CHAPITRE XVI
Les Terriens suivirent le chemin mal tracé se dirigeant vers la base de la montagne. Ray fronça les sourcils en un geste très humain.
- Je distingue toujours ces traces de griffes. Elles sont nombreuses et, à moins que nous ayons affaire à un mille-pattes, ces créatures sont au moins au nombre de trois ou quatre.
Après dix minutes de marche, ils découvrirent l'entrée d'une grotte. Ray palpa la roche lisse et légèrement brillante.
- L'excavation a été creusée à l'aide d'un désintégrateur il y a peu de temps. Il persiste encore une irradiation résiduelle.
- Voyons ce qu'elle contient, dit Marc en avançant d'un pas.
Ray le retint par le bras.
- Je préfère passer le premier. Qui sait ce qui nous attend?
Ils descendirent le plan incliné pour arriver dans l'immense grotte. Le ronronnement d'un générateur était perceptible expliquant la présence de la lumière distribuée par plusieurs projecteurs.
- Mes détecteurs ne signalent aucune présence, dit Ray. Le sable noir absorbait les rayons lumineux et les spots éblouissants empêchaient d'observer le sommet de la voûte. Marc marcha sur une vingtaine de mètres pour voir la petite rivière qui traversait la grotte.
- Intéressant, annonça Ray qui s'était approché du pupitre de commande de la foreuse. Nos amis ont pratiqué deux forages. D'après les notes rédigées par le technicien dénébien, il a trouvé un filon de narum de bonne qualité à deux cents mètres de profondeur. Pour je ne sais quelle raison, la foreuse s'est bloquée et le moteur a grillé.
- Cela n'explique pas leur disparition.
- Leur exploration terminée, ils sont peut-être tout simplement retournés sur Déneb.
- C'est peu probable car, dans ce cas, ils auraient éteint le générateur. Pourquoi éclairer une grotte pendant leur absence ?
- Nous en sommes réduits à des hypothèses. Je prends copie de toutes les données rassemblées par les techniciens.
Il travailla rapidement. Son conditionnement lui permettait d'enregistrer une page entière en quelques dixièmes de seconde. Marc marchait le long de la paroi de la grotte, notant le grand nombre de failles qui devaient ouvrir sur d'autres grottes. Les Dénébiens les avaient-ils visitées?
- Marc, attention, derrière toi !
Le cri de Ray avait jailli avec force, l'obligeant à se retourner tandis qu'un réflexe lui faisait bran-cher son écran protecteur. Il resta un instant paralysé de stupeur devant le spectacle. Une créature monstrueuse ! Un corps cylindrique, légèrement aplati, d'un mètre de diamètre pour cinq ou six de long, terminé par une courte queue triangulaire. Il était supporté par quatre pattes courtes et torses terminées par trois longues griffes. Ce fut surtout la tête qui fascina Marc. Une sphère d'environ deux mètres percée de deux petits yeux rouges et brillants avec une gueule ronde qui s'ouvrait et se fermait comme un immense sphincter, laissant apparaître des dents en forme de lames aplaties et tranchantes. Quatre longs tentacules partaient du cou et s'agitaient dans toutes les directions.
La bête avança lentement. Elle semblait humer l'air bien qu'aucun orifice nasal ne fût visible. A l'instant où Marc voulut reculer, un tentacule se détendit, le frappant au niveau du cou. Bien qu'atténué par l'écran protecteur, le choc fut rude, secouant le Terrien qui trébucha. Avec effroi, il vit le lasso de chair se resserrer à quarante centimètres de son visage. Il était garni d'une multitude de ventouses qui se collaient sur l'écran protecteur. La force développée devait être considérable car elle arrivait à faire légèrement plier le champ.
Sa prise assurée, le tentacule se rétracta lentement, attirant irrésistiblement Marc. Soudain, un éclair mauve l'éblouit. Quand il recouvra la vue, ce fut pour constater que la créature avait disparu. Seul restait un fragment de tentacule encore accroché autour de son cou.
- Désolé, Marc, mais j'ai dû utiliser mon désintégrateur. Le simple laser coupait trop lentement cette saleté. Il déroula le lasso enroulé sur le champ de force de son ami et l'examina longuement.
- Curieuse texture, marmonna-t-il. C'est très résistant et en partie translucide, ce qui explique la moindre efficacité du laser. Je vais prélever quelques fragments qui pourront intéresser les exo-biologistes de la Faculté.
Tandis qu'il sortait d'une cavité aménagée dans sa cuisse droite un flacon empli d'un liquide jaune, un raclement attira l'attention de Marc. Le bruit provenait d'une faille à une vingtaine de mètres devant lui. Une bulle apparut, grisâtre. Elle augmentait rapidement de volume pour enfin prendre la forme d'une tête de monstre, trois fois plus grosse que celle du premier. Le cou ne tarda pas à suivre tandis que les tentacules se déployaient.
- Extraordinaire, souffla Marc. Ces créatures ont des propriétés plastiques remarquables qui leur permettent de modifier leur forme et de s'infiltrer dans d'étroites failles.
La moitié du corps avait déjà émergé de la roche.
- Celui que nous avons tué n'était qu'un rejeton et nous avons maintenant affaire à sa mère. Je pense qu'il serait prudent de nous retirer avant qu'elle ne soit sortie de sa tanière. Je ne sais si elle a un instinct maternel très développé mais elle n'appréciera pas notre présence en ce lieu.
- Il est probable que ce monstre nous suivra. Elimine-le ! Je ne tiens pas à le voir se répandre dans la plaine.
L'éclair mauve effaça la créature comme une invisible et gigantesque gomme avant même que les pattes arrière ne soient apparues.
- L'endroit étant particulièrement mal fréquenté, mieux vaut filer. Cette bestiole a sans doute d'autres parents et je ne tiens pas à participer à leur repas de famille, ironisa Marc. Sur le seuil de la caverne, il s'immobilisa et réfléchit un moment.
- Selon toute probabilité, les Dénébiens ont dû
affronter ces monstres. Est-ce suffisant pour expliquer leur disparition ?
- Ils ont pu se faire chercher par un aviso de secours.
- Je ne le pense pas. Le drame s'est déroulé il y a quarante-huit heures. Peu avant, Fisher avait eu un contact et les traces de sang ne sont pas plus vieilles. Les deux avisos détruits par Parker étaient la réponse à leur demande de secours. Le front plissé, Marc poursuivait ses cogitations.
- Un détail me tracasse, dit Ray. Les Dénébiens ont installé cette base depuis plusieurs semaines. Pourquoi les monstres ne se sont-ils manifestés que maintenant?
- Un phénomène imprévu est survenu, dit
Marc.
Machinalement, il posa la main sur la roche à
l'entrée de la caverne. Il sursauta soudain et s'écria:
- L'ouverture de la grotte ! Tu as dit que la brèche est récente.
- Exact !
- Voilà l'élément déterminant. Il faut admettre que ces charmantes créatures vivent dans les entrailles de la montagne, dans des grottes obscures.
- Comment se nourrissent-elles?
- Je l'ignore. Il existe peut-être des poissons dans des lacs souterrains, à moins qu'elles n'hibernent pendant des siècles, attendant qu'une proie passe sous ce qui leur sert de nez.
- Si elles ont boulotté toute la garnison dénébienne, elles devraient être repues.
- Ou, au contraire, elles se sont rapidement développées et elles risquent de constituer une menace pour la région.
- Ton hypothèse est valable, admit Ray après une rapide analyse. Que proposes-tu ?
Marc prit rapidement sa décision.
- Il suffit de refermer cette galerie.
- Amusant mais je n'ai pas de béton armé en quantité suffisante.
- Arrête de délirer. Avec ton désintégrateur, tu vas fragiliser la voûte puis une partie latérale jusqu'à ce que la montagne s'effondre bien gentiment, cloîtrant les monstres dans leur univers qu'ils n'auraient jamais dû quitter.
L'androïde effectua un rapide calcul avant de soupirer:
- Cela demandera plus de deux heures et me coûtera près d'un tiers de ma réserve énergétique.
- Mets-toi donc vite au travail. Pendant ce temps, j'irai dans la première baraque visitée. Ce devait être celle du chef de l'expédition. Je récupérerai toutes les notes qu'il a pu laisser. Marc fit quelques pas et se retourna pour lancer:
- Prends garde, Ray, à ne pas te laisser prendre dans un éboulement comme la dernière fois sur la planète Hark. Tu m'avais causé une des plus grandes frayeurs de ma vie.
- Si cela peut te consoler, moi aussi j'ai bien cru que notre séparation serait définitive. La fouille du baraquement fut rapide. En militaire prudent, le commandant dénébien n'avait rien laissé traîner. Pas le moindre objet personnel ! Marc examina longuement le communicateur radio et nota les longueurs d'ondes utilisées pour la liaison sub-spatiale. Un renseignement qui pouvait être utile à la Sécurité Galactique. Il s'assit devant le petit bureau en grommelant sur l'inconfort du simple siège de toile. La seule fiche était la demande de secours que l'officier n'avait pas eu le temps de faire disparaître. Quel événement brutal l'avait obligé à quitter brusquement son lit qui était encore défait? Une attaque de plusieurs monstres vomis par les entrailles de Wreck était la réponse la plus probable. Un grondement sourd fit se redresser Marc. Il courut à l'extérieur. De l'entrée de la caverne jaillissait un flot de poussières que le soleil colorait en rouge sang.
- Ray, Ray, hurla-t-il.
Une seconde d'un affreux silence. Enfin, la pensée de son ami lui parvint.
-Tout va bien. Tes bestioles sont murées dans leur antre. Elles devront s'user les griffes jusqu'au coude avant de franchir l'amoncelle- ment de roches.
Marc distingua enfin la forme de l'androïde. Il était gris de poussière. Il maugréa en se brossant du revers de la main:
- l'aurais besoin d'une bonne douche avant que la poussière ne pénètre dans mes circuits.
- Viens dans cette baraque. J'ai vu qu'il existait un bloc sanitaire. Espérons qu'il acceptera de fonctionner.
Un quart d'heure plus tard, Ray revint, la chevelure encore humide.
- Maintenant que tu as fini de te bichonner, nous pourrions appeler Parker.
La liaison fut rapidement établie. Le colonel écouta le rapport de Marc avec son flegme habituel. Il demanda que Ray envoie une copie de ses derniers enregistrements. Quand ce fut terminé, Marc ajouta:
- Ne divulguez pas les séquences des
monstres. Khov aimera en avoir l'exclusivité pour les revendre aux télévisions terriennes toujours friandes de ce genre d'images. Vous savez qu'il a toujours besoin d'argent pour le service. Nul n'ignorait que le S. S. P. P. arrondissait son budget en vendant diverses scènes filmées sur les planètes primitives. Les créatures horribles et les combats bien sanglants avaient la faveur des spectateurs qui pouvaient, sans risques, se donner l'impression de participer à de grandes aventures grâce à la magie du tri-di.
- Ce sera à l'amiral et au Président de le décider. Vous pensez que les Dénébiens sont dans ce qui sert d'estomac à ces bestioles.
- C'est tout au moins l'hypothèse la plus probable. Parker resta un moment songeur.
- Je vais transmettre votre rapport à Neuman. En attendant ses instructions, demeurez sur place mais soyez sur vos gardes. Il reste peut-être une de ces délicieuses créatures en liberté. Si elles ont bien boulotté les Dénébiens, elles nous ont rendu service et ont évité un conflit direct avec l'Empire. Toutefois, ce n'est pas une raison pour vous offrir en guise de dessert.
La communication terminée, Marc fit quelques pas à l'extérieur. Le gros soleil descendait lentement sur l'horizon et ses rayons coloraient la montagne. Les sommets dentelés prenaient une teinte rouge comme s'ils se couvraient de sang. La comparaison fit frissonner Marc.
- Il ne nous reste plus qu'à patienter en attendant le bon plaisir de nos valeureux chefs, soupira-t-il. Je pense que tu n'as pas de festin à
m'offrir. Dommage car je me sens une petite faim.
Ray haussa ses robustes épaules.
- Je ne dispose que de tablettes nutritives. Elles constituent l'équivalent d'un repas normal et te permettront d'attendre ton retour sur l'astronef où tu retrouveras l'affreuse nourriture du distributeur automatique.
- Triste perspective.
Sa maigre pitance avalée, Marc retourna dans la baraque de l'officier.
- Il ne me reste plus qu'à dormir en espérant que je ne ferai pas de cauchemars. Garde la radio sur écoute.
- Merci du conseil ! Au moindre bruit anormal, appelle-moi.
- Que vas-tu faire?
- J'aimerais fouiller l'infirmerie. Cette lame sur le microscope me tracasse.