Un an plus tard

Je me hâtais, l’an passé, car j’allais faire exploser ma lettre au Congrès des écrivains et m’attendais sinon à périr, du moins à perdre la liberté d’écrire et la faculté d’accéder à mes manuscrits. Cependant, les choses tournèrent de telle manière que non seulement je ne fus pas arrêté, mais me retrouvai comme installé sur le granit. Et je compris alors que je devais et pouvais remettre la main à ce livre et finir de le corriger.

Maintenant, un petit nombre de mes amis l’ont lu. Ils m’ont aidé à y déceler de graves défauts. Mais je n’ai pas osé étendre l’expérience à un cercle plus grand et si jamais cette possibilité devait m’être offerte un jour, il sera trop tard pour moi.

Durant l’année qui vient de s’écouler, j’ai fait ce que j’ai pu, j’ai mené mon travail à son terme. Qu’on ne me reproche pas d’être incomplet : la matière est inépuisable, et toute personne qui a eu le moindre contact avec ce monde ou qui y a réfléchi si peu que ce soit trouvera toujours quelque chose à ajouter – quelque chose qui pourra même être une perle. Mais les proportions ont leurs lois. Les dimensions limites sont déjà atteintes, et si on voulait à toute force y introduire encore quelques grains de vérité, c’est le bloc tout entier qui s’effondrerait.

En revanche, je prie les lecteurs de bien vouloir me pardonner telles expressions malheureuses, telles répétitions ou faiblesses de composition. Qu’ils pensent que, malgré tout, je n’ai pas eu une année de tranquillité et que, durant les derniers mois, j’ai de nouveau senti le sol me brûler les pieds et ma table me brûler les mains. Qu’ils pensent aussi que, même pour ce dernier travail de rédaction, je n’ai pas vu, je n’ai pas tenu une seule fois sur une même table le livre dans son entier.

Le temps n’est pas encore venu de confier au papier la liste complète de ceux sans lesquels ce livre n’aurait pas été écrit, n’aurait pas été refondu, n’aurait pas été conservé. Eux savent. Je les salue bien bas.

 

Mai 1968

Rojdestvo-sur-Istía