CHAPITRE XII
 
LA GROTTE DANS LA FALAISE

 

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Les enfants traversèrent avec prudence le pont glissant. Le couvercle du coffre avait certainement été rabattu, mais le bois avait joué, et la valise était maintenant à découvert. François la sortit de sa cachette.

Les enfants étaient intrigués. Pourquoi déposer une valise dans un endroit pareil ?

« Et si c’était de la contrebande ? suggéra Mick, les yeux brillants.

— Oui, tu as peut-être raison », dit François pensif qui tentait de défaire les courroies. « Pour qui connaît la passe, il n’est pas difficile de mouiller près de l’île sans être repéré, de venir en canot entreposer des marchandises dans l’épave et de repartir tranquillement, sachant que des complices se chargeraient des marchandises ensuite.

— Oh ! s’exclama Annie, que cette idée enthousiasmait, à ton avis la valise contient de la contrebande, alors ? Qu’est-ce que c’est ? Des diamants ? De la soie ?

— Tout ce qui devrait payer un droit de douane avant de pouvoir être introduit chez nous, répondit François. Au diable ces courroies, elles sont indéfaisables.

— Laisse-moi essayer », dit Annie dont les petits doigts étaient très agiles. Elle se battit victorieusement avec les boucles, et, en moins de rien, les courroies cédèrent. Mais les enfants eurent une déception : la valise était cadenassée. Elle avait deux solides serrures et pas la moindre clef.

« Nous jouons de malheur, soupira Claude. Comment l’ouvrir ?

— Je n’en sais rien, dit François. On ne peut pas faire sauter les serrures sans risquer de donner immédiatement l’éveil aux propriétaires de la valise. Il ne faut surtout pas qu’ils se doutent de notre découverte, si nous voulons essayer de les prendre sur le fait.

— Hurrah ! lança Annie. Gare aux contrebandiers ! Oh ! François, tu penses vraiment que nous parviendrons à les attraper ?

— Pourquoi pas ? Personne ne nous a vus venir ici. Qu’un bateau mouille devant l’île et envoie un canot à terre, nous serons aux premières loges pour le surveiller à condition de nous cacher dès que nous l’apercevrons. Kernach doit servir de dépôt de transit pour les marchandises de contrebande. Je me demande qui s’en occupe ensuite. Probablement quelqu’un du village.

— Nous allons bien nous amuser, dit Mick. Nous avons de la chance. Chaque fois que nous débarquons à Kernach, il nous arrive de nouvelles aventures.

— Pour l’instant il me paraîtrait prudent de regagner la terre ferme, coupa François en constatant que la mer remontait. Je ne tiens pas à être bloqué ici pendant des heures. Je descends le premier. Annie, suis-moi et ne lâche pas la corde. »

Ils escaladèrent de nouveau les rochers, le cœur joyeux. Ils atteignaient le dernier groupe d’écueils reliés à la côte proprement dite lorsque Mick s’arrêta.

« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda Claude qui marchait immédiatement derrière et à qui il bouchait le chemin. « Avance !

— Regarde là-bas, derrière ce gros rocher. Est-ce que ce n’est pas une grotte ? Si elle est au-dessus du niveau de l’eau, elle pourrait nous servir de garde-manger et peut-être aussi de chambre à coucher.

— Il n’y a pas de grotte à Kernach… », répliqua Claude qui s’interrompit aussitôt. Ce que lui montrait Mick ressemblait bien à une entrée de caverne. Cela valait la peine de vérifier. Claude se rappela qu’elle n’avait jamais exploré ce banc de récifs, et la grotte, si grotte il y avait, n’était visible que de là.

« Allons-y voir », dit-elle. Ils abandonnèrent donc l’escalade des rochers par lesquels ils étaient descendus à l’épave et obliquèrent vers le chaos d’écueils qui formait écran devant la falaise.

Ils eurent du mal à retrouver l'entrée de la caverne dans le labyrinthe des blocs écroulés. Elle était trop bien dissimulée pour qu’on devinât son existence, à moins de se placer exactement à l’endroit d’où Mick l’avait aperçue.

« C’est bien une grotte ! s’exclama ce dernier. Elle est splendide. »

Il n’exagérait pas. Le sol était recouvert de sable blanc, fin comme de la poudre et parfaitement sec, car les vagues ne montaient pas jusque-là, sauf peut-être pendant les grandes tempêtes d’hiver. À mi-hauteur, l’une des parois s’avançait en saillie.

« On dirait une étagère faite exprès pour nous, commenta Annie. Toutes nos affaires y tiendraient. Installons-nous donc ici. Regarde, François, il y a même une lucarne. »

Les autres levèrent le nez vers l’endroit qu’elle désignait. La voûte s’était effondrée en partie, mettant en communication la grotte et le sommet herbu de la falaise par une sorte de tunnel qui ressemblait assez en effet à une lucarne.

« Nous pourrions faire glisser nos bagages par là, dit François. Ce serait moins pénible que de les transporter par les rochers. Une fois là-haut, si nous retrouvons ce trou, il sera facile de tout descendre au bout d’une corde sans danger de casse. La falaise n’est pas très haute de ce côté de l’île. En fixant solidement la corde à un buisson de genêts, nous pourrions même utiliser cette lucarne, comme dit Annie, pour aller et venir au lieu d’avoir à escalader chaque fois les rochers par où nous sommes arrivés. »

La découverte était d’importance.

« Notre île recèle des richesses que nous ne soupçonnions même pas, conclut Annie. Nous avons maintenant une belle grotte à nous partager. Le Club des Cinq a de la chance. »

Le plus urgent était de grimper sur la falaise pour rechercher le trou qui permettrait de pénétrer dans la grotte par en haut. Et les voilà partis, suivis de Dagobert.

 Dagobert était comique à regarder. Il glissait sur le varech gluant et, à deux ou trois reprises, il tomba dans une mare. Il se mettait alors à nager tranquillement jusqu’à l’autre bord et poursuivait sans sourciller ses pérégrinations périlleuses.

« Il ressemble à Claude, dit Annie en riant. Il n’abandonne jamais la partie quoi qu’il lui en coûte. »

Ils atteignirent bientôt le sommet de la falaise. Une fois qu’on connaissait l’existence du trou, il n’était pas difficile à repérer.

« Rudement dangereux, en tout cas, commenta François en se penchant au-dessus de l’ouverture. Nous aurions pu tomber dedans en jouant. Il est complètement caché par les ronces. »

Ils s’égratignèrent avec courage pour dégager le trou. Une fois les ronces enlevées, ils aperçurent très nettement l’intérieur de la grotte.

« Ce n’est pas tellement haut, remarqua Annie. Un saut et on est en bas.

— Ne fais pas ça, surtout, dit François. Tu te casserais la jambe. Attends que nous ayons installé une corde. Ainsi nous pourrons aussi bien remonter que descendre. »

Ils retournèrent au bateau et transportèrent tout son contenu de l’autre côté de l’île, près de la grotte. François prit la corde qu’il avait apportée et se mit à la nouer à intervalles réguliers.

« Pour nous servir de point d’appui, expliqua-t-il. En nous laissant glisser trop vite, nous aurions la peau des mains arrachée. Ces nœuds nous faciliteront l’atterrissage et la grimpette.

— Je passe la première et vous m’envoyez les affaires », proposa Claude.

Et la voilà descendant le long de la corde, main sur main, de nœud en nœud. La méthode était bonne et le moyen rapide et sans danger.

« Comment nous arranger pour Dago ? » dit François.

Mais Dagobert qui avait surveillé en gémissant d’inquiétude la disparition progressive de sa petite maitresse, régla la question de lui-même : il sauta dans le trou. Un cri monta de la grotte.

« Grands dieux, qu’est-ce que c’est ? Oh ! Dago. tu n’es pas blessé ? »

Le sable sec qui tapissait le fond de la grotte était doux comme un coussin, et Dagobert avait atterri intact. Il se secoua et aboya joyeusement : il avait rejoint Claude. Ce n’était pas lui qui regarderait sa maîtresse s’engouffrer dans des trous mystérieux sans la suivre immédiatement ! Certes non.

Les enfants procédèrent ensuite au halage de leurs affaires. Annie et Mick les groupèrent en ballots bien serrés dans les couvertures que François laissait glisser avec précaution par le trou. Claude détachait le paquet et renvoyait aussitôt la corde.

« Voilà le dernier ! » cria enfin François, au bout d’un bon moment de travail acharné. « Ensuite, à nous ! Et la première chose à faire avant nos lits, c’est manger. Il y a des heures que nous n’avons rien eu sous la dent et je ne vous cache pas que je meurs de faim. »

Bientôt assis en cercle sur le sable tiède de la grotte, ils ouvrirent une boîte de corned-beef et se mirent à confectionner d’énormes sandwiches. Après quoi ils engloutirent une boîte entière d’ananas et burent le jus jusqu’à la dernière goutte. Et comme ils ne se sentaient pas encore rassasiés, ils ouvrirent aussi deux boîtes de sardines et achevèrent de se caler l’estomac avec des biscuits. C’était un véritable festin.

« Et pour finir, de la limonade » dit Mick. Pourquoi ne mange-t-on jamais aussi bien que ça ?

— Nous ferions bien de nous dépêcher si nous voulons couper de la bruyère pour nos lits, reprit Claude d’une voix ensommeillée.

— De la bruyère ? Tu as besoin de bruyère, toi ? répliqua Mick. Ce beau sable me suffit. Avec un coussin et une ou deux couvertures, je suis sûr de dormir encore mieux que dans mon lit. »

Coussins et couvertures furent installés, et une bougie allumée car la nuit était venue. Dagobert s’était couché comme d’habitude près de Claude.

« Bonne nuit, dit cette dernière. Je ne pourrais pas rester éveillée une seconde de plus. Bonne nuit, tout…, le… monde… »