CHAPITRE IV

Marc pénétra dans la salle où le roi déjeunait en compagnie du prince et de Boris.

- Entrez, chevalier. Le prince Sonk m'a conté

comment vous l'avez sauvé cette nuit de ce coquin. Pour votre récompense, j'ai décidé de vous attacher à ma personne. Vous serez chargé

de veiller spécialement sur la sécurité de mon fils. Vous avez fait la preuve de votre efficacité. Le Terrien s'inclina en silence, réprimant une grimace de contrariété. Il allait être plus difficile de s'éclipser discrètement le moment venu.

- Allez vous préparer, chevalier. Nous partons dans une heure.

Dans la cour du château, il retrouva Ray qui tenait deux montures par la bride.

- Dans la pagaille des départs, j'ai préféré éviter qu'un petit malin ne s'approprie notre bagage. Voici ta cuirasse et ton bouclier.

Tandis qu'il se harnachait, Fisher et Carpenter les rejoignirent. Eux aussi avaient enfilé une cuirasse.

- Vous avez fière allure, ironisa le colonel. Vous savez vous intégrer à vos personnages avec rapidité.

- C'est pour cela que le service me verse une solde. Même si elle est minime, je me dois de la mériter.

Une sonnerie de trompes retentit, annonçant l'arrivée du roi. Il se hissa sur son kesti en lançant d'une voix forte:

- En selle, chevaliers, et que l'ennemi sente la puissance de notre bras.

La colonne se mit en branle pour rejoindre l'armée qui campait à l'extérieur de la cité. D'après les estimations de Ray, elle comportait environ cent cavaliers et à peu près autant de fantassins, suivis d'une dizaine de chariots.

- Nous sommes encore loin des guerres populaires et des levées en masse, soupira Marc. Ils progressèrent tout le jour avec des pauses toutes les trois heures pour faire reposer hommes et montures. Le prince chevauchait botte à botte avec Marc. Comme lui, il portait une cuirasse protégeant le torse, un bouclier et un casque rond prolongé d'une lame verticale pour ménager le nez. Il bavardait sans cesse, parlant du château de son père et de sa ville.

- Lorsque la campagne sera achevée, je vous la ferai découvrir.

- Ce sera un grand honneur pour moi.

Une misérable ferme isolée, simple baraque de rondins, accueillit le roi. Les habitants effrayés avaient fui en apercevant l'armée au loin. Débrouillard, Ray avait déniché des bottes de foin qu'il étala au pied d'un arbre pour servir de pail-lasse au prince. Ce dernier le remercia d'un sourire. Il ne tarda pas à s'endormir tout comme Marc qui savait que l'androïde monterait une garde vigilante.

L'armée avait repris sa marche dès l'aube. Elle suivait un chemin étroit qui ne permettait le passage que de deux cavaliers de front. La voie serpentait dans une forêt dense de mélèzes.

- Quand nous l'aurons traversée, expliqua le prince, nous aurons atteint le pays des Zikans. Marc acquiesça d'un simple hochement de tête car il communiquait psychiquement avec Ray qui expliquait:

— Hier soir, il m'a semblé percevoir une onde radioélectrique. Cela a été très bref et je n 'ai pas eu le temps de m'accorder sur sa fréquence.

— Bizarre, ne s'agit-il pas d'un phénomène orageux ?

-Tout est possible.

-Reste sur écoute.

— C'est ce que je fais mais je ne reçois rien. Attention! Mes détecteurs biologiques réagissent à de nombreuses présences.

Marc ralentit l'allure, obligeant ainsi le prince à

l'imiter. La vingtaine de cavaliers menée par le roi prit ainsi un peu d'avance. L'attaque survint, brutale, inopinée. Un lourd filet de lianes tomba sur les cavaliers de tête, les désarçonnant. Aussitôt des cris retentirent et de nombreux hommes apparurent. Ils étaient à moitié nus mais brandissaient des piques et des haches. Hurlant pour juguler la panique débutante de la troupe royale, Marc ordonna:

- Vingt cavaliers avec le prince. Portez-vous en tête de colonne. Il faut protéger le roi. Le jeune homme, stimulé par Marc, se ressaisit vite. Tirant son épée, il la brandit en criant:

- Avec moi, sus à l'ennemi !

-Ray, suis-le pour le protéger.

-D'accord mais augmente la puissance de ta ceinture. Je ne tiens pas à te ramener au vaisseau avec une fracture du crâne.

Puis, Marc s'efforça de rameuter les fantassins. Il les fit s'aligner sur plusieurs rangs ce qui permit de contenir l'assaut des Zikans. Le combat se stabilisait. Avisant un groupe de cavaliers indécis où

se tenait Boris, il ordonna:

- Comte, passez par la gauche et portez-vous à

la rencontre du prince.

Donnant l'exemple, il éperonna sa monture, bousculant plusieurs adversaires. Soudain, plusieurs Zikans l'entourèrent. Il fit tournoyer sa monture pour ne pas être attaqué par-derrière. Il frappait toutes les têtes à sa portée tandis que de nombreux chocs heurtaient son bouclier.

Marc sentait sa respiration s'accélérer tandis que ses bras s'engourdissaient. L'épée devenait de plus en plus lourde à manier. Des rigoles de sueur coulaient du front, lui piquant les yeux. La pointe d'une lance passa sous son bouclier, heurtant la base du thorax, lui coupant le souffle. Sans son écran protecteur, le combat aurait été terminé. Rageur, il frappa le crâne de son adversaire qui boula dans la poussière.

Il ne savait plus depuis combien de temps il combattait et son cœur battait à un rythme effréné. La pression de ses adversaires se relâcha soudain et il entendit la voix légèrement ironique de Boris qui disait:

- Je pense que l'aide d'un vieux ne vous sera pas inutile.

Marc put souffler quelques instants et retrouver une vision claire. Plusieurs chevaliers avaient suivi Boris et les Zikans amorçaient une retraite. De son côté, le prince avait réussi à éloigner l'ennemi du filet où le roi et sa suite se débattaient toujours. Ray sauta à terre et entreprit de sectionner les lianes avec son poignard. Nul ne remarqua le faisceau laser qui, par instants, doublait l'action de l'acier. Le roi put enfin se relever. Aidé par Ray, il se hissa sur un kesti. Voir son souverain debout redonna courage à la troupe. Les rangs des fantassins se mirent à avancer, élargissant le périmètre de défense. Au demeurant, les assaillants se faisaient moins pressants. Leur attaque surprise ayant échoué, il leur devenait plus difficile de combattre une troupe organisée.

Le roi regroupa sa cavalerie qu'il fit charger sur le point où les Zikans étaient les plus nombreux. Quelques minutes suffirent aux gens du roi pour faire place nette. Cette fois, la bataille était terminée et les Zikans s'enfuirent.

Le souverain décida de rester sur place pour cantonner, prenant soin de placer des sentinelles à

la périphérie du camp. Puis, il alla de groupe en groupe pour s'assurer que les blessés étaient soignés et les morts regroupés et enterrés. Rassuré sur l'état de sa troupe, il appela autour de lui ses féaux.

- Mon fils, tu as participé pour la première fois à une vraie bataille. Je te félicite de ton courage et surtout de la manière dont tu as agi en entraînant des hommes à notre secours. Ce sont les réflexes d'un grand chef.

- Messire Marc m'a conseillé...

- Bien peu, prince, vous avez immédiatement compris.

Le roi esquissa un sourire.

- Je sais aussi, chevalier, que vous avez fort bien manœuvré en reprenant en main nos fantassins. Pour un jeune homme, vous avez déjà une belle expérience.

- Le comte Boriso a été un excellent instructeur. Je lui dois beaucoup.

- Nous verrons à vous récompenser en fin de campagne. Pour ce soir, nous avons mérité de nous reposer.

A la nuit tombée, tandis qu'il grignotait une cuisse de volaille procurée par Ray, Marc vit arriver Carpenter.

- Félicitations pour votre bravoure mais je constate que vous oubliez facilement la règle essentielle du service: écouter, observer, ne jamais prendre parti.

- Une belle invention de technocrates qui ne sont jamais sortis de leur bureau. Pour se mêler à

une peuplade, il faut entrer dans la peau d'un personnage. A partir de ce moment, vous êtes l'ami des uns et, inévitablement, l'ennemi des autres. Demandez aux Zikans. Ils n'avaient qu'une idée en tête, m'abattre. Devais-je me laisser tuer?

- Placé comme vous l'étiez, vous n'aviez pas le choix, je le reconnais. Toutefois, vous auriez pu faire preuve de plus de discrétion.

- Il est exact que vous ne vous êtes guère montré au combat.

- Cette lutte ne me concernait pas. Qui sait si l'évolution naturelle de ces peuplades n'est pas de voir triompher les Zikans ? L'histoire de la Terre apprend que souvent des barbares ont détruit des civilisations plus évoluées qu'eux.

- Ne vous tracassez pas. Ceci n'est qu'une escarmouche. Si, un jour, les Zikans doivent l'emporter, ils le feront en dépit de cet échec. L'histoire juge sur des siècles et non sur une petite bataille n'engageant que quelques centaines d'hommes.

- Je vois que vous avez réponse à tout, capitaine. Au reste, peu importe, vous n'êtes pas en mission pour le S. S. P. P. et ce n'est pas moi qui irai témoigner devant la commission de nonimmixtion. Bonne nuit, vous avez mérité de dormir car je pense que vos muscles doivent vous faire souffrir. Vous vous êtes beaucoup dépensé

aujourd'hui.