintenant, on y va ! » dit François.

Dagobert fut le premier à s'élancer au-dehors.

Un sentier bordé de chaque côté par une murette de pierre conduisait autrefois au lac. Maintenant, les murs croulants se recouvraient d'un manteau de mousse. Le chemin disparaissait sous les touffes d'ajoncs et de bruyères.

Puis le lac apparut, toujours sombre et immobile. Les enfants s'en approchèrent, mettant en fuite quelques poules d'eau, qui s'envolèrent en piaillant.

François inspecta les lieux d'un regard perçant.

« Et alors, dit-il, cet abri à bateaux ? existe-t-il ou n'existe-t-il pas ? »