CHAPITRE XXI
 
L’aventure s’achève

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« Où est-il parti ? » s’écria tante Cécile stupéfaite. Personne ne lui répondit. François, Claude et Martin avaient la tête levée vers la tourelle et la regardaient avec anxiété. Si seulement l’oncle Henri apparaissait là-haut… Ah ! le voici.

Il avait ramassé une grosse pierre en chemin. Il s’en servit pour fracasser les parois de verre au sommet de la tourelle. Crac ! Crac ! Crac !

Les fils qui couraient dans l’épaisseur du verre se brisèrent en même temps que lui. Aucun courant ne pouvait plus passer. L’oncle Henri se pencha par la brèche et cria joyeusement :

« Tout va bien ! Je suis arrivé à temps. J’ai annihilé le courant qui aurait fait sauter toute l’île…. Vous ne risquez plus rien ! »

Claude sentit soudain ses genoux trembler et elle fut obligée de s’asseoir. Dagobert s’approcha pour lui lécher la figure avec inquiétude, puis il s’assit à son tour.

« Tiens, pourquoi démolit-il cette tour ? demanda le pêcheur qui était le plus grand de tous. Je n’y comprends rien. »

L’oncle Henri descendit les rejoindre.

« Encore dix minutes, et je n’aurais rien pu empêcher. Heureusement que vous avez tous débarqué maintenant, Annie.

— J’ai couru tout le long du chemin, j’ai prévenu tante Cécile et nous avons demandé aux pêcheurs de venir ici dès qu’ils auraient mis leurs barques à flot, expliqua Annie. Nous ne savions pas comment vous secourir autrement. Où sont les bandits ?

— Ils sont partis par le tunnel sous-marin. Ah ! oui, tu n’étais pas au courant de ça, Annie. »

Et François raconta ce qui s’était passé sous terre. Les pêcheurs l’écoutèrent en ouvrant de grands yeux.

« Dites-moi, puisque vous avez vos bateaux ici, vous pourriez en profiter pour remporter mon matériel ? leur proposa l’oncle Henri quand François eut terminé son récit. J’ai fini mes travaux ici. Je n’aurai plus besoin de l’île.

— Chic alors ! Nous pourrons l’avoir à nous ! s’écria Claude, ravie. Et il nous reste encore presque toutes les vacances. Nous allons t’aider à préparer tes affaires, papa.

— Mieux vaudrait retourner le plus vite possible, si nous voulons attraper ces gars quand ils sortiront du tunnel, monsieur, dit le grand pêcheur.

— Ah ! oui, c’est juste, acquiesça tante Cécile.

— Ils vont trouver M. Corton avec une jambe cassée, là-bas », déclara Annie qui venait seulement de se rappeler son existence.

Tous se regardèrent avec surprise. Ils ignoraient encore la chute de M. Corton dans la carrière. Annie leur raconta l’accident et conclut : « Je lui ai dit qu’il était très méchant.

— Tu as bien fait, s’écria l’oncle Henri en riant. Bon, nous transporterons mon matériel une autre fois.

— Deux d’entre nous pourront s’en occuper pour vous tout de suite, dit le grand pêcheur. Mlle Claude a son bateau dans la crique et vous avez encore le vôtre, monsieur. Les autres repartiront avec vous, si vous voulez. Et pendant ce temps-là. Thomas et moi, nous arrimerons vos affaires et nous les transborderons ensuite. Cela nous évitera de revenir ici.

— Excellente idée, merci. Le matériel se trouve dans les grottes. Vous n’avez qu’à descendre l’escalier et suivre le souterrain. »

Ils se rendirent à la crique. La journée était splendide et la mer plate comme un miroir, sauf juste autour de l’île où les vagues déferlaient sur les écueils. Bientôt tous les bateaux se dirigeaient vers la côte, à l’aviron ou à la voile.

« Et voilà l’aventure finie ! Comme c’est bizarre : jamais je ne me serais doutée que c’en était une au début, déclara Annie.

— Et pourtant c’en est une de plus à rajouter sur la liste du Club des Cinq, dit François. Courage Martin, ne prenez pas un air si triste. Quoi qu’il arrive, nous nous arrangerons pour que tout se termine bien pour vous. Vous nous avez aidés et vous avez couru des risques avec nous. Nous veillerons à ce que vous n’en souffriez pas, n’est-ce pas, oncle Henri ? Nous n’aurions jamais réussi à franchir ces éboulis si nous n’avions pas eu avec nous Martin et ses bêches.

— Merci beaucoup, répondit Martin. Si vous pouviez faire en sorte que je ne revoie plus jamais mon tuteur, j’en serais ravi.

— Il y a des chances pour que M. Corton soit mis dans un endroit où il n’aura pas de contact avec ses amis pendant longtemps, dit l’oncle Henri. Ne vous tourmentez donc pas. »

Dès que les bateaux eurent abordé, François, Mick, Dagobert et l’oncle Henri se dirigèrent vers la carrière pour vérifier si M. Corton y était encore… et pour attendre que ses deux complices émergents du souterrain.

M. Corton n’avait pas bougé de place. Il gémissait toujours et appelait à l’aide. L’oncle Henri lui dit sèchement :

« Nous connaissons votre rôle dans cette affaire, Corton. La police se chargera de vous. L’ambulance arrivera dans quelques minutes. »

Dag flaira M. Corton et s’éloigna, le nez en l’air, comme pour dire : « Vilain bonhomme ! »

Les autres se postèrent près de l’entrée du souterrain.

Mais personne n’en sortît. Une heure passa… Puis deux. Encore personne.

« Je suis content que Martin et Annie ne soient pas venus, dit l’oncle Henri. Nous aurions bien dû apporter des sandwiches. »

À ce moment-là, les gendarmes apparurent et descendirent vivement les pentes raides de la carrière. Ils avaient amené un médecin qui s’occupa aussitôt de la jambe de M. Corton. Ils se mirent à plusieurs pour remonter ce dernier en haut, avec beaucoup de difficultés.

« François, retourne à la maison nous chercher à manger, dit l’oncle Henri. Je crois que nous allons devoir attendre longtemps. »

François partit comme une flèche et revint bientôt avec un thermos plein de café bouillant et un paquet de sandwiches. Les deux gendarmes qui avaient été laissés en faction avaient bien suggéré à l’oncle Henri de rentrer, mais il avait refusé.

« Non, j’ai trop envie de voir la tête de ces deux brigands quand ils jailliront de leur trou. Ce sera la minute la plus agréable de mon existence ! L’île n’a pas sauté. Mon secret m’appartient toujours. Mon carnet de formules est en lieu sûr. Mon travail est terminé. Et je tiens à le dire moi-même à ces deux chers amis.

— Tu sais, papa, dit Claude, je crois qu’ils se sont perdus dans le tunnel. François nous a raconté qu’il y avait plusieurs embranchements. Dag a guidé les garçons, mais sans lui, ils se seraient égarés dans cette espèce de labyrinthe. »

La figure de son père s’allongea à l’idée que ses ennemis allaient tâtonner pendant des heures dans le souterrain sans arriver à sortir. Il tenait beaucoup à voir leur air quand ils aboutiraient dans la carrière.

« Nous pourrions leur envoyer Dagobert, proposa François. Il aurait vite fait de les retrouver et de les ramener. N’est-ce pas, Dag ?

— Ouah ! fit Dagobert qui était bien de cet avis.

— Oh ! oui… c’est une excellente idée, dit Claude. Ils ne lui tireront pas dessus s’ils pensent qu’il pourra leur montrer le chemin. Va, Dag. Cherche-les, mon vieux, cherche-les ! Ramène-les ici !

— Ouah ! » dit Dagobert avec obligeance. Et il disparut sous le rocher en corniche.

Tout le monde attendit en dévorant les sandwiches et en buvant le café. Et tout à coup l’aboiement de Dagobert résonna de nouveau, venant du souterrain

Il y eut le bruit d’une respiration haletante, de terre éboulée. Quelqu’un rampait hors du trou. Puis se mit debout… et aperçut le groupe qui l’observait en silence. Il étouffa une exclamation.

« Bonjour, dit l’oncle Henri aimablement. Comment allez-vous ? »

L’arrivant devint blanc comme un linge et se laissa tomber sur une touffe de bruyère. « Vous avez gagné !

— Oui, répondit l’oncle Henri. Et bien gagné. Votre traquenard a fait long feu. Mon secret est intact… et il appartiendra au monde entier dès l’an prochain. »

Il y eut encore un bruit de terre et d’herbes froissées, et le second homme surgit à son tour. Il se redressa, lui aussi, et vit tous ces gens rassemblés qui le regardaient.

« Bonjour, dit de nouveau l’oncle Henri. Charmé de vous revoir. Comment avez-vous trouvé votre promenade souterraine ? Nous avons préféré venir par mer. »

Son interlocuteur jeta un coup d’œil au premier arrivant et se laissa choir, lui aussi, sur la bruyère.

« Qu’est-ce qui est arrivé ? dit-il à son complice.

— Nous avons perdu la partie. »

À ce moment, Dagobert émergea du souterrain en frétillant de la queue et se dirigea vers Claude.

« Je parie qu’ils ont été contents quand ils l’ont aperçu », s’écria François.

Le premier homme lui jeta un coup d’œil : « Oui. Nous étions perdus dans ce réseau de galeries. Corton avait dit qu’il viendrait à notre rencontre, mais il n’est pas venu.

— Non. À l’heure actuelle, il est à l’infirmerie de la prison, avec une jambe cassée », répliqua l’oncle Henri.

Les deux hommes furent pris en charge par les gendarmes. Le groupe remonta sur la lande.

Gendarmes et prisonniers s’engouffrèrent dans leur voiture et partirent. Les autres s’en retournèrent à la maison pour déjeuner.

« Je meurs de faim, déclara Claude. Maria, est-ce que vous avez quelque chose de bon à nous mettre sous la dent ?

Pas grand-chose, lui cria Maria de la cuisine. Seulement une omelette au lard et aux champignons.

— Miam ! s’exclama Annie. Maria, vous aurez droit à l’O.M.C.B !

— Bigre, qu’est-ce que c’est que ça ? » Mais Annie fut incapable de s’en souvenir. « C’est une décoration, dit-elle.

— Vous me prenez pour un arbre de Noël ! Venez plutôt m’aider à préparer l’omelette. »

En dépit des propos pessimistes de Maria, c’est devant une table bien garnie qu’ils s’attablèrent tous les sept, non, tous les huit, car Dagobert avait bien mérité sa part du déjeuner. Maintenant qu’il était délivré de son tuteur, Martin se transformait. Et le déjeuner fut très joyeux.

Les enfants échafaudèrent des plans d’avenir pour Martin : « Vous habiterez avec le garde-côte. Il vous aime beaucoup…, il ne cessait de répéter que vous n’étiez pas méchant ! Et vous viendrez jouer avec nous et camper dans l’île. Et l’oncle Henri verra s’il peut vous inscrire aux Beaux-arts. Il dit que vous méritez une récompense pour avoir aidé à sauvegarder sa précieuse invention ! »

Martin débordait de joie. On aurait dit qu’un poids lui avait été enlevé des épaules. « Je n’avais pas pu travailler comme il le fallait jusqu’à présent, mais attendez et vous verrez ! J’arriverai à quelque chose, j’en suis sûr.

— Maman, est-ce que nous pouvons aller demain à Kernach regarder les ouvriers démonter la tourelle ? Oh ! dis oui ! supplia Claude. Et est-ce que nous pourrions rester là-bas toute une semaine ? Nous coucherions dans la petite salle voûtée, comme nous l’avions fait une fois. »

Tante Cécile sourit de l’ardeur de cette supplique.

« Ma foi,… pourquoi pas ? dit-elle. Je ne serai pas fâchée d’avoir ton père à moi toute seule pendant quelques jours. J’en profiterai pour l’engraisser un peu.

— Tiens ! Tu m’y fais penser, Cécile, s’écria l’oncle Henri. Avant-hier soir, j’ai voulu manger de la soupe que tu m’avais apportée. Et elle était atroce… positivement.

— Oh ! Henri… Je t’avais recommandé de la jeter, rappelle-toi, répondit tante Cécile d’un ton désolé. Elle devait être complètement tournée. Tu me désespères ! »

Ils finirent leur déjeuner, puis sortirent tous dans le jardin. Ils regardèrent longuement l’île de Kernach, plantée en sentinelle au milieu de la baie. Elle était merveilleuse dans le soleil matinal.

« Le Club des Cinq compte une aventure de plus à son actif, déclara François. Nous pouvons nous vanter de les collectionner. Et elles sont toutes plus passionnantes les unes que les autres. Je me demande si nous en aurons d’autres ? »

Qui sait ? Souhaitons bonne chance aux joyeux membres du Club des Cinq — à François, Mick, Claude, Annie et Dagobert. Mais seul ce dernier nous entendra peut-être, car des Cinq c’est sans conteste Dagobert qui a l’ouïe la plus fine.

« Ouah ! »

 

 

FIN