CHAPITRE III

Le lieutenant s'installa au volant du trans tandis que Mike s'asseyait à sa droite.

— Nous allons patrouiller dans notre secteur. Il faut vous familiariser avec les lieux.

Sorti du parking souterrain, le trans enfila une longue avenue rectiligne.

— Connaissez-vous New-Star ?

— J'y suis né il y a vingt-cinq ans. Vous avez dû le lire dans mon dossier.

— Les autorités ne se sont pas donné la peine de me le transmettre, ricana Craig.

— A dix-huit ans, j'ai gagné la Terre pour poursuivre mes études mais je revenais chaque année pour voir mes parents. Ils sont morts, il y a deux ans.

— Désolée ! Dans ces conditions, je n'ai rien à vous apprendre sur cette ville.

— Je pense cependant que j'aurais besoin de leçons !

J'ai surtout fréquenté le centre ville et la banlieue Sud.

— Les quartiers chics ! Vous allez maintenant constater la différence.

De fait, les grands immeubles qui bordaient l'avenue devenaient rares, remplacés par des constructions de plus en plus délabrées.

— Au siècle dernier, il y avait de nombreuses usines, souvent de conception artisanale, chargées de produire des objets d'usage courant qu'il était trop onéreux d'importer de la Terre. Au fil des ans et du développement d'autres villes, des usines modernes se sont édifiées et les friches industrielles de ce genre se sont multipliées. Elles ont été

envahies par le rebut de la société et sont le domaine des voleurs, des assassins et maintenant des trafiquants de lapis oniris. Ce sont les plus dangereux et les mieux organisés. Jusqu'à présent, je n'ai réussi qu'à coincer de petits revendeurs. Le trans vira dans une rue où l'impression de sordide était accablante. Les immeubles montraient des façades lépreuses, lézardées. Des monceaux d'ordures et de gravats jonchaient des trottoirs dont le revêtement se soulevait en maints endroits. Des individus souvent vêtus de loques déambulaient sur la chaussée, obligeant Craig à slalomer à

petite vitesse. Elle scrutait les visages d'un œil perçant. Soudain, elle immobilisa le trans en désignant du doigt un homme maigrichon aux cheveux filasse, longs et sales.

— Celui-là ! Arrêtez-le mais ne faites pas usage de votre arme.

Le type avait reconnu la voiture de police et il détala à

toutes jambes. Mike se lança à sa poursuite, songeant qu'il avait affaire à un champion de course à pied car il n'arrivait pas à gagner sur lui. Son gibier vira dans une rue latérale. Il pressa encore l'allure pour ne pas le perdre de vue. Il ne voulait pas rater la première mission qu'on lui confiait. Quand il arriva à l'angle, il vit le trans de la Sécurité galactique immobilisé en travers de la rue et le blond, les mains appuyées sur la carrosserie.

— Il faudra améliorer votre foulée, sergent, dit Craig toujours impassible. Heureusement, j'avais deviné qu'il passerait par ici. Faites-le entrer dans le trans, nous partons. Ils roulèrent en silence plusieurs minutes. Arrivé à la limite du quartier Nord, le lieutenant freina à proximité

d'une batterie de distributeurs de boissons.

— Il fait chaud, allez chercher deux boîtes de jus de fruit.

Mike acquiesça en silence. Pendant dix minutes, il batailla contre les appareils qui avalaient ses pièces mais refusaient obstinément de délivrer la moindre boîte. De guerre lasse, il capitula et revint vers le trans. Le prisonnier brillait par son absence.

— Après réflexion, je me suis rendu compte que je n'avais aucune charge sérieuse contre lui, dit Craig. Aussi, lui ai-je rendu sa liberté.

Mike hocha la tête, se contentant de dire:

— Je suis désolé mais en dépit de tous mes efforts je n'ai rien pu obtenir de ces machines. H faudra le signaler à

la compagnie. Elle me doit un demi-dol. Mais je pense que vous vous en doutiez car vous connaissez bien le secteur. Le lieutenant démarra sèchement sans répondre. Après deux minutes, Mike reprit:

— Poursuivons-nous la patrouille ?

— J'ai une visite à rendre.

— Je comprends. Autant profiter immédiatement des renseignements fournis par cet aimable blondinet. Un minime sourire apparut sur les lèvres de Craig, si l'on pouvait qualifier ainsi la discrète contraction qui étira ses lèvres.

— Les commentaires sont inutiles, sergent.

Il sembla à Mike que la voix était moins sèche qu'à

l'ordinaire.

Le trans s'immobilisa devant une bâtisse de quatre étages aux murs lézardés. C'était miracle que le toit ne fût pas déjà tombé sur la tête des occupants.

— Premier étage sur rue. Attention, le type peut être dangereux.

Ils s'engagèrent dans un escalier aux marches branlantes. Il régnait une atmosphère chaude, lourde, empuantie par les ordures qui s'accumulaient contre les murs.

Parvenu devant une porte, le lieutenant murmura en dégainant son pistolaser:

— Enfoncez-la, je vous couvre !

Un simple coup de pied fit voler en éclats le battant. L'occupant de la pièce était un gros homme aux cheveux hirsutes. Assis devant une table, il fixait trois cristaux brillamment éclairés par une lampe à halogène. Il ne tressaillit pas devant l'irruption brutale. Son visage rond aux joues mangées par une barbe de plusieurs jours, exprimait une joie profonde, un ravissement intérieur.

— Il est en plein voyage, dit Craig qui, d'un geste sec, éteignit la lampe. Fouillez la pièce pendant que je tente de le réveiller.

Fronçant le nez, Mike entreprit de remuer un lit gluant de crasse et de débris du revêtement mural qui s'écaillait en larges lambeaux. Un placard contenait des boîtes de conserve vides et quelques nippes.

— Rien d'intéressant, lieutenant.

Ce dernier secouait l'homme, le giflant par instants. Enfin, il obtint une première réaction sous forme d'un gémissement. Dix minutes plus tard, l'homme avait repris connaissance. Ses yeux aux sclérotiques zébrées de rouge regardaient les intrus.

— Que faites-vous ici ?

— Sécurité Galactique ! Qui vous a vendu ces lapis oniris?

— Je ne sais rien, laissez-moi tranquille !

Craig levait déjà la main quand Mike intervint d'une voix douce, un sourire angélique aux lèvres.

— Un instant, lieutenant.

Approchant de la table, il saisit un cristal de la taille d'un gros dé à jouer.

— Ne le regardez pas, avertit Craig.

— Je connais ses propriétés oniriques mais j'ignore sa résistance aux chocs.

Il reposa le cristal sur la table, sortit son pistolaser qu'il saisit par le canon. Intrigué, l'homme suivait ses mouve-ments. D'un coup sec, la crosse s'abattit sur la pierre qui fut pulvérisée.

Un hurlement sortit de la gorge du type qui voulut se lever mais la poigne énergique de Craig le cloua sur sa chaise.

— Arrêtez ! Vous n'avez pas le droit. Je porterai plainte contre vous...

— Pour quel motif ? ricana Mike.

— Vol... Destruction de biens personnels...

— Soyez sérieux ! Il vous faudrait reconnaître la possession de lapis oniris, ce qui entraîne immédiatement une condamnation de trois à cinq ans de prison.

Mike saisit un autre cristal.

— Voyons si celui-ci est aussi peu résistant.

— Non ! Que voulez-vous ?

— Dis-nous qui te fournit ces saletés, intervint Craig.

— Je ne peux pas... Attendez, cria-t-il en voyant la crosse se lever au-dessus des précieuses pierres. Un type... Je ne connais pas son nom... Il a la peau ardoisée comme un Dénébien.

— Où peut-on le trouver ?

— Une baraque... 3832, 17e rue Nord... Tous les soirs à dix heures...

Craig relâcha son étreinte.

— J'espère que tu as dit la vérité sinon je reviendrai te faire avaler tes cailloux

Les policiers sortirent, le laissant se précipiter vers les deux lapis oniris qui lui restaient.

Dans le trans, Craig nota:

— Vous ne manquez pas de psychologie. Il m'aurait fallu plusieurs heures d'interrogatoire pour le faire parler alors qu'il vous a suffi de dix minutes mais je ne sais si votre procédé est très légal.

Ironique, Mike débita du ton de l'élève récitant une leçon:

— L'article 327 du code de police stipule que tout lapis oniris saisi doit être immédiatement détruit. Je n'ai donc fait que me conformer strictement au règlement. Le lieutenant lui lança un rapide regard qui semblait s'être humanisé.

— Je constate que vous avez profité de votre année d'étude à l'école de la Sécurité Galactique mais n'oubliez pas que sur le terrain vous rencontrerez des situations non prévues par les manuels.

— Avec vous comme professeur, je crois que j'apprendrai vite. Maintenant, quel est le programme ?

— Nous retournons au centre. Pour procéder à l'arrestation d'un gros gibier, vous ne pouvez ignorer qu'il faut obtenir des autorités un mandat d'amener. Pour aujourd'hui, je m'en occupe, ensuite vous serez chargé de ces besognes administratives qui m'assomment. Rendez-vous à

neuf heures. Si vous le pouvez, dormez un peu car la nuit risque d'être difficile.