CHAPITRE V
Le colonel So-Yun regardait le soleil se coucher à travers la petite fenêtre de la cabane préfabriquée qui lui servait de bureau. Il était grand, près de deux mètres, avec une très imposante cage thoracique. C'était une caractéristique de la race dénébienne. La pauvreté relative de l'oxygène dans l'atmosphère de leur planète d'origine avait entraîné une hypertrophie des poumons. Il avait un visage rond, des traits grossiers et des yeux jaune pâle profondément enchâssés dans les orbites. Son teint était vert ardoisé, protection naturelle de l'épiderme contre les forts rayons ultraviolets de son pays. Ses cheveux coupés très court étaient d'un violet agressif. Le colonel portait une simple combinaison d'astronaute sans décoration. Il enrageait chaque fois qu'il se regardait dans une glace car il aimait exhiber ses galons. Mais il devait obéir à un ordre formel de l'empereur.
La porte s'ouvrit pour livrer passage à un officier qui salua très réglementairement. Il savait que le colonel, même en mission spéciale, ne badinait pas avec la discipline.
- Capitaine Ar-Ba, au rapport, mon colonel.
- Repos ! Où en sont les analyses ?
- Les renseignements de votre informateur paraissent exacts. Il semble bien exister un important gisement de narum sous cette montagne. Le narum était un métal très lourd classé dans les transuraniens. Il n'était pas radioactif mais possédait des propriétés de concentration des ondes radioélectriques. Il était indispensable à la fabrication des émetteurs hyper-spatiaux permettant une transmission quasi instantanée des ondes sur d'immenses distances. Sans eux, un message mettrait des siècles pour atteindre son destinataire à travers la Galaxie. La rareté du narum en faisait un métal particulièrement recherché. Or, l'Empire dénébien ne disposait pratiquement d'aucune mine et était obligé de l'acheter à l'Union Terrienne, ce qui le plaçait en état d'infériorité en cas de conflit toujours possible.
- Je veux une certitude, grogna le colonel.
- Nous ne tarderons pas à l'avoir. Un premier forage est en cours. Pour gagner du temps, nous creusons selon un axe de quarante-cinq degrés.
- Combien de temps cela prendra-t-il ?
- D'après le capitaine Ko-Ja, responsable des travaux, pas plus de deux jours. Quand votre informateur viendra-t-il se faire payer?
- Je l'ignore mais c'est sans importance. Si le renseignement est faux, nous l'étranglerons pour le punir de s'être moqué de nous.
- Et s'il est exact?
- Nous le fusillerons pour lui apprendre à trahir ses compatriotes, dit le colonel dans un grand éclat de rire. En aucun cas, il ne touchera les vingt millions de dois qu'il a réclamés en échange de ses renseignements et nous ne pouvons le laisser repartir pour porter la nouvelle aux autorités terriennes. Dans tous les cas de figure, Wreck sera son tombeau mais il est inutile de le lui dire maintenant. Le capitaine baissa les yeux et reprit d'une voix qui s'étranglait d'émotion:
- Nous avons un problème avec les indigènes.
- Lequel? C'est vous qui êtes responsable de cette partie de notre mission.
- En me faisant passer pour un dieu venu des étoiles, j'avais réussi à les éloigner de cette région pour qu'ils nous laissent travailler en paix.
- Je sais, s'impatienta le colonel.
- Malheureusement, leur chef, un certain
Graha, s'est imaginé ne plus avoir rien à craindre et il a omis de payer la redevance toute symbolique qu'il devait au roi local. Ce dernier en a pris ombrage et a organisé une expédition punitive. Informé par notre honorable correspondant, je lui ai demandé d'empêcher cette campagne. Il a alors imaginé d'assassiner le jeune prince, le chagrin du roi devant faire annuler la campagne. Apparemment, ce fut un échec puisque l'armée a continué sa progression. Le capitaine s'interrompit, de plus en plus gêné. De petites gouttes de sueur perlèrent à son front.
- Ensuite? grogna So-Yun.
- Sachant la lutte inévitable, j'ai donné à
Graha des conseils pour monter une embuscade. Je ne sais comment il a manœuvré mais il a subi une défaite. Je viens d'en recevoir la nouvelle.
- Ce qui signifie?
- Dans deux jours au plus tard, nous risquons de voir arriver la petite armée royale. Comme nous n'avons que six hommes, nous serons
contraints d'utiliser les fusils thermiques ou les désintégrateurs.
Une grimace de contrariété déforma les grosses lèvres du Dénébien.
- Je préférerais l'éviter. Qui sait quand l'Union Terrienne enverra une nouvelle mission sur Wreck? La description d'un tel massacre, même des années plus tard, ne pourra manquer d'intriguer les Terriens et d'attirer leur attention sur cette région.
Après une minute de réflexion, Ar-Ba murmura:
- Nous avons peut-être encore une chance
d'éviter l'arrivée de l'armée royale. Je vais ordonner à Graha de se porter à la rencontre du roi pour se constituer prisonnier et payer son tribut.
- Acceptera-t-il ce sacrifice?
- Je saurai le convaincre en lui disant que ce sont ses péchés qui ont interdit sa victoire et qu'il doit les expier pour sauver son peuple.
- Agissez comme vous l'entendez mais je souhaite la plus grande discrétion. Après un salut rigide, Ar-Ba s'éclipsa. Il fut remplacé deux minutes plus tard par le capitaine Ko-Ja. C'était un gaillard à la figure ronde. Son corps était serré dans sa combinaison qui semblait vouloir éclater à chaque mouvement. Le colonel lui lança un regard dépourvu d'aménité.
- Avez-vous aussi des problèmes?
- Pas exactement mais j'aimerais que vous veniez voir nos résultats des forages. Ils sont curieux.
So-Yun accepta de mauvaise grâce. Il suivit le capitaine. Le camp dénébien était installé au pied d'une montagne d'environ trois mille mètres d'altitude. Le sommet rocheux dentelé et
déchiqueté était éclairé par les derniers rayons du soleil couchant qui le colorait de rouge, justifiant le nom de monts du soleil.
Quelques hommes, tous vêtus de la même
combinaison verdâtre, s'affairaient autour de deux engins montés sur chenilles. Il en partait un long tube qui s'enfonçait en biais dans le sol. Ko-Ja entra dans un petit baraquement. Une grande table supportait des plans.
- Voyez, mon colonel, nous avons entrepris un premier forage ici. Après avoir creusé quarante mètres de roches dures, la tête perceuse a rencontré une cavité. J'ai d'abord pensé à une simple poche d'air mais la sonde s'est enfoncée de plus de cent mètres et n'a toujours pas rencontré de roche. J'ai alors décidé de pratiquer un second forage deux cents mètres à l'est du premier. Or nous venons de retrouver le même problème.
- Qu'en concluez-vous ?
- Derrière cette muraille de roches, il existe une énorme cavité, une grotte de très bonne taille.
- Est-ce gênant?
- Pour l'instant, nous ne pouvons plus forer. Il faudrait ouvrir un large orifice pour pénétrer dans la cavité. Si c'est un gouffre, nous serons contraints d'effectuer des forages un kilomètre plus loin. En revanche, si c'est une belle caverne, nous y installerons notre usine d'extraction du narum. Cela nous fera gagner beaucoup de temps et nous serons définitivement à l'abri d'observations aériennes.
- A condition qu'on trouve réellement du
narum.
- J'en suis persuadé, mon colonel. Les détecteurs s'affolent quand nous les approchons de cette montagne.
- Dans ce cas, percez votre galerie mais dépêchez-vous. L'Empereur attend notre rapport.
- M'autorisez-vous à utiliser les désintégrateurs ?
- Prenez ce que bon vous semble mais faites vite !