CHAPITRE XX
Matt, un verre posé à portée de la main, achevait son rapport. Un vol de routine sans problème. Ses passagers, un peu secoués par leur premier vol étaient immédiatement repartis dans leur trans. Un grondement sourd l'intrigua. Abandonnant sa machine à traitement de texte, il sortit de son bureau. Etonné, il vit l'imposant croiseur de la Sécurité
Galactique qui se posait sur l'astroport.
Dès que les étais télescopiques eurent pris contact avec la piste, un panneau de soute s'ouvrit pour laisser le passage à un hélijet. Un peu surpris, Matt regarda l'engin qui, loin de s'élever dans le ciel fonçait dans sa direction. Moins d'une minute plus tard, il se posait à une dizaine de mètres de lui. Cinq hommes sautèrent à terre. Quatre gardes armés commandés par un jeune lieutenant bien sanglé
dans son uniforme noir.
— Matt Rink ? demanda sèchement ce dernier.
Comme le pilote hochait machinalement la tête, il poursuivit:
— J'ai ordre de vous arrêter et de vous conduire sur l' Orion. Le colonel Parker qui le commande veut vous entendre.
Matt regarda derrière, essayant d'estimer s'il avait une chance de s'échapper. Comme s'il avait deviné ses pensées, le lieutenant reprit:
— En cas de résistance ou de tentative de fuite, j'ai l'autorisation d'ouvrir le feu.
Dompté, Matt tendit docilement ses poignets aux menottes magnétiques. Il ne tarda pas à se retrouver devant le colonel. Ce dernier contempla un long moment en silence le prisonnier. Son regard traduisait un dégoût analogue à celui du dîneur qui découvre une limace dans sa salade.
— Lieutenant Rink, dit-il d'un ton glacial, vous resterez à mon bord jusqu'à votre comparution devant le tribunal spécial de la Sécurité Galactique.
Le visage criblé de taches de rousseur vira au gris.
— Je demande à être jugé sur Terrania VI.
— Négatif ! Vous appartenez au corps des astronautes et dépendez de la Terre. De plus, le grand amiral Neuman a ordonné de vous soumettre immédiatement à un sondeur psychique. Nous voulons connaître vos complices.
— Vous... Vous n'avez pas le droit. La loi a aboli son usage.
— Erreur ! En cas de trahison, le règlement de la Sécurité Galactique dont vous dépendez encore, nous l'autorise.
Se tournant vers un officier qui se tenait à son côté, raide comme un piquet, il ajouta:
— Capitaine, conduisez le prisonnier à la salle des interrogatoires. Je veux un rapport ce soir même !
— A vos ordres, mon colonel !
Tandis qu'il emmenait Matt livide, un sergent arriva.
— Le service radio vient de capter les signaux de la balise de détresse A 15.
Parker réagit aussitôt. Son index écrasa un bouton de l'interphone.
— Capitaine Huster, prenez huit hommes et un hélijet. Localisez et récupérez le porteur de la balise A 15. Mission d'extrême urgence. Tenez-moi informé toutes les demiheures.
*
* *
Les derniers rayons du soleil s'étaient éteints, plongeant la pièce dans le noir. Dana avait posé la tête sur l'épaule de son compagnon. Parler était inutile. Elle voulait profiter des dernières minutes qui leur restaient avant d'affronter la mort. Elle se maudissait de n'avoir pas deviné que Stanov était aussi un traître. Le bruit de l'ouverture de la serrure fit se redresser les jeunes gens. Dès la porte ouverte, un puissant projecteur les éblouit.
— Entrez, commandant Hubner, nous vous attendions, ironisa Mike.
Un juron sourd traduisit la justesse de la remarque tandis que Dana réprimait un hoquet de surprise.
Hubner apparut dans la lumière du projecteur manié par Stanov. Il tenait son pistolaser à la main et le pointait sur Craig. Les traits crispés par la colère, il dit d'une voix sèche, grinçante:
— Lieutenant, vous m'avez causé de gros ennuis, fait perdre beaucoup d'argent et surtout gravement menacé une affaire bien montée qui va me permettre de me retirer dans un an, fortune faite. Aussi, je vous avertis que j'exige une réponse rapide à mes questions. Si besoin, je suis disposé à
vous couper tous les doigts un par un pour commencer.
— Comment expliquerez-vous notre mort ? demanda Dana.
Le commandant haussa les épaules et ricana:
— Le capitaine Kieffer imaginera ce qu'il voudra. Stanov abandonnera votre trans en forêt et vos cadavres ne seront jamais retrouvés. Il pensera sans doute qu'après votre travail, vous avez voulu effectuer une promenade sentimentale et que vous avez été victimes d'un fauve. Il existe encore un bon nombre d'espèces sauvages protégées par de gentils écologistes. Maintenant, dites-moi comment vous avez deviné que je viendrais.
Devant le mutisme de la jeune femme, il s'énerva.
— Répondez ou j'ouvre le feu !
— Inutile d'en arriver à cette désagréable extrémité, dit Mike. Vous avez commis une grosse erreur.
— Laquelle ?
— Le cristal mémoriel récupéré chez la maîtresse de So-Wun. Je l'avais testé dans mon ordinateur personnel et je savais qu'il était imprimé. Je l'ai donné au capitaine qui vous l'a porté. Celui qui l'avait effacé ne pouvait être que l'un de vous deux.
— Pourquoi pas Kieffer ?
— Il n'a pas dans son bureau d'ordinateur assez performant et il n'est pas familiarisé avec le traitement informatique.
— Les données étaient incompréhensibles.
— Pour vous peut-être mais j'ai un excellent ami sur Terre qui s'est chargé de le décoder.
Un grognement échappa au commandant.
— Que contenait-il ?
— La liste des clients de So-Wun et le jour de la prochaine livraison.
— Je comprends mieux la raison de ces succès spectaculaires, grinça-t-il. Le problème Warren étant réglé, on ne peut remonter à moi par cette piste. D'autre part, je sais que vous n'avez pas envoyé de message depuis l'astronef, je me suis renseigné à l'astroport.
Il émit un soupir faussement apitoyé.
— En fait, vous restez les deux seuls obstacles à ma tranquillité. Stanov va se charger de régler cette question. Depuis quelques instants, l'attention de Mike se concentrait sur la porte restée ouverte. Comme Hubner amorçait un demi-tour, il lança très vite:
— J'ai oublié de vous signaler un détail. Mon ami informaticien sur Terre, s'appelle Still.
— Intéressant ! J'ai des amis là-bas qui s'occuperont de lui. Où peut-on le trouver ?
— J'ignore son adresse exacte mais vous n'aurez aucune peine à vous la procurer. Le colonel Still est attaché
au bureau du grand amiral Neuman, chef suprême de la Sécurité Galactique. Ce sont les spécialistes du service qui ont effectué le décodage.
Le commandant resta un instant muet de surprise mais il se reprit très vite.
— Même si ce n'est pas du bluff, cela ne constitue pas une preuve contre moi. So-Wun ne me connaissait pas et il n'a pu mentionner mon nom. Adieu !
A cet instant, plusieurs projecteurs s'allumèrent et une voix retentit:
— Sécurité Galactique ! Personne ne bouge !
Hubner voulut réagir et se retourner mais le canon froid d'une arme s'appliqua sur sa nuque tandis que la voix reprenait:
— Lâchez votre arme, vous êtes en état d'arrestation.
— Vous êtes fou, protesta le commandant. Je suis officier et j'allais appréhender deux dangereux malfaiteurs. Vous paierez très cher cette bévue. Je vous somme de me laisser partir sinon je briserai votre carrière !
L'officier haussa les épaules, indifférent et un brin ironique.
— J'exécute mes ordres. Si vous souhaitez vous plaindre, adressez-vous à mon supérieur, le colonel Parker. Justement, il désire vous entendre au plus vite car je pense qu'il a certaines explications à vous demander.
Tandis que les gardes emmenaient Stanov et Hubner, menottes au poing, le capitaine se tourna vers Mike.
— Dès que nous avons reçu votre appel, nous nous sommes mis en route.
— Vous êtes arrivés au meilleur moment. Merci !
— Trois de mes hommes ramèneront votre trans à
l'astroport avec les prisonniers. Vous viendrez avec moi en hélijet, le colonel vous attend.
Vingt minutes plus tard, ils furent introduits dans la cabine-bureau du croiseur Orion. Parker esquissa un minime sourire.
— J'ai été heureux d'apprendre que le capitaine Huster vous avait retrouvé vivant. Voulez-vous me rendre votre émetteur qui doit être recyclé ?
Sous l'œil mi-amusé, mi-courroucé de Dana, Mike retira de son cou le pendentif tandis que Parker reprenait:
— Jeune homme, vous avez fort bien manœuvré sur l'astronef en endormant ce Rink. Je ne vous cacherai pas que cette affaire est éminemment désagréable. La faute d'un de ses membres rejaillit sur toute la Sécurité Galactique. Vous avez agi sagement en faisant directement votre rapport au service sans informer la tour de contrôle. Comme s'il découvrait seulement la présence de Craig, il ajouta:
— Lieutenant, vous remettrez, comme le sergent, un rapport circonstancié à votre supérieur, le capitaine Kieffer, qui verra quelle suite lui donner. Je tiens à vous rappeler que ceci est strictement confidentiel et que toute fuite serait malvenue. De mon côté, j'adresserai un compte-rendu complet au grand amiral. Je pense que nous pouvons considérer cette affaire comme réglée. Il eut un instant d'hésitation avant de reprendre, une lueur amusée dans le regard:
— Vous méritez, sergent, des félicitations pour votre action. Malheureusement, en raison du caractère discret de cette affaire, elles ne vous seront pas adressées par la voie officielle mais je suis persuadé que l'amiral trouvera un moyen de vous récompenser autrement. Maintenant, vous pouvez disposer. Je désignerai un de mes officiers pilotes pour remplacer temporairement Matt Rink.
Dans le trans qui les ramenait en ville, Dana lança avec un zeste d'acrimonie dans la voix:
— Vous vous êtes bien moqué de moi avec cette histoire de porte-bonheur primitif.
— Mais c'en est effectivement un ! Il a seulement été un peu trafiqué par les services de l'amiral.
— Pourquoi ne pas m'en avoir parlé ?
— Je ne voulais pas vous donner de faux espoirs. Je savais que le croiseur était en route mais j'ignorais où il se trouvait.
— Ainsi, vous êtes un envoyé du grand amiral.
— Oh, non ! C'est un concours de circonstances bien indépendant de ma volonté. Peu avant mon départ de Terre I, j'ai été invité à une réception chez Marc Stone, l'oncle de mon ami Oliver Standman. C'est là que j'ai été présenté
au grand amiral. Il était informé de l'apparition de lapis oniris sur Terrania VI. Il m'a simplement demandé d'adresser directement à son bureau les impressions d'un œil nouveau. En fait, la demande de traduction du contenu du cristal mémoriel a été mon premier contact. C'est alors que le colonel Still m'a expédié l'émetteur de détresse. Dana émit un rire léger, un peu goguenard.
— Je suis bien obligée de me contenter de ces explications. Que proposez-vous maintenant ?
— Il est fort tard, je suis affamé et je crois que nous avons mérité un verre de remontant. Je vous suggère de venir dîner chez moi et, après le repas, nous rédigerons nos rapports sur mon ordinateur. Ainsi, le capitaine les trouvera demain matin sur son bureau à son arrivée.
D'une voix un peu trop innocente et le regard brillant, Dana répondit:
— Cela va demander beaucoup de temps. Je serai sans nul doute très fatiguée et je pense que j'accepterai votre hospitalité pour le reste de la nuit !