CHAPITRE XV
QUI EST DANS
L’ÎLE ?
« Tout le monde derrière ce buisson, vite ! » ordonna aussitôt François.
Les enfants étaient déjà en vue du château quand Dagobert avait commencé à gronder. Ils s’aplatirent derrière un amas de ronces, le cœur battant.
« Chut, Dago », souffla Claude à l’oreille de Dagobert. Il lui obéit, mais resta rigide et tendu, aux aguets.
François écarta les ronces, au grand dam de ses mains, et tendit le cou. Il aperçut une silhouette dans la cour du château, puis une autre. Il lui sembla en distinguer une troisième, mais soudain elles disparurent avant qu’il ait pu se rendre compte de leur nombre exact.
« Ils ont dû enlever les pierres qui bloquaient la porte des souterrains et ils sont descendus dedans, chuchota-t-il. Ne bougez pas. Je vais ramper jusque là-bas pour vérifier. N’ayez crainte, je serai prudent. »
Il revint bientôt : « Oui, il n’y a plus personne en haut. Croyez-vous que ce soient les contrebandiers ? Ils emmagasinent peut-être leurs marchandises dans les cachots. Ce serait l’endroit rêvé.
— Profitons de ce qu’ils sont en bas pour retourner à la grotte, proposa Claude. Je meurs de peur que Dagobert nous trahisse. Il est prêt à éclater à force de se retenir d’aboyer.
— D’accord, dit François, mais au lieu de traverser la cour, mieux vaut revenir par la plage. Une fois dans la grotte, l’un de nous se hissera par le trou. En se cachant derrière le gros buisson d’ajoncs, on peut surveiller sans danger ces fameux contrebandiers. »
Ils atteignirent enfin la grotte. Mais à peine François avait-il commencé à grimper avec l’aide des autres que Dagobert disparut. Il était sorti de la caverne pendant que les enfants tendaient la corde pour François et quand Claude se retourna, il n’y avait plus de chien nulle part.
« Dago ! lança-t-elle à voix basse. Dago, où es-tu ? »
Mais elle n’obtint aucune réponse. Pourvu que les contrebandiers ne l’aperçoivent pas ! Elle se sentit furieuse contre lui.
C’est que Dagobert avait perçu une odeur qu’il connaissait bien, une odeur de chien, et il avait décidé d’en trouver le propriétaire pour lui croquer la queue et les oreilles : « G-r-r-r-r ! » Dagobert ne voulait pas de chien sur son île.
François s’était blotti contre le buisson d’ajoncs pour inspecter les alentours. Rien sur l’épave et rien au large. La barque qui avait amené les inconnus était certainement dissimulée dans les rochers au pied de la falaise. François se retourna ensuite vers le château et resta suffoqué.
Un chien quêtait parmi les bruyères, le nez à terre, pas très loin de lui. Et derrière le chien, le poil hérissé, rampait Dagobert. Dagobert traquait le chien comme un chat traque une souris. Le chien-souris devina soudain la présence d’un ennemi et d’une volte-face se retrouva nez à nez avec Dagobert. Dago fonça sur sa victime avec un grondement terrifiant et le chien-souris glapit de terreur.
François les regardait, pétrifié.
Les deux animaux faisaient un bruit épouvantable, surtout le chien-souris dont les hurlements de victime et les cris de rage résonnaient aux quatre points cardinaux.
« Les contrebandiers vont les entendre et, en voyant Dago, ils comprendront que l’île est habitée, songea François. Oh ! Dagobert, Dagobert, pourquoi ne t’es-tu pas tenu tranquille ? »
Au milieu des ruines apparurent trois silhouettes qui se précipitaient au secours du chien-souris… et François les regarda bouche bée. Car les trois inconnus n’étaient autres que M. Friol, Mme Friol et leur Émile !
« Miséricorde ! » marmotta François en rampant autour du buisson pour regagner son trou. « Ils nous poursuivent ! Ils ont deviné que nous nous étions réfugiés là et ils nous cherchent pour nous obliger à revenir. Eh bien, ils ne nous trouveront pas. Mais quel dommage que Dago nous ait dénoncés ! »
Un coup de sifflet aigu retentit sous ses pieds. C’était Claude qui, inquiétée par les bruits de bagarre, appelait son chien. Dago obéissait toujours à ce sifflet. Il lâcha aussitôt sa proie et s’élança vers le bord de la falaise au moment où les Friol arrivaient sur le champ de bataille. Ils ramassèrent leur roquet gémissant et saignant tandis qu’Émile s’élançait à la poursuite de Dagobert.
François se laissa couler au fond de la grotte dès qu’il vit Émile. Dagobert fonça vers le trou, plongea hardiment et peu s’en fallut qu’il n’atterrît sur François. Il bondit aussitôt vers Claude. Il frémissait d’excitation.
« Tais-toi, je t’en prie, ordonna Claude tout bas. Tu veux donc nous trahir, espèce d’idiot ? »
Émile arriva au sommet de la falaise à bout de souffle et fut stupéfait de constater que Dagobert s’était volatilisé. Il chercha de côté et d’autre pendant quelques minutes sans succès.
M. et Mme Friol le rejoignirent.
« Où est passé ce chien ? lança Mme Friol. À quoi ressemblait-il ?
— On aurait cru l’affreuse bête qu’avaient les enfants », dit Émile. Sa voix parvenait distinctement dans la grotte. Les enfants pétrifiés retenaient leur respiration.
« C’est impossible, reprit la voix de Mme Friol. Les gamins sont repartis chez eux. Nous les avons vus se rendre à la gare avec leur chien. Ce doit être un animal oublié par des campeurs.
— Eh bien, où est-il ? » C’était la voix rauque de M. Friol. « Je n’aperçois pas plus de chien que sur le dos de ma main.
— Il s’est enfoncé dans la terre », répliqua Émile qui paraissait impressionné.
M. Friol poussa une exclamation méprisante. « Tu nous en contes de belles. Enfoncé dans là terre ! Il est tombé du haut de la falaise, plutôt. En tout cas, il a mordu notre pauvre Théo. Si jamais j’attrape cette bête, je l’assomme.
— Ce chien a peut-être une cachette de ce côté, dit Mme Friol. Cherchons un peu. »
À eux quatre, les enfants ne faisaient pas plus de bruit qu’une seule souris. Claude retenait Dagobert par son collier pour prévenir toute excentricité. Ils se rendaient compte que les Friol étaient à peine à quelques mètres d’eux. François s’attendait à chaque seconde à ce que l’un d’eux tombe par le trou.
Mais heureusement ils ne découvrirent pas l’entrée supérieure de la grotte bien qu’ils tinssent conseil à deux pas d’elle.
« Si nous avons affaire au chien des enfants, c’est qu’ils sont venus s’installer ici au lieu de retourner chez eux, dit Mme Friol. Et dans ce cas ils nous gênent. Il faut absolument vérifier. Je ne serai pas tranquille autrement.
— Ne t’énerve pas, ce sera vite fait, répliqua M. Friol. Nous trouverons leur bateau près d’ici et eux dedans probablement. Quatre enfants, un chien et un canot sont impossibles à dissimuler sur une île aussi petite que celle-ci une fois qu’on sait qu’ils y sont. Émile, cherche de ce côté. Toi, Angèle, regarde du côté du château. Les enfants se sont peut-être cachés dans les ruines. Moi, je vais voir par là. »
Les enfants se firent tout petits dans leur grotte. Pourvu que le bateau reste introuvable ! Pourvu que personne ne découvre leur retraite ! Dagobert grondait en sourdine, regrettant de ne pas partir en quête du chien Fléau. Il avait été ravi de planter ses dents dans les oreilles de cette vilaine bestiole.
Émile ne tenait guère à découvrir les enfants et encore moins à tomber sur Dago au détour d’un rocher. Il ne mît donc aucune ardeur dans ses recherches.
Il descendit dans la baie où était caché le bateau, mais bien qu’ayant vu les traces de la quille imprimées dans le sable et à peine nivelées par la marée précédente, il ne remarqua pas la proue couverte d’algues qui dépassait du rocher.
« Rien par ici ! » cria-t-il à sa mère qui examinait les ruines pierre par pierre. Ni elle ni M. Friol ne furent plus heureux de leur côté.
« Ce n’était pas le chien des enfants » conclut M. Friol. Sinon ils seraient dans l’île avec leur barque et nous les aurions rencontrés. Ce doit être un chien perdu. Il faudra y faire attention, car il est revenu à l’état sauvage, à mon avis. »
Les enfants attendirent encore une heure sans broncher, mais les Friol avaient bien l’air d’avoir abandonné la partie. Ils se secouèrent et mirent la bouilloire à chauffer tandis qu’Annie préparait des sandwiches. Ils avaient attaché Dagobert de peur qu’il ne lui reprît fantaisie de courir après Fléau.
Ils parlèrent à voix basse en mangeant.
« Les Friol ne sont pas venus ici pour nous, résuma François, puisqu’ils disent qu’ils nous croyaient repartis chez nos parents en compagnie de Dagobert.
— Alors, qu’est-ce qu’ils font là ? répliqua Claude d’un ton furieux. C’est notre île. Ils n’ont pas le droit de l’envahir comme ça. Chassons-les. Ils ont peur de Dagobert. Emmenons Dago avec nous et menaçons-les de le lâcher à leurs trousses s’ils ne décampent pas.
— Mais non, Claude, sois donc raisonnable, dit François. Ils préviendraient peut-être ton père et nous ne tenons pas à ce qu’il entre en fureur et nous ordonne de réintégrer la maison. Et d’ailleurs, je me demande…
— Quoi ? » s’écrièrent les autres en chœur en voyant ses yeux briller comme chaque fois qu’il avait une idée.
« Voilà : qui sait si les Friol ne sont pas de mèche avec les contrebandiers ? Ils sont peut-être chargés de collecter et d’entreposer les marchandises entrées en fraude jusqu’à ce qu’elles puissent être transportées ailleurs en toute sécurité. M. Friol est marin, n’est-ce pas ? Il doit s’y connaître en matière de contrebande. Oui, je suis prêt à mettre ma main au feu qu’il a partie liée avec les fraudeurs.
— Tu as sûrement raison, s’exclama Claude. Attendons que les Friol s’en aillent et descendons dans les souterrains voir s’ils y ont caché quelque chose. Nous saurons bien les démasquer. Cela promet d’être follement amusant. »