CHAPITRE XVIII
 
Quatre heures et demie du matin

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Dès que les hommes furent hors de portée de voix, le père de Claude murmura :

« Tant pis, il va falloir que je leur donne mon carnet. Je ne peux pas courir le risque de te voir ensevelie ici, ma petite Claude. Pour moi-même, cela me serait égal. Dans mon métier, on est habitué à n’importe quel danger. Mais ta présence ici change tout.

— Papa, je n’ai plus ton carnet. Je l’ai donné à Dag. J’avais réussi à remuer la pierre qui bloquait l’entrée de sa prison, bien que ces gens-là aient cru le contraire. J’ai donné le carnet à Dag et je lui ai ordonné d’aller se cacher jusqu’a ce que je l’appelle.

— Beau travail, mes compliments, ma petite Claude. Alors… peut-être que si tu amenais Dag ici, il maîtriserait nos deux ennemis avant qu’ils aient le temps de réagir. Il est très capable de les jeter à terre tous les deux à la fois.

— Oh ! oui. C’est notre unique chance. Je vais aller le chercher. J’avancerai un peu dans le tunnel et je sifflerai. Papa… pourquoi n’as-tu pas essayé de libérer Dag ?

— Je ne voulais pas quitter l’endroit où était mon carnet. Je n’avais pas osé le prendre sur moi de peur que ces hommes l’aperçoivent. Ils ont fouillé toutes les grottes pour le trouver. Je préférais ne pas le laisser à leur merci pour chercher ton chien. Je le savais en bonne condition, puisque j’avais vu que ces hommes sortaient d’un sac des biscuits à son intention. Maintenant, va vite, Claude. Siffle Dag. Ces hommes vont revenir d’un instant à l’autre. »

Claude se munit de sa lampe électrique et partit dans le tunnel qui menait à l’ancienne prison de Dag. Elle siffla très fort et attendit. Pas de Dag. Elle resiffla et avança encore un peu. Toujours pas de Dagobert.

Elle l’appela : « Dag ! Ici, Dag ! »

Mais Dagobert ne parut pas. Pas d’aboiement joyeux, pas de bruit de pattes pressées.

« Oh  ! flûte  ! songea Claude. J’espère qu’il n’est pas allé trop loin pour m’entendre. Je vais continuer à avancer. »

Elle poursuivit son chemin dans le tunnel au-delà de la grotte-prison. Toujours pas de Dagobert.

Après un tournant, Claude vit que le tunnel se divisait en trois. Trois galeries différentes, toutes aussi noires, aussi froides et aussi silencieuses les unes que les autres. Mon Dieu, laquelle fallait-il prendre ? Claude s’engagea dans celle de gauche.

Mais celle-là aussi se redivisait encore en trois un peu plus loin. Claude s’arrêta.

« Si je continue, je vais me perdre dans ce labyrinthe, pensa-t-elle. Je n’ose pas. C’est trop effrayant. Dag ! Dag ! »

Sa voix se répercuta le long du souterrain d’une façon bizarre. Claude revint sur ses pas et arriva dans la caverne de son père, le cœur serré.

« Papa, Dagobert a disparu. Il a dû s’enfoncer dans un des tunnels et se perdre. C’est affreux. Au-delà de cette grotte, il y a tout un réseau de souterrains. À croire que le fond de la mer a été creusé dans tous les sens. »

Claude s’assit, l’air abattue.

« Oui, probablement. Voilà notre projet tombé à l’eau. Tant pis, tâchons d’en trouver un autre.

— Je me demande ce que diront François et les autres quand ils se réveilleront et ne me trouveront pas, reprit soudain Claude. Ils viendront peut-être me chercher.

— Cela ne nous avancerait pas beaucoup. Ces hommes descendraient attendre ici qu’ils soient partis, et personne ne nous découvrirait. Les autres ne connaissent pas le passage secret de la salle voûtée, n’est-ce pas ?

— Non. S’ils débarquaient ici, ils ne l’apercevraient certainement pas. Nous avions déjà bien regardé partout. Et ils risqueraient de sauter avec l’île. Papa, c’est affreux.

— Si seulement nous savions où est Dag, répliqua son père. Ou si nous pouvions envoyer un message à François pour le prévenir de ne pas mettre le pied sur l’île… Quelle heure est-il ? Trois heures et demie ? François et les autres doivent dormir comme des loirs. »

L’oncle Henri ne se trompait pas. François et Mick étaient plongés dans un profond sommeil. Et Annie de même, si bien que personne ne savait que le lit de Claude était vide.

Mais vers quatre heures et demie Annie se réveilla car elle avait trop chaud. « Il faut que j’ouvre la fenêtre, songea-t-elle. Je cuis dans mon jus littéralement ! »

Elle se leva, ouvrit la fenêtre et regarda dehors. Les étoiles avaient disparu et l’eau de la baie scintillait faiblement.

« Claude, tu dors ? » murmura Annie. Pas de réponse. Annie tendit l’oreille plus attentivement. Elle n’arrivait même pas à entendre Claude respirer. Elle était pourtant bien là ?

Elle tâta le lit de Claude. Il était plat. Elle fit de la lumière. Il y avait le pyjama de Claude sur le lit, mais ses habits avaient disparu.

« Elle est allée dans l’île. En pleine nuit, toute seule ! » murmura Annie effrayée.

Elle courut dans la chambre de ses frères, chercha à l’aveuglette l’épaule de François et le secoua sans ménagement. Il se réveilla en sursaut.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce, qui se passe ?

— François, Claude est partie », expliqua Annie. Le bruit de leurs voix alerta Mick à son tour, et voilà les deux garçons assis dans leur lit.

« Flûte ! J’aurais dû deviner qu’elle mijotait une bêtise de ce genre, dit François. Dans le milieu de la nuit, avec tous ces écueils qui encombrent la passe autour de l’île. Qu’est-ce que nous pouvons bien faire maintenant ? Je lui avais pourtant dit qu’il ne fallait pas qu’elle aille là-bas. Dag doit se porter comme un charme. L’oncle Henri a simplement oublié de l’emmener avec lui dans la tourelle, hier, voilà tout. Elle aurait pu attendre dix heures et demie… et elle l’aurait vu.

— Alors, nous ne bougeons pas ? demanda Annie avec anxiété.

— Non. Elle doit être à Kernach maintenant, en train de caresser Dag et de se disputer avec l’oncle Henri. Vraiment elle exagère. »

Ils bavardèrent un petit moment, puis François regarda sa montre. « Cinq heures. Tâchons de dormir encore un peu. Tante Cécile sera bien contrariée quand elle apprendra la dernière escapade de Claude. »

Annie retourna dans sa chambre, grimpa dans son lit et se rendormit. François resta éveillé. Il pensait à Claude et se demandait où elle pouvait bien être. Il lui dirait sa façon de penser quand elle reviendrait, elle n’y couperait pas.

Il entendit tout à coup un bruit bizarre au rez-de-chaussée. Qu’est-ce que c’était ? On aurait cru que quelqu’un escaladait une fenêtre. Y en avait-il une d’ouverte ? Oui, celle de la cuisine l’était sûrement. Badaboum ! Qu’est-ce qui se passait ? Ce n’était pas un voleur… aucun voleur ne serait assez stupide pour faire autant de vacarme.

Les marches grincèrent et la porte de la chambre s’ouvrit. Alarmé François étendit la main pour donner la lumière, mais avant qu’il eût atteint le commutateur, quelque chose de lourd lui bondit sur le ventre.

Il hurla et Mick se réveilla en sursaut. Il alluma l’électricité… et François vit ce qui venait d’atterrir sur son lit… Dagobert !

« Dag ! Comment es-tu arrivé là ? Où est Claude ?

— Nom d’une pipe ! s’exclama Mick ahuri. Claude l’a donc ramené ? Elle est là aussi ? »

Tirée de son sommeil par le bruit, Annie entra.

« Par exemple !… Dag ! Oh ! François, est-ce que Claude est revenue ?

— Non, ça n’en a pas l’air, répondit François Dis donc, Dag, qu’est-ce que tu portes dans ta gueule ? Donne, mon vieux, donne ! »

Dag obéit. François ramassa le carnet.

« Il est plein de notes, toutes de l’écriture de l’oncle Henri ! Bizarre. Comment Dagobert se trouve-t-il en possession de ce carnet et pourquoi l’apporte-t-il ici ? C’est extraordinaire. »

Personne n’arrivait à comprendre pourquoi Dagobert apparaissait tout d’un coup avec ce carnet… sans Claude.

« Très bizarre, répéta François. Allons réveiller tante Cécile. »

Ils s’en allèrent en chœur raconter à leur tante tout ce qu’ils savaient. Elle fut très inquiète quand elle apprit que Claude était partie. Elle feuilleta le carnet et se rendit compte aussitôt qu’il était très important.

« Il faut que je le mette en sûreté dans le coffre, dit-elle. Comment Dag pouvait-il avoir entre ses dents un objet de cette valeur ? »

Dagobert avait une attitude curieuse. Il ne cessait de donner des coups de patte à François en gémissant. Il s’était montré ravi de les revoir tous, mais il avait l’air préoccupé.

« Qu’est-ce que tu as, mon vieux ? demanda Mick. Comment es-tu venu ici ? Pas à la nage, puisque tu as le poil sec. Si tu as traversé en bateau, ce doit être avec Claude… et pourtant tu l’as laissée derrière.

— Claude a dû avoir un accident, s’écria Annie. Dag veut te dire de retourner avec lui la chercher. Elle l’a peut-être ramené en bateau et elle était si fatiguée qu’elle s’est endormie sur la plage ou est tombée. Nous devrions y aller voir.

— Oui, tu as raison, dit François. Tante Cécile, cela ne t’ennuierait pas de réveiller Maria pour qu’elle prépare quelque chose de chaud au cas où Claude serait fatiguée ou gelée ? Nous descendons tout de suite à la plage. Il va faire jour bientôt. Le ciel est tout clair à l’est.

— Bon, habillez-vous, répliqua tante Cécile qui avait l’air inquiet. Ah ! quelle famille ! On n’a pas une minute de tranquillité avec elle. »

Les trois enfants commencèrent à s’habiller. Dag les regarda faire sans s’impatienter. Puis ils descendirent de leur chambre et sortirent de la maison. François prit la direction de la plage, mais Dag se planta dans le sentier et refusa de bouger Il posa la patte sur Mick, puis fit quelques pas dans l’autre sens.

« Tiens… il ne veut pas que nous allions à la plage ! s’écria François surpris. Où veut-il nous conduire ? Oui, Dag, montre-nous le chemin, nous te suivons. »