CHAPITRE XIV
 
DAGOBERT DONNE L’ALARME

 

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Il faisait sombre dans la grotte, pas assez peut-être pour avoir besoin d’éclairage, mais la grotte était si belle à la clarté des bougies que les enfants ne résistèrent pas à la tentation. Dès qu’Annie eut frotté une allumette, des ombres fantastiques coururent sur les parois, transformant complètement la caverne familière.

« Je voudrais bien que nous fassions du feu, dit Annie.

— Nous aurions trop chaud, répondit François, Et la fumée nous étoufferait. On ne peut allumer de feu ici. Il n’y a pas de cheminée.

— Mais si. » Et Annie désigna le trou de la voûte. « En plaçant le foyer juste dessous » la fumée serait aspirée exactement comme dans une cheminée, tu ne crois pas ?

— Peut-être, mais ce n’est pas sûr, répliqua Mick après une seconde de réflexion. Nous risquerions de nous enfumer comme des renards dans un terrier et de ne pas pouvoir dormir de la nuit.

— Alors installons notre flambée à l’entrée de la grotte », insista Annie aux yeux de qui il n’y avait pas de vraie maison sans feu. « Pour éloigner les bêtes sauvages. C’est ce que faisaient les gens d’autrefois, tu sais. Je l’ai lu dans mon livre d’histoire. Ils allumaient des feux à l’entrée des cavernes pour effrayer les animaux qui rôdaient par là.

— À ton avis, quel genre de bêtes viendraient jeter un coup d’œil dans notre grotte ? » demanda François en avalant la dernière goutte de sa tasse de chocolat. « Des lions, des tigres ? Ou redoutes-tu quelque invasion d’éléphants ? »

Ils éclatèrent de rire en chœur.

« Ne te moque pas de moi, reprit Annie. Je ne pense pas à ça. Mais ce serait agréable de s’endormir en regardant les braises rougeoyer.

— Annie craint probablement que les lapins nous grignotent les doigts de pied, lança Mick.

— Ouah ! » dît Dagobert en dressant les oreilles comme chaque fois qu’il entendait parler de lapins.

« Je ne suis pas d’accord de faire du feu, dit François, parce qu’on pourrait l’apercevoir du large. Ceux qui voudraient aborder ici pour la contrebande seraient immédiatement prévenus.

— Impossible, l’entrée de la grotte est trop bien cachée par les écueils, intervint Claude. Tout le banc de rocs forme écran. Ce serait amusant d’avoir du feu. La caverne serait tout illuminée.

— Oh ! tu es chic, Claude ! » s’écria Annie, enchantée de trouver enfin quelqu’un d’accord avec elle.

« Je ne me sens pas d’attaque pour aller chercher du bois à une heure pareille, dit Mick qui n’avait aucune envie de bouger de son siège confortable.

— Pas la peine de te déranger, reprit Annie. J’en avais ramassé cet après-midi, pensant que nous en aurions peut-être besoin.

— Quelle bonne petite ménagère ! dit François avec admiration. Elle s’endort peut-être quand on la poste en sentinelle, mais quand il s’agit de transformer une grotte en maison, elle n’oublie rien ! Bravo, Annie. Eh bien, tu vas l’avoir, ton feu. »

Ils se dirigèrent en chœur vers le fond de la grotte où Annie avait entassé la provision de bois. Elle avait ramené des brassées de brindilles que les corneilles laissaient tomber en construisant leur nid sur la tour en ruines.

François partit récolter des algues sèches pour ajouter au tas.

Le bois sec placé à l’entrée de la caverne s’enflamma aussitôt. Les enfants retournèrent se coucher sur leur lit de bruyère et s’accoudèrent pour contempler les flammes dansantes qui pétillaient allègrement. La lueur du foyer éclairait la grotte d’étrange et magnifique façon.

« Quel beau feu ! murmura Annie d’une voix ensommeillée. Oh ! Dagobert, recule-toi un peu, s’il te plaît. Tu m’écrases les pieds. Claude, prends Dago, tu en as plus l’habitude que moi.

— Bonne nuit, marmotta Mick à demi-endormi lui aussi. Le feu meurt mais je n’ai pas le courage de remettre du bois dessus. Je suis sûr que les lions, les tigres et les éléphants sont tous partis.

— Idiot ! lança Annie. Tu me taquines et tu t’es amusé autant que moi avec ce feu. Bonne nuit ! »

Et bientôt ils dormirent et rêvèrent paisiblement de mille et une choses. Soudain un bruit bizarre réveilla François en sursaut. Il écouta, immobile.

« G-r-r-r-r-r-r. G-r-r-r-r-r-r. »

Dagobert grondait sourdement.

Claude s’éveilla à son tour et étendit la main vers son chien.

« Qu’est-ce qui se passe, Dago ?

— Il a entendu quelque chose, Claude », souffla François.

Claude se redressa avec précaution. Dagobert grondait toujours. « Chut », fit Claude et il s’arrêta, rigide, les oreilles pointées.

« Ce sont peut-être les contrebandiers », murmura Claude qui eut soudain la chair de poule à cette idée. En plein jour, rencontrer les contrebandiers est une aventure amusante et souhaitable, mais la nuit… Claude n’avait plus aucune envie de se trouver nez à nez avec eux.

« Je vais aller voir ce qu’il en est », dit François en se glissant hors de la couchette sans bruit pour ne pas réveiller Mick. Je grimpe sur la falaise. J’apercevrai peut-être quelque chose. »

Claude lui proposa sa lampe électrique, mais il n’en voulait pas.

« Non, merci, Je trouverai facilement les nœuds de la corde même sans lumière. »

Il se hissa dans l’ombre, tournant avec la corde. Une fois sur la falaise, il examina la mer. La nuit était très sombre et il était impossible de rien distinguer, même pas l’épave. Il faisait trop noir.

« Dommage qu’il n’y ait pas de lune », songea François. Il faisait le guet depuis quelques minutes lorsque la voix de Claude monta jusqu’à lui par le trou. Venant d’en bas, elle avait une sonorité bizarre.

« François, tu vois quelque chose ? Faut-il que je monte ?

— Je ne distingue rien du tout. Est-ce que Dago gronde toujours ?

— Oui, quand je lâche son collier. Je me demande pourquoi il est si énervé. »

C’est alors que François aperçut brusquement une lumière par-delà la ligne d’écueils. Il s’efforça de percer l’obscurité. L’épave se trouvait de ce côté. Quelqu’un devait se promener dessus avec une lanterne.

Il se baissa vers le trou et appela :

« Claude, monte vite ! »

Avec la rapidité d’un singe, Claude grimpa jusqu’à lui tandis que Dagobert grondait dans la grotte. Elle s’assit à côté de François sur la bruyère.

« Regarde l’épave, ou du moins de ce côté-là, puisqu’il fait noir comme dans un four… Tu verras une lampe qu’on a posée là.

— Ah ! oui. Je me demande si ce sont les contrebandiers qui apportent d’autres marchandises.

— Ou quelqu’un qui vient chercher la valise. Nous le saurons demain. « Tiens ! ils partent, la lanterne s’abaisse. Ils ont dû aborder l’épave en canot. La lumière a disparu. »

Les enfants tendirent l’oreille pour essayer de saisir un clapotis de rames ou des bruits de voix. Ils eurent l’impression d’entendre parler.

« Le canot est probablement reparti vers un bateau au large, dit François. Il me semble qu’il y a une lueur en mer, là-bas, tu vois ? Le canot venait peut-être de là. »

N’ayant plus rien à voir ou à entendre, ils se laissèrent glisser le long de la corde en prenant garde de ne pas éveiller les deux autres qui dormaient toujours comme des loirs. Dagobert les gratifia de joyeux coups de langue. Il avait cessé de gronder.

« Oui, tu es un bon chien, lui dit François. Et tu as l’oreille fine. Rien ne t’échappe. »

Dagobert s’installa de nouveau près de Claude. Sa nervosité avait disparu. Il avait senti la présence proche d’étrangers sur l’épave et maintenant qu’ils s’étaient éloignés, il se calmait.

« Nous inspecterons l’épave demain, décida François. Nous découvrirons peut-être la raison de cette visite nocturne. »

Le lendemain matin Annie et Mick poussèrent des cris d’indignation quand François leur raconta ce qui s’était passé pendant qu’ils dormaient.

« Tu aurais bien pu nous réveiller, dit Mick avec humeur.

— Nous l’aurions fait s’il y avait eu quelque chose à voir » répliqua Claude, mais à part cette lanterne, nous n’avons rien distingué du tout. Nous avons eu l’impression d’entendre des voix, mais nous avons peut-être rêvé. »

Quand la mer fut assez basse, les quatre enfants et le chien se dirigèrent vers l’épave à travers les rochers.

Ils grimpèrent le long de la coque et prirent pied sur le pont incliné et visqueux. Leur premier regard fut pour le coffre où ils avaient aperçu la petite valise. Le couvercle en était fermé.

François essaya de le soulever, mais quelqu’un l’avait bloqué avec un morceau de bois. Une fois la cale enlevée, le couvercle s’ouvrit facilement.

« Rien d’intéressant ? » demanda Claude qui s’approchait à pas prudents pour ne pas glisser sur les planches gluantes.

« Si, regarde : des boîtes de conserves et tout un matériel de camping. C’est bizarre, tu ne trouves pas ? La valise est toujours là. Et tiens, voilà des bougies. Et une lampe électrique. Et des couvertures. Pourquoi les avoir mises là ? »

C’était une énigme. François fronça les sourcils.

« On dirait que quelqu’un va s’installer ici. Probablement pour attendre l’arrivée de marchandises de contrebande. Parfait, nous ferons le guet nuit et jour s’il le faut pour nous en assurer. Le Club des Cinq est prêt à tout. »

Ils quittèrent l’épave absolument ravis. Personne ne pouvait se douter de leur présence, car la grotte était une cachette idéale. Et de cette cachette ils verraient quiconque aborderait l’épave ou en débarquerait pour venir dans l’ile.

« Vous vous souvenez de la baie où nous avons laissé notre canot ? demanda soudain Claude. Les contrebandiers voudront peut-être l’utiliser s’ils arrivent par mer. Il y a trop d’écueils pour ramer directement de l’épave à la plage qui est en face.

— Mais alors ils trouveront le canot dît Mick avec inquiétude. Nous ferions bien de le cacher.

— Où ? » lança Annie qui se rendait compte de la difficulté de dissimuler une aussi grosse barque.

« Je n’en sais rien, dît François. Allons toujours là-bas.

Les quatre enfants et le chien se dirigèrent vers l’anse où ils avaient débarqué. Claude l’explora avec soin et une idée lui vînt.

« Croyez-vous que nous pourrions tirer le bateau derrière ce gros rocher ? Personne ne devinerait qu’il est là à moins, évidemment, de faire le tour du rocher. »

Cela valait la peine d’essayer, déclarèrent les autres à l’unanimité. Ils s’attelèrent donc au bateau et, soufflant comme des phoques, réussirent à le traîner derrière le roc qui le masquait presque complètement.

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Ils réussirent à traîner le bateau derrière le roc.

« C’est parfait, dit Claude qui s’était reculée pour mieux juger de l’effet. On aperçoit un petit peu l’avant. Camouflons-le avec des algues. »

Ils drapèrent la proue avec toutes les algues qu’ils purent ramasser, et quand ce fut fini, le bateau était invisible sauf pour qui contournait le rocher.

« Magnifique, s’écria François en regardant sa montre. Dites donc, il est tard… Et nous nous sommes si bien occupés du bateau que nous avons oublié de monter la garde. Nous sommes stupides.

— Bah ! qui veux-tu qui vienne maintenant ? » dit Mick en ajoutant une dernière guirlande d’algues pour parfaire le camouflage. « À mon avis les contrebandiers ne se déplacent que de nuit.

— Tu as raison, reprit François. Il faudra que nous surveillions aussi l’île la nuit. Le guetteur s’installera avec des couvertures sur la falaise.

— Et Dago lui tiendra compagnie. S’il s’endormait, Dag le réveillerait en grondant au cas où quelqu’un surviendrait, compléta Annie.

— Tu veux dire si tu t’endors, toi, commenta Mick d’un ton malicieux. Je vous propose de retourner à la grotte manger un peu. »

Et à ce moment Dagobert se mit à gronder.