CHAPITRE XVIII
 
Curieuse découverte

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Claude allait s’attaquer à la dernière vis quand on frappa soudain à la porte. Elle sursauta et demeura immobile, sans répondre, craignant d’avoir affaire à Simon ou bien à M. Lenoir.

Mais, à son grand soulagement, elle entendit presque aussitôt la voix de François :

« Claude ! Es-tu là ? » demandait-on.

La fillette courut ouvrir. Mick et François entrèrent, l’air surpris, suivis d’Annie et de Mariette. Claude referma aussitôt la porte à clef.

« M. Vadec est en voyage, nous avons trouvé sa maison fermée, annonça François. Voilà où nous en sommes… Mais que diable fais-tu là, Claude ?

— Je dévisse le dessus de cette banquette. » Et la fillette de raconter ce qu’elle avait découvert. Ses amis l’écoutèrent, surexcités.

« Bravo, Claude ! s’écria Mick. Passe-moi le tournevis: je vais finir de dévisser cela.

— Non, merci. C’est mon affaire ! » répliqua la fillette.

Quand elle eut retiré la dernière vis, elle souleva l’angle de la planche qui céda et se releva à la manière d’un couvercle. Les enfants regardèrent à l’intérieur. Non sans quelque appréhension. Qu’allaient-ils découvrir ? Mais à leur grande surprise, ils ne virent qu’un coffre vide !

« Eh bien, vrai, quelle déception ! » s’écria Mick. Il laissa retomber le dessus de la banquette, puis, se tournant vers sa cousine : « Et tu prétends que quelqu’un serait venu ici revisser cette planche ? continua-t-il. Tu as dû rêver !

— Non ! » répliqua la fillette sèchement.

Elle rouvrit le coffre, et monta dedans sans hésiter. Elle se mit ensuite à sauter et à taper du pied comme pour en éprouver la solidité. Tout à coup, l’on entendit une sorte de déclic suivi d’un grincement, et le fond de la caisse s’abattit brusquement à la manière d’une trappe pivotant sur des charnières.

Claude n’eut que le temps de se rattraper au bord du coffre. Elle demeura ainsi quelques instants, haletante, tandis que ses jambes battaient désespérément dans le vide, puis, aidée par ses amis, elle réussit à se tirer de sa dangereuse position.

Les enfants se penchèrent au-dessus de l’ouverture en silence. Leur regard plongea dans un trou béant, qui s’enfonçait à la verticale jusqu’à une profondeur d’environ trois mètres. Là, le puits semblait s’élargir et rejoignait sans nul doute quelque passage secret relié au réseau de souterrains qui courait sous la colline. Qui sait ? peut-être menait-il directement à la maison de M. Vadec…

« C’est égal, qui aurait pu se douter de cela ! s’exclama Mick. Je parie que Noiraud lui-même n’en savait rien.

— Si nous descendions ? proposa Claude. Nous verrions où aboutit cette galerie et nous pourrions nous mettre à la recherche de Dagobert. »

À ce moment, quelqu’un essaya d’entrer dans la chambre, puis, trouvant la porte verrouillée, frappa avec impatience.

« Pourquoi vous êtes-vous enfermés ? Que faites-vous donc ? s’écria une voix irritée. Ouvrez immédiatement !

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Elle rouvrit le coffre et monta dedans sans hésiter.

— Mon Dieu, c’est papa ! murmura Mariette, épouvantée. Il faut lui ouvrir. »

Claude rabattit le couvercle du coffre sans bruit. Elle ne voulait à aucun prix que M. Lenoir fût mis au courant de sa dernière découverte. Quand il pénétra enfin dans la pièce, il vit les enfants debout près de la fenêtre ou bien assis sur la banquette.

« Je viens d’avoir une longue conversation avec Simon, annonça-t-il, et comme je le prévoyais, il ignore tout de ce qui se passait dans la maison. Il a été complètement abasourdi en apprenant que vous aviez vu des signaux sur la tour. Mais il ne croit pas que M. Vadec soit pour quelque chose dans cette affaire. À son avis, il s’agirait plutôt d’une sorte de machination dirigée contre moi.

— Ah ! » firent simplement les enfants. Chacun d’eux se disait à part soi qu’à la place de M. Lenoir, il n’attacherait pas autant de crédit aux paroles du domestique. Tout cela a beaucoup ému Simon. Et je l’ai vu si bouleversé que je lui ai permis d’aller se reposer un peu en attendant que nous prenions une décision. »

Les enfants avaient l’impression que Simon n’était pas homme à se laisser émouvoir aussi facilement qu’il le prétendait. Et ils soupçonnèrent aussitôt qu’il profitait sans doute de l’autorisation accordée par M. Lenoir pour s’esquiver et vaquer à quelqu’une de ses affaires personnelles.

« J’ai un travail pressé à terminer, dit M. Lenoir. Je viens de téléphoner à la police; malheureusement le commissaire était sorti. J’ai demandé qu’on me rappelle dès qu’il sera de retour… Et à présent, pouvez-vous me promettre d’être sages en attendant que ma besogne soit terminée ? »

Jugeant que c’était là une question fort ridicule, au regard des circonstances, les enfants se gardèrent de répondre. Alors M. Lenoir eut un brusque sourire, puis il quitta la pièce.

« Je vais aller jeter un coup d’œil dans la chambre de Simon afin de m’assurer qu’il est bien chez lui », déclara François dès que M. Lenoir eut disparu.

Il gagna l’étage où dormaient les domestiques et s’arrêta devant la porte de Simon. Comme elle était légèrement entrebâillée, le garçonnet n’eut qu’à avancer la tête pour regarder à l’intérieur. Il vit la forme d’un corps couché dans le lit ainsi que la tête brune du serviteur sur l’oreiller. Les rideaux étaient tirés devant la fenêtre pour assombrir la pièce, cependant il y avait assez de lumière pour permettre à François de constater ce qui l’intéressait. Et il se hâta de rejoindre ses compagnons.

« Simon est au lit, annonça-t-il. Nous sommes donc tranquilles pour l’instant. Profitons-en pour explorer ce passage qui part du coffre. Je ne serais pas fâché de voir où il mène !

— C’est cela, descendons ! »approuvèrent les autres avec enthousiasme.

Cependant, ce n’était pas chose aisée que de sauter à près de trois mètres de profondeur sans dommage ! François s’y risqua le premier et atterrit au fond du trou à demi étourdi par la chute. Il appela son frère :

« Mick ! Il faut absolument que tu déniches une corde pour l’attacher là-haut. Tu la laisseras pendre dans le puits et vous pourrez ainsi descendre en vous aidant des pieds et des mains. Pour sauter, il y a de quoi se rompre les os ! »

Déjà, Mick partait à la recherche d’une corde quand François le héla à nouveau :

« Ne t’inquiète pas, tout va bien ! Je viens de m’apercevoir qu’il y a des petites cavités disposées à intervalles réguliers tout le long de la paroi. Il y a juste la place d’y poser le pied ou la main. Vous n’avez qu’à vous en servir pour descendre. »

Suivant le conseil donné par François, les enfants s’engagèrent dans le puits l’un après l’autre en utilisant les anfractuosités de la muraille comme les barreaux d’une échelle. Jouant de malchance, Claude manqua une prise, puis une autre. Elle ne put se rattraper et atterrit brutalement au fond, mais sans autre dommage qu’un choc assez rude.

Ainsi que les enfants l’avaient deviné, le puits n’était que le point de départ d’un nouveau passage secret. Mais celui-ci se terminait quelques mètres plus loin par un escalier qui descendait dans les profondeurs du sol, pour s’achever bien au-dessous du niveau de la maison. Là, on aboutissait à une sorte de carrefour où se rencontraient plusieurs des galeries appartenant aux immenses souterrains qui traversaient la colline en tous sens. François qui, jusque-là, guidait la colonne, s’arrêta.

« Halte ! dît-il. Impossible d’aller plus loin : nous nous égarerions. Noiraud n’est pas là pour nous montrer le chemin, et je ne pense pas que Mariette le connaisse suffisamment… Il serait extrêmement dangereux de nous engager dans ce dédale à l’aventure.

— Ecoutez ! fit brusquement Mick, à voix basse. Voilà quelqu’un ! »

On distinguait un bruit de pas dans l’une des galeries s’ouvrant sur la gauche. Les enfants se rejetèrent vivement dans le passage secret par lequel ils étaient venus. François éteignit sa lampe et ils attendirent, blottis dans l’ombre, le cœur battant.

Quelques instants plus tard, deux hommes débouchèrent dans le carrefour, annoncés par la lueur dansante de leur lanterne. L’un était grand et maigre, l’autre… mais l’autre ressemblait à Simon ! Et si ce n’était pas lui, c’était quelqu’un qui lui ressemblait parfaitement.

Tous deux parlaient à voix basse… Comment, dans ces conditions, eût-il pu s’agir de Simon ? Ce dernier n’était-il pas atteint de surdité complète ? Et puis, de toute façon, il dormait en ce moment dans sa chambre : François l’avait constaté à peine dix minutes auparavant. Claude en venait à se demander cette fois encore si le serviteur de M. Lenoir n’avait pas par hasard un sosie…

Les hommes s’engagèrent dans une autre galerie, et la lumière des deux lanternes disparut peu à peu, tandis que l’écho assourdi de leurs voix parvenait encore aux enfants.

« Si nous les suivions ? proposa Mick.

— Oh ! non ! ce serait une folie, dit François aussitôt. Nous risquerions de les perdre et de nous perdre, nous-mêmes ! Et puis, suppose qu’ils décident brusquement de revenir sur leurs pas et qu’ils nous découvrent : ce serait terrible !

— Moi, je suis certaine que le premier de ces deux hommes était M. Vadec, fit Annie tout à coup. Je n’ai pas très bien vu sa figure; sa lanterne se balançait et ne l’éclairait pas beaucoup, mais il ressemblait vraiment à M. Vadec,… immense, et avec cela, maigre comme un coucou !

— Tu sais bien que M. Vadec est en voyage, objecta Mariette.

— C’est-à-dire qu’il est censé l’être ! fit Claude. Sans doute est-il déjà revenu,… en supposant qu’Annie ait raison. Mais je me demande où se rendaient ces deux bonshommes… Qui sait ? peut-être allaient-ils rejoindre mon père et Noiraud ?

— C’est fort probable, déclara François. Venez, à quoi bon s’éterniser ici ? Il ne faut pas songer à s’engager plus avant dans les souterrains. À en croire Noiraud, certaines galeries s’étendent sur plusieurs centaines de mètres. Elles se croisent, se coupent et se recoupent en maints endroits, montent d’un côté, redescendent de l’autre, décrivent parfois un cercle complet. Il en est qui s’enfoncent jusqu’au niveau du marais… Si nous nous égarions, jamais, au grand jamais, nous ne pourrions sortir de ce labyrinthe ! »

Les enfants firent demi-tour et, après avoir gravi l’escalier, regagnèrent leur point de départ. Ils n’eurent pas grand mal à se hisser jusque dans la chambre de M. Dorsel, grâce aux prises ménagées dans la paroi du puits.

C’est avec joie qu’ils se retrouvèrent devant la fenêtre ouverte par laquelle le soleil pénétrait à flots. Au-dehors, cependant, l’étendue des marais commençait à se voiler de brume, alors que le sommet du Rocher Maudit rayonnait encore, baigné de lumière.

Au bout d’un instant, François ramassa le tournevis et dit, en baissant le couvercle du coffre :

« Je vais remettre les vis. Comme cela, Simon ne pourra deviner que nous avons découvert un nouveau passage secret. Je suis à peu près certain qu’il avait dévissé le dessus de cette banquette afin de permettre à M. Vadec de pénétrer ici. Et ensuite, il sera venu le revisser. Ainsi, personne n’aurait soupçonné ce qui s’était passé. »

Il se mit rapidement à la besogne, puis, celle-ci terminée, il regarda sa montre.

« On ne va pas tarder à déjeuner, dit-il. J’ai une faim… Mon Dieu ! comme je voudrais que Noiraud soit ici, et l’oncle Henri aussi. Pourvu qu’il ne leur soit rien arrivé de sérieux et que, de sou côté, Dagobert ne pâtisse pas trop, non plus… C’est égal, je me demande si notre Simon est toujours au lit, ou bien s’il se promène vraiment dans les souterrains ! Je vais retourner voir dans sa chambre. »

Le garçonnet revint quelques minutes plus tard, toujours perplexe.

« Pas de doute, il est bien chez lui, déclara-t-il. C’est tout de même bizarre… »

Simon ne parut pas au déjeuner, et Renée expliqua qu’il avait prié qu’on ne le dérangeât point.

« Il est sujet à des migraines épouvantables, dit-elle. Peut-être ira-t-il mieux dans l’après-midi… »

Elle brûlait manifestement de l’envie de commenter les mystérieux événements de la nuit précédente, mais les enfants étaient résolus à ne lui parler de rien. Non qu’elle ne fût pas fort gentille avec eux et qu’ils n’eussent pour elle une réelle affection, mais il leur semblait impossible de se fier à quiconque au Pic du Corsaire. Aussi Renée ne put-elle obtenir le moindre renseignement, ce qui lui causa un extrême dépit.

Après le déjeuner, François décida d’avoir un entretien avec le père de Noiraud. Il estimait en effet qu’à défaut du commissaire de police, absent de son bureau lorsque M. Lenoir avait téléphoné, il était indispensable qu’une autre personne fût avisée de la situation. Son inquiétude au sujet des deux disparus ne faisait que croître, et il en venait à se demander si son hôte n’avait pas invoqué faussement une prétendue absence du commissaire pour gagner du temps.

M. Lenoir parut fort contrarié lorsqu’il vit entrer François dans son bureau.

« C’est donc toi ! s’écria-t-il. J’attendais Simon. Voici plus de dix minutes que je l’ai demandé ! Je me demande pourquoi il ne descend pas… Je veux l’emmener avec moi au commissariat de police. »

« Enfin ! » songea François. Et il poursuivit à voix haute : « Je vais aller lui dire qu’il se dépêche, monsieur. Je sais où est sa chambre. »

Le garçonnet monta l’escalier quatre à quatre, puis courut jusqu’au couloir réservé aux domestiques. Et sans s’arrêter, il poussa la porte de Simon.

Celui-ci dormait encore ! Surpris, François l’appela à haute voix. Mais se rappelant soudain que l’homme était sourd, il s’approcha du lit et posa la main assez rudement sur l’épaule qui émergeait des couvertures.

L’étrangeté du contact trop mou le surprit. Il retira vivement sa main et se pencha pour examiner le dormeur. Alors, il ne put retenir un cri de surprise.

Il n’y avait personne dans le lit ! Rien d’autre qu’un gros ballon, que l’on avait badigeonné de noir pour qu’il ressemblât à une tête brune enfouie à demi sous les couvertures. Et lorsque François rejeta celles-ci, il vit à la place de Simon un énorme traversin, habilement disposé de manière à donner l’illusion d’un corps couché sur le côté !

« Voilà donc le tour que joue Simon quand il veut s’absenter à l’insu de ses maîtres, s’écria-t-il. C’était donc bien lui qui rôdait dans les souterrains ce matin, et que Claude a aperçu hier en grande conversation chez M. Vadec ! Il n’est évidemment pas plus sourd que moi… Mais c’est un redoutable fripon : habile, rusé, faux comme un jeton et avec cela, prêt à tout ! »