CHAPITRE XX
Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent sur le dernier étage de l'imposant building de plastex et d'acier qui abritait le S. S. P. P. Marc en sortit et vit Peggy installée derrière sa batterie d'ordinateurs. Elle était la secrétaire du général Khov, authentique vieille fille d'une cinquantaine d'années, sèche, anguleuse, à la mâchoire garnie de longues incisives. Elle juchait sur son nez allongé une antique paire de lunettes aux verres épais faisant paraître ses yeux ridiculement petits. Un discret sourire étira ses lèvres minces. Elle ne pouvait se défendre d'éprouver une vive sympathie pour Marc. Certes, il la taquinait comme les autres agents du service mais toujours avec gentillesse. Surtout, elle n'oubliait pas qu'il avait sauvé la vie du général perdu sur une planète lointaine.
- Bonjour, Peggy. Quand dînerons-nous
ensemble ?
- Hélas ! Mon médecin m'a mise au régime. Le général vous attend. Il revient tout juste de sa réunion avec les autorités.
Marc ébaucha une grimace.
- Selon vous, quel a été le verdict?
- Il ne m'a pas fait de confidences mais il n'a pas l'air de plus mauvaise humeur qu'à l'ordinaire. De fait, en pénétrant dans le bureau de son supérieur, il lui sembla que son attitude n'était pas hostile. Quand Khov avait un problème, il fumait d'horribles cigares, or, nulle volute ne troublait l'atmosphère. Le général était installé derrière sa table de travail. C'était un colosse de deux mètres de haut pesant plus d'un quintal. Dans son visage rond, des yeux bridés trahissaient sa lointaine ascendance mongole. Son crâne totalement
dégarni brillait aux rayons du soleil pénétrant par une large baie vitrée.
- Asseyez-vous, grogna-t-il.
Il ouvrit un tiroir de son bureau et sortit une bouteille de bourbon et deux verres. Tout en les emplissant, il maugréa:
- Pourquoi faut-il que Neuman emprunte toujours mes agents?
- Il a laissé échapper une explication. Les soldes versées par le service sont ridiculement maigres. Cela coûte bien moins cher à la Sécurité
Galactique de nous louer plutôt que d'engager un agent. Même un auxiliaire au plus bas échelon refuserait de travailler pour ce prix.
- Si vous avez besoin d'argent, fulmina Khov, vous n'avez qu'à vous faire engager par Neuman.
- Vous savez que ce n'est pas le cas, sourit Marc. Je n'ai aucune envie de me mêler à de tortueuses enquêtes. Courir des chemins mal entretenus sur des montures diverses, donner et surtout recevoir des horions mais aussi rencontrer des gens merveilleux, telle est ma conception de l'existence. N'ayez crainte, j'ai un bon fond de masochisme et je reste à vos ordres.
Khov lui tendit un verre.
- Buvons donc à votre mission. Je reviens d'une réunion de la commission de non-immixtion. Une fois de plus, vos faits et gestes ont été
épluchés. Naturellement, le sénateur Crayton avait apporté un gros dossier de reproches. Le général émit un rire ironique.
- Il n'a pas eu l'occasion de l'ouvrir. D'entrée de jeu, Neuman a affirmé que vous étiez sous ses ordres et qu'il endossait la responsabilité de toutes vos actions. En conséquence, c'était à lui et à lui seul qu'il fallait s'adresser. Crayton est teigneux mais pas fou. Il a immédiatement compris qu'il ne pouvait attaquer l'amiral qui ne dépend que de l'autorité du Président. Il a donc ravalé son fiel, d'autant que tout l'aspect diplomatique échappe à sa compétence. Vous avez même été
félicité par le Président. Pour Yatchev, la commission a admis sans restriction la légitime défense car elle vous avait ordonné de l'éliminer en cas de refus d'obéissance. Ainsi, toute l'affaire est classée.
Khov regarda un moment son verre qu'il avait amputé d'une bonne fraction de son contenu. Puis, il fixa Marc, une curieuse lumière dans le regard.
- Je me pose une question, murmura-t-il.
- Laquelle?
- Je me demande si quelqu'un poursuivra la sage gestion du domaine de Boris... comme s'il était encore en vie.
Il acheva de vider son verre avant de soupirer:
- Nous ne le saurons que dans cinquante ans, ce qui est l'intervalle habituel entre deux missions. Vous avez encore droit à quinze jours de permission pour vous remettre de cette aventure. Rassurez-vous, c'est aux frais de Neuman. Profitez-en bien car je pense qu'à l'avenir, je réduirai vos temps de repos. Cela diminuera les occasions de faire des infidélités au service.
Marc en se retirant ne put s'empêcher de prononcer:
- Il sera dit que vous aurez toujours le dernier mot, mon général.
FIN
Achevé d'imprimer en novembre 1998
sur les presses de l'imprimerie Bussière à Saint-Amand (Cher)