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MOUSTIQUE À LA TOUR

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Septimus entrouvrit la porte du placard et jeta un regard prudent à l’extérieur. Il attendit qu’un petit groupe de magiciens ordinaires qui discutaient de la pluie et du beau temps soient passés pour sortir avec Moustique. L’apprenti de Marcia avait parfaitement le droit de se trouver dans le placard à balais, mais il ne tenait pas à ce qu’un troupeau de magiciens curieux s’interrogent à n’en plus finir sur les raisons de sa présence dans ce lieu pour le moins incongru.

— Suis-moi, dit-il à son ami.

Mais Moustique resta rivé sur place, fasciné par le ballet des lettres multicolores sur le sol.

— Il a écrit mon nom ! (Sa voix habituellement bourrue avait pris des accents excités.) Le sol… Il m’a dit « BIENVENUE MOUSTIQUE ». C’est trop bizarre !

— Oh ! Il fait pareil avec tout le monde, répliqua Septimus d’un air dégagé, oubliant sa propre stupéfaction la première fois où il avait franchi le seuil de la tour.

— Et maintenant, il écrit « BIENVENUE À NOTRE PRINCESSE ». Elle est là pour de vrai, Sep ?

Moustique avait souvent aperçu Jenna alors qu’elle se promenait dans la voie du Magicien, mais pas un instant il n’avait imaginé faire un jour sa connaissance.

— Qui ça, Jenna ? Ça m’étonnerait. Elle vient de retourner au palais.

Au même moment, les portes en argent de la tour s’écartèrent et Moustique eut l’immense surprise de voir Jenna surgir dans une lumière éblouissante. Durant une seconde, Septimus partagea la stupeur de son ami. Il n’était point tant étonné de l’entrée de Jenna (connaissant le mot de passe, celle-ci était libre d’aller et venir à sa guise) que par cette brusque irruption de l’été. Son séjour dans les tunnels de glace lui avait fait oublier qu’à l’extérieur, le ciel était bleu et le soleil radieux.

— Salut, Sep, fit Jenna. Il faudrait que tu passes voir maman. Je lui ai dit que tu étais sain et sauf, mais elle m’a répondu qu’elle tenait à s’en assurer.

— D’accord, Jen. Mais avant, j’ai une affaire urgente à régler. Simon est là.

— À la tour ?

— Non, là, répéta Septimus en pointant l’index vers le sol. Jenna parut perplexe.

— Quoi, à la cave ?

Septimus baissa la voix et expliqua :

— Il existe tout un réseau de tunnels de glace sous le Château. C’est là que je l’ai vu. Il se déplaçait en patins. Jenna éclata de rire.

— Ne dis pas de bêtises, Sep. On est en été. Il fait trop chaud pour patiner.

— Chut ! On pourrait nous entendre.

Septimus adressa un sourire innocent aux magiciens qui revenaient sur leurs pas.

— Bonjour, Pascalle. Bonjour, Thomasin. Bonjour à tous.

— Bonjour, apprenti, répondirent les magiciens d’une seule voix.

Septimus attendit qu’ils soient sortis pour poursuivre.

— Ce n’est pas tout, Jen. Simon n’a pas menti. Il possède bien le charme du Grand Vol. Je l’ai vu de mes propres yeux ; il l’avait laissé dans le cabinet hermétique. J’ai tenté de le prendre, mais il était gardé par un serpent et…

Jenna le regarda d’un air incrédule.

— Des tunnels de glace… Le cabinet hermétique… Un serpent ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire, Sep ? Je croyais que tu étais parti chercher un exemplaire du livre de Draxx ?

— En effet. C’est là que j’ai rencontré Moustique. Puis les événements se sont enchaînés.

Moustique se balançait gauchement d’un pied sur l’autre. Il se sentait comme un poisson hors de l’eau. Si on lui avait dit qu’il allait se retrouver à la tour du Magicien, en présence de la princesse… Évidemment, cette dernière ne lui prêtait aucune attention. Et son meilleur ami, Septimus, lui paraissait tout à coup à mille lieues du garnement avec qui il chahutait et sur lequel il s’amusait parfois à recracher son Coco Bula par le nez.

— Bonjour, Moustique, dit Jenna.

— Quoi ? Vous… vous connaissez mon nom ? balbutia Moustique, interloqué.

— Je viens de le lire par terre, expliqua Jenna en souriant. D’autre part, tu ressembles trait pour trait à la description que Sep m’a faite de toi.

Moustique devint rouge comme une pivoine.

— Sep vous a parlé de moi ?

— Bien sûr. Il dit que tu es son meilleur ami.

— Oh !

Moustique resta sans voix. Il suivit Septimus et Jenna jusqu’à l’escalier en argent et faillit tomber à la renverse quand celui-ci entama sa révolution. Il arriva au sommet tout étourdi. À côté de ça, les tunnels de glace lui semblaient une partie de plaisir. Soudain, son cœur fit un bond dans sa poitrine. Il venait d’apercevoir la grande porte pourpre qui menait aux appartements de Marcia. Personne de sa connaissance, pas même le vieux Vulpin, n’avait jamais eu accès à cet étage de la tour. La magicienne extraordinaire recevait les visiteurs dans le grand hall. Aucun n’était jamais admis dans ses appartements.

Pincepoule roupillait sur sa chaise. Septimus s’avança vers la porte qui le reconnut et s’ouvrit aussitôt devant lui. D’une bourrade amicale, il poussa Moustique vers le seuil, l’invitant à entrer.

— N’aie pas peur, dit-il pour le rassurer. Ce n’est quand même pas le palais.

Il ne croyait pas si bien dire. Les appartements de Marcia, d’ordinaire si coquets, semblaient avoir été dévastés par une tornade. Les meubles renversés gisaient sur le sol au milieu d’un bric-à-brac de pots, de vases et d’assiettes brisés.

Moustique ne fut pas étonné. C’était tout à fait ainsi qu’il se représentait l’intérieur d’un magicien d’après les récits de son oncle déménageur à l’Enchevêtre.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? interrogea Jenna.

La gorge de Septimus se serra. Il manquait quelque chose au décor, un élément qui dominait la pièce depuis presque un an. Puis il s’avisa tout à coup que l’objet en question était toujours là, mais en pièces détachées.

— Le piège à ombres ! s’exclama-t-il. Il est complètement démoli ! Marcia… Où est-elle passée ?

— Peut-être l’ombre l’a-t-elle emmenée ? hasarda Jenna. Soudain, elle agrippa le bras de Septimus.

— Regarde ! murmura-t-elle.

Quelque chose bougeait sous les rideaux de soie pourpre qui avaient été arrachés de la fenêtre et jetés en tas sur le sol.

— L’ombre… Elle est là !

— Sortons vite !

Mais comme les enfants battaient en retraite vers la porte, la chose cachée sous les rideaux se rua sur eux. Elle trébucha sur une pile de coussins violets éventrés et entra en collision avec une table isolée qui se fracassa par terre. Une longue queue verte jaillit de dessous les tentures, renversant le dernier vase intact.

— Boutefeu ! s’écria Septimus, partagé entre la consternation et le soulagement. Vilain dragon, qu’est-ce que tu as fait ?

En entendant son nom, le dragon qui avait à présent la taille d’un poney se dépêtra des rideaux et caracola vers son maître en fouettant de la queue.

— Assis, Boutefeu. Assis ! ordonna en vain Septimus.

Boutefeu frotta sa tête contre la tunique de l’apprenti et frappa violemment le sol avec sa queue, créant une onde de choc qui fit dégringoler la suie le long du tuyau de la cheminée.

— Ton nouveau protégé, Septimus ? fit une voix familière qui provenait du tas de suie.

Alther se matérialisa dans l’âtre et se mit à flotter à travers la pièce.

— Je n’en reviens pas que tu aies réussi à convaincre Marcia de t’autoriser à garder un dragon ici. Si j’en avais un, je te tirerais mon chapeau. Ah ! bonjour, Jenna. Et voici le garçon du Manuscriptorium.

— Bonjour, Alther, répondit Jenna avec gratitude.

Comme souvent, Alther venait d’apparaître à point nommé. Trop impressionné pour parler, Moustique se contenta de sourire.

De son côté, Septimus disputait âprement à Boutefeu un morceau du piège à ombres que le dragon avait entrepris de mastiquer. Il finit par lui arracher une longue barre noire que Boutefeu lui reprit aussitôt avec un grand coup de queue qui traversa les genoux d’Alther.

Alther avait horreur qu’on le traverse. Cela lui soulevait le cœur.

— Tu aurais intérêt à te procurer un exemplaire du manuel de Draxx, dit-il avec une pointe d’humeur.

— Oui, je sais, répliqua machinalement Septimus.

Boutefeu et lui étaient parvenus à un compromis, chacun conservant une moitié de la barre, et Septimus considérait la sienne d’un air stupéfait.

— Alther, dit-il, il y a quelque chose à l’intérieur. On dirait un os.