CHAPITRE IV
Où est donc l’oncle Henri ?
Ils firent cercle, tous les quatre, autour de la dalle bloquant l’entrée des oubliettes. Dagobert flairait les herbes entre, leurs pieds. Oui, François avait parfaitement raison. Le disque de pierre n’avait pas été soulevé depuis des mois, car les plantes sauvages avaient foisonné partout, enfonçant leurs frêles racines dans le moindre interstice, cimentant presque l’entrée du souterrain.
« Il n’y a personne là-dessous, conclut François. Nous n’avons même pas besoin d’y descendre pour vérifier. Si la dalle avait été bougée ces derniers temps, les herbes auraient été écrasées ou déracinées.
— Et d’ailleurs, personne ne peut sortir du souterrain une fois que l’entrée est bouchée, ajouta Mick. La pierre est trop lourde. L’oncle Henri n’aurait pas été assez bête pour se laisser enfermer là-dessous. La dalle serait déplacée.
— Bien sûr, acquiesça Annie. Alors, s’il n’est pas là, il doit bien être ailleurs.
— Voilà la question, dit Claude. Où ? L’île est minuscule et nous en connaissons tous les coins et recoins. À moins qu’il ne soit dans la caverne où nous nous étions réfugiés une fois. C’est la seule de Kernach.
— Oui, peut-être, répondit François, mais j’en doute. Je ne vois pas très bien l’oncle Henri s’introduire dans cette caverne par le trou de la voûte. Et on ne peut pas y arriver autrement, si l’on ne veut pas escalader les rochers de la plage, ce qui prend un temps fou. Je n’imagine pas notre oncle faisant ça non plus. »
Ils traversèrent l’île pour aller vers leur caverne. Comme l’avait souligné François, l’accès par la grève était malaisé, car il fallait franchir des rocs glissants couverts d’algues, et l’accès par le haut de la falaise ne l’était guère moins, puisqu’ils avaient dû installer une corde pour faciliter la descente par le trou de la voûte.
Ils retrouvèrent facilement l’emplacement, à demi dissimulé sous les bruyères. La corde y était toujours.
« Je vais descendre », dit François.
La corde, encore en parfait état, était nouée de place en place, ce qui donnait un point d’appui pour les pieds et permettait de glisser jusqu’en bas lentement, sans s’écorcher les mains.
François atteignit bientôt le sol de la caverne. Elle était vaguement éclairée par l’ouverture donnant sur le large. François eut vite terminé son inspection. Il n’y avait absolument rien, à part une vieille boîte qu’ils avaient oubliée lors de leur dernier séjour.
François remonta. En apercevant sa tête qui surgissait de la bruyère, Mick s’avança pour lui prêter une main secourable.
« Alors, dit-il, tu as trouvé trace de l’oncle Henri ?
— Non, il n’y est pas et n’y a jamais mis les pieds, à mon avis. C’est un vrai mystère : où est-il et où est son matériel ? Nous savons qu’il en a pas mal, puisque tante Cécile nous l’a dit.
— Il est peut-être dans la tourelle, s’écria soudain Annie. Il aurait toute la place qu’il lui faut dans la petite salle vitrée du sommet.
— Il nous aurait aperçus tout de suite ! répondit François avec dédain. Et il nous aurait entendus aussi.
Enfin, allons-y voir quand même. »
Ils retournèrent donc au château et s’approchèrent de la drôle de tour. Leur tante les appela : « Votre déjeuner est prêt. Venez manger. Votre oncle ne tardera pas, je pense.
— Mais où est-il, tante Cécile ? demanda Annie très intriguée. Nous avons cherché absolument partout ! »
Sa tante ne connaissait pas l’île aussi bien qu’eux. Elle croyait que Kernach recelait une multitude d’endroits abrités où l’on pouvait travailler tranquille.
« Ne vous inquiétez pas, mes enfants, répliqua-t-elle d’un ton serein. Il arrivera tout à l’heure. Venez manger.
— Nous courons à la tour d’abord, répondit François. Au cas où il y serait. »
Les quatre, flanqués de Dagobert, se rendirent au milieu de la cour, où se dressait la tourelle. Ils tâtèrent de la main les plaques arrondies, brillantes et lisses, qui s’ajustaient avec précision les unes aux autres.
« Je me demande ce que c’est, remarqua Michel.
— Une espèce de matière plastique, répondit François. C’est léger, résistant et facile à assembler.
— Je mourrais de peur que le vent la fasse tomber s’il y avait une bourrasque, dit Claude.
— Oui, moi aussi, acquiesça Mick. Tiens, voici la porte. »
Cette porte était petite et arrondie en haut. Il y avait une clef dans la serrure. François la tourna et ouvrit la porte. Le battant se tirait vers l’extérieur. François glissa la tête à l’intérieur et regarda.
Il aperçut seulement un escalier minuscule en matière luisante comme les parois de la tourelle, qui s’enroulait en spirale jusqu’au sommet. D’un côté, il y avait d’étranges objets qui ressemblaient à des crochets en acier. Ils étaient reliés par des fils.
« Mieux vaut ne pas y toucher, dit François qui les avait examinés avec curiosité. On se croirait dans une tour de contes de fées. Qui m’aime me suive… je monte au sommet. »
Il se mit à gravir l’escalier en colimaçon qui était très raide. Il avait la tête qui tournait presque à force de marcher constamment en rond.
Les autres l’imitèrent. Des fenêtres étroites comme des meurtrières donnaient de temps en temps un peu de jour. François regarda par l’une d’elles : il eut une vue merveilleuse sur la mer et la côte.
Il continua son ascension jusqu’en haut. Il se trouvait maintenant dans une petite salle circulaire dont les parois étaient en verre étincelant et très épais. Des fils passaient dans l’épaisseur du verre et pendaient librement à l’extérieur, scintillant au soleil, balancés par le vent assez fort qui soufflait autour de la tourelle.
Il n’y avait rien d’autre dans cette salle ! Et pas plus d’oncle Henri que de sucre dans la mer. La tour servait uniquement à amener les fils du sol jusqu’à la paroi de verre pour qu’ils aboutissent à l’air libre. Pourquoi ? Etait-ce une sorte de radar ? Ces fils captaient-ils des ondes comme celles de la T.S.F. ? François plissait le front en cherchant à déchiffrer l’énigme de la tourelle et des fils.
Les autres entrèrent sur ses talons. Dag était là, lui aussi, après maints efforts héroïques étant donné les difficultés de l’escalier.
« Seigneur ! Comme c’est bizarre, s’écria Claude. La vue est splendide d’ici. On voit à des kilomètres en mer et, tenez, on aperçoit par là des collines dans le lointain.
— Oui, c’est superbe, dit Annie. Mais où est l’oncle Henri ? Nous ne l’avons toujours pas trouvé. Il doit quand même bien être dans l’île.
— En tout cas, son bateau est à sec dans la crique, remarqua Claude. Nous l’avons constaté en arrivant.
— Alors il est sûrement quelque part ici. Mais il n’est pas dans le château, pas dans les souterrains, pas dans la caverne et pas dans cette tour. C’est un mystère de première grandeur.
— Comme dans les devinettes : « L’oncle a « disparu — cherchez-le », compléta François. Regardez, notre pauvre tante Cécile se morfond en nous attendant. Nous ferions bien de descendre la rejoindre : elle nous appelle à grands renforts de signaux.
— D’accord, s’écria Annie. On étouffe dans cette pièce minuscule. Oh ! là ! Vous avez senti la tour trembler quand le vent l’a secouée ? Bigre, je m’en vais avant que tout s’écroule. »
Elle commença à descendre en se tenant à une main-courante fixée dans la paroi. Les marches étaient si raides qu’elle avait peur de tomber. Et non sans raison, car elle faillit bien perdre l’équilibre lorsque Dagobert la dépassa à toutes pattes et dégringola l’escalier avec une aisance remarquable.
Ils furent bientôt tous en bas. François referma la porte.
« Verrouiller une porte ne sert pas à grand-chose quand on laisse la clef dans la serrure, remarqua-t-il. Mais puisque c’était comme ça… »
Ils rejoignirent tante Cécile qui s’écria : « J’ai cru que je ne vous reverrais plus de la journée.
Avez-vous trouvé quelque chose d’intéressant ?
— Rien qu’une vue magnifique qui valait à elle seule l’ascension, répondit sa nièce, mais nous n’avons pas aperçu notre oncle. C’est très mystérieux, tante Cécile. Nous avons fouillé toute l’île et pourtant il n’y est pas.
— Bien que son bateau soit dans la crique, ajouta Mick. Ce qui prouve qu’il n’a pas quitté Kernach.
— Oui, c’est bizarre, en effet, dit tante Cécile en distribuant les sandwiches. Mais si vous connaissiez votre oncle aussi bien que moi, vous ne vous étonneriez pas. Il réapparaît toujours au bon moment. Il a oublié que je vous amenais aujourd’hui, sans quoi il serait là. Nous ne le verrons peut-être même pas aujourd’hui, à moins qu’il se rappelle brusquement notre venue, et il nous rejoindra.
— Mais sortant d’où ? demanda Mick en dévorant un délicieux sandwich au pâté. Il a disparu comme par magie.
— Quand il arrivera, vous vous rendrez bien compte d’où il aura émergé, répliqua gaiement tante Cécile. Un autre sandwich, Claude ? Non, non, pas toi, Dagobert. Tu en as déjà eu trois. Claude, je t’en prie, écarte le museau de Dagobert. Il va dévorer l’assiette.
— Il a faim, lui aussi, maman.
— Je lui ai apporté des biscuits.
— Oh ! maman, comme si Dagobert allait manger des biscuits pour chien quand il peut avoir des sandwiches ! Il ne consent à goûter aux biscuits que lorsqu’il n’a vraiment plus rien à se mettre sous la dent et parce qu’il a si faim qu’il ne peut plus y tenir. »
Ils s’étaient assis en cercle sous le chaud soleil d’avril et mangeaient avec appétit. Pour boire, il y avait de l’orangeade fraîche et sucrée à point. Quant à Dagobert, il se dirigea vers un creux de roc plein d’eau de pluie. Ils l’entendirent laper avec entrain.
« Il a vraiment une mémoire formidable, s’écria Claude. Il y a des lunes qu’il n’est pas venu ici, mais il s’est souvenu de cette flaque d’eau dès qu’il a eu soif.
— N’est-ce pas curieux qu’il n’ait pas dépisté oncle Henri ? dit soudain Mick. Quand nous le cherchions, Dago aurait pu aboyer ou gratter le sol au moment où nous brûlions. Mais il n’a pas bronché.
— Le plus curieux, c’est que papa reste introuvable, déclara Claude. Et je m’étonne que tu prennes cela si calmement, maman.
— Comme je te l’ai déjà dit, ma chérie, je connais mieux ton père que vous tous. Il nous rejoindra quand cela lui conviendra. Je me rappelle cette fois où il étudiait je ne sais plus quoi dans les grottes de Cheddar. Il a disparu dans les stalagmites et les stalactites pendant près d’une semaine. Mais quand il a eu fini ses recherches, il est ressorti tout tranquillement.
— C’est bizarre que… » Annie s’arrêta brusquement. Un bruit étrange résonnait, une sorte de grondement sourd comme celui d’un chien géant furieux, caché loin de là. Puis un sifflement partit du haut de la tour, et tous les fils qui se balançaient au sommet s’illuminèrent comme si la foudre les avait frappés.
« Là, j’étais bien sûre que votre oncle n’était pas loin, dit tante Cécile. J’avais déjà remarqué ce bruit quand je suis venue ici, mais je ne m’étais pas rendu compte de l’endroit d’où il provenait.
— D’où il provenait ? répéta Mick. Presque de dessous nos pieds. Mais c’est impossible. Miséricorde, tout cela est bien mystérieux. »
Le bruit ne se reproduisit pas. Ils attaquèrent les petits pains bourrés de confiture. Et tout à coup Annie poussa un cri strident qui les fit sursauter.
« Regardez ! Voilà oncle Henri ! Là, là… près de la tour. Il inspecte les corneilles. D’où sort-il donc ? »