CHAPITRE X
Marc sauta de sa monture dans la cour du château de Boris. L'arrivée de la petite troupe créait une animation pittoresque. La première, la brune Nala avait descendu précipitamment les quelques marches du perron pour venir se précipiter dans les bras du comte. Les effusions terminées, elle s'était vite éclipsée pour faire préparer des rafraîchissements pour les voyageurs fatigués par leur longue chevauchée.
Le matin, à l'aube, le groupe avait quitté
l'armée royale. Le souverain, enchanté d'une victoire rapide et profitable, avait décidé de regagner directement sa capitale sans passer par le domaine de Boris. Un problème avait alors surgi. Le prince Sonk ne voulait pas se séparer de Marc et tenait absolument à ce qu'il les accompagne à Urka. Le roi avait fort insisté pour cela, promettant de lui donner un titre et une fonction à sa cour. Marc avait prétexté le désir de revoir son père malade et de lui annoncer sa promotion flatteuse. Il avait promis de ne pas s'attarder et d'aller à
Urka dans moins de quinze jours.
« - Voilà l'inconvénient de faire du zèle », avait ricané Carpenter qui avait entendu les explications laborieuses de Marc. Une autre complication était venue s'ajouter. Akin avait absolument tenu à faire présent à Marc d'une des esclaves données par Graha. Un cadeau que Marc n'avait pu refuser sans faire offense au souverain qui avait précisé:
« - N'oubliez pas que vous pouvez la fouetter chaque fois que vous le jugerez utile. Dans cette tribu, les femmes sont menées durement et il ne faut pas leur donner de mauvaises habitudes. Elles sont destinées à vous servir en tout ce que vous exigerez. »
Aussi était-il suivi maintenant d'une jeune fille mince prénommée lia. Heureusement, Ray l'avait prise sous sa protection, geste qui n'était sans doute pas dénué d'arrière-pensées. Depuis qu'il vivait avec Marc, l'androïde avait découvert nombre de sentiments humains. Colère, haine, vengeance, auxquelles s'ajoutait maintenant l'amour où il réussissait fort bien.
Boris conduisit ses amis dans la bibliothèque qui lui servait de bureau. Nala fît apporter par une servante des pichets de kwen qui furent vite vidés par les gosiers desséchés des voyageurs. Enfin désaltéré, Fisher se leva en se frictionnant les reins. Avec une grimace, il grogna:
- En attendant l'heure du souper, je vais m'étendre sur un lit. Cette longue chevauchée a malmené mes vertèbres. J'aurais besoin aussi d'un bon massage après mes ablutions.
- Votre chambre est prête, baron, dit aussitôt Nala. Une servante vous portera de l'eau et vous aidera pour votre toilette. Vous aurez le temps de vous reposer car nous ne dînerons pas tôt. Nous n'avions pas prévu votre arrivée et il faut laisser le temps aux cuisiniers de préparer le festin que j'aimerais vous offrir.
Très raide, le colonel s'éclipsa, vite suivi par Carpenter dont la démarche n'était pas plus aisée. Nala se tenait debout, appuyée au fauteuil du comte qui avait passé le bras autour de sa taille. Ils restèrent ainsi plusieurs minutes tandis que Marc buvait sa bière à petites gorgées. Finalement, Boris murmura avec un soupir:
- Ma mie, je pense que vous devriez surveiller nos gens qui préparent le repas.
Nala devina que son seigneur désirait parler en tête-à-tête avec son visiteur. Elle s'éloigna à
regret non sans lancer des regards perplexes sur Marc. Ces étrangers qui allaient et venaient ne lui inspiraient aucune confiance et ils se conduisaient souvent fort mal avec les servantes. Elle-même avait subi d'humiliantes familiarités et plus d'une fois elle avait dû se réfugier près du comte pour éviter d'être violée. Elle ne comprenait pas que son seigneur puisse avoir de tels amis. Toutefois, ce jeune chevalier avait de meilleures manières que les autres.
La porte refermée, Boris riva son regard sur Marc en disant:
- Je pense que vous ne tarderez pas à repartir.
- Dès demain ! Je ne suis resté que trop longtemps sur Wreck. Nous accompagnerez-vous ?
- Non, je vous l'ai déjà laissé entendre. Ma décision est irrévocable. J'ai choisi de rester sur cette planète.
- Vous n'avez pas le droit de vous installer sur une planète primitive. La loi de non-immixtion est formelle.
- Nous sommes tous en infraction avec cette loi, vous le premier.
- C'est exact mais j'avais un motif humanitaire.
- Je ne pense pas que la commission trouvera l'excuse suffisante.
Un petit sourire étira les lèvres de Marc.
- Je crains que vous n'ayez raison, c'est pourquoi je préfère qu'elle ne soit pas informée de ce voyage.
Un long silence plana, seulement troublé par quelques exclamations en provenance de la cour. Les membres de la suite du comte racontaient certainement leurs exploits en les enjolivant comme il se doit au retour d'une campagne.
Le regard perdu dans le vague, Boris murmura:
- Tous ces mois passés sur Wreck ont été les plus heureux de mon existence. Nala est une compagne merveilleuse que je désire épouser prochainement. Lorsqu'on a seulement connu d'éphémères aventures avec des filles faciles, vous ne pouvez savoir le plaisir d'avoir enfin une femme qui partage tous les jours votre lit, aux côtés de laquelle vous vous réveillez chaque matin et qui prend tous ses repas avec vous.
- Je pense comprendre. Il m'est arrivé de souhaiter démissionner pour enfin avoir une exis-tence stable mais, après quelques semaines d'inaction, le virus de l'espace s'est à nouveau emparé de moi.
- C'est pourquoi je suis infiniment reconnaissant à Fisher d'être venu me trouver et de m'avoir poussé à franchir le pas. Sans lui je n'aurais jamais osé prendre une telle décision. Même si je l'avais voulu, je n'aurais jamais eu les moyens d'acheter un yacht.
Perdu dans ses souvenirs, il poursuivit:
- Je revois encore son arrivée dans le modeste studio que j'occupais dans la grande banlieue new-yorkaise. Mes revenus limités ne me permettaient pas d'habiter dans le centre-ville. Lorsqu'il m'a exposé son plan, j'ai d'abord refusé mais il a insisté et j'avoue qu'il n'a pas eu trop de mal à
me convaincre. Cela ne faisait qu'un mois que j'avais quitté Wreck et le souvenir de Nala me hantait.
- Comment vous êtes-vous procuré les cristaux mémoriels de référence sur ce monde ?
- Carpenter s'en est occupé. C'était l'officier chargé d'étudier mes rapports de mission et ceux de mon androïde de service. Il est probable qu'il a effectué une copie de ses cristaux mémoriels. Il a été mis à la retraite quelques jours après moi.
- Il ne donne pas l'impression d'être un nostalgique des mondes primitifs.
- Je vous ai déjà dit que son intérêt était essentiellement sexuel. Lutiner les servantes est sa principale occupation. Je le crois un peu sadique et il aime prendre une fille de force. C'est une distraction difficile à se procurer sur Terre.
- En dehors de ses activités génitales, à quoi occupe-t-il ses loisirs?
- Avec le colonel, il voyage beaucoup. Ils adorent explorer des zones encore vierges que mon rapport n'avait pas mentionnées. Il leur arrive de rester absents pendant plusieurs semaines. Toutefois, je pense qu'ils ont épuisé les charmes de Wreck et qu'ils accepteront de partir avec vous.
Marc hocha lentement la tête à plusieurs
reprises tandis que de minuscules rides plissaient son front.
- Vous paraissez soucieux, ami. Ne vous
inquiétez pas pour moi. Même si tous les contacts avec la Terre devaient être rompus, je n'en serais que plus satisfait. Désormais, Wreck est ma patrie et je veux qu'elle soit mon tombeau mais le plus tard possible, termina-t-il avec un éclat de rire. Maintenant, allez vous reposer dans votre chambre en attendant le dîner qui ne devrait plus tarder.