CHAPITRE XV
Le module piloté par Ray pénétra lentement dans la grande soute du croiseur. Des hélijets armés était sagement rangés à côté de vedettes de débarquement. Le sas se referma derrière l'appareil. Dès que la pression fut rétablie, un jeune lieutenant se présenta. Il était bien sanglé dans son uniforme noir impeccablement repassé. Un des traits de Parker était de ne jamais tolérer la moindre négligence dans le service. Petite manie de vieil officier mais excellente formation pour les plus jeunes.
— Le colonel vous attend dans le poste de pilotage, mon capitaine, dit le lieutenant après un salut rigide. Je vous montre le chemin.
Par politesse, Marc lui rendit son salut puis le suivit. Il était escorté de Ray qui couvait Fisher d'un regard rancunier très humain. Avant de prendre place dans le module, il avait averti le colonel qu'il se ferait une joie de lui aplatir la figure s'il tentait la moindre incartade. L'avertissement avait porté car Fisher se tenait coi. Parker vit arriver le trio sans manifester de surprise. C'est alors que Fisher lança:
- Je suis le colonel Fisher. Stone est un mutin que vous devez mettre aux arrêts de rigueur. Moi seul dois pouvoir l'interroger et mon rapport sera transmis par la voie hiérarchique au général Khov qui vous le fera parvenir s'il le juge utile. Maintenant, j'exige que ces liens me soient enlevés. Le visage de Parker resta imperturbable. Seule une lueur ironique brilla un instant dans son regard en voyant le costume médiéval que portait encore son interlocuteur.
- Je ne puis prendre votre demande en considération car votre tenue n'est pas réglementaire, dit-il froidement.
Le jeune lieutenant eut beaucoup de peine à
réprimer un éclat de rire tandis que Parker poursuivait:
- Le capitaine Brandon fournira à Ray le matériel prévu pendant que je m'entretiendrai avec le capitaine Stone dans ma cabine. Lieutenant, vous tiendrez compagnie au colonel Fisher.
A l'instant de sortir du poste de pilotage, il ajouta:
- Lieutenant, vous n'êtes pas autorisé à lui enlever ses liens avant que je vous en donne l'ordre.
La cabine de Parker était méticuleusement rangée. Pas la moindre trace de désordre familier ne venait rompre l'harmonie austère du lieu. Il désigna un fauteuil à Marc.
- Installez-vous confortablement car je devine que vos explications seront longues.
- Auparavant, pouvez-vous me dire par quel merveilleux hasard vous vous êtes trouvé dans ce système au meilleur moment.
Parker poussa un soupir prolongé qu'il voulait ironique.
- Je ne sais pourquoi le grand amiral Neuman me destine toujours la mission d'être votre ange gardien. Je suis l'obscur personnage qui veille dans l'ombre à votre survie.
- Vous avez pu constater que votre intervention n'a pas été inutile. Deux pirates à votre tableau de chasse seront une bonne note dans votre dossier.
- N'essayez pas de me flatter mais je
reconnais que vous suivre ne manque pas de piment. Donc, lorsque vous avez contacté Neuman avant votre départ, il a été fort intéressé par votre idée de vous rendre sur Wreck car des rapports d'écoute avaient noté l'existence d'ondes radioélectriques dans ce secteur. Toutefois, il a pensé que s'il existait des pirates ou des Dénébiens, vous pourriez avoir besoin d'aide.
- Je rends hommage à sa clairvoyance. A
l'occasion, faites-moi souvenir que je vous dois une bouteille de whisky que vous pourrez boire lorsque vous ne serez pas en service.
Une petite crispation étira les lèvres de Parker, ébauche d'un sourire, seule manifestation de satisfaction qu'il s'octroyait bien rarement.
- J'écoute vos explications car nous allons devoir faire notre rapport à l'amiral.
Marc résuma ses pérégrinations depuis qu'il avait débarqué sur Wreck. Il conclut en disant:
- Il est probable que des Dénébiens se sont installés sur la planète mais je ne les ai pas vus. Nous ne possédons que les déclarations de Fisher. Parker secoua lentement la tête avant de dire d'un ton ironique:
- Si j'ai bien compris, Carpenter, son complice, ne pourra pas le confirmer. Je reconnais bien là le caractère impulsif de Ray.
- Il était en état de légitime défense, protesta aussitôt Marc.
Levant la main en signe d'apaisement, le colonel se contenta de dire:
- Ce n'est pas le problème le plus urgent. Il me faudra cependant une copie de ses cristaux mémoriels pour la joindre à mon rapport.
Marc sortit de sa poche un petit sachet.
- Nous l'avions prévu. Tous nos faits et gestes depuis l'arrivée sur Wreck y sont consignés.
- Parfait, maintenant retournons dans le poste de pilotage voir votre colonel.
Le jeune lieutenant avait les joues écarlates car Fisher n'avait cessé de le harceler. Il lançait des regards désespérés aux autres officiers présents dans le poste mais ces derniers se faisaient un malin plaisir d'ignorer ses appels au secours. A l'apparition de Parker, Fisher cria en désignant Marc du menton:
- J'ignore ce qu'a pu dire cet individu et je ne veux pas le savoir. La parole d'un officier supérieur prévaut sur celle d'un subalterne pris en flagrant délit de viol de la loi de non-immixtion. Je m'étonne que vous ne l'ayez pas déjà mis aux arrêts et je le mentionnerai dans mon rapport. Il se tut brusquement en voyant le regard de Parker, assez analogue à celui du dîneur qui trouve une limace dans la salade de son sandwich.
- Vous commettez trop d'erreurs pour que vos dires soient crédibles. L'androïde a enregistré
toutes les actions depuis votre première visite à
Stone.
- Les enregistrements ont été trafiqués, j'en suis certain.
- Gardez ces arguties pour quand vous comparaîtrez devant l'ordinateur judiciaire. Un haut-le-corps secoua Fisher dont le visage s'empourpra.
- Jamais le général Khov ne le permettra. Ce serait mettre en cause tout son service.
- Vous oubliez que vous êtes à la retraite depuis plusieurs années. Votre action présente n'engage aucunement le S. S. P. P.
- Le capitaine Stone devra être également sanctionné. Lui est encore en activité.
Une lueur malicieuse brilla dans le regard de Parker.
- Son cas est très particulier. Il a été détaché
du S. S. P. P. et affecté auprès du grand amiral dont il dépend exclusivement. Je n'ai aucune autorité
sur lui.
Fisher sursauta brusquement comme s'il s'était appuyé par mégarde sur une ligne à haute tension.
- Je ne suis pas aussi naïf que vous le pensiez, ironisa Marc. Comme vous ne m'inspiriez pas une pleine et entière confiance, j'ai préféré
demander conseil à Neuman pour lequel j'avais déjà travaillé à plusieurs reprises.
Parker intervint d'un ton aussi sec que glacé.
- Nous avons assez perdu de temps. Je vais devoir vous soumettre au sondeur psychique. Les joues de Fisher se décolorèrent car il savait les inconvénients d'une telle épreuve. Il fallait plusieurs semaines pour que les troubles provoqués s'effacent.
- Vous n'en avez pas le droit, protesta-t-il. L'usage du sondeur a été interdit par l'ordinateur judiciaire.
- Sauf dans des cas particuliers comme celui de haute trahison dont vous semblez relever. Appelant un officier qui se tenait près de la vidéoradio, il ordonna:
- Capitaine Morisson, prenez en charge le prisonnier et conduisez-le à la salle des interrogatoires. Je veux un rapport dans trois heures. Livide et titubant, Fisher le suivit. Il réalisait enfin qu'il avait totalement et définitivement perdu la partie. Son rêve de richesse s'envolait et l'avenir était bien sombre. Jamais les autorités ne pardonneraient ses contacts avec Déneb.
- Je pense que Ray a achevé de piller les réserves de mon bâtiment, dit Parker à Marc. Vous allez pouvoir regagner le Mercure. Restez en orbite autour de cette planète jusqu'à ce que j'aie adressé mon rapport à Neuman. Surtout, n'émettez pas car vos communications ne sont pas codées comme les miennes. Si l'amiral veut vous donner des instructions, il le fera sur le canal 357 qui est automatiquement brouillé. Bonne chance car votre mission n'est certainement pas terminée.
Avec un discret sourire, il ajouta:
- Elle est beaucoup plus intéressante que je ne le pensais au départ. Vous avez l'art de plonger dans les affaires les plus complexes sans même vous en rendre compte. Je me demande comment vous pouvez être encore en vie.
- Sans doute parce que vous veillez sur moi.
- Ne tentez cependant pas trop le diable.
- C'est ce que me répète Ray à longueur de journée.
- J'ai toujours pensé qu'il était beaucoup plus intelligent que vous. A bientôt, capitaine, et soyez prudent.