CHAPITRE XX
 
Arriveront-ils trop tard  ?

img38.jpg

Pendant ce temps-là, Dagobert et les trois garçons accomplissaient un étrange voyage souterrain. Dag courait en éclaireur sans hésiter, ne s’arrêtant que pour permettre à ses compagnons de le rattraper.

Au début, la voûte du tunnel était très basse et elle obligea les garçons à avancer courbés en deux, ce qui était extrêmement fatigant. Mais au bout d’un moment, ils purent se redresser. François examina les parois et le sol avec sa lampe. Il se rendit compte que le tunnel était creusé dans le roc. Il chercha à deviner où ils se trouvaient.

« Nous sommes allés droit vers la falaise, à part un ou deux détours à droite et à gauche, dit-il à Mick. Ces cent derniers mètres étaient tellement en pente que nous devons être maintenant à une grande profondeur. »

Ce n’est que lorsque les garçons entendirent l’étrange mugissement perçu par Claude dans le passage secret qu’ils surent où ils étaient. Ils marchaient sous la mer ! C’était à la fois étrange et surprenant.

« Comme dans un rêve, commenta François. Mais un rêve que je n’aime pas beaucoup. Oui, Dag, nous voici. Oh ! oh ! qu’est-ce que c’est que ça ? »

Ils s’immobilisèrent. Des rocs de la voûte s’étaient écroulés et bouchaient le passage. Dagobert avait réussi à se faufiler entre deux pierres, mais les garçons ne pouvaient pas emprunter le même chemin.

« Voilà où les bêches sont utiles, Martin, dit Mick. Allons-y. »

Poussant, tirant, creusant, les garçons réussirent à dégager suffisamment de place pour franchir ce barrage.

« Heureusement que nous avions ces bêches », s’écria François.

img39.jpg
Voilà où les bêches sont utiles Martin, dit Mick

Ils continuèrent leur route et durent avoir recours de nouveau aux bêches pour déplacer d’autres cailloux. Dagobert aboyait avec impatience chaque fois qu’ils le faisaient attendre. Il avait hâte de rejoindre Claude.

Ils atteignirent bientôt l’endroit où le tunnel se divisait en deux. Dag s’engagea sans hésiter dans l’embranchement de droite, et quand ce tunnel-là se divisa à son tour en trois, il s’enfila dans un des passages sans même ralentir pour réfléchir.

« Magnifique, hein  ? Rien que grâce au flair ! Il a suffi que Dag y passe une seule fois pour connaître le chemin par cœur, dit François. Sans lui, nous serions complètement perdus. »

L’aventure ne réjouissait guère Martin. Il avançait péniblement derrière les autres, prononçant à peine un mot de temps en temps. Mick devina qu’il s’inquiétait de ce qui se passerait une fois cette aventure finie. Pauvre Martin. Tout ce qu’il désirait, c’était dessiner… et au lieu de cela, il était entraîné dans des entreprises plus horribles les unes que les autres par son tuteur.

« Est-ce que tu crois que nous approchons de l’île ? demanda Mick au bout d’un moment. Je commence à être fatigué.

— Oui, nous ne sommes pas loin, maintenant, répliqua François. Il vaudrait mieux tâcher de faire le moins de bruit possible au cas où nous tomberions sur l’ennemi. »

Ils poursuivirent donc leur chemin sans échanger une parole… et soudain ils aperçurent une faible lueur à quelque distance. François arrêta les autres de la main.

Ils avaient presque atteint la caverne où le père de Claude avait installé ses livres et ses papiers, où d’ailleurs elle l’avait trouvé la nuit précédente. Dagobert s’était figé sur place lui aussi, l’oreille au guet. Il ne voulait pas courir tête baissée dans un traquenard !

Ils perçurent un bruit de voix et s’efforcèrent de les identifier. « C’est Claude… et l’oncle Henri », chuchota François. Et comme si Dag s’était persuadé à son tour que c’étaient bien leurs deux voix, il bondit en avant et entra en trombe dans la grotte éclairée avec un aboiement joyeux.

« Dag ! » cria la voix de Claude. Et les garçons entendirent tomber une chaise qu’elle avait renversée en se levant. « D’où viens-tu ?

— Ouah ! tenta d’expliquer Dagobert. Ouah ! »

François et Mick s’élancèrent à leur tour dans la caverne, suivis de Martin. L’oncle Henri et Claude ouvrirent de grands yeux.

« François ! Mick ! Et Martin ! Comment êtes-vous arrivés ici ? » s’exclama Claude tandis que Dagobert cabriolait autour d’elle.

« C’est Dagobert qui nous a conduits », expliqua François, et il raconta comment Dag était entré à l’aube dans sa chambre et avait sauté sur son lit, puis tout le reste.

Et Claude et l’oncle Henri relatèrent à leur tour ce qui leur était advenu.

« Où sont les deux hommes ? demanda François.

— Quelque part dans l’île, répondit Claude. Je suis allée voir ce qu’ils faisaient tout à l’heure. Je crois qu’ils resteront dans la petite salle voûtée jusqu’à dix heures et demie quand il sera temps d’envoyer les signaux pour qu’on pense que tout se passe bien dans l’île.

— Qu’est-ce que nous décidons ? Vous rentrez avec nous par le tunnel sous-marin ? proposa François.

— Mieux ne vaut pas, s’écria Martin. Mon tuteur y est peut-être… et il est en contact avec toute une bande. S’il se demande où je suis, et s’il se doute qu’il est arrivé quelque chose, il est capable de prendre avec lui deux ou trois hommes en renfort, et nous risquerions de nous trouver nez à nez avec eux. »

Ils ignoraient, bien entendu, que M. Corton gisait au fond de la carrière avec une jambe cassée. L’oncle Henri réfléchit.

« On m’a donné sept heures pour décider si je voulais livrer mon secret ou non, dit-il. Le délai s’achève juste à dix heures et demie. Les hommes reviendront à ce moment-là. À nous tous, nous devrions pouvoir les capturer, surtout avec l’aide de Dagobert.

— Oui, c’est une bonne idée, répliqua François. Nous n’avons qu’à nous cacher quelque part et lancer Dag sur eux avant qu’ils aient le temps de réagir. »

À peine finissait-il de parler que la lumière s’éteignit. Puis une voix résonna dans l’obscurité.

« Ne bougez pas. Ou je tire.»

Claude sentit sa gorge se serrer. Que se passait-il ? Leurs ennemis étaient donc de retour plus tôt que prévu ? Oh ! pourquoi Dag ne les avait-il pas avertis ? Elle lui caressait les oreilles, justement. C’est pourquoi il n’avait pas entendu l’approche de leurs ennemis.

Elle agrippa le collier de Dag, de peur qu’il ne tentât de sauter à la gorge de l’inconnu et ne reçût une balle. La voix résonna de nouveau.

« Voulez-vous nous livrer votre secret ?

— Non, répliqua l’oncle Henri d’une voix sourde.

— Vous préférez que votre travail soit réduit à néant, aussi bien que l’île et vous-même ?

— Oui ! Si ça vous amuse, allez-y, hurla soudain Claude. Vous sauterez, vous aussi. Vous ne pourrez pas vous sauver en bateau… vous vous briserez sur les rochers ! »

L’homme éclata de rire : « Ne craignez rien pour nous. Reculez jusqu’au fond de la caverne. Attention, je vous tiens en joue. »

Ils se tassèrent au bout de la grotte. Dag gronda, mais Claude le fit taire tout de suite. Elle ignorait si les hommes le savaient libre ou non.

Le sol crissa. Claude tendit l’oreille : des pas légers, deux sortes de pas ! Leurs ennemis traversaient la grotte. Elle devina où ils allaient : ils disparaîtraient par le tunnel sous-marin… abandonnant l’île à la destruction.

Dès que les pas se furent évanouis, Claude alluma sa lampe électrique.

« Papa, ces hommes partent par le tunnel sous-marin. Il faut que nous nous sauvions aussi, mais pas par là. Mon bateau est dans la crique. Courons-y et tâchons de nous éloigner avant l’explosion.

— En route, dit son père. Mais si seulement je pouvais monter dans la tourelle, je ruinerais tous leurs plans. Ils veulent se servir du courant qui est là-haut, mais que je parvienne à la salle vitrée et leurs mauvaises intentions seront nulles et non avenues.

— Oh ! dépêche-toi, papa, cria Claude que la panique commençait à prendre. Sauve mon île si tu peux ! »

Ils quittèrent la caverne, traversèrent le souterrain et atteignirent les marches qui descendaient de la salle voûtée. Et une fois en haut, ils eurent une surprise désagréable. La dalle refusait de s’ouvrir de l’intérieur. Les hommes avaient altéré le mécanisme qui fonctionnait maintenant uniquement de l’extérieur…

L’oncle Henri eut beau manœuvrer le levier dans tous les sens, la pierre ne bougea pas. « On ne peut plus l’ouvrir que de l’extérieur, dit-il avec un soupir. Nous sommes prisonniers. » Ils se laissèrent tomber sur les marches, les uns au-dessous des autres. Ils avaient faim, froid et peur. Qu’allaient-ils faire maintenant ? Retourner vers la caverne et s’engager dans le tunnel sous-marin ?

« Non, dit l’oncle Henri. Je crains trop que l’explosion ne provoque une fissure dans le fond de la mer et que l’eau s’engouffre dans le tunnel. Ce ne serait pas drôle si. nous y étions à ce moment-là.

— Oh ! non, murmura Claude en frissonnant. Ne nous laissons pas prendre au piège comme ça. C’est affreux.

— À moins que je ne prépare quelque chose pour faire sauter cette dalle, reprit son père au bout d’une seconde. J’ai tous les éléments nécessaires… à condition qu’il me reste assez de temps pour les rassembler.

— Ecoutez ! s’écria alors François. Il me semble que j’entends quelque chose de l’autre côté du mur. Chut ! »

Ils prêtèrent l’oreille. Dagobert gémissait et grattait la dalle qui refusait de s’ouvrir.

« Oui, on parle ! On dirait qu’il y a des tas de gens de l’autre côté. Qui est-ce donc ? dit Mick.

— Tais-toi ! coupa François. Laisse-nous écouter.

— J’ai deviné ! s’exclama Claude. Ce sont les pêcheurs qui sont arrivés avec leurs bateaux. Voilà pourquoi les hommes n’ont pas attendu dix heures et demie. Voilà pourquoi ils étaient tellement pressés. Ils avaient vu les pêcheurs approcher.

— C’est Annie qui a dû les prévenir, dit Mick. Elle a couru raconter tout à tante Cécile… les pêcheurs sont venus nous sauver. Annie ! Annie ! Nous sommes là ! »

Dagobert se mit à aboyer de toutes ses forces. Il devenait assourdissant. Les autres l’encourageaient, car ils étaient sûrs que ses aboiements s’entendraient mieux que leurs appels.

« Ouah ! Ouah !Ouah ! »

Annie entendit cris et aboiements dès qu’elle entra dans la petite salle voûtée. « Où êtes-vous ? Où êtes-vous ? hurla-t-elle.

— Ici, ici ! Déplace la pierre ! » cria François avec une telle violence que les autres faillirent choir de surprise en bas de l’escalier.

« Laissez-moi passer, ma petite demoiselle, je vois de quelle pierre il s’agit », dit une voix de basse, celle d’un pêcheur. Il tâtonna tout autour de la dalle, bien reconnaissable parce que plus propre que les autres à force d’avoir servi comme entrée.

Tout à coup il découvrit le bon endroit et mit la main sur un petit levier de fer. Il tira dessus, le contrepoids s’ébranla et la dalle se rabattit.

Les prisonniers bondirent dehors à la queue-leu-leu. Les six pêcheurs les regardaient avec stupéfaction faire irruption l’un après l’autre dans la salle voûtée. Tante Cécile était là, elle aussi, avec Annie. Elle se précipita vers son mari dès qu’il sortit, mais, à sa grande surprise, il l’écarta sans douceur.

Il s’élança dehors en courant de toutes ses forces vers la tourelle. Arriverait-il à temps pour sauver l’île et tous ceux qui se trouvaient dessus ? Oh ! vite, vite, vite !