CHAPITRE XIII
 
UNE JOURNEE DANS L’ÎLE

 

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Le lendemain en s’éveillant, les enfants mirent un certain temps à se rappeler où ils étaient. Le soleil inondait l’entrée de la grotte et ses rayons tombèrent d’abord sur Claude.

Elle ouvrit à demi les yeux en se demandant pourquoi son lit lui paraissait moins moelleux que d’habitude.

« Mais je ne suis pas dans mon lit, je suis à Kernach », songea-t-elle subitement. Elle se redressa et secoua Annie.

« Debout, espèce de loir, nous sommes dans l'île ! »

Et bientôt tous furent réveillés.

« Je vais ramasser de la bruyère, déclara Annie. Au début le sable paraît très doux, mais au bout d’un moment il se tasse trop pour être confortable. »

Les autres acquiescèrent en chœur. On mettrait des couvertures sur les matelas de bruyère et on aurait des lits parfaits.

« Vivre dans une caverne est amusant au possible, s’écria Mick. Dire que nous possédons non seulement une grotte pareille mais aussi un château avec de vraies oubliettes ! Nous avons vraiment de la chance.

— Je me sens moite et sale, dit François. Je propose de nous baigner avant de déjeuner. Ensuite, à moi le jambon, le pain et la moutarde !

— Nous aurons sûrement froid après le bain, dit Claude. Si nous allumions le réchaud, maintenant ? L’eau chauffera pendant que nous nous baignerons et nous aurons du chocolat bouillant pour nous empêcher de claquer des dents quand nous reviendrons.

— Oh ! oui, s’écria Annie, enthousiasmée à l’idée de se servir du réchaud-joujou de Claude. Je vais remplir la bouilloire. Mais nous n’avons pas de lait.

— Si, il y a du lait condensé, répondit François. Où est l’ouvre-boîtes ? »

Une minute pénible suivit, car l’ouvre-boîtes restait introuvable. Heureusement François finit par le dénicher dans la poche de son short.

L’alcool fut versé dans le réchaud, puis allumé, la bouilloire pleine posée dessus, et les enfants partirent se baigner.

« Regardez là-bas, dans ces rochers, lança François. On dirait une piscine taillée sur mesure pour nous. Nous ne l’avions pas encore vue.

— Une vraie merveille, renchérit Mick. Et les vagues déferlent dedans. On ne pourrait pas trouver mieux. »

C’était exact. Dans le creux des rochers l’eau était claire, profonde et tiède. Les enfants s’amusèrent comme des fous, s’éclaboussant réciproquement, nageant, ou se laissant flotter au soleil. Claude se hissa sur un rocher pour tenter un plongeon qui fut parfaitement réussi.

« Claude nage comme un poisson, dit Annie d’un ton admiratif. J’aimerais bien pouvoir en faire autant, mais je n’y arriverai jamais.

— On voit très bien l’épave d’ici, remarqua François en sortant de l’eau. Flûte ! Nous n’avons pas apporté de serviettes.

— Il n’y a qu’à prendre une des couvertures, dit Mick. Je vais aller chercher la plus mince. À propos, vous vous souvenez de la valise que nous avons trouvée dans l’épave, hier ? Bizarre, n’est-ce pas ?

— Oui, très bizarre, répliqua François. Je n’y comprends rien. Nous surveillerons les alentours pour surprendre ceux à qui elle appartient.

— Je pense que les contrebandiers, si contrebandiers il y a, se faufileront de ce côté de l’île et enverront un canot à l’épave, dit Claude en se séchant avec vigueur. Désormais ouvrons l’œil pour ne pas manquer les bateaux, voiliers ou vapeurs, qui s’approcheront d’ici.

— Oui, il ne faut pas qu’ils nous repèrent, dit Mick. Nous ne trouverions rien s’ils se doutaient de notre présence. Ils cesseraient immédiatement d’utiliser l’île comme port d’attache. Je propose que nous montions la garde à tour de rôle pour que nous puissions nous cacher à la moindre alerte.

— Approuvé à l’unanimité ! s’écria François. Je suis sec, mais je n’ai pas plus chaud que ça. Courons jusqu’à la grotte pour boire quelque chose de bouillant. Et mangeons. Ma parole, je crois que je dévorerais un poulet entier et même un canard, pour ne pas parler d’une dinde. »

Les autres éclatèrent de rire. Ils avaient aussi faim et aussi froid que François. Ils s’élancèrent en bondissant sur le sable, à travers les rochers, jusqu’à l’entrée de là grotte éclaboussée de soleil.

La bouilloire crachotait allègrement sa vapeur par le bec.

« Prenez le jambon, le pain et le bocal de cornichons que nous avons apporté, pendant que j’ouvre la boîte de lait, dit François. Claude, voici un pot et le cacao, prépare assez de chocolat pour quatre affamés.

— Je suis follement contente, s’exclama Annie qui dévorait son déjeuner installée au soleil à l’entrée de la grotte. C’est magnifique d’être seuls sur notre île, libres de faire tout ce que nous voulons. »

Les autres partageaient son enthousiasme. Leur joie était complète, car la journée s’annonçait merveilleuse. Le ciel bleu se confondait presque avec la mer. Tout en mangeant et en buvant, ils regardaient les vagues se heurter aux écueils qui entouraient l’épave et retomber en flots d’écume. La mer était sauvage de ce côté-là.

« Commençons par installer nos affaires », dit Annie qui était la plus soigneuse des quatre et qui adorait jouer à la ménagère. « Puisque nous habiterons la grotte, il nous faudra quatre lits et quatre sièges. Et nous rangerons les provisions sur l’espèce d’étagère de la paroi. Elle a l’air d’avoir été faite exprès pour nous.

— Laissons Annie arranger la grotte à son goût, dit Claude qui mourait d’envie de se dégourdir les jambes. Pendant ce temps-là nous ramasserons de la bruyère. Est-ce la peine de surveiller l’épave maintenant ?

— Bien sûr que oui, c’est très important, répliqua François. Je prendrai le premier tour de garde sur la falaise juste au-dessus de la grotte. À mon avis, c’est le meilleur endroit. On fera la relève toutes les deux heures. Il sera possible de lire à condition de regarder la mer de temps en temps. »

Mick et Claude s’en allèrent chercher la bruyère, et François grimpa le long de la corde à nœuds qu’ils avaient fixée la veille à la souche d’un énorme buisson d’ajoncs. Il se hissa sur la falaise en haletant et s’étendit sur le sol.

La mer paraissait vide, à part un vapeur à l’horizon. François s’installa confortablement, ravi de se chauffer au soleil. Ce métier de sentinelle s’annonçait agréable.

Il entendait Annie qui chantait tout en « faisant le ménage ». Sa voix montait par le trou et parvenait assourdie jusqu’à François qui sourit. Sa petite sœur paraissait s’amuser.

Il ne se trompait pas. Elle avait lavé les gobelets et autre matériel utilisé pour le déjeuner avec de l’eau de pluie qui s’était rassemblée de façon fort commode dans une anfractuosité près de la grotte. C’était la buvette de Dagobert, mais celui-ci n’eut pas l’air de se formaliser quand Annie vint y faire sa vaisselle, Elle s’en était d’ailleurs excusée avec politesse.

« Désolée de te gâter ta boisson, mon vieux Dago, mais je suis sûre que si elle a mauvais goût, tu iras chercher une autre flaque. Tu es trop sage pour boire de la mauvaise eau, n’est-ce pas ?

— Ouah ! » répliqua Dagobert en s’élançant à la rencontre de Claude qui revenait en compagnie de Mick avec des brassées de bruyère odorante.

« Laisse la bruyère dehors, s’il te plaît, Claude. Je ferai les lits tout à l’heure, dit Annie.

— D’accord. Nous retournons en chercher d’autre.

— François est monté sur la colline, reprit Annie, Il appellera s’il voit quelque chose d’anormal. J’espère qu’il en verra, pas vous ?

— Oh ! si ! » rétorqua Mick en lâchant sa bruyère au-dessus de Dagobert qui disparut sous cette avalanche. « Tu étais là, mon pauvre Dago ? Toutes mes excuses. »

Annie passa une matinée très agréable. Elle disposa soigneusement les biens de la communauté sur la banquette de pierre, couteaux, fourchettes, cuillers et vaisselle ensemble, puis à côté casserole et bouilloire, et enfin les boîtes de conserves, rangées par catégorie comme dans un vaisselier ou un garde-manger. C’était parfait.

Elle enveloppa le pain dans une vieille nappe et le déposa au fond de la grotte dans l’endroit le plus frais qu’elle put trouver. Elle plaça là aussi les bonbonnes d’eau et les bouteilles de limonade.

Elle se mit ensuite à faire les lits. Elle décida de dresser deux grandes couchettes, une de chaque côté de la grotte.

« Claude, Dagobert et moi, nous nous installerons ici, songea-t-elle en tassant la bruyère en forme de matelas. François et Mick coucheront en face. Il me faudra d’autre bruyère. Oh ! c’est toi, Mick ? Tu tombes bien ! Je voudrais encore de la bruyère, s’il te plaît. »

Les lits furent bientôt prêts, une couverture de voyage usagée en guise de drap de dessous, deux autres plus neuves bordées par-dessus, avec des coussins pour oreillers.

« Dommage que nous n’ayons pas apporté de pyjamas, pensa Annie. J’aurais pu les plier et les mettre sous les coussins. Et voilà ! C’est fini. Nous avons une maison magnifique. »

François descendit à ce moment par le trou et regarda autour de lui avec admiration.

« Ma parole, Annie, tu as fait des merveilles. La grotte est splendide. Et comme tout est bien rangé ! Tu es une bonne petite fille. »

Annie trouva l’éloge à son goût, malgré le « bonne petite fille » qui lui servait de conclusion.

« Oui, c’est bien, n’est-ce pas ? Mais pourquoi as-tu quitté la falaise ?

— C’est le tour de Mick, maintenant. Les deux heures sont écoulées. Avons-nous apporté des biscuits ? J’ai un peu faim et je crois que les autres sont comme moi. Montons là-haut. Claude et Dagobert tiennent compagnie à Mick. »

Annie n’eut pas à chercher longtemps les biscuits. Elle en prit dix et grimpa sur la falaise, tandis que François remontait par la corde. Bientôt ils furent installés tous les cinq à l’ombre du buisson d’ajoncs et grignotèrent leurs biscuits, sauf Dago qui ne perdit pas de temps à savourer : il avala les siens tout ronds.

Les enfants flânèrent gaiement jusqu’au soir. Ils prirent chacun leur tour de garde et Annie se fit gronder sévèrement par François, car elle s’endormit au lieu de surveiller la mer. Honteuse, elle éclata en sanglots.

« Tu es trop jeune pour être une sentinelle, conclut François. Désormais nous nous passerons de toi.

— Oh ! non, supplia Annie. Je vous promets de ne plus jamais m’endormir. Mais le soleil était si chaud et…

— Chut, Annie, qui s’excuse s’accuse, dit François. Ça va pour cette fois, ne pleure plus. Mais tâche de ne pas recommencer. »

Ils eurent beau se relayer consciencieusement, aucun navire n’apparut à l’horizon. Ils en furent très désappointés, car ils mouraient d’envie de savoir qui avait déposé la valise dans l’épave, pourquoi on l’avait mise là et ce qu’elle contenait.

« Allons-nous coucher, dit François quand le soleil eut presque disparu. Il est près de neuf heures. Venez, j’ai hâte d’essayer les beaux lits de bruyère qu’Annie nous a fabriqués avec tant d’art. »