CHAPITRE VIII

Le capitaine Marc Stone étouffa un bâillement. C'était un solide gaillard de trente-six ans, grand, aux muscles allongés, trahissant force et souplesse. Son visage aux traits burinés par des dizaines de soleils était surmonté d'une chevelure brune.

Confortablement installé dans un fauteuil relax dont les coussins s'adaptaient automatiquement à la forme de son corps, il regardait un spectacle tri-di de peu d'intérêt. Il avait encore quinze jours de permission mais il s'ennuyait déjà. Au retour de sa dernière mission, il avait passé une semaine avec son amie Eisa Swenson dans son îlot du Pacifique. Sept jours de rêve ! Malheureusement, être une des femmes les plus riches de la Galaxie impose des devoirs et Eisa avait dû repartir présider une série de conseils d'administration.

Ray, son androïde, son ami, lui tendit un verre. Il ressemblait à Marc en plus trapu. A l'origine conçus pour escorter les agents sur les planètes primitives, ces robots étaient une réplique parfaite des humains et les indigènes ne pouvaient deviner qu'ils avaient en face d'eux une mécanique qui enregistrait tout ce qu'elle voyait et entendait.

— Bois, c'est ton whisky préféré. Je n'aime pas te sentir triste.

Marc ne s'étonna pas de cette étrange parole dans la bouche d'un androïde. Un robot ne peut éprouver de sentiments. C'est connu, prouvé et les cybernéticiens affirment qu'ils ne peuvent réagir qu'en fonction des programmes qui leur ont été insérés. Toutefois, au fil des missions s'étaient noués d'étranges liens entre l'homme et la machine, une sorte de symbiose mystérieuse. Etait-ce dû au fait que Ray était pourvu d'un récepteur psychique ? Le modèle avait été rapidement abandonné car trop rares étaient les humains télépathes. Déjà naturellement doué, Marc avait vu ses capacités centuplées après une rencontre avec une extraordinaire créature végétale qui étalait ses fleurs sur une lointaine planète. Ainsi, il pouvait entrer en contact avec Ray à grande distance.

— Pourquoi n'irions-nous pas demain dans ton chalet à

la montagne ? Un peu de grand air te permettra de reconstituer ta réserve de globules rouges qui a un peu baissé ces derniers temps.

Marc hésitait encore quand un coup de sonnette interrompit leur dialogue. Ray qui était allé ouvrir, revint précédant l'amiral Neuman, chef de la Sécurité Galactique. Il était grand, mince avec un visage austère et une chevelure grise.

Un petit frisson glissa sur l'échiné de Marc. A chacune de leurs rencontres, il s'était retrouvé lancé dans de sombres aventures non dénuées de dangers. Il parvint à grimacer un sourire en disant:

— Asseyez-vous, amiral. Je crois me souvenir que vous aviez apprécié mon vieil armagnac.

Neuman se contenta de hocher la tête. H arborait une mine embarrassée qui ne lui était pas habituelle. Il goûta le vénérable alcool servi par Ray puis lança d'une voix sourde:

— Je ne vous dirai pas que je passais par hasard dans votre quartier.

— Je ne vous aurais pas cru, sourit Marc.

Après une profonde inspiration, l'amiral lança rapidement:

— J'ai besoin de vous mais cela doit rester un secret absolu.

— Par nature, je suis un être discret. Quel est le problème ?

Neuman hésita une seconde avant de répondre:

— Un informateur occasionnel nous a appris qu'un trafic de lapis oniris de grande ampleur se développait sur Terrania VI. Par diverses autres sources, je sais qu'un trafic identique s'installe sur d'autres planètes de l'Union Terrienne.

— D'où peuvent provenir ces maudits cailloux ? demanda Marc étonné. Il n'y a pas de mines en activité que je sache. Un discret soupir échappa à l'amiral.

— C'est la question que je me pose depuis des semaines. Des pirates solaniens semblent en être à l'origine.

— H n'y a pas de mines sur Solan. Pour ma part, je ne connais que deux endroits. D'abord, la planète Tor où j'ai effectué une mission, il y a deux ans à la demande de la I ''acuité qui voulait des précisions sur une mystérieuse onde spatio-temporelle.

— Je connais cet épisode mais la présence de lapis oniris n'est apparue dans aucun rapport officiel. Vous aviez soigneusement omis de le signaler pour protéger vos amis les Entamebs, ces gigantesques cellules qui vivent sur une planète transformée en marécage gluant.

Marc réagit aussitôt.

— Ils utilisent les lapis oniris pour converser entre eux mais ces pierres sont bien trop précieuses pour eux et ils ne songeraient jamais à les vendre.

— C'est également mon avis d'autant que ces créatures connaissent leur toxicité pour les esprits humains et leur éthique les empêche de se livrer à tout trafic. Il faut chercher ailleurs. Les sourcils froncés par l'effort de réflexion, Marc dit:

— Il y a six ans, lorsque cette forme de toxicomanie est apparue, j'effectuais une mission sur la planète Hark. Des pirates avaient installé une exploitation avec la complicité

de quelques féodaux. J'ai alors reçu l'ordre de la commission de non-immixtion de les éliminer et vos services ont largué des satellites tueurs autour de la planète pour prévenir tout retour des pirates. Neuman avala une gorgée d'armagnac avant de reprendre:

— Votre mémoire est fidèle, capitaine. Hark possède le seul gisement de lapis oniris connu des Solaniens.

— Ne se pourrait-il qu'ils en aient découvert un autre ?

— C'est peu probable car rien ne nous a été signalé.

— Qu'attendez-vous de moi, amiral ?

— Je suppose que Ray a conservé dans ses cristaux mémoriels les données concernant Hark puisqu'il n'est pas reprogrammé à chaque mission comme les autres androïdes du S. S. P. P.

Ray se manifesta aussitôt d'un ton sec.

— C'est exact mais je ne sais si je suis en droit de les utiliser sans l'autorisation du général Khov. Elles appartiennent au service. Neuman leva la main qu'il avait longue et fine.

— Nous verrons plus tard ce détail du règlement mais dès maintenant, je puis affirmer que je prends l'entière responsabilité de la chose.

Marc qui commençait à s'impatienter, maugréa:

— Quelle serait ma mission ?

— Vous avez raison, capitaine, inutile de tergiverser plus longtemps. Je souhaite que, dans le plus grand secret, vous vous rendiez sur Hark pour vous assurer que cette mine n'a pas été remise en exploitation.

— Khov est-il informé ?

— Non ! Moi seul suis au courant. Un secret absolu est indispensable. Nul ne sait que je suis venu chez vous ce soir.

— Pourquoi un tel luxe de précautions ?

Neuman fixa un instant le plafond. C'est avec une gêne manifeste qu'il répondit:

— Je sais qu'avec vous, il faut jouer franc jeu. Bien qu'il me soit particulièrement désagréable de le reconnaître, il se pourrait que des membres de la Sécurité Galactique soient compromis dans ce trafic. Vous comprendrez donc que la moindre fuite risquerait de faire échouer votre mission et vous mettrait en danger. Une grimace de contrariété déforma les traits de Marc. Le voyage ne serait pas une partie de plaisir !

— Même si j'acceptais cette mission, je ne pourrais pas approcher de Hark. Vous oubliez la présence de satellites lueurs.

L'amiral sortit un papier de sa poche qu'il tendit à Ray.

— Voici le code pour les neutraliser. Apprends-le et détruis-le.

L'androïde jeta un coup d'œil sur la feuille et la mit aussitôt dans un cendrier. Une flamme ne tarda pas à s'élever. Un instant interloqué, Neuman sourit.

— J'oubliais qu'il te suffit d'une fraction de seconde pour enregistrer une page.

La mine soucieuse, Marc marmonna:

— S'il y a effectivement des pirates sur Hark, je pourrais avoir besoin de renfort. Il faudrait que je puisse compter sur une de vos unités. Hochant lentement la tête, l'amiral murmura:

— Je peux demander à un croiseur de patrouiller dans un système solaire voisin mais je ne sais à qui me fier en toute certitude.

— Envoyez le colonel Parker ! Je suis prêt à parier ma vie sur son intégrité. De plus, si je l'appelle à l'aide il n'hésitera pas à venir même s'il n'en a pas reçu l'ordre formel de ses supérieurs. Nous nous connaissons bien et nous sommes mutuellement sauvé la vie à plusieurs reprises. Seul son côté rigoriste a empêché que se noue entre nous une franche camaraderie. Il préférerait se couper la langue plutôt que de l'avouer mais je sais qu'il fera tout ce qui est en son pouvoir pour me secourir s'il me sait en danger.

— C'est probablement exact. De plus, il est assez discipliné pour obéir à mes ordres sans chercher à comprendre la raison exacte d'une promenade dans un secteur totalement dépourvu d'intérêt. Acceptez-vous cette mission ?

— J'avoue hésiter encore mais je sais le danger que font courir à la population ces pierres du Diable comme les appellent les indigènes de Hark. Quand devrais-je partir ?

Un sourire étira les lèvres minces de Neuman. Probablement le premier depuis de nombreuses années.

— Dès que vous serez prêt ! Je savais en venant ici que je pouvais compter sur vous. Naturellement, vous utiliserez votre astronef personnel, le Mercure. De plus, je ne peux vous ouvrir aucun crédit officiel. Nous verrons plus tard à

vous dédommager mais j'ignore encore comment.

Heureusement pour lui, Marc possédait une importante fortune personnelle qui le mettait à l'abri des contingences matérielles.

— Sur l'astroport, vous direz à la tour de contrôle que vous vous rendez sur Vénusia. En raison des distractions très particulières qu'on trouve là-bas, le mouvement des astronefs est tenu secret.

Vénusia était une planète au climat idyllique découverte un siècle auparavant. L'absence de ressources naturelles l'avait fait abandonner comme terre de colonisation. Un consortium l'avait acquise pour y installer un centre de repos et de loisirs destiné aux gens très fortunés. A dire vrai, en quelques années, la ville créée était devenue un immense tripot et un somptueux lupanar.

— J'espère que vous me servirez d'alibi car, si Eisa l'apprend, elle risque de ne pas apprécier que je prenne des vacances en son absence.

— Soyez tranquille, je me chargerai d'apaiser ses crainles. Redevenant sérieux, il ajouta:

— Prenez garde à vous ! Le général Khov ne me le pardonnerait pas s'il vous arrivait un accident. L'amiral parti, Marc resta un long moment songeur avant d'appeler Ray.

— Je ne pense pas que je pourrai trouver facilement le sommeil. Autant partir immédiatement.

L'androïde parut un gros sac de voyage à la main.

— Tout est prêt. J'avais deviné que tu n'aurais de cesse de te plonger dans les pires dangers.

— Le Mercure est-il approvisionné ?

— Les pleins sont effectués dès l'atterrissage. Je connais ta manie de partir avec précipitation.