La relégation
Chapitre 1. La relégation dans nos premières années de liberté
Histoire de la relégation en Russie à partir d’Alexis Mikhaïlovitch. – Son adoucissement à la fin du xixe siècle. – Les privilèges permanents accordés aux politiques dans leur exil sibérien. – Au début du xxe siècle, la relégation n’est plus qu’une mesure désuète. – Sa douceur pour les hommes célèbres et les autres. – Pesanteur morale de l’exil, même s’il est doux.
Les déplacements de populations dans la lutte contre les soulèvements populaires au début de l’époque soviétique. – La relégation politique est pratiquée avec régularité à partir de 1922. – Le plan du pouvoir soviétique : reprendre les gens pour leur faire décrire de nouveaux cercles. – Bien-être matériel des politiques dans la relégation du temps des tsars. – Ce que recevaient les droits-communs à Sakhaline. – L’allocation versée aux « polites » et sa dévalorisation. – Les relégués soviétiques sont sans défense et sans force. – Dépérissement des anciens partis. – Les sionistes dans les années Vingt. – Les socialistes en relégation, leur faiblesse. – Les relégués sont divisés entre eux et tenus à distance par la population. – Comment les socialistes s’interdirent à eux-mêmes de s’évader. – Le « moins ». – De son côté, la Grande Patience se poursuit inexorablement. – La relégation est l’enclos où l’on tient parqués ceux qu’on destine à l’arrestation.
Chapitre 2. La Grande Peste
Les millions de victimes ignorées. – Origine de ce plan. – La paysannerie frappée dès 1918. – Début de l’extermination en 1929. – Les mesures de janvier-février 1930. – « Koulaks » et « koulakisants », les étiquettes partent pour une grande carrière. – Les « activistes ». On n’élimine pas le mal en passant l’humanité au peigne de fer. – Des villages entiers sont complètement vidés. – Choura Dmitriev, l’adolescent-koulak. – La « petite Edison » Motia. – Le meunier Laktiounkine. – Le forgeron Trifone Tvardovski. – Il ne doit pas y avoir de maisons en brique. – Faire entrer de force les paysans dans les kolkhozes. – La Grande Cassure de l’épine dorsale du peuple russe.
Tableaux de ruine et de dékoulakisation. – L’odeur de la Grande Peste planera encore des années durant sur la campagne. – Timofeï Ovtchinnikov, vétérinaire et producteur de saucisson. – Le saucisson au service du VKP (b). – Les convois en hiver avec des nourrissons. – Pour que périsse l’engeance des moujiks. – Tableaux des transferts. – Arrivée à destination. – Les églises d’Arkhanguelsk, prisons de transit pour les dékoulakisés. – Ne pas venir en aide à ceux qui sont en train de mourir dans la rue ! – Envoyés dans le vide. – On choisit des endroits où vivre est impossible. – Villages transformés en camps. – Villages vidés par la mort. – La tragédie du Vassiougane.
La vie dans les villages spéciaux. – Les migrants transférés dans des camps, coupés de leur famille. – Décret sur le rétablissement des dékoulakisés dans leurs droits. – On leur propose de partir pour le front. – La réponse de Nikolaï Khlébounov. – Certains villages oubliés par les autorités parviennent à survivre. – Seconde dékoulakisation. – Les vieux-croyants de Iartsévo sur la Podkamennaïa Toungouzka. – Autres vieux-croyants : on leur tire dessus dans les eaux de l’Iénisseï. – Asservissement par mariage et asservissement des enfants. – Attachés aux mines à perpétuité. – Sortis vivants des vingt années de Peste, qui sont-ils ? Des Soviétiques comme les autres. – Les gens n’en veulent pas à Staline ! – Et, politiquement, il a gagné la bataille.
Chapitre 3. Les rangs s’épaississent
Développement de la relégation soviétique des années Vingt aux années Quarante. – La relégation-dépotoir, la « libération » sous forme d’envoi en relégation. – La distinction administrative entre relégation et déplacement. – Principaux motifs de relégation-déplacement. – Une dérivation de chacun des flots. – On règle son compte à la famille de Kojourine. – L’exil des mutilés de la dernière guerre. – Karaganda, 1955. – Iénisseïsk, 1948 et 1952. – Tasseïevo, 1949. – En quoi est-ce une « libération » que de sortir du camp ? – « Je suis votre camarade maintenant. » – On instruit les nouveaux relégués. – Variantes concernant le mariage selon les endroits. – Les « travaux généraux » en relégation. – « Au camp, on vous donne du pain ! ». – Le relégué humilié et privé de droits. – Quand le relégué tente d’être plus honnête dans son travail que les autorités. – Mais la relégation la plus dure est celle qui vous envoie dans un kolkhoze. – Est-on mieux dans un sovkhoze ? – Dans un écart perdu, « l’esclave de Tourgaï ». – Le relégué n’est pas non plus à l’abri des déplacements d’effectifs. – Le pouvoir d’un officier de commandanture. – L’évasion châtiée de plus en plus lourdement. – Les absences résultant d’un malentendu sont elles aussi des évasions. – L’« évasion » d’A. I. Bogoslovski. – La section tchékiste opérationnelle sur les lieux de relégation. – La carrière de Piotr Viskné. – Deuxième service pour les relégués. – Coupés les uns des autres et silencieux. – Où sont les groupes joyeux du temps d’Oulianov ?…
Chapitre 4. La relégation des peuples
Les conquêtes coloniales n’ont pas connu la transplantation des peuples. – L’expérience de Staline est la première. – Premiers « migrants spéciaux » pendant la Grande Peste paysanne. – Les Coréens expulsés d’Extrême-Orient en 1937. – Transplantation des Finnois et des Estoniens en Carélie, 1940. – Exil des Allemands de la Volga en 1941. – Et de différentes nations pendant les années de guerre. – Technique de l’expulsion d’un peuple. – Triomphe de l’uniformité. – On n’y trouve que de petites fissures. – Où envoyait-on les nations ? – Les Baltes passés au rateau. – Pourquoi on a commencé par les officiers. – Principes de sélection au sein d’une nation. – Exil des Baltes et des Ukrainiens de l’Ouest en 1948-1951. – Qu’y avait-il encore dans les plans de Staline ? – Les décrets pris dans les pays Baltes et les différentes catégories d’exilés. – Quels progrès avait faits la technique de la déportation. – Les Estoniens pendant le transfert. – Au cours de ces années-là, beaucoup ont appelé la guerre de leurs vœux. – Chaleur de l’accueil par les Sibériens. – Les activistes du Komsomol. – Comment dix wagons d’exilés furent achetés pour peupler la vallée du Tchoulym. – Dans les mines de Khakassie. Les « ateliers d’élite ». – Comparaison avec les serfs ouvriers d’usine. – Les migrants spéciaux au kolkhoze : à la fois le kolkhoze et le camp. – Pour les Baltes, le pic et la pelle ! – Petits tableaux de la vie de tous les jours. – Les « droits civiques », un poids de plus. – Oh, comme c’est monotone !…
Allemands, Grecs, Coréens en exil au Kazakhstan. – Les Tchétchènes, insoumis. – Ce qui arriva à la famille Khoudaïev. – Importance de la vendetta.
Chapitre 5. Du camp à la relégation
Quand les prisonniers rêvent de relégation. – Je l’ai fait moi aussi. – Les années Cinquante. Supériorité des relégués sur les prétendus libérés. – Superstitions des prisonniers pour le jour de leur libération. – C’est dans le Sud que nous allons ! – Une libération de plus. – Vladimir Alexandrovitch Vassiliev. – Une nouvelle trace d’Erik Andersen. – Ce que je suppose à son sujet. – L’instant décisif où on vous assigne un lieu de relégation. – Conscience venue de plus haut : ne pas se démener. – L’exil perpétuel, en désaccord même avec les lois soviétiques. – Mais le MGB est-il éternel ? – La nomination de Vassiliev : on s’est moqué de lui. – Notre dernier transfert. – C’est le MGB qui accueille les relégués. – Je sors me faire embaucher comme instituteur ! – Comment on me reçoit à l’Inspection académique du rayon. – Nuit de lune dans la cour du MGB. La vie commence ! – Et on apprend la mort du Tyran.
Chapitre 6. La bonne petite vie de relégué
J’écris ma pièce tout à loisir. – L’agonie des changements de prix à la Coopérative de consommation du rayon. – Je me révolte. – On me prend comme professeur. – Ce que sont les études pour les enfants relégués. – Pour les enfants kazakhs. – L’oppression subie par les instituteurs. – La lutte de Mitrovitch contre l’administration. – Les relégués prennent part à la comédie des élections. – Histoire de Grigori Makovoz. – Quel jugement porter ? – Où est la limite du pardon ?
Caractère privilégié de certains lieux de relégation, dans le Sud. – Mieux vaut le Kazakhstan qu’un kolkhoze en Ukraine. – L’amnistie « Vorochilov » du 27 mars 1953. – Comment elle se manifesta à Kok-Térek. – Adoucissement de la relégation après Béria. – J’étais heureux. – Un point de vue purifié. – L’amnistie « Adenauer » du 9 septembre 1955. – Je ne veux pas retourner dans les capitales ! – XXe Congrès et fin de la relégation. – De nouveau à la Loubianka. On s’achemine vers la réhabilitation.
Chapitre 7. Les zeks en liberté
La « libération » sous le ciel du Goulag. – Privés de relégation. – Comment Natalia Stoliarova demanda à pouvoir passer la nuit à l’intérieur du camp. – Chassés de partout. – Quand vos photographies ont été caviardées par vos amis. – Quand vous préférez une mort rapide. – Les zeks raisonnables restent à proximité du camp. – Quelle vie ils mènent. – Plus on est resté longtemps détenu, moins on peut espérer toucher une retraite. – « Une seconde journée d’Ivan Dénissovitch. » – Pour aller dans un sens, simplement froncer le sourcil, pour aller dans l’autre, atteler cent bœufs. – Le certificat… – Et comment les générations futures pourraient-elles apprendre quoi que ce soit ?
Ceux qui s’affaiblissent en liberté. – Ceux qui reprennent vie. – La libération comme une des formes de la mort. – Fuir pour se retrouver seul. – Ne rien posséder, entre deux détentions. – Mal à l’aise avec les gens sans histoires. – Ceux qui, au contraire, rattrapent le temps perdu. – Être fier de son passé – ou bien oublier, oublier ? – Comment les bien-pensants se réinsèrent dans la vie soviétique. – Oublier, n’est-ce pas s’enfoncer trop loin dans l’esclavage ? – Le corps vite remplumé. – Oublier, comme un voleur plie bagage. – Stabilité de la personnalité ? – Mais comment fait-on pour oublier ? – Je donne une conférence dans une colonie pénitentiaire pour femmes. – La faim connue au camp se réinstalle en une journée. – L’envie de revenir sur les lieux où on a été détenu. – Mais nous savons aussi nous rappeler les bonnes choses. – Les zeks jamais abattus, une tribu puissante. – Une mesure nouvelle pour jauger les choses et les gens.
Séparés pendant dix ans, vingt ans, mari et femme se déshabituent l’un de l’autre. – Quand on rencontre, dans la vie libre, ses commissaires-instructeurs, ses patrons de camp, ses dénonciateurs. – Il est vain de chercher la justice contre les faux témoins et les scélérats. – L’orage est passé sans pluie. – Le Code pénal soviétique favorise les calomniateurs. – L’affaire d’Anna Tchébotar-Tkatch. – Où y a-t-il jamais eu autant de scélératesse impunie ?