CHAPITRE VIII
Dès l'aube, Ko-Ja, accompagné d'un technicien, pénétra dans la galerie. Il fut étonné de voir toutes les lumières allumées.
- Ki-Am, hurla-t-il sans obtenir de réponse. Il se précipita vers le pupitre de contrôle. La foreuse avait poursuivi son travail en fonctionnement automatique mais à un rythme lent par manque de puissance. Les cadrans indiquaient une profondeur de deux cents mètres.
- Où est passé cet imbécile ?
Il répéta son appel qui résonna longuement sous la voûte de la caverne mais il ne reçut aucun écho.
- Est-il allé se coucher?
- Je ne le pense pas, dit le technicien. Nous partageons la même chambre et je l'aurais nécessairement vu. De plus, il n'était pas du genre à
abandonner son poste sans raison valable car il savait l'importance que vous attachiez à ce forage.
- C'est également mon avis, répondit Ko-Ja en faisant quelques pas.
Un bruit de succion sous ses bottes l'obligea à
baisser la tête. Avec horreur, il découvrit qu'il marchait dans une énorme flaque de sang !
Une demi-heure plus tard, le colonel et Ar-Ba les avaient rejoints. Un technicien qui venait d'analyser le sang constata:
- C'est indiscutablement celui de Ki-Am.
Le colonel, furieux d'avoir été réveillé aussi tôt, apostropha Ko-Ja.
- J'exige une explication, capitaine!
- Je ne peux la fournir. Ki-Am était seul à surveiller la foreuse.
- Vous avez commis une erreur en le laissant seul.
- Je ne pouvais faire autrement. Je n'ai que quatre techniciens qualifiés et, selon vos ordres, nous devons travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
- Il est hors de doute que notre camarade a été
assassiné. Quand ce forfait a-t-il été commis ?
- Probablement entre trois et cinq heures cette nuit car, après mon départ, il a recueilli les échantillons de quarante et soixante mètres. So-Yun frappa le sol du talon de sa botte et interpella Ar-Ba.
- Je veux que vous retrouviez le coupable dans les plus brefs délais. Il devra expier son crime. Le capitaine secoua la tête, la mine accablée.
- L'enquête risque d'être difficile car nous n'avons aucun indice.
- Un de vos primitifs aurait-il pu s'introduire ici?
- Ce n'est guère envisageable. Notre camp est protégé par des sentinelles électroniques. Toute intrusion aurait été détectée. De plus, pourquoi emporter le corps?
- Il a pu le jeter dans la rivière pour dissimuler son forfait.
- J'avais envisagé ce problème. J'ai envoyé un homme examiner l'endroit où elle pénètre de nouveau sous la montagne. Le passage est étroit et le cadavre serait resté coincé à ce niveau.
- Dans ce cas, il aura été dissimulé dans une des nombreuses anfractuosités de cette grotte. Explorez-les !
- Cela demandera du temps. J'ai étudié les plans. Les recherches prendront plusieurs semaines.
- Commencez immédiatement, nous verrons
ensuite. Vos patrouilles ne devront comporter que deux hommes, cela permettra de les multiplier. Vous resterez en permanence en contact radio avec elles, prêt à leur porter secours avec le seul garde que vous conserverez près de vous en réserve. Au travail, immédiatement !
Ar-Ba aurait eu une foule d'objections à présenter mais il comprit que l'humeur du colonel ne se prêtait pas à la discussion. Il salua et gagna la sortie pour constituer ses équipes.
Le colonel ne tarda pas à le suivre. Le technicien qui avait étudié le sang resta un moment à
examiner le sol de la caverne. Il revint vers Ko-Ja penché sur le pupitre de contrôle.
- Mon capitaine, je trouve de curieux éléments.
- Lesquels?
Il présenta au bout d'une pince un minuscule fragment.
- C'est un morceau de tissu humain.
- De la peau ?
- Non! C'est probablement un fragment de
muqueuse intestinale.
Ko-Ja sursauta violemment.
- Qu'en concluez-vous ?
- C'est une simple hypothèse. Ki-Am pourrait fort bien avoir été dévoré par une gigantesque bestiole.
- D'où pourrait-elle venir?
L'homme balaya de la main la caverne.
- De partout ou de nulle part.
- Je ferai part de votre hypothèse au colonel. Pour l'instant, nous avons une tâche urgente. Il faut remonter la sonde et pratiquer des prélèvements à partir de quatre-vingts mètres. Les deux Dénébiens se mirent à l'ouvrage avec zèle et précision car la manœuvre était délicate. Une heure plus tard, le colonel revint, escorté par Ar-Ba et sept hommes.
Le capitaine déplia un plan qu'il posa sur le pupitre de la foreuse.
- Nous allons procéder méthodiquement. Trois équipes de deux gardes exploreront les failles à
partir de notre gauche.
Il indiqua à chaque équipe un objectif puis il précisa:
- Je veux un contact radio toutes les quinze minutes.
Le colonel approuva d'un hochement de tête.
*
* *
La journée se terminait. Très excité, Ko-Ja présentait ses résultats au colonel.
- A deux cent vingt mètres de profondeur nous avons rencontré une veine de minerai de narum. Ce dernier est d'excellente qualité, contenant près de vingt pour cent de métal, la meilleure proportion jamais découverte. Le filon a quatre-vingts mètres d'épaisseur, ce qui est inespéré.
- L'exploitation pourra-t-elle débuter rapidement?
- Nous devons d'abord juger de l'étendue en largeur du gisement. Je propose d'effectuer un second forage à deux cents mètres du premier, près du fond de la grotte. S'il s'avère aussi prometteur que le premier, vous pourrez alors demander aux autorités d'envoyer le matériel nécessaire à la mise en production ainsi qu'une équipe supplémentaire pour la mettre en œuvre.
- Faites vite ! Je viens encore de recevoir un message du grand Etat-Major impérial qui me demandait des résultats. J'ai seulement dit que nous avions rencontré des difficultés techniques et je n'ai pas parlé de la disparition de votre technicien. Une annonce de la découverte de narum fera remonter notre prestige auprès des autorités. Ko-Ja baissa la tête en murmurant:
- Il m'est difficile de demander à un technicien de travailler seul cette nuit. Or, c'est indispensable si vous voulez un résultat demain.
- J'ordonnerai à Ar-Ba de laisser un homme de garde.
Ce dernier rassemblait ses équipes. Les
hommes avaient les traits tirés et le visage gris de fatigue. Après avoir griffonné des signes sur son plan, il approcha de So-Yun.
- Voilà, mon colonel. Neuf failles ont été
explorées. Trois d'entre elles mènent à des grottes de belle dimension. Toutes sont vides et aucune trace d'êtres vivants n'a été retrouvée. Nous poursuivrons demain car les hommes ont un urgent besoin de se reposer.
- Entendu mais désignez le moins fatigué pour prendre la garde ici ce soir.
Un discret gémissement fit se retourner le colonel. Un des gardes était à genoux, se comprimant le ventre de ses deux mains.
- Que vous arrive-t-il?
- Je ne sais, mon colonel. Une douleur terrible dans le ventre.
Une nouvelle plainte filtra de la gorge du malheureux en dépit de ses mâchoires crispées.
- Conduisez-le à l'infirmerie ! ordonna SoYun. Deux gardes soutinrent le malade pour l'aider à
sortir de la grotte. Pendant ce temps, Ko-Ja avait réuni tous ses techniciens et entrepris de démonter l'appareil de forage pour l'installer au fond de la grotte. Ils travaillèrent sans relâche, peinant sous les lourdes charges qu'il fallait soulever.
- Nous manquons de matériel de levage, pesta le capitaine.
So-Yun resté pour surveiller l'avancement des travaux, esquissa un sourire.
- Vous vous débrouillez très bien. Je ne manquerai pas de le souligner dans mon rapport. Si nous réussissons à implanter une usine ici, votre avancement est assuré, faites-moi confiance. La perspective stimula le zèle de l'officier. Une heure plus tard, la sonde commença à s'enfoncer dans le sol.
- Tout est en place, mon colonel. Il ne nous reste plus qu'à attendre les résultats. Lir-Ka s'est porté volontaire pour rester cette nuit.
- Très bien ! Vous, allez vous reposer.
So-Yun se tourna vers le garde adossé contre la roche.
- Soyez en permanence sur le qui-vive et prévenez par radio au moindre signe anormal, même si vous pensez que c'est sans importance. Je préfère un excès de précaution à une négligence. Lorsque les officiers émergèrent de la grotte, la nuit était tombée depuis longtemps. Les yeux levés au ciel où des milliers d'étoiles scintillaient, Ko-Ja murmura:
- Lequel de ces astres est notre soleil ?
Le colonel leva la main, désignant une région du ciel.
- A cette heure, Déneb doit se trouver par là
mais en dépit de son éclat, il est difficile de le localiser. Je comprends ce que vous ressentez mais ne vous laissez pas aller à la mélancolie. Un officier ne doit penser qu'à sa mission et je suis fier de la savoir sur le chemin de la réussite. Dor-mez bien, capitaine. Avant d'aller me coucher, je vais passer à l'infirmerie voir le malade. Infirmerie était un bien grand mot pour désigner une baraque ne comportant que deux pièces. Un homme assis à un petit bureau se leva à l'arrivée du colonel. C'était un des techniciens de l'équipe de Ko-Ja qui possédait quelques connaissances en médecine. Les membres de l'expédition sur Wreck étaient trop peu nombreux pour justifier l'envoi d'un médecin.
- Comment va-t-il?
L'infirmier montra le malade allongé sur un lit dans la seconde pièce. Les traits de son visage s'étaient creusés et la peau avait pris une vilaine couleur grisâtre. Par instants, une plainte filtrait à
travers ses lèvres desséchées.
- Il semble beaucoup souffrir en dépit des calmants que je lui ai administrés. J'ai aussi posé
une perfusion revitalisante pour le réhydrater.
- Qu'a-t-il ?
- Franchement, je l'ignore, mon colonel. Il faudrait disposer d'un appareillage radiographique avec scanner.
- Vous avez bien des analyseurs !
- Uniquement pour des examens biologiques de base.
- Que notent-ils?
- Là encore, les tests sont curieux. Il existe une anémie aiguë avec une diminution considérable de tous les éléments protidiques et minéraux. Un peu comme s'il avait été soumis à un jeûne de plusieurs semaines. Les perfusions n'arrivent pas à compenser les carences et j'avoue ne rien comprendre.
So-Yun eut un petit geste rassurant de la main.
- Je sais que vous faites de votre mieux.
- Ne pouvez-vous demander l'envoi d'un vaisseau? Il dispose toujours d'un bloc médical perfectionné.
- C'est hors de question. Vous savez que nous ne devons pas attirer l'attention des Terriens. Jamais l'Etat-Major n'acceptera de déplacer un vaisseau pour un seul homme malade. N'hésitez pas à forcer sur la dose des sédatifs. Même si une issue fatale devait survenir, il est inutile qu'il souffre.
- Je resterai ici toute la nuit pour le cas où il aurait besoin d'aide. Malheureusement, je n'ai aucun traitement différent à proposer.
- Tenez-moi informé de son état.
Le colonel regagna son baraquement. Avant de se coucher, il lui fallait enregistrer un rapport détaillé pour ses supérieurs. Ces incidents l'irritaient alors que se précisait une importante découverte qui pouvait modifier le sort de l'Empire. Ravitaillée en narum de qualité, l'industrie dénébienne pourrait se passer des fournitures de l'Union Terrienne, ce qui permettrait à l'Empereur d'être plus exigeant dans les négociations. Après avoir reposé son microphone, il défit les attaches magnétiques de sa combinaison. Il passa dans le bloc sanitaire, seul luxe que lui conférait son grade. Les hommes, eux, ne disposaient que d'une seule douche pour toute l'équipe. Il nota dans un coin de sa mémoire de réclamer d'autres installations si des renforts devaient venir. Enfin, il s'allongea sur son lit mais il fut long à trouver le sommeil.
*
* *
La sonde progressait lentement par manque de puissance car les ordres du capitaine étaient de laisser toutes les lumières allumées. Le garde, après avoir effectué une petite ronde, s'était assis non loin de la rivière. Il regardait sans réellement le voir Lir-Ka qui s'affairait près de sa machine.
- As-tu besoin d'aide?
- Non ! Je t'appellerai quand il faudra faire un prélèvement. A deux, cela ira plus vite. Pour l'instant continue ta surveillance.
- Que veux-tu que je surveille ? Les pierres ne vont pas bouger.
Plusieurs minutes s'écoulèrent, marquées par le ronronnement monotone de la machine. Le garde sentait ses paupières s'abaisser irrésistiblement. Dans son demi-sommeil, il perçut un raclement discret. Il n'eut pas le temps de se redresser. Quelque chose de froid s'enroula autour de sa gorge, écrasant sans pitié son larynx. Il tenta d'atteindre la détente de son arme mais son esprit s'embruma tandis qu'une force irrésistible l'attirait dans une anfractuosité de la roche.
- Tu peux venir maintenant, appela Lir-Ka. Etonné de ne pas obtenir de réponse, il se retourna. Un hurlement de terreur jaillit de sa gorge. Une idée folle traversa instantanément son esprit. Fuir au plus vite ! Il se lança dans une course éperdue. Il n'avait encore fait que quatre pas quand un coup de fouet frappa sa botte droite, bloquant la cheville. Stoppé net, il bascula en avant, amortissant sa chute de ses bras. Il tenta de se retourner pour dégager son pied. Un tentacule énorme, verdâtre, vint s'enrouler avec une vitesse démoniaque autour de son thorax, brisant les côtes comme de simples fétus de paille. Il aurait hurlé sa douleur s'il avait encore eu un peu d'air dans sa poitrine. Soudain, il bascula dans un miséricordieux néant.