CHAPITRE XVI
 
Exploration souterraine

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Claude descendit avec prudence. Les marches étaient étroites et raides. « Elles sont taillées dans l’épaisseur du mur, songea Claude. Bigre, voilà que le passage se rétrécit. »

À tel point que Claude dut avancer de profil, comme un crabe. « Jamais quelqu’un de gros ne pourrait passer par là, se dit-elle. Tiens, l’escalier est fini. »

En cours de route, elle avait ramassé son sac et drapé la couverture sur ses épaules. De sa main libre, elle tenait sa lampe. L’ombre était impénétrable et le silence total. Claude n’avait pas peur, car elle s’attendait à voir surgir Dagobert d’un moment à l’autre. Comment s’effrayer quand il y a Dag prêt à vous accueillir au prochain tournant ?

Au bas des marches s’ouvrait une galerie qui obliquait brusquement sur la gauche.

« Est-ce qu’elle va vers les oubliettes ? se demanda Claude. Elles ne sont pas très loin, mais je n’aperçois rien qui les annonce par ici. »

Elle avança le long du tunnel. À un moment, la voûte s’abaissait tellement que Claude fut presque obligée de ramper. Elle éclaira cette voûte avec sa lampe et vit une espèce de roche noire qui avait visiblement résisté aux efforts des ouvriers chargés de percer le souterrain.

Il était interminable, ce tunnel. Claude était intriguée. Voyons, elle aurait dû rencontrer déjà l’entrée des oubliettes. Elle était à mi-chemin du bord de l’île à en juger par la distance parcourue. Comme c’était bizarre ! Alors le tunnel ne rejoignait pas les oubliettes ? Encore une centaine de mètres, et elle serait sous la mer.

Le tunnel plongeait de plus en plus profondément. Le sol avait une forte déclivité, puis il y eut encore des marches grossièrement taillées dans le roc. Claude les descendit avec précaution. Où allait-elle ?

Au pied des marches, la galerie avait l’air creusée en plein cœur d’un rocher. À moins que ce ne fut un passage naturel ? Claude n’aurait pas su le dire. Sa lampe révélait une voûte noirâtre, et ses pieds trébuchaient sur un sol pierreux et irrégulier. Elle aurait bien aimé avoir Dag auprès d’elle.

« Je dois être à une très grande profondeur maintenant », pensa-t-elle en s’arrêtant pour éclairer les parois autour d’elle. « Et à une très grande distance du château. Bonté divine, qu’est-ce que c’est que ce vacarme ? »

Elle écouta. Elle perçut une espèce de grondement et de mugissement. Son père était-il en train de faire une de ses expériences ? Mugissements et grondements se répétaient sans arrêt.

« Mais on dirait la mer ! » Stupéfaite, Claude s’immobilisa encore pour écouter. « Oui, c’est la mer, juste au-dessus de ma tête. Je suis au-dessous de la baie de Kernach. »

Et la pauvre Claude commença à avoir peur. Elle pensa aux grandes vagues qui se balançaient au-dessus d’elle, à la masse d’eau perpétuellement en mouvement qui roulait sur la voûte du tunnel, et elle craignit soudain que la mer ne trouvât une faille par où s’introduire dans son tunnel étroit.

« Allons, ne sois pas idiote, se dit-elle sévèrement. Ce tunnel se trouve sous la mer depuis des centaines d’années. Pourquoi se démolirait-il tout d’un coup précisément quand tu es dedans ? »

Sans cesser de s’admonester pour ne pas perdre courage, Claude continua sa progression souterraine. C’était vraiment bizarre de penser qu’elle marchait sous la mer. Voilà donc où travaillait son père. Sous la mer.

Et tout à coup, Claude se rappela ce qu’il leur avait dit lorsqu’ils étaient tous venus le voir pour la première fois. Qu’est-ce que c’était donc ? Ah ! oui ! Il avait besoin d’avoir de l’eau autour et au-dessus de lui. Je comprends maintenant ce qu’il voulait dire. Son laboratoire doit se trouver par là, si bien que la mer est au-dessus de lui. Et elle est autour de la tourelle, puisque cette tourelle est bâtie sur une île.

De l’eau au-dessus et autour… voici ce qui expliquait que son père eût choisi Kernach pour poursuivre ses expériences. Mais comment avait-il découvert ce passage secret ? « Je ne me doutais même pas de son existence, et pourtant je connais mieux l’île que lui, se dit Claude. Holà !… qu’est-ce que c’est que ça ? »

Elle s’arrêta. Le tunnel s’agrandissait brusquement et formait une espèce de grotte dont la haute voûte se perdait dans l’ombre épaisse. Claude examina avec surprise ce qui apparaissait à la lueur de sa lampe : des objets étranges dont elle ne comprenait pas l’utilisation, fils, boîtes en verre, machineries minuscules en mouvement sans produire un son, dont le centre s’illuminait d’une faible clarté frémissante.

Des étincelles jaillissaient de temps en temps, et quand cela se produisait, une odeur bizarre se répandait dans la caverne. « Comme c’est étrange, songea Claude. Je me demande comment papa arrive à se débrouiller avec tous ces appareils. Où peut-il être ? J’espère que ces hommes ne l’ont pas enfermé quelque part. »

À l’autre bout de cette caverne aussi curieuse que celle d’Aladin, il y avait un autre tunnel. Claude s’y engagea. Il ressemblait au premier, sauf qu’il était plus haut de voûte.

Claude déboucha dans une autre grotte, plus petite que la précédente et encombrée d’une multitude de fils. Il y avait là une sorte de bruissement assez semblable à celui qui résonne dans une ruche. Claude n’aurait pas été étonnée d’apercevoir les abeilles.

« Ce sont les fils qui font ce bruit », se dit-elle. À part cela, personne. Une autre caverne s’annonçait ensuite et Claude pensa qu’elle ne tarderait pas à trouver enfin Dag et son père.

Il n’y avait absolument rien dans la caverne suivante. Le froid y était glacial. Claude frissonna.

Encore un tunnel, encore une petite grotte. Et la première chose qu’elle aperçut au-delà de cette grotte, c’est une lumière !

Alors elle approchait de l’endroit où était son père. Claude examina d’abord la grotte où elle se tenait et découvrit des boîtes de conserves, des bouteilles de bière, du chocolat et des vêtements. Ah ! c’était là que son père rangeait ses provisions. Claude se dirigea vers la caverne suivante en se demandant pourquoi Dag n’accourait pas pour lui dire bonjour.

Elle s’arrêta à l’entrée de la caverne éclairée et l’inspecta d’un œil prudent. Assis à une table, la tête dans ses mains, immobile comme une statue de pierre, il y avait quelqu’un… son père ! Mais pas de Dag.

« Papa ! » Son père sursauta et se retourna. Il regarda Claude comme s’il n’en croyait pas ses yeux. Puis il enfouit de nouveau sa tête dans ses mains.

« Papa ! » répéta Claude, le cœur serré parce qu’il ne lui avait rien dit.

Il se retourna encore, et cette fois il se leva. Il examina Claude, puis se laissa retomber lourdement sur sa chaise. Claude se précipita vers lui. « Oh ! papa, qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui se passe ? Où est Dagobert ?

— C’est toi, Claude ? J’avais l’impression de rêver en t’apercevant. Comment se fait-il que tu sois ici ? Bonté divine, c’est invraisemblable.

— Papa, tu n’as rien ? Qu’est-ce qui est arrivé ? Où est Dag ? » reprit Claude d’une voix inquiète.

Elle jeta un coup d’œil autour d’elle, mais ne vit pas trace de Dag. Son sang se glaça. Il n’était pas arrivé de catastrophe à Dagobert ?

« As-tu rencontré deux hommes tout à l’heure ? demanda son père. Où étaient-ils ?

— Oh ! papa, nous perdons notre temps à nous poser mutuellement des questions sans donner de réponses. Dis-moi où est Dag.

— Je n’en sais rien. Ces hommes sont-ils allés à la tourelle ?

— Oui. Oh ! papa, qu’est-ce qui se passe ?

— S’ils sont là-bas, nous avons une heure de répit. Maintenant, Claude, écoute-moi bien. C’est très grave.

— Je t’écoute, papa, mais explique-moi vite où est Dag.

— Ces deux hommes ont été parachutés sur l’île pour tenter de découvrir mon secret. Mes expériences ont pour but de trouver un moyen de remplacer le charbon, le coke et l’essence, pour donner au monde la chaleur et la force thermique dont il a besoin et pour remplacer les mines si dangereuses pour les mineurs.

— Oh ! c’est magnifique ! On n’aura jamais eu quelque chose d’aussi splendide.

— Oui, et j’en ferai don au monde entier, non pas à un seul pays ou à une poignée d’industriels. Ce sera à la disposition de l’humanité tout entière. Mais il y a des gens qui convoitent mon secret pour en tirer une fortune colossale.

— Oh ! quels misérables. Papa, est-ce qu’ils le connaissent donc ?

— J’étudiais mon idée avec quelques collègues. Et l’un d’eux nous a trahis. Il est allé parler de mon projet à des hommes d’affaires très puissants. Lorsque je l’ai appris, j’ai décidé de m’installer ici et de terminer mes expériences tout seul. Comme cela, j’étais sûr que personne ne pourrait plus me trahir.

— Et tu as choisi mon île !

— Oui, parce que j’avais besoin d’avoir de l’eau au-dessus de moi et autour de moi. J’avais regardé par hasard une reproduction de la vieille carte de Kernach et je me suis dit que si le tunnel indiqué dessus, celui qui part de la petite salle voûtée, conduisait réellement sous la mer, ce serait l’endroit idéal pour finir mes travaux.

— Oh ! papa… et j’ai fait tant d’histoires… », murmura Claude honteuse au souvenir de ses colères quand elle l’avait appris.

« Tiens ? dit son père, comme s’il ne s’en souvenait plus. Bref, j’ai amené tout mon matériel à Kernach. Et voilà maintenant que ces hommes m’ont découvert et emprisonné ici.

— Pauvre papa, est-ce que je peux t’aider ? Je n’ai qu’à retourner chercher de l’aide.

— Oui, mais il ne faut pas que tu laisses ces hommes te voir, ma chérie.

— Oui, papa, mais dis-moi d’abord ce qui est arrivé à Dagobert.

— Il ne m’a pas quitté une seule minute. C’est vraiment un chien merveilleux. Et ce matin, juste au moment où je sortais de ma cachette dans la petite salle voûtée pour aller avec Dag vous envoyer mes signaux, les deux hommes m’ont bondi dessus et contraint à revenir ici.

— Mais Dagobert ? » répéta Claude avec impatience. Son père lui dirait-il enfin ce qu’elle tenait tant à savoir ?

« Il leur a sauté à la gorge, mais l’un d’entre eux lui a lancé un nœud coulant et a réussi à le capturer. Ils avaient tellement tiré sur leur lasso qu’ils l’avaient à moitié étranglé.

— Oh ! pauvre petit Dag, murmura Claude, les joues humides de larmes. Est-ce que… tu crois qu’il vit, papa ?

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« Les deux hommes m’ont contraint à revenir ici. »

— Oui. D’après ce que j’ai entendu ces hommes dire plus tard, je pense qu’ils l’ont enfermé dans une petite grotte. En tout cas, j’en ai vu un sortir d’un sac une poignée de biscuits pour chien. Il semble donc que ce brave Dag est sain et sauf… et affamé ! »

Claude poussa un énorme soupir de soulagement. Dag était intact et bien vivant. Elle fit quelques pas en direction de ce qui lui paraissait être une autre grotte.

« Je vais chercher Dag, papa, dit-elle. Il faut que je le voie. »