Le cas Hedda Lennon
Madame Hedda Lennon, veuve d’un entrepreneur dans le bâtiment installé au Caire, avait une fille mariée qui habitait en Angleterre. (Je restitue ici l’essentiel de l’histoire parce que le déroulement chronologique serait trop long et trop complexe.) Hedda Lennon habitait, à l’extrême périphérie du Caire, une villa entourée d’un jardin. Un jour, c’était en 1934, elle reçut une lettre de sa fille, appelée Lois, qui devait entrer en clinique à la suite d’une hémorragie. Deux jours plus tard, venant du mari de Lois, Harry Thomson, ingénieur dans une usine de câbles électriques, elle reçut un télégramme lui annonçant la mort de Lois.
À cette époque on n’avait pas l’habitude d’utiliser les lignes aériennes. Hedda Lennon partit en paquebot, elle se rendit à Marseille, de là en train jusqu’à Cherbourg, puis Londres. Elle demeura abasourdie quand elle arriva à la maison de son gendre, à Coventry. Sa fille Lois était vivante et se portait comme un charme.
Sa fille comme son gendre eurent l’impression que c’était elle, Hedda, qui était devenue folle. En pure perte la mère répétait qu’elle avait reçu la lettre et le télégramme ; malheureusement pour elle, les deux messages étaient restés au Caire et elle ne pouvait pas les leur montrer. Bref : à peine un mois plus tard, Hedda Lennon, assez bouleversée, rentra au Caire. Où immédiatement elle se mit à chercher la lettre de sa fille et le funeste télégramme de son gendre. Mais elle ne put les retrouver.
Trois mois passèrent. Puis elle reçut une lettre de sa fille Lois qui lui annonçait qu’elle devait entrer en clinique à la suite d’une grave hémorragie. Deux jours après arriva le télégramme du gendre annonçant le décès. Elle partit de nouveau. À Coventry, elle trouva la maison en deuil. Lois était bel et bien morte. Hedda Lennon dut être accueillie dans une maison de santé, où elle mourut durant la guerre.
Commentaire
On ne dispose pas pour l’épisode Lennon d’une documentation complète comme pour l’affaire de Mortara. Cependant les témoignages sont dignes de foi. Ici aussi il paraît avéré qu’on se trouve devant une déformation du temps. Lequel, pour Hedda Lennon, prit un rythme bien plus rapide que pour le reste du monde, sans qu’elle s’en rendît compte. De cette manière, elle reçut l’annonce de la mort de sa fille quatre mois avant que celle-ci ne se produisît. Les conditions spéciales dans lesquelles elle vivait le temps ont cessé toutefois au moment où, à Londres, elle se mêla à la vie des autres, qui suivait un cours normal. Comme si le tissu-temps avait formé une minuscule protubérance juste là où elle se trouvait, protubérance qui disparut automatiquement quand elle mit pied sur le sol anglais.
« Étranges déformations de ce qu’on appelle le
temps »,
Pianeta, no 9, septembre-novembre 1965.