CHAPITRE XI
 
LÀ VIEILLE EPAVE

 

img20.png

La surprise était désagréable. Il n’y avait pas d’autre pièce qui pût servir même simplement d’abri contre la pluie dans tout le château. Et pourtant il était nécessaire d’avoir un refuge, car on était à la merci d’un orage ou d’un brusque changement de temps.

« Et par ici le vent souffle en ouragan quand il s’y met, dit François. Vous vous rappelez la tempête qui a soulevé l'épave sur les récifs ?

— Oui, bien sûr ! » s’écrièrent en chœur Mick, Claude et Annie. Et Annie proposa aussitôt : « On va visiter l’épave ? J’aimerais savoir si elle est toujours sur les rochers où nous l’avions découverte l’an dernier.

— Il faut d’abord organiser notre campement, déclara François avec fermeté. Devinez un peu l’heure qu’il est ? Trois heures. Nous avons dormi comme des loirs. Avant tout, maintenant, il faut nous installer pour la nuit.

— Mais où ? dit Mick. Le château est inhabitable.

— Il y a bien les souterrains, lança Annie qui frissonna à cette idée, mais je n’ai aucune envie d’y descendre. Il y fait trop noir. »

En fait aucun des quatre n’y tenait.

« Et l’épave ? dit Mick après avoir réfléchi un moment. Nous pourrions peut-être nous y loger. Qu’en pensez-vous ?

— Allons toujours voir, répondit François. S’installer à demeure sur une vieille épave pourrissante ne me tente pas beaucoup, mais peut-être a-t-elle séché.

— En route ! conclut Claude.

Ils traversèrent la cour en ruines jusqu’au rempart d’où l’on dominait la mer et les rochers qui retenaient l’épave prisonnière.

Ils se hissèrent sur le rempart et s’aperçurent avec surprise que le vieux bateau avait été déplacé par les tempêtes au cours de l’hiver.

« Le voilà là-bas, dit François. Il s’est rapproché de l’île. Pauvre bateau, il est beaucoup plus abîmé que l’an dernier. Maintenant il a tout à fait l’air d’une épave.

— Il est trop délabré pour y habiter, à mon avis, reprit Mick, mais peut-être pourrons-nous y ranger tout de même les provisions. J’ai l’impression qu’en passant sur ces écueils à fleur d’eau, on l’atteindrait facilement à pied.

— Oui, dit Claude. Je parie qu’on peut même y aller sans se mouiller à marée basse.

— On essaiera dans une heure, dit François. Les rochers seront à découvert à ce moment-là.

— Si nous inspections le vieux puits en attendant ? » proposa Mick.

Ils retraversèrent la cour. C’était là que, l’an passé, ils avaient découvert l’entrée d’un puits creusé à même le roc jusqu’à une nappe d’eau douce située au-dessous du niveau de la mer.

Les enfants eurent vite fait de retrouver et de soulever le vieux couvercle de bois posé dessus.

« Voilà les barreaux de l’échelle par laquelle j’étais descendu dans le puits, dit Mick en se penchant. Cherchons l’entrée des souterrains, les marches ne sont pas loin d’ici. »

 

img21.jpg
Ils se hissèrent sur le rempart.

Ils n’eurent aucun mal à y arriver, mais l’ouverture était bloquée par d’énormes pavés.

« Qui a pu faire ça ? s’exclama Claude avec surprise. Ce n’est pas nous. Quelqu’un est venu dans l’île, mais qui ?

— Des promeneurs sans doute, dit François. Tu te souviens de la fumée que nous avons aperçue par ici, l’autre jour ? C’étaient sûrement des campeurs qui avaient allumé un feu. Quand nous avons découvert le trésor, l’an dernier, les journaux ont parlé de Kernach et de ses souterrains. Un des pêcheurs a peut-être imaginé de gagner un peu d’argent en faisant visiter notre île.

— Quelle audace ! reprit Claude avec emportement. Je placerai une pancarte : « Propriété privée, entrée interdite sous peine de poursuites. » Je ne veux pas d’étrangers sur notre île.

— Ne te tracasse pas. De toute façon, même si l’entrée du souterrain n’avait pas été bouchée, nous n’y serions pas allés. Regarde ce pauvre Dagobert. C’est un supplice pour lui de voir courir cette multitude de lapins. Il a vraiment une drôle de tête. »

Assis sur son train de derrière, Dagobert contemplait d’un air lamentable les lapins qui s’ébattaient dans les herbes folles de la cour. Il levait le nez de temps en temps vers. Claude, puis le rabaissait vers les lapins, comme hypnotisé.

« Non, Dago, dit Claude avec fermeté. Ici les lapins sont sacrés. Je t’ai déjà prévenu.

— Il doit se dire que tu es de mauvaise foi, lança Annie. Tu avais déclaré que tu partagerais avec lui ta part d’île. Par conséquent il estime avoir droit aussi à la moitié de tes lapins. »

Ils éclatèrent tous de rire. Dagobert agita la queue et adressa à Claude un coup d’œil plein d’espoir. Ils continuèrent leur chemin, et soudain François s’arrêta, le doigt pointé vers le sol.

« Regardez, s’écria-t-il, il y a bien eu des gens ici. On a allumé du feu. »

Ils firent cercle autour du tas de cendres. Une vieille cigarette était aplatie dans la terre à côté. Aucun doute, l’île avait reçu des visites.

 « Si jamais quelqu’un s’avise de débarquer ici, je lâche Dagobert à ses trousses, dit Claude furieuse. L’île nous appartient et personne n’a le droit d’y venir. Ecoute, Dagobert, c’est défendu de s’amuser avec les lapins, mais tu peux donner la chasse à tout individu à deux pattes, à part nous. Compris ?

— Ouah ! » lança Dagobert en agitant la queue, il inspecta aussitôt les environs comme s’il espérait voir apparaître le gibier qui lui était réservé, mais personne ne se présenta.

« La mer doit s’être retirée maintenant, dit François. Allons-y. Toi, Annie, tu resteras sur la plage. Tu risquerais de glisser et les vagues sont mauvaises près des récifs.

— Jamais de la vie ! cria Annie avec indignation. Pourquoi tomberais-je plutôt que toi ?

— Bon, tu nous accompagneras si ce n’est pas trop dangereux », concéda François.

Ils sautèrent par-dessus le rempart et descendirent vers les rochers qui se dressaient en épis jusqu’en pleine mer.

De hautes vagues écumaient encore de temps en temps autour, mais le chemin paraissait relativement facile.

« Tu peux venir, Annie, à condition de marcher entre Mick et moi, dit François. Et de nous donner la main dans les passages difficiles. Nous ne tenons pas à ce que tu te noies. »

Tandis qu’ils escaladaient les rochers déchiquetés et glissants, la marée continuait à se retirer, et bientôt tout danger d’être emporté par une lame disparut. Il était même possible d’atteindre l’épave à pied sec, contrairement à l’année précédente.

« Nous y voilà », dit François en posant la main sur la vieille coque. Vue de près, l’épave était assez impressionnante. Ses flancs couverts d’algues et de coquillages dégageaient une forte odeur de moisi. L’eau clapotait encore autour de la quille, mais pont et bastingage étaient à sec même lorsque la mer était pleine.

« Elle a passé un mauvais hiver, remarqua Claude. Elle a plein de nouveaux trous dans sa coque ; son mât s’est cassé et le pont a l’air démoli. Comment grimper là-haut ?

— J’ai apporté une corde », répondit François en déroulant celle qu’il avait eu la précaution de prendre avant de partir et qu’il avait nouée autour de sa taille. « Attends une seconde, je vais essayer de lancer un nœud coulant autour de ce bout de mât qui dépasse. »

/img22.png
Elle réussit du premier coup à
glisser le nœud coulant autours du mât

Après deux ou trois essais infructueux, Claude impatientée lui arracha le lasso des mains. Elle réussit du premier coup à glisser le nœud coulant autour du mât. Elle était très habile à ce genre d’exercice, parfois même plus qu’un garçon, songea Annie avec admiration,

Claude grimpa à la corde avec la rapidité d’un singe et prit pied sur le pont glissant. Elle faillit tomber mais se rattrapa à temps. François aida Annie à se hisser après elle, puis monta à son tour, suivi de Mick.

« Quelle odeur ! s’écria Annie en fronçant le nez. Je me demande si toutes les épaves sentent aussi mauvais. Je n’ai pas envie de descendre dans les cabines comme nous l’avons fait l’an dernier, L’atmosphère doit y être irrespirable. »

Ils laissèrent donc Annie seule sur le pont à demi défoncé pour explorer l’intérieur du bateau. Ils inspectèrent les cabines des marins envahies par les algues et le poste du capitaine qui était le plus grand du lot. Mais il était évident qu’ils ne pourraient pas y dormir et encore moins y ranger leurs provisions. Humidité et moisissure régnaient en maîtresses partout. François craignait à chaque instant de sentir le plancher céder sous lui.

« Remontons sur le pont, dit-il. On est affreusement mal ici et on n’y voit goutte. »

Ils se mettaient en route quand ils entendirent Annie crier : « Hou-hou ! Venez vite, j’ai fait une découverte. »

Ils accoururent aussi vite que le permettait l’inclinaison du pont gluant. Annie, plantée à l’endroit même où ils l’avaient laissée, désignait d’un air épanoui quelque chose qui se trouvait de l’autre côté du pont.

« Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Claude.

— Regardez ! Je suis sûre que ça n’y était pas quand nous sommes venus l’an dernier », répliqua Annie, le doigt toujours tendu.

Les trois autres se tournèrent dans la direction indiquée. Ils virent un coffre entrouvert et dans ce coffre une petite valise noire. C’était une trouvaille inattendue.

« Une valise ! s’exclama François. Non, elle n’y était sûrement pas. D’ailleurs elle n’est pas là depuis longtemps, elle est sèche et pratiquement neuve. À qui peut-elle appartenir ? Et pourquoi est-elle là ? »