CHAPITRE XII
Coup d’œil sur une vieille carte
Il était seulement une heure et demie quand ils rentrèrent à la maison, puisqu’ils avaient déjeuné tellement tôt et étaient restés si peu de temps sur l’île. Maria fut très surprise de les voir arriver.
« Tiens, vous revoilà tous ! s’écria-t-elle. J’espère bien que vous n’allez pas me redemander à manger tout de suite, car il n’y a plus une miette à vous mettre sous la dent ici. Il faudra me laisser le temps de courir chez le boucher.
— Oh ! non, merci, Maria… nous avons eu notre pique-nique, dit tante Cécile. Et nous avions bien fait de préparer autant de sandwiches, car mon mari en a dévoré près de la moitié à lui seul. Il n’avait pas touché à cette bonne soupe que nous lui avions cuisinée. Et maintenant elle sera tournée.
— Ah ! les hommes ! Ce sont de vrais enfants.
— En vérité ! protesta Claude. Est-ce que vous vous imaginez que nous oublierions une de vos bonnes soupes, Maria ? Vous savez très bien que nous l’avalerions plutôt avant qu’elle soit cuite !
— C’est vrai, je ne peux pas vous accuser de chipoter votre nourriture, et Dagobert non plus. Vous vous entendez parfaitement à nettoyer les plats, vous cinq ! Mais où est donc Dagobert ?
— Je l’ai laissé dans l’île pour veiller sur papa », dit Claude. Maria la regarda avec surprise. Elle connaissait son affection débordante pour Dag.
« Vous êtes une bonne petite fille… de temps en temps, déclara-t-elle. Voyons, si vous avez encore faim parce que votre père a mangé la plus grande partie de votre déjeuner, allez donc regarder dans la boîte à biscuits. J’en ai cuit quelques-uns de vos préférés ce matin. Dépêchez-vous d’y goûter. »
C’était la méthode de Maria pour consoler les gens. Quand elle s’apercevait qu’ils avaient du chagrin, elle leur offrait aussitôt ce qu’elle avait de meilleur à ce moment-là dans son garde-manger. Claude ne se fit pas prier pour y courir.
« Ah ! vous êtes vraiment gentille, Maria, dit tante Cécile. Je me sens plus rassurée maintenant que Dag est là-bas. »
« Qu’est-ce que vous proposez comme occupations pour cet après-midi ? demanda Mick quand ils eurent fini les biscuits. Miam, c’était exquis. Je trouve que les cuisiniers devraient recevoir une décoration, comme les bons soldats, les hommes de lettres ou les savants. Je décernerais à Maria l’O. M. C. B.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? dit François.
— L’Ordre du Mérite des Cordons Bleus. Qu’est-ce que tu croyais que c’était ? Oh ! Méfiez-vous des Cuiseurs de Biscuits ?
— Tu sais être vraiment bête quand tu veux, rétorqua François en riant. Bon, alors qu’est-ce que nous allons faire maintenant ?
— Explorons le tunnel de la carrière », proposa Claude.
François jeta un coup d’œil par la fenêtre. « Il va pleuvoir à torrents dans cinq minutes. Escalader les pentes de la carrière ne sera certainement pas facile avec de l’eau qui ruisselle partout. Mieux vaut attendre un jour de beau temps.
— Moi, j’ai une idée, s’écria Annie. Vous vous rappelez cette vieille carte de l’île que nous avions trouvée dans une boîte ? Il y a dessus un plan du château très complet, depuis les oubliettes jusqu’au sommet de la tour. Si nous la regardions de près ? Maintenant que nous connaissons l’existence d’une autre cachette, nous arriverions à la repérer sur la carte. Elle doit sûrement y être marquée, mais nous ne l’avions peut-être pas aperçue. »
Les autres se montrèrent enthousiastes.
« Annie, ton idée est merveilleuse. » Annie rougit de plaisir en entendant cet éloge de François. « Oui, une idée de premier ordre. Exactement ce qu’il faut pour passer le temps un jour de pluie. Où est cette carte ? Tu l’as rangée dans un endroit sûr, je pense, Claude ?
— Oui. Elle est toujours dans la boîte d’origine. Je vais la chercher »
Elle grimpa l’escalier comme une flèche et redescendit avec la carte. C’était un parchemin épais jauni par l’âge. Claude l’étala sur la table, et tous se penchèrent dessus.
« Vous vous souvenez de notre joie quand nous l’avions découverte ? dit Mick.
— Oui, nous n’arrivions pas à ouvrir la boîte et nous l’avions lancée dans le jardin, du premier étage, pour qu’elle se brise en tombant, ajouta Claude.
— Et le bruit a réveillé notre oncle, compléta Annie en riant. Et l’oncle Henri est sorti, a ramassé la boîte et a refusé de nous la rendre.
— Miséricorde, mais oui ! s’exclama Mick. Et ce pauvre François a dû attendre qu’il se soit rendormi pour regarder ce qu’il y avait dedans. Et c’est alors que nous avons vu cette carte. Que d’heures nous avons passées dessus à l’étudier ! »
Ils se remirent à l’étudier une fois encore. Il y avait trois plans, un des souterrains, un du premier étage et un du rez-de-chaussée.
« Inutile de nous occuper du haut du château, dit Mick. Tout est en ruine. Il ne reste que cette tour-là.
— Tenez ! s’écria soudain François en désignant un point sur la carte. Vous vous rappelez que les souterrains avaient deux entrées ? Une qui avait l’air de partir près de la petite salle voûtée, et que nous n’avions pas trouvée, et l’autre que nous avons découverte près du puits ?
— C’est vrai, nous n’en avions déniché qu’une. Enlève ton doigt, François. Regardez, il y a des marches ici, juste à l’endroit de la salle voûtée, dit Claude. Et voilà les mêmes marches à côté du puits.
— Je me souviens que nous avions fouillé ce coin-là très sérieusement, remarqua Mick. Nous l’avions entièrement désherbé et nous avions fini par abandonner nos recherches. Puis nous avions mis la main sur l’entrée de la cour et nous ne nous étions plus occupés de celle-ci.
— Et papa a eu plus de succès que nous ! conclut triomphalement Claude. Je ne peux pas me rendre compte avec certitude si cette entrée communique avec les souterrains. La carte est un peu effacée. Mais il est visible qu’il y a un passage souterrain qui va quelque part. Regardez, on dirait le tracé d’un tunnel juste après les marches. Où il mène, Dieu seul le sait, la carte est trop abîmée pour le voir.
— Aux souterrains, à mon avis, dit François. Nous ne les avons jamais explorés à fond, ils sont si vastes et si sinistres. En aurions-nous fait le tour, nous aurions sûrement vu les marches. Quoiqu’elles soient peut-être en ruine maintenant.
— Non. Je suis persuadée que c’est cette entrée-là que papa a découverte. Et j’en ai même une preuve formelle.
— Quoi donc ?
Vous vous souvenez de notre première visite à Kernach ? Papa ne nous a pas laissés rester longtemps et il nous a raccompagnés jusqu’au bateau.
Nous avons essayé de voir où il allait sans succès, mais Mick a dit que les corneilles s’envolaient de tous les côtés comme si elles avaient été dérangées par quelqu’un… et Mick s’était demandé si papa n’était pas parti dans cette direction-là. »
François émit un petit sifflement approbateur.
« Oui… les corneilles nichent dans la tour, près de la petite salle voûtée, et quiconque met le pied dans cette salle les effraie. Je crois que tu as deviné juste, Claude.
— Je m’étais vraiment creusé la cervelle pour savoir où l’oncle Henri pouvait bien travailler, dit Mick. Résoudre ce mystère me paraissait insoluble. Mais le Club des Cinq vient à bout de toutes les énigmes, même quand il ne compte plus que quatre membres.
— Je me demande comment papa a retrouvé cette cachette, murmura Claude pensivement. Il aurait tout de même bien pu m’en parler. Ce n’est pas chic de sa part.
— S’il n’a rien dit, c’est qu’il avait une raison, déclara Mick avec sagesse. Ne recommence pas à ruminer.
— Non, je suis intriguée, voilà tout. Grands dieux, comme j’aimerais que nous puissions prendre le bateau maintenant pour aller à la découverte de cette cachette !
— Oui, moi aussi, dit Mick. Nous verrions tout de suite l’entrée. Ton père a certainement laissé des traces de son passage, soit des herbes écrasées, soit des plantes arrachées autour de la dalle qui ferme l’entrée.
— Croyez-vous que l’ennemi qui rôde dans l’île connaît la retraite de l’oncle Henri ? demanda soudain Annie. Oh ! j’espère que non. Il pourrait si facilement l’y emprisonner !
— Ne t’inquiète pas. Il n’est pas là pour l’emprisonner, mais pour lui voler ses secrets ou découvrir ce qu’il invente, dit François. Je suis bien content que Dagobert soit avec l’oncle Henri. Dag est capable de tenir tête à une douzaine d’assaillants.
— Pas s’ils ont des revolvers », murmura Claude. Il y eut un silence. L’idée de Dag mis en joue par un revolver n’avait rien de réjouissant. Cela lui était arrivé une ou deux fois auparavant, et les enfants préféraient ne pas penser que cela risquait de se reproduire.
« Bah ! pas la peine de nous faire du mauvais sang par avance, déclara Mick en se levant. Nous avons passé une demi-heure bien agréable. Je crois que nous tenons la clef de l’énigme. Mais nous en aurons la certitude seulement quand ton père aura fini ses travaux, Claude. Nous examinerons les lieux à la loupe.
— Il pleut encore un peu, dit Annie qui regardait par la fenêtre. Mais les nuages s’éclaircissent. Le soleil ne tardera pas à se montrer. Sortons nous promener.
— J’irai chez le garde-côte, s’écria Claude aussitôt. Je veux essayer de voir si je découvre Dag avec son télescope.
— Pourquoi ne prends-tu pas les jumelles ? Monte au grenier et regarde l’île de là-haut, suggéra François.
— Oui, merci de l’idée. »
Les jumelles étaient accrochées dans le hall. Claude les extirpa de leur gaine et grimpa l’escalier au pas de course. Mais elle redescendit bientôt, l’air désappointé.
« Je n’arrive pas à voir l’île tout entière. Je distingue bien le haut de la tourelle, mais pas très nettement. Ce serait mieux avec le télescope, il est plus puissant. J’ai envie d’y aller maintenant. Ne m’accompagnez pas si cela ne vous tente pas. »
Elle remit les jumelles dans leur étui.
« Oh ! si, nous venons avec toi, dit Mick. Et je peux même t’annoncer dès maintenant ce que nous apercevrons sur l’île.
— Quoi donc ?
— Nous verrons notre cher Dag en train de pourchasser les lapins et s’amusant comme un fou, poursuivit Mick avec un large sourire. Ma parole, pas besoin de craindre que Dag jeûne là-bas. Il aura du lapin au petit déjeuner, du lapin à midi et encore du lapin le soir, avec de l’eau de pluie puisée à sa mare habituelle. Un veinard, ce Dag.
— Tu sais très bien qu’il ne fera jamais une chose pareille. Il ne quittera pas papa d’une semelle et il ne pensera même pas aux lapins.
— Tu ne connais pas bien Dag, si tu crois ça », répliqua Mick en opérant une retraite prudente pour éviter Claude qui devenait rouge de colère. « Je parie que c’est pour ça qu’il voulait rester. Uniquement pour les lapins ! »
« Je n’arrive pas à voir l’île toute
entière »
Claude lui jeta un livre à la tête. Elle manqua son but. Le livre s’aplatit sur le plancher. Annie éclata de rire. « Oh ! arrêtez, vous deux, sinon nous ne sortirons Jamais. Viens, François, n’attendons pas ces deux batailleurs. »