CHAPITRE XVIII
 
Proches du but

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« REPRENONS en ordre tous les indices que nous connaissons, fit Mick, maîtrisant avec peine son excitation. Deux-Chênes, c'est l'endroit où nous sommes en ce moment. Eaux-Dormantes, c'est le lac où est caché le trésor. Belle-Berthe, c'est le bateau où il a été déposé.

— Continue, fit François comme son frère s'arrêtait pour réfléchir.

— Margot…, reprit Mick plus lentement, eh bien, Margot, nous la connaissons aussi. Elle est sans doute une complice d'Hortillon. Elle a eu connaissance du message et du plan et elle est venue ici. »

Mick posa son doigt sur le papier chiffonné et recollé.

« Maintenant, continua-t-il, que signifient ces indications ? Ecoutez bien. Nous avons aperçu Haute-Pierre, quand nous étions sur le lac, n'est-ce pas ? Ti-Bol, nous dit la carte, est un sommet arrondi que l'on doit apercevoir aussi du lac. Clocher et cheminée, quels que soient ces deux inconnus, sont des repères assez haut situés pour être visibles de loin. Sur ce papier ces quatre mots sont reliés par des traits se rejoignant en un point central, ici. Ce point marque donc, à mon avis, un endroit unique, situé sur le lac, d'où il est possible de voir en même temps les quatre repères, selon les directions indiquées par les traits de crayon. Quand nous aurons trouvé ce point unique sur le lac, nous aurons trouvé la Belle-Berthe et le trésor ! »

Son exposé fut suivi d'un silence méditatif. Puis François abattit sa main ouverte en une énorme claque sur l'épaule de son frère.

« Parbleu ! s'écria-t-il. Tu as deviné juste. Quels idiots nous sommes de ne pas y avoir pensé plus tôt ! La Belle-Berthe est quelque part d'où l'on peut voir à la fois les quatre repères. Cela tombe sous le sens ! Il n'y a qu'à chercher… et trouver !

— Oui, acquiesça Mick flatté, mais n'oublions pas que Mick-qui-pique et Margot ont connaissance, eux aussi, de toutes ces indications. Ils cherchent le même endroit que nous et s'y rendront avant nous s'ils le peuvent. De plus, et c'est là le pire, s'ils mettent la main sur le trésor, nous ne pourrons rien faire pour les en empêcher. Nous ne sommes pas la police. Ils emporteront le butin et disparaîtront à tout jamais… »

Cette dernière considération ne fit qu'accroître l'excitation générale.

« Je ne vois qu'un moyen, dit François, il faut que nous soyons les premiers à partir demain, c'est-à-dire embarquer dès que le jour se lèvera. Quel dommage que nous n'ayons pas même un réveil !

— Nous reprendrons le radeau, répétait Mick, et ce sera vite fait puisque nous n'aurons pas à le sortir du hangar. Nous retournerons au point d'où nous avons vu la Haute-Pierre. Il s'agira ensuite, sans perdre de vue ce premier repère, de trouver les autres : Ti-Bol, clocher et cheminée. Ce dernier nom doit indiquer tout simplement la cheminée qui subsiste au milieu des ruines. Avez-vous remarqué qu'il en reste une seule, qui se dresse toute droite, haut dans le ciel ?

— Oui, oui, répondait le chef de bande, préoccupé surtout par la crainte d'un réveil tardif qui ruinerait tous leurs beaux projets. Nous verrons ça demain. Pour l'instant, il s'agit seulement de se coucher et de s'endormir en vitesse. »

Claude installa Dagobert sur un de ses chandails, en haut de l'escalier et le chien ne se fit pas prier pour se coucher là. Il semblait avoir compris la nécessité de passer cette nuit loin de sa maîtresse, pour veiller à sa sécurité.

Il ne dormit que d'un œil et se redressa sitôt qu'un pas furtif se glissa dans la nuit, vers la cuisine.

Ce n'était que le renard. Dago poussa un léger grognement et la bête s'enfuit.

Il n'y eut pas d'autre alerte. Les enfants dormirent paisiblement, mais la nuit commencée de si bonne heure parut longue au chien. Il fit un tour au-dehors puis descendit dans le souterrain. Le fit-il exprès ? sa queue au passage frôla la joue de François, qui se redressa d'un bond.

Sa volonté de s'éveiller tôt, perçant à travers son sommeil, lui redonna aussitôt conscience de la réalité. Il regarda sa montre.

« Sept heures, s'écria-t-il ! Réveillez-vous. Le jour va bientôt se lever et nous avons des masses de choses à faire ! »

À la toilette, faite avec rapidité, succéda un petit déjeuner hâtif et la bande émergea des ruines alors que l'aube commençait à peine à éclairer le paysage.

Rien ne remuait du côté des tentes.

« Ça va bien ! lança François à voix basse. Nous serons les premiers ! »

Ils détachèrent le radeau, embarquèrent, et se mirent à pagayer vigoureusement.

Leurs muscles endoloris de l'effort fourni la veille, rendaient pénible la reprise du même mouvement, mais l'air froid incitait à l'action et la perspective de l'enjeu proche était un tel stimulant que nul ne se plaignait.

Quand le radeau eut atteint le centre du lac, personne ne pensait plus à sa fatigue. Il faisait jour, et le soleil illuminait les sommets les plus élevés. Les enfants dirigèrent leur embarcation vers le point où, la veille, ils avaient aperçu la Haute-Pierre. Mais ils avaient beau écarquiller les yeux, ils ne la voyaient plus. Il leur fallut errer longtemps sur le lac avant que Mick, enfin, poussât un cri de triomphe.

« La voilà ! c'est ce rideau d'arbres sur la berge qui nous la cachait.

— Bien, dit François, maintenant je ne la quitte plus des yeux. Toi, Mick, en ramant doucement et seul, tu vas chercher du côté opposé si tu vois quelque chose qui ressemble au mont Ti-Bol. Si la Haute-Pierre redisparaît, je crierai pour t'arrêter.

— Compris », fit Mick, enfonçant prudemment sa pagaie dans l'eau, tandis que son regard fouillait l'horizon.

« Je l'ai ! cria-t-il tout à coup. Ce sommet arrondi qu'on voit à peine dans le lointain, derrière ces deux collines. Il doit bien être à dix kilomètres, comme l'indiquait la carte.

— Ce ne peut être que lui, dit François, cessant pour un instant de fixer ses regards sur la Haute-Pierre pour les poser sur le dôme lointain à peine visible. Maintenant, les filles, à votre tour de travailler, Claude va ramer tout en cherchant un clocher vers le sud. »

Claude s'orienta et s'écria aussitôt :

« Je le vois déjà. Il est là ! »

Tous les regards convergèrent vers le point qu'elle indiquait : le fin clocher d'un invisible village brillait au soleil levant, comme une aiguille d'acier au-dessus des masses rousses d'une forêt.

« Bravo ! s'écria François. Nous y sommes presque. À toi maintenant, Annie. Tu cherches la cheminée. Regarde du côté de la maison, la vois-tu ?

— Non ! » fit Annie. Elle manœuvra avec précaution puis s'écria : « Je la vois presque. Peux-tu appuyer un peu sur la droite, Mick. Oh ! pas tant ! Si, ça y est ! Arrête ! »

Mais l'élan fit dériver le bateau et Mick dut revenir sur la gauche. Enfin Annie retrouva la cheminée, mais Claude avait perdu le clocher.

Il fallut de longs tâtonnements avant de pouvoir stopper le radeau à l'endroit précis d'où chacune des quatre paires d'yeux aux aguets pouvait voir distinctement l'objectif désigné. Enfin on y parvint et François, faisant de grands efforts pour ne pas perdre de vue la Haute-Pierre, ni déplacer l'embarcation, chercha dans ses poches quelque objet qui pût lui servir à marquer l’emplacement exact d'où l'on pouvait découvrir les quatre repères en même temps.

N'y parvenant pas, il demanda à Claude s'il lui était possible de garder un œil sur le clocher et un autre sur la Haute-Pierre.

« Je vais essayer », répondit la fillette, faisant courir son regard du clocher à la pierre et de la pierre au clocher, en souhaitant ardemment qu'aucun mouvement du radeau ne vînt cacher l'un ou l'autre à sa vue.

Pendant ce temps François s'affairait. Il avait sorti son gros couteau et une lampe électrique de sa poche et les avait attachés ensemble avec une corde.

« J'ai peur que ma ficelle soit trop courte, dit-il à Mick. N'en as-tu pas un morceau sur toi ? »

Mick en avait toujours et il extirpa de sa poche une bonne longueur sans perdre de vue le Ti-Bol. François noua ensemble les deux ficelles et, évitant tout mouvement brusque, fit tomber dans l'eau le couteau et la lampe, puis il laissa filer la ficelle. Quand elle s'arrêta, François sut que les deux objets avaient atteint le fond du lac.

« Ça y est presque, mais ce n'est pas fini, annonça-t-il pour renseigner les autres, qui ne pouvaient se détourner pour regarder ce qu'il faisait. Encore un peu de patience ! »

Il fouilla ses poches et y retrouva un bouchon qu'il avait commencé à tailler en tête de cheval. Il le fixa soigneusement à l'extrémité de la ficelle qu'il tenait en main, puis il lâcha le bouchon. Celui-ci s'enfonça, puis remonta en surface juste au-dessus du point où étaient le couteau et la lampe.

« Ouf ! s'écria François dans un élan de satisfaction. Vous pouvez fermer les yeux, tourner la tête, faire dériver le radeau, peu importe !

Le repère est en place et ne bougera plus ! » Toutes les têtes s'étaient retournées vers lui, et tous les yeux fixaient à présent le petit bouchon qui flottait innocemment sur l'eau calme du lac, inconscient de l'importance qu'il avait subitement revêtu.

« Plein d'astuce ! dit Mick, mais si nous nous éloignons, nous aurons bien du mal à retrouver ce bouchon; on le voit à peine…

— Je le sais bien, mais je n'avais rien d'autre sous la main.

— Attends ! dit Claude. J'ai ce qu'il te faut ! » Elle sortit de sa poche une balle de caoutchouc.

« Ça flotte ! annonça-t-elle triomphante.

— Oui ! admit Annie, mais comment feras-tu pour l'attacher ? »

Pendant un instant les quatre enfants regardèrent perplexes l'objet rond et sans prise qui aurait fait un si beau repère sur l'eau s'il avait été possible de l'y fixer.

« J'ai une idée ! s'écria Mick le premier. Nouons la balle dans un mouchoir.

— Bravo ! fit Claude, tu fourmilles d'idées, mais tu oublies le principal. Moi, je veux d'abord savoir si l'endroit où nous sommes est vraiment celui où le voleur a caché son butin. »

Les enfants avaient été jusque-là si occupés à ne pas perdre de vue les points de repère, qu'ils en avaient oublié la Belle-Berthe. La phrase de Claude provoqua un immédiat changement de direction des regards et toutes les têtes s'abaissèrent vers la surface du lac. On ne discernait rien au-dessous de l'eau noire qui, recevant à ce moment les rayons obliques du soleil levant, brillait comme un miroir.

« Il faut regarder de plus près », souffla Claude, impressionnée malgré elle, et elle se coucha à plat ventre, aussitôt imitée par les autres avec tant de rapidité que le radeau en vacilla. La surface de l'eau se rida et il fallut attendre que le calme revienne pour découvrir ce qui se cachait dans ses profondeurs.

Tous s'attendaient à voir la Belle-Berthe et pourtant, quand la forme blanchâtre d'un canot immobilisé au fond du lac apparut, à peine déformée par les petites ondes en surface, la surprise fut encore plus forte que la joie.

Aucun n'osa dire à haute voix ce que chacun pensait tout bas, mais, au fond de soi, tous s'étonnaient d'avoir si bien découvert le sens mystérieux du message et du plan.

« Hum ! fit François. Cet Hortillon n'est pas un imbécile. Ses repères ont été bien choisis et il ne devait pas être facile de trouver sur ce lac quatre points de repères limitant un espace aussi réduit !

— Et, l'ayant trouvé, d'y avoir exactement fait couler le bateau, ajouta Mick. Car il l'a fait couler, n'est-ce pas ?

— Bien sûr, mais seulement après y avoir caché le trésor !

— Mais, interrompit Claude, comment allons-nous faire, nous, pour remonter la Belle-Berthe ?

— Je ne sais pas ! avoua François. Je n'en ai pas la moindre idée. »

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À ce moment Dagobert se mit à gronder sourdement. Les enfants tournèrent la tête et virent un canot encore loin sur le lac. Margot et Mick-qui-pique y étaient assis face à face penchés sur quelque chose de blanc — le plan évidemment. Parfois leurs regards s'en détournaient pour fouiller l'horizon, mais ils étaient si occupés à chercher le clocher, la pierre, la cheminée et le Mont Ti-Bol qu'ils ne remarquaient pas la présence des enfants.

« Ils n'ont pas encore compris que nous sommes plus avancés qu'eux, dit François. Mais quand ils vont nous trouver juste sur l'emplacement qu'ils recherchent…, il y aura du grabuge ! Gare à nous ! »

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