CHAPITRE XVII
 
Dag !

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Son père la rappela vivement : « Non, Claude, reviens ! J’ai quelque chose d’important à te dire. Viens vite ! »

Claude retourna sur ses pas, bouillant d’impatience. Il fallait qu’elle retrouve tout de suite Dag, où qu’il fût !

« Ecoute, dit son père. J’ai ici un carnet où j’ai noté toutes les formules de ma découverte. Ces hommes ne l’ont pas vu. Je veux que tu le rapportes à la maison. Ne le perds pas. Si ces hommes s’en emparaient, ils auraient tous les renseignements qu’ils désirent.

— Mais n’en ont-ils pas appris suffisamment eu regardant les fils et tes machines ?

— Ils en savent pas mal, surtout depuis qu’ils sont venus ici, mais cela ne leur suffît pas. Je n’ose pas détruire ce carnet, car mon projet serait réduit à néant s’il m’arrivait quoi que ce soit. C’est pourquoi je te le confie, ma petite Claude. Il faudra que tu le remettes en mains propres à la personne dont je vais te donner l’adresse.

— C’est une grande responsabilité », murmura Claude émue à l’idée de se charger d’un carnet si précieux non seulement pour son père mais aussi pour le monde entier. « Mais je ferai de mon mieux, papa. Je me cacherai dans une des grottes en attendant que les hommes reviennent, puis je me faufilerai dans le tunnel jusqu’à la salle voûtée, je sauterai dans mon bateau et je ramerai le plus vite possible jusqu’à la plage. Je donnerai ton carnet et je demanderai qu’on t’envoie de l’aide.

— Tu es une bonne petite fille, dit son père en l’embrassant. Ma parole, tu es aussi brave qu’un garçon. Je suis fier de toi. »

Claude pensa que son père ne lui avait jamais adressé de si grands compliments. Elle sourit.

« Il faut que j’aille essayer de trouver Dag maintenant. Je veux m’assurer qu’il n’a besoin de rien avant de me cacher.

— D’accord. L’homme qui avait pris les biscuits est parti dans cette direction… encore plus loin sous la mer. Oh ! à propos, comment se fait-il que tu sois ici, au beau milieu de la nuit ? »

Son père s’apercevait pour la première fois que Claude avait, elle aussi, pas mal de choses à dire. Mais Claude ne voulait pas perdre plus de temps. Elle était décidée à retrouver Dag.

« Je te raconterai ça tout à l’heure, papa. Oh… où est ton carnet ? »

Son père se leva, prit une caisse qu’il posa au pied de la paroi, dans le fond de la grotte, et monta dessus. Il tâta avec la main le long d’une corniche sombre jusqu’à ce qu’il eût trouvé ce qu’il cherchait.

C’était un carnet aux feuillets minces comme de la pelure. Son père l’ouvrit et Claude vit des diagrammes dessinés à la perfection et des notes qui couvraient des pages entières, de la petite écriture nette de son père.

« Voilà, dit-il en lui tendant le carnet. Fais de ton mieux. S’il m’arrivait quelque chose, ce carnet permettrait à mes collègues de transmettre mon idée à l’humanité. Si je me tire de cette aventure sain et sauf, je serai content d’avoir ce carnet, parce que cela m’évitera de recommencer mes expériences pour avoir les formules nécessaires. »

Claude fourra le précieux carnet dans la poche de son imperméable, heureusement fort grande.

« Il est en sécurité avec moi, papa. Maintenant je vais à la recherche de Dag, sinon ces deux hommes seront de retour avant que j’aie le temps de me cacher dans une des cavernes. »

Elle quitta la grotte de son père et déboucha dans une autre qui était complètement vide. Elle poursuivit sa route le long d’un tunnel qui serpentait dans le roc.

Et soudain elle entendit le bruit qu’elle guettait depuis si longtemps : un gémissement de chien.

« Dag ! cria Claude. Je viens, Dag, j’arrive ! »

Dag cessa de gémir. Silence. Puis : « Ouah ! Ouah ! Ouah ! » Dag aboyait joyeusement. Claude manqua tomber en essayant de courir dans le tunnel étroit. À la lueur de sa lampe, elle aperçut un gros rocher qui bouchait l’entrée d’une espèce de petite caverne creusée dans la paroi du tunnel. Et derrière le rocher, Dag aboyait et grattait le sol avec frénésie.

Claude tira sur la pierre de toutes ses forces.

« Oui, mon vieux Dag, je vais te sortir de là, dit-elle d’une voix haletante. Oui, Dago, oui, mon vieux. »

La pierre bougea un peu. Claude tira encore dessus. La masse de roc était trop pesante pour elle, mais l’énergie du désespoir décupla les forces de Claude. La pierre roula subitement de Côté, et Claude eut juste le temps d’écarter son pied, sans quoi il aurait été écrasé.

Dag s’inséra dans l’espace ainsi dégagé et se jeta sur Claude qui tomba par terre, ses bras serrés autour de lui Il lui lécha la figure en poussant des petits gémissements de joie. Claude enfouit son nez dans son poil épais.

« Dag, mon vieux, qu’est-ce qu’on t’a fait, hein ? Dago, je suis venue dès que j’ai pu. »

Dagobert ne s’arrêtait pas de gémir, de la lécher et de lui poser les pattes dessus comme pour compenser tout le temps où il avait été séparé d’elle. On aurait difficilement pu dire qui des deux était le plus content.

À la fin, Claude écarta Dag. « Ecoute, Dag, nous avons beaucoup à faire. Il faut que nous nous échappions d’ici et que nous demandions de l’aide.

— Ouah », dit Dagobert.

Claude se releva et éclaira l’intérieur de la prison où Dag avait été enfermé. Elle vit un bol plein d’eau et des biscuits. Les hommes ne l’avaient donc pas maltraité, à part qu’ils l’avaient à moitié étranglé avec leur lasso en le capturant. Claude tâta avec délicatesse l’encolure de Dag; il n’avait qu’une légère enflure au cou et n’avait pas l’air de s’en ressentir du tout.

« Dépêchons-nous maintenant… nous allons retourner vers papa et nous cacher dans une grotte à côté de la sienne en attendant que les hommes reviennent de la tourelle. Puis nous sortirons par la petite salle voûtée et nous ramerons jusqu’à la plage, murmura Claude. J’ai là un carnet très, très important, mon vieux Dag. »

Dagobert gronda soudain, et son poil se hérissa: Claude se figea sur place et tendit l’oreille.

Une voix sévère retentit dans le tunnel.

« Je ne sais pas qui vous êtes ni d’où vous venez, mais si jamais vous délivrez ce chien, je vous garantis qu’il sera abattu. Et pour vous prouver que ce n’est pas une menace pour rire, voilà qui vous démontrera que j’ai un revolver. »

Une déflagration assourdissante se répercuta sous la voûte, comme l’homme tirait. Une balle ricocha contre la paroi. Claude et Dagobert sursautèrent. Dag s’apprêtait à s’élancer aussitôt dans le tunnel, mais Claude le retint par le collier.

Elle avait très peur et essayait de deviner ce qu’il valait mieux faire.

Les échos du coup de feu n’en finissaient pas de s’éteindre. C’était atroce. Dag avait cessé de gronder et Claude ne bougeait pas plus qu’une pierre.

« Alors ? reprit la voix. Vous avez entendu ce que j’ai dit ? Si ce chien est libéré, il sera tué. Je n’hésiterai pas. Et vous, qui que vous soyez, approchez, que je voie qui vous êtes. Mais je vous avertis… si le chien est avec vous, il y passera ! »

Claude murmura à l’oreille de Dagobert : « Dag, cours te cacher quelque part ! » Et elle se souvint… Son cœur se serra. Elle avait sur elle le précieux carnet de son père. Dans sa poche ! Si l’homme le trouvait ? Son père serait fou de chagrin à la pensée que son merveilleux secret lui était arraché.

Claude sortit vivement le carnet de sa poche et le tendit à Dagobert. « Mets ça dans ta gueule, Dag, emporte-le. Cache-toi jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de danger. Vite ! Va, Dag, va ! Je ne risque rien. »

À son grand soulagement, Dag prit le carnet et s’enfonça dans le tunnel qui s’éloignait sous la mer. Pourvu qu’il trouve une bonne cachette… Le tunnel devait se terminer un peu plus loin, mais Dag trouverait peut-être avant un coin noir où il attendrait qu’elle l’appelle.

« Approchez-vous, oui ou non ? cria la voix avec colère. Si vous m’obligez à aller vous chercher, vous le regretterez, parce que je tirerai devant moi tout le long du chemin.

— Je viens ! » lança Claude en réponse d’une voix mal assurée. Et elle s’avança dans la galerie. Elle aperçut bientôt de la lumière et, quelques secondes plus tard, elle se trouva dans le rayon d’une puissante torche électrique. Une exclamation de surprise retentit.

« Nom d’une pipe ! Un gamin ! Qu’est-ce que vous faites ici et d’où sortez-vous ? »

L’homme prenait Claude pour un garçon à cause de ses cheveux courts, et elle ne le détrompa pas. Il brandissait un revolver, mais il le laissa retomber quand il vit à qui il avait affaire.

« Je suis venue retrouver mon père et sauver mon chien, dit Claude.

— Vous ne pouvez pas bouger cette grosse pierre. Un enfant comme vous n’en a pas la force. Et vous ne pouvez pas délivrer votre père non plus. Nous le retenons prisonnier, comme vous avez pu vous en rendre compte.

— Oui », répondit Claude ravie que l’homme l’ait crue trop faible pour déplacer le rocher.

Elle ne parlerait pas de Dag. Si l’homme le pensait encore enfermé dans cette petite grotte, tant mieux.

Puis elle entendit la voix anxieuse de son père qui l’appelait un peu plus loin, derrière l’homme. « Claude ! C’est toi ? Tu vas bien ?

— Oui, papa ! » cria Claude en souhaitant qu’il ne lui demande pas où était Dag. L’homme lui fit signe d’approcher, puis la poussa devant lui jusqu’à la caverne de son père.

« Je vous ramène votre gamin, déclara l’homme. Quel petit idiot ! Il s’imaginait qu’il réussirait à remettre cette bête féroce en liberté. Nous l’avons enfermée dans une grotte avec un gros roc en guise de porte. »

Un second homme surgit à l’autre bout de la caverne. Il fut stupéfait en apercevant Claude. Son acolyte expliqua :

« Quand je suis descendu ici, j’ai entendu du bruit, le chien qui aboyait et quelqu’un qui lui parlait… et j’ai trouvé ce gosse qui essayait de délivrer le chien. J’aurais tué le chien, s’il avait été libre, évidemment.

— Mais comment ce garçon est-il arrivé ici ? demanda l’autre pas encore revenu de sa surprise.

— Il nous le dira peut-être ! »

Et c’est ainsi que le père de Claude apprit comment et pourquoi sa fille était venue là.

Elle raconta donc qu’elle avait guetté l’apparition de Dag dans la tourelle et que son absence l’avait inquiétée. Alors elle avait pris son bateau et avait débarqué dans l’île en pleine nuit. Elle avait vu d’où les hommes étaient sortis Elle était entrée dans le tunnel et ne s’était arrêtée que lorsqu’elle avait atteint la caverne où était son père.

Les trois hommes l’avaient écoutée en silence.

« Vous nous gênez considérablement, dit l’un des hommes, mais, ma parole vous êtes un garçon dont on a de quoi être fier. Il n’y a pas beaucoup de fils qui soient assez braves pour courir autant de risques.

— Oui, je suis vraiment très fier de toi, Claude », déclara son père. Il la regardait avec anxiété. Claude devina ce qu’il pensait : qu’était devenu son précieux carnet ? Avait-elle eu l’intelligence de le cacher ? Elle n’osait pas lui en souffler mot tant que ces hommes étaient là.

Le second compère s’écria : « Voilà qui complique les choses. Si vous ne rentrez pas, on s’apercevra vite de votre absence et l’on vous cherchera. Quelqu’un viendra peut-être même ici prévenir votre père de votre disparition. Nous ne voulons personne ici… tant que nous n’avons pas appris ce que nous voulons savoir.

Il se tourna vers le père de Claude : « Si vous nous dites ce que nous voulons savoir et si vous nous donnez vos formules, nous vous remettrons en liberté avec la somme que vous fixerez vous-même, et nous disparaîtrons.

— Et si je réponds encore une fois non ?

— Alors nous aurons le regret de faire sauter toute votre machinerie, y compris la tourelle. Quant à vous, on ne vous retrouvera peut-être jamais, parce que vous serez enterré ici », répliqua l’homme d’une voix subitement durcie.

Il y eut un profond silence. Claude regardait son père. Il finit par dire : « Vous ne feriez pas une chose pareille. Cela ne vous servirait de rien.

— Avec nous, c’est tout ou rien. Réfléchissez. Nous vous accordons jusqu’à dix heures et demie demain matin… soit environ sept heures. Alors ou bien vous nous dites ce que nous voulons savoir ou bien l’île saute. »

Ils quittèrent la caverne, laissant Claude et son père ensemble. Sept heures seulement ! Et peut-être la fin de l’île de Kernach.