CHAPITRE XIII

Trente et un décembre. La villa d'Erwin Warren était une élégante construction de deux étages édifiée au milieu d'un vaste parc ceinturé par un haut mur. Des ouvriers montaient de grandes tentes multicolores autour d'une immense piscine.

— Les préparatifs de la réception sont en bonne voie, soupira Dana en reposant ses jumelles.

Depuis le matin, avec ses équipiers, elle surveillait la propriété.

— Il faudrait trouver un moyen pour nous introduire en douceur et sans histoire.

— Difficile, grogna Tyson. Les murs sont protégés par une couverture radar et des gardes armés surveillent la grille.

— Le plus simple serait de se faire inviter, murmura Mike.

— Je ne goûte pas la plaisanterie, rétorqua Craig avec acidité.

Barnett sortit de sa poche un répertoire électronique. Des noms défilèrent à grande vitesse sur le petit écran.

— Voilà qui est intéressant, dit-il.

Il composa un numéro sur le vidéophone de la voiture. Une blonde, quarante ans environ, le visage avenant, ne tarda pas à répondre.

— Mike ! s'exclama-t-elle, tu es de retour.

— Depuis quelques jours seulement, répondit-il avec aplomb. J'ai grande envie de te revoir. Es-tu libre ce soir ?

— Désolée mais je suis invitée à la garden-party de Warren.

— Décommande-toi !

— C'est impossible, il a beaucoup insisté pour que je vienne.

Son visage s'éclaira soudain d'un ravissant sourire.

— Accompagne-moi là-bas.

— Bien volontiers, Mirna, mais je n'ai pas d'invitation.

— Aucun problème ! Je téléphone à Erwin pour le prévenir que je viendrai avec un ami. Passe me prendre à quatre heures.

— Qui est cette femme ? demanda sèchement Craig, dès la communication terminée.

— Une amie de ma famille. Elle possède plusieurs magasins dans le centre ville. Quand j'avais quinze ans, elle a eu quelques bontés pour moi et nous sommes restés en excellents termes.

— Dis tout de suite qu'elle t'a dépucelé, s'esclaffa Tyson.

— Un gentleman ne répond pas à ce genre de question !

L'essentiel est que je puisse pénétrer dans la propriété sans éveiller de soupçons. Je surveillerai Warren. Nous resterons en contact par nos mini-émetteurs radios. Si j'ai besoin d'aide, je vous appelle.

— C'est risqué, marmonna Dana. En cas de pépin, il nous faudra plusieurs minutes pour intervenir.

— Je ne vois pas d'autre solution. Maintenant, excusezmoi mais pour jouer correctement mon rôle, je dois passer chez moi pour me changer. Dans cette tenue négligée, Mirna ne voudra jamais que je l'escorte.

*

* *

Un trans ancien mais luxueux conduit par un robot franchit la grille de la propriété de Warren. A l'intérieur, Mike poussa un discret soupir de soulagement. A son côté, Mima, dans une époustouflante robe au décolleté généreux, bavardait sans cesse.

Le véhicule s'immobilisa devant le perron de la villa où

Warren accueillait ses invités. Il était grand, mince. En dépit de ses soixante ans, son visage plusieurs fois tendu et retendu paraissait très jeune. Une chevelure noire sans l'ombre d'un fil blanc accentuait cette impression de jeunesse.

— Très chère Mirna, je suis ravi de vous revoir. Une voix chaude, chaleureuse. Il ne jeta qu'un coup d'œil distrait sur Mike qu'elle lui présentait.

— Il arrive de Terre I où il a terminé ses études. La venue de nouveaux invités abrégea heureusement la conversation. Dans le sillage de Mirna qui saluait nombre de personnes, Mike fendit la foule qui se pressait autour des buffets. Il est toujours curieux de noter comment les gens les plus nantis peuvent se ruer sur la nourriture offerte ! La voix de Dana résonna dans son mini-récepteur auriculaire.

— Avec les jumelles, nous vous avons localisé. Nous surveillons également Warren. Pour l'instant, faites-vous discret et continuez à jouer les gentils gigolos. Pendant deux heures, Mike ingurgita des petits fours et fut présenté par Mirna à un nombre incalculable de personnes. Il se demanda si la jeune femme n'avait pas un répertoire électronique à la place de sa cervelle pour se souvenir d'autant de noms. Ce fut avec soulagement qu'il perçut l'appel de Dana.

— Attention ! Warren se dirige vers sa maison. Il pénè-tre par la troisième porte-fenêtre du rez-de-chaussée qu'il referme derrière lui. Nous le perdons de vue.

— Je vais tenter de m'approcher.

— Soyez prudent et laissez votre émetteur branché en permanence.

Abandonnant Mirna en discussion avec une vieille et grosse dame dont les nombreux bijoux n'arrivaient pas à

couvrir la peau plissée, il se glissa à travers la foule jusqu'à

l'entrée principale.

Le hall était désert. Un escalier imposant menait à

l'étage tandis qu'un couloir s'ouvrait à droite et un autre à

gauche. C'est vers ce dernier qu'il se dirigea. D'après les indications de Dana, Warren se trouvait dans la troisième pièce.

A cet instant, un robot domestique apparut. C'était un ovoïde d'un mètre cinquante dé haut. Il se déplaçait sur la plus grosse extrémité garnie d'une multitude de roulettes. De la partie moyenne partaient six tentacules terminés par une pince à trois branches. L'extrémité supérieure s'illumina tandis qu'une voix métallique sortait d'un haut-parleur.

— L'accès aux appartements privés de monsieur

Warren est interdit. Veuillez sortir.

Mike prit une démarche titubante d'ivrogne et répondit d'une voix avinée:

— Je cherche un endroit pour pisser !

— Les toilettes sont dans le hall, à côté de l'escalier. Comme l'homme avançait toujours, l'ovoïde ajouta:

— Retirez-vous ! En cas de désobéissance, je suis programmé pour utiliser la force. Un faux pas précipita Mike à terre. Il tendit le bras gauche.

— Machin, aide-moi à me relever, bredouilla-t-il, je n'y arriverai jamais seul.

Après une seconde d'hésitation, le robot approcha et allongea un tentacule.

— Merci, vieux frère, dit Mike en se redressant. Sa main droite se plaqua sur l'ovoïde puis il recula de plusieurs pas rapides. Une lueur rouge vif apparut aussitôt. La grenade incendiaire à très haut pouvoir calorifique, petite sphère de trois centimètres de diamètre, venait d'exploser.

Les tentacules s'agitèrent un instant puis retombèrent inertes, les connexions du générateur ayant fondu sous l'intense chaleur. La grenade avait été placée à un endroit judicieusement choisi !

Mike contourna le robot fumant et colla son oreille contre la porte. La voix sèche de Warren annonçait:

— Messieurs, nous allons procéder à la vente. Je vous rappelle que toute transaction doit être réglée au comptant et en liquide.

Une simple pression sur la poignée fit s'ouvrir la porte que Mike entrebâilla pour jeter un coup d'oeil dans la pièce. Warren était installé devant une table sur laquelle une mallette ouverte laissait voir de très nombreux lapis oniris. Ils étaient protégés de la lumière par une housse plastique fumée.

Quatre hommes faisaient face au maître des lieux. Ils avaient déposé devant eux d'impressionnantes piles de plaques de monnaie.

— Nous avons touché le jackpot, murmura Mike dans son petit micro. Arrivez en vitesse !

Il sortit de la poche intérieure de son élégante veste un pistolaser ultra-plat. Après une profonde inspiration, il poussa brutalement la porte.

— Sécurité Galactique, personne ne bouge ! Vous êtes en état d'arrestation.

Les quatre hommes tournèrent la tête vers l'intrus mais curent la sagesse de laisser leurs mains sur la table. Le visage de Warren avait blêmi mais il esquissa un sourire en voyant qu'il avait affaire à un seul adversaire.

— Vous êtes fou, jeune homme, vous ne sortirez jamais vivant de cette maison.

Il lança aussitôt d'une voix forte:

— X2, à l'aide !

— Si vous appelez la casserole ambulante qui était devant votre porte, elle ne répondra pas. Je crois qu'un malencontreux court-circuit a malmené ses pauvres neurones. Un instant déconcerté, Warren glissa la main vers le tiroir de son bureau. Il avait presque atteint son objectif quand Mike ajouta:

— Je vous déconseille vivement de chercher une arme sinon vous allez me procurer l'immense joie de vous griller la cervelle.

Le bruit d'une turbine malmenée de trans fut perceptible. Une minute plus tard, la porte-fenêtre vola en éclats sous l'effet du vigoureux coup de pied décoché par Tyson. Craig fit irruption, l'arme à la main, tandis que Mac Nab surveillait les arrières.

— Je proteste contre cette intrusion aussi brutale qu'illégale, clama Warren.

Après avoir jeté un coup d'œil sur le contenu de la mallette, Dana répondit:

— Il vous faudra expliquer la présence de ces petits cailloux ! Allez, passez-leur les menottes.

Quand Mike attacha les poignets de Warren, ce dernier le fixa de ses yeux bleus, très pâles, luisants de rage.

— J'ai de nombreuses et hautes relations. Dans quelques heures, je serai libéré. Je chargerai alors certains amis de s'occuper tout particulièrement de vous et de cette fille. Vous regretterez amèrement d'être venu ici ce jour. Barnett tapota le revers de sa veste.

— Dois-je comprendre que vous me menacez ? Je vous informe que vos propos ont été enregistrés et pourront être utilisés contre vous devant l'ordinateur judiciaire. Warren tapa du pied de colère mais il suivit Tyson dont l'imposante carrure déconseillait toute résistance. Plusieurs trans de police stationnaient maintenant devant la maison. Des agents en uniforme tenaient éloignés les invités tenaillés par la curiosité.

Le groupe fut rapidement embarqué dans les véhicules. A l'instant de monter à côté de Craig, Mike vit Mirna courir vers lui.

— Excusez-moi, lieutenant, je n'en ai que pour une minute.

Il rejoignit la jeune femme qu'un policier tentait de repousser.

— Que se passe-t-il, Mike ?

— Warren vient d'être arrêté pour trafic de lapis oniris. Il serait sage que tu disparaisses avant que la Sécurité

Galactique ne commence à relever l'identité des invités. Le scandale va être considérable et ce serait une mauvaise publicité pour tes magasins si ton nom était cité. Va vite à

mon trans et le robot te raccompagnera.

— Viens avec moi !

— Je ne le puis, je suis... un témoin.

En femme intelligente, Mirna cessa de discuter et courut vers le parking, après avoir fait promettre à Mike de l'appeler le lendemain. Revenu près de Craig, Barnett soupira:

— Pouvez-vous ordonner aux gardes de laisser passer ce trans ? Je crois que nous devons bien cette faveur à

Mirna. Sans elle, je n'aurais jamais pu parvenir jusqu'à

notre ami Warren.

Le regard ironique, Dana décrocha son micro.

*

* *

Arrivé à son bureau, Mike activa son ordinateur pour commencer à dicter les rapports. Pendant le trajet de retour, il avait mis au point avec Craig une version des événements qui ne faisait pas mention de la liste de So-Wun. Les formalités d'emprisonnement terminées, le lieutenant gagna le bureau du capitaine pour un premier compterendu oral tandis que Mac Nab et Tyson s'installaient à

leur table. Ce dernier soupira:

— Nous avons bien travaillé mais cela ne rend pas la rédaction des rapports plus agréable.

Relevant la tête, il remarqua:

— Voilà le procureur. Elle a l'air encore plus furieuse que d'ordinaire.

De fait, son visage était rouge et crispé. Elle pénétra en trombe dans le bureau du capitaine. Aussitôt, des éclats de voix retentirent. Mike se leva en ironisant:

— Je crois que le lieutenant a besoin de secours. Si nous ne sommes pas revenus dans trois heures, envoyez l'équipe de désinfection ramasser nos os dans l'antre des fauves. Il hésita devant la porte tandis que Lynch hurlait:

— Il n'y a pas de flagrant délit qui tienne. Sans mandat, vous n'aviez pas le droit de pénétrer dans la propriété. Je suis obligée d'annuler toute la procédure et d'ordonner la mise en liberté immédiate de Warren et de ses complices. Ensuite, rien ne pourra l'empêcher de porter plainte contre vous pour violation de domicile !

Mike passa la tête par l'entrebâillement de la porte.

— Excusez-moi, lieutenant, mais avec tous ces événements, j'ai oublié de vous remettre les papiers que vous m'aviez demandé de vous procurer.

— Quels papiers ? grogna-t-elle.

— Vous savez bien, le mandat de perquisition et celui d'amener.

Un hurlement jaillit de la gorge du procureur. D'une poigne vigoureuse, elle attira Mike dans le bureau.

— Si vous avez des documents, montrez-les-moi immédiatement !

Mike sortit de la poche de l'élégante veste qu'il portait encore, plusieurs feuillets. Lynch les parcourut rapidement.

— Ils ont l'air correct. Venez avec moi !

Toujours agrippée à Mike, elle l'entraîna jusqu'à son bureau du palais de justice. Un homme corpulent au crâne totalement dégarni était assis dans un fauteuil.

— Maître Shark représente Warren, dit Lynch.

C'était l'avocat le plus retors de la planète. Il avait la réputation de ne jamais perdre un procès.

— Voici les mandats que vous souhaitiez voir.

L'avocat n'eut pas un geste pour les saisir. Un sourire ironique parut sur ses lèvres.

— Par qui sont-ils signés ?

Le procureur regarda vivement les dernières pages.

— Juge A. A. Wesson.

Un ricanement bref secoua Shark.

— Ce sont des faux ! Il n'existe pas de juge Wesson dans ce tribunal.

Soudain, le visage de Lynch s'arrondit de stupéfaction.

— Un instant ! Sergent, auriez-vous dérangé Arthur Abel Wesson, un des douze juges de la cour suprême de l'Union Terrienne qui habite dans notre ville ?

— Effectivement ! Sa signature n'est-elle pas valable ?

— C'est ridicule, explosa l'avocat dont les joues s'étaient empourprées. Vous ne me ferez jamais croire cette invraisemblable histoire !

Devant l'hésitation de Lynch, Mike suggéra:

— Pourquoi n'appelez-vous pas le juge Wesson pour obtenir une confirmation ?

Shark hésita un instant, dardant son regard sur le jeune homme, essayant de deviner s'il bluffait.

— Fort bien ! Je vous préviens que vous subirez toutes les conséquences de vos actes. J'exigerai des sanctions exemplaires et un renvoi immédiat de votre service. Il se pencha sur le vidéophone. Après une consultation de l'annuaire électronique, il composa le numéro. L'écran s'éclaira, montrant un visage ridé. Des sourcils broussailleux surmontaient des yeux noirs et brillants.

— Je vous prie de m'excuser, monsieur le juge, mais j'ai en face de moi un jeune sergent. Il ose prétendre que vous avez signé un mandat de perquisition chez un honorable citoyen de notre ville. Une lueur ironique brilla dans le regard de Wesson.

— C'est parfaitement exact ! Le sergent Barnett est venu me trouver, m'a exposé l'affaire et, compte tenu de l'urgence de la situation, j'ai paraphé ses demandes. L'avocat, rubicond, explosa:

— Vous n'aviez pas à intervenir dans une simple affaire criminelle !

— Plaît-il ? l'interrompit le juge d'une voix tranchante comme un couperet. Dois-je comprendre que vous me donnez une leçon de droit ? Si vous n'êtes pas satisfait de mes actes, adressez une requête à la cour suprême qui jugera de la suite à lui donner.

— Je... Je ne voulais pas, bredouilla l'avocat...

— Il suffît ! coupa le juge de son ton autoritaire. Je confirmerai devant l'ordinateur judiciaire avoir donné au sergent Barnett mandat de perquisitionner sa demeure et arrêter si besoin Erwin Warren. Prolonger cette conversation est inutile. Bonsoir !

La communication fut brutalement interrompue. Le procureur qui récupérait lentement ses esprits, lança:

— Je pense, Maître, que vos demandes sont satisfaites. C'est donc en toute légalité que le lieutenant Craig et le sergent Barnett ont procédé à l'interpellation de votre client. Compte tenu des lourdes présomptions qui pèsent sur lui et ses associés, nous confirmons donc leurs mises en détention.

Shark se leva lentement, le front couvert d'une fine sueur.

— Nous nous reverrons devant l'ordinateur judiciaire, souffla-t-il en gagnant la porte d'une démarche lourde. Mike allait l'imiter quand le procureur dit:

— Je n'en ai pas terminé, sergent ! Allons retrouver vos supérieurs.

Toutefois, le ton était plus léger, presque jovial. Cinq minutes plus tard, ils étaient de retour dans le bureau du capitaine qui pianotait d'impatience sur sa table.

— Pourquoi ne pas m'avoir immédiatement informée que vous possédiez les mandats nécessaires ? gronda Lynch en regardant Craig.

Avant que le lieutenant ouvrît la bouche, Mike intervint:

— Souvenez-vous, vous m'avez dit de trouver un moyen pour pénétrer dans la propriété Warren en douceur et sans histoires. En douceur, me demandait de trouver une invitation...

— Et sans histoires, ricana le capitaine, signifiait avec un mandat !

Avec un air étonné très bien imité, Mike répondit:

— Depuis que je fais équipe avec le lieutenant, nous avons appris à comprendre nos vocabulaires respectifs. Lorsque je dis: « ce particulier ne me semble pas animé

des meilleures intentions », elle sait traduire: « Attention, il va tirer». De même, si elle a dit «sans histoires» j'ai immédiatement compris: «pas d'ennuis avec les gens de justice. Il faut agir dans les règles ». C'est cela la mystérieuse alchimie d'une équipe bien rodée. Kieffer leva les bras au ciel et prit à témoin le procureur.

— Comprenez-vous un mot de ce qu'il dit ?

Madame Lynch émit un petit rire.

— Je le crois et c'est très élégamment exprimé même si cela n'est pas l'exacte vérité.

— Bon Dieu ! Pourquoi ne parle-t-il pas comme tout le monde ?

— L'important est la réussite de cette opération mais saviez-vous, sergent, qu'en allant trouver le juge Wesson vous jouiez votre carrière ? Il aurait pu exiger votre destitution car il a la réputation d'avoir un caractère épouvantable.

— C'est beaucoup exagéré, sourit Mike. Il est parfois un peu emporté mais, avec moi, oncle Arthur a toujours été

très cordial.

Lynch hoqueta de surprise.

— C'est votre parent ?

— Indirectement ! Sa femme et ma mère étaient sœurs. Enfant, j'ai souvent joué dans leur maison.

— Je commence à comprendre pourquoi il vous a signé

les mandats. Quelle a été sa réaction quand vous avez présenté votre demande ?

— Il a éclaté de rire et m'a précisé: « Petit, si tu arrives à faire coffrer cette canaille de Warren, ce sera mon plus beau cadeau de réveillon depuis des années. »

Mike expliqua avec un discret sourire:

— Il y a longtemps, lorsqu'il était procureur ici même, il avait dû renoncer à poursuivre Warren, faute de preuves. Ce déni de justice était resté sur sa conscience et il n'était pas mécontent de cette occasion de prendre une revanche, même tardive. Cette fois, je crois qu'il sera satisfait car l'ordinateur judiciaire ne pourra que condamner cette fripouille. Si, par hasard, son avocat vous cherchait noise sur la façon dont la procédure a été conduite, oncle Arthur se fera un plaisir de vous fournir toute la jurisprudence depuis des siècles.

— Je ne pense pas que cela sera nécessaire, conclut Lynch. Vous avez fort bien travaillé et je vous souhaite une bonne fête de fin d'année.

Se tournant vers Craig, elle ajouta:

— Vous avez un excellent équipier. Ne vous étonnez pas si je tente de vous le chiper.

Dès la porte refermée, le capitaine poussa un de ses énormes soupirs qui balaya la table de ses papiers.

— Vous auriez dû me prévenir que vous meniez cette opération !

— C'est un informateur anonyme qui m'a contactée, répondit aussitôt Dana. Je ne croyais pas à ce tuyau et je pensais seulement à une mission de surveillance.

— Vous aviez cependant des mandats !

— Une simple précaution pour le cas où nous aurions à

intervenir, glissa Mike. Si nous ne les avions pas utilisés, il m'était facile de l'expliquer à mon oncle sans être ridicule. Kieffer s'épongea le front en grommelant:

— Il me faut maintenant informer le commandant. Il n'apprécierait pas d'apprendre la nouvelle par la télévision. De retour à son bureau, Mike acheva rapidement de dicter son rapport. Il regarda ses collègues qui s'acharnaient sur leurs vieilles machines.

— Je suppose que vous n'avez rien prévu pour votre réveillon.

— Mobilisés depuis ce matin par le lieutenant, il était difficile de faire des projets.

— Dans ce cas, je vous invite à souper chez moi. Les deux hommes acceptèrent aussitôt.

— J'espère que tu sais faire la cuisine, ironisa Mac Nab.

— Ne vous tourmentez pas, tout sera prêt.

Après un instant d'hésitation, Mike ajouta:

— Croyez-vous que le lieutenant accepterait de venir avec nous ?

— Pourquoi pas ? Elle a sérieusement besoin de se détendre, dit Tyson. Quand tu es entré seul dans la villa, elle s'est crispée. Je ne l'avais jamais vue aussi anxieuse. Allons le lui demander !

Les trois hommes traversèrent le couloir. Dana releva la tête en voyant entrer la délégation.

— Barnett nous convie à dîner, dit Paul. Il assure que nous n'aurons pas à préparer le repas. Accompagnez-nous, lieutenant !

Surprise de la proposition, Craig secoua la tête.

— J'ai encore mon rapport à rédiger...

Mike déposa sur le bureau des feuilles de papier.

— Il est déjà écrit, vous n'avez qu'à le signer. Vous avez droit à quelques heures de repos pour fêter votre succès. Grâce à vous, Warren est sous les verrous et pas près de sortir de sa cellule.

Elle capitula, le visage détendu. Une première dans les annales du service comme le fit remarquer Mac Nab à

l'oreille de Mike.

Ce dernier insista pour les emmener dans son trans personnel. Il démarra rapidement pour gagner le sud de la ville. Un quart d'heure plus tard, il immobilisa son véhicule devant un haut portail qui s'ouvrit automatiquement. Trois cents mètres plus loin, il stoppa devant une grande villa blanche à un étage.

— Tu habites là-dedans ? souffla Mac Nab étonné.

— C'est la maison de mes parents que j'ai conservée. Entrez !

Un robot se tenait derrière la porte. Son extrémité supérieure scintilla quelques instants.

— Bonsoir sergent Tyson, bonsoir sergent Mac Nab, bonsoir mademoiselle Craig. Soyez les bienvenus. Il avait l'accent légèrement snob des domestiques de grande maison.

— Excusez-le, dit Mike à Dana, James a un côté très rétrograde et il se refuse à donner un titre à une femme.

— Les boissons sont servies dans la petite bibliothèque, monsieur.

Un miroir ancien était suspendu au mur. Le lieutenant se regarda en grimaçant.

— Dans votre précipitation, vous ne m'avez pas laissé

le temps de me laver les mains. Pouvez-vous m'indiquer un lavabo ?

— Venez, je vous montre le chemin pendant que James commencera à servir nos amis.

Il monta l'escalier monumental qui menait au premier étage. Ouvrant une porte, il dit:

— C'était la chambre de ma mère. James l'entretient toujours avec dévotion.

La pièce était élégamment décorée mais ni surchargée ni mièvre. Une chaude atmosphère intime. Mike ouvrit un placard où de nombreux vêtements étaient suspendus.

— Ma mère adorait les robes mais elle aimait aussi les prêter à ses amies. Si vous le souhaitez, vous pouvez en passer une. Je suis certain que cela lui aurait fait plaisir. Le bloc sanitaire est au fond de la pièce.

Il descendit rejoindre ses collègues qui se prélassaient dans des fauteuils.

— Tu sais choisir tes boissons, s'exclama Mac Nab. Ce scotch est une pure merveille venue en droite ligne du pays de mes ancêtres.

Une demi-heure s'écoula avant que le lieutenant ne reparaisse. Les trois garçons se figèrent de surprise. La jeune femme avait enfilé une tunique longue, écarlate, légèrement décolletée. Son visage discrètement maquillé

paraissait détendu, radieux.

Mike s'inclina et tendit la main.

— Acceptez une coupe de vrai Champagne. Il provient de la seule région de Terre I qui en produit encore. Le robot annonça bientôt que le dîner était prêt. Ils passèrent dans la pièce voisine où le couvert était dressé. Grâce à la diligence de James, ils furent vite servis. Sur la fin du repas, Mac Nab, échauffé par le vin, lança:

— C'est un des meilleurs dîners de mon existence ! Si c'est ton ordinaire, je m'inscris pour prendre pension chez toi !

— Hélas ! Ce n'est pas le cas. C'est la première fois depuis mon retour sur Terrania VI que j'ai des invités et James s'est surpassé. Il va être minuit. Pour nous souhaiter une bonne année, nous serions mieux au salon.

Le robot emplit une série de verres avec une bouteille de Champagne dont il venait de faire sauter le bouchon. Pendant ce temps, Mike récupéra plusieurs paquets.

— Sur la Terre, la tradition veut qu'au nouvel an, on offre des cadeaux à ses amis. Ceci est pour vous, lieutenant. Craig ouvrit un coffret et en tira un petit pistolaser.

— C'est très pratique pour glisser dans un sac à main. Ne vous fiez pas à la taille réduite. Sa puissance est supérieure à celle de votre arme de service. Seulement, le chargeur énergétique réduit n'assure que dix tirs. Dana s'amusa à faire sauter l'arme dans sa main tandis que Mike tendait à Mac Nab un paquet.

— J'ai remarqué que l'étui de ton pistolaser s'usait dangereusement. Voici un remplaçant. C'était un très joli étui de cuir véritable, discrètement travaillé. Enfin, il offrit à Tyson un ordinateur portable comme le sien.

— Tu pourras t'entraîner chez toi et rédiger tes rapports sans problèmes.

Coupant court aux remerciements, il leva son verre pour porter un toast.

— A la nouvelle année et au succès du lieutenant Craig. Cette dernière émit un rire léger, joyeux, détendu.

— A notre équipe !

Les coupes vidées, Tyson murmura:

— Je crois bien, lieutenant, que c'est la première fois (

que je vous entends rire.

— C'est l'effet de ce dîner mais rassurez-vous, demain, au bureau, nous retrouverons nos soucis.

Quelques verres plus tard, Tyson se leva.

— C'était une soirée formidable mais nous sommes de service à huit heures.

— James va vous reconduire car il ne serait pas prudent que vous preniez le volant. Ne vous inquiétez pas pour le lieutenant, je la ramènerai chez elle dès qu'elle se sera changée.

Dana était assise sur un petit canapé. Mike lui apporta une coupe de Champagne. Ils burent en silence. La main du jeune homme se posa sur celle de Dana qui tressaillit comme au contact d'une ligne électrique. Ses yeux brillèrent étrangement. Son visage était tout proche de celui de Mike. Elle l'attira soudain et leurs lèvres se joignirent. Aussitôt, un furieux tourbillon les emporta, intense, impérieux, mais par instants tendre et subtil avant de redevenir torrent impétueux.

Plus tard, beaucoup plus tard, un frôlement éveilla Mike. Dana s'était habillée. Il fut frappé par son visage figé et par les larmes qui coulaient sur ses joues.

— Que t'arrive-t-il ?

— Vous ne pourriez pas comprendre ! Je dois rentrer chez moi.

— Je t'accompagne !

— Non ! J'ai besoin d'être seule.

Elle accepta cependant d'être reconduite par James.

* *

Craig conduisait le trans de patrouille. Elle avait retrouvé son visage austère. Elle gardait les yeux rivés devant elle. Enfin, elle murmura d'une voix sourde:

— Sergent, nous devons oublier ce qui s'est passé hier !

Mike réagit aussitôt.

— Non ! Je n'oublierai pas car c'était merveilleux. Devançant une protestation qui ne venait pas, il ajouta:

— Toutefois, vous avez ma parole de ne jamais y faire allusion.

— Je suis tellement désolée...

— Désolée de quoi ? rugit-il. D'avoir montré pendant quelques heures que vous étiez un être de chair et de sang et pas seulement un bloc d'acier sans la moindre faille !

Nul ne peut vivre éternellement dans une enceinte blindée.

— Je ne sais plus, soupira-t-elle.

La voix du capitaine Kieffer interrompit leur dialogue. Il paraissait encore plus courroucé qu'à l'ordinaire.

— Revenez immédiatement ! Nous avons un problème.

— Lequel ?

— Warren s'est donné la mort cette nuit dans sa cellule.

— Comment ?

— Apparemment, il s'est empoisonné. L'autopsie est en cours.

Tandis que Craig branchait sa sirène, Mike marmonna:

— C'est curieux ! Quand nous l'avons arrêté, il ne semblait pas effondré. Il était persuadé d'être rapidement libéré

et il m'a même très clairement menacé.

— Après l'échec de son avocat, il a pu avoir une crise de cafard.

— Sa mort doit soulager au moins une personne.

— Qui?

— Le fournisseur des lapis oniris ! Warren éliminé, nous n'avons plus aucune chance de remonter jusqu'à

l'importateur.

Le capitaine était en discussion avec Summer.

— Le lieutenant enquête sur ce suicide car il était de permanence cette nuit. D'après les premières constatations du légiste, la mort a été immédiate, provoquée par une capsule de cyanure.

— Comment a-t-il pu se la procurer ? s'étonna Dana. Summer répliqua d'un ton peu amène:

— Il aura été mal fouillé lors de son incarcération.

— Le sergent de garde s'en est chargé et Warren a même été passé au scanner, protesta Dana.

— Il a pu dissimuler sa capsule dans ses vêtements.

— C'est peu probable, intervint Mike. Dans sa propriété, Warren n'avait aucune raison de se promener avec une capsule de poison. Ensuite, je ne l'ai pas perdu de vue jusqu'à son arrestation.

— Il est difficile d'accuser son avocat, grogna Summer. C'est la seule personne à lui avoir rendu visite. Pour le moment, gardez la nouvelle secrète. Le commandant donnera une conférence de presse en début d'après-midi. Je n'ai plus besoin de vous. Retournez à votre travail... dans le quartier Nord. Je n'ai guère apprécié que vous arrêtiez Warren dans mon secteur sans même daigner m'en informer. Le capitaine vola spontanément au secours de Craig.

— Ils n'en ont pas eu le temps. Le procureur étant pleinement satisfait, il n'y a pas lieu de polémiquer. Dix minutes plus tard, Craig et Mike reprenaient leur patrouille. Ce dernier allongea confortablement les jambes.

— Avec la disparition de So-Wun puis de Warren, les trafiquants de lapis oniris vont se faire rares. Nous n'aurons plus guère de travail.

— Je crains que ce ne soit justement l'inverse. En état de manque, les drogués vont devenir féroces. Il nous faudra multiplier les rondes et être sur le terrain jour et nuit.

— Pénible perspective, grimaça comiquement Mike. Gardant les yeux fixés sur la route, Dana demanda un peu plus tard:

— Une question me préoccupe. Comment espérez-vous continuer à entretenir une maison comme celle de vos parents avec une simple solde de sergent ?

Un rire bref échappa à Mike.

— Ne vous tracassez pas pour cela. Mon père était propriétaire de nombreuses sociétés sur Terrania VI et aussi sur d'autres planètes. Quand il a compris que je n'étais pas doué pour les affaires, il a nommé un directeur général qui gère l'ensemble du groupe. Je n'ai donc aucune responsabilité et me contente d'encaisser une part des bénéfices. Toutefois, mon père avait insisté pour que j'étudie le droit. Je crois qu'il m'aurait bien vu faire une carrière dans la magistrature comme mon oncle Wesson plutôt que dans la Sécurité Galactique.

— Si vous pouvez vivre en oisif, que faites-vous ici ?

— J'ai la faiblesse de penser que ce travail n'est pas totalement inutile.

Après un petit silence, il ajouta:

— J'aurais une prière à vous adresser. N'allez pas dire dans le service que j'ai de jolis revenus. Sinon, je vais voir se pointer à chaque fin de mois tous les tapeurs professionnels.

— Promis !

— Pourquoi êtes-vous entrée à la Sécurité Galactique ?

— Mon père était officier. A ma naissance, il a été très déçu de constater que je n'étais pas un garçon. Il est mort lorsque j'avais quatorze ans, tué par des voyous. J'ai alors décidé de devenir flic en dépit de l'opposition de ma mère qui pensait que ce n'était pas un métier de fille. J'ai dû

faire des dizaines de petits boulots pour payer mon voyage jusqu'à Terre I où se trouve l'école de la Sécurité

Galactique. Là, le nom de mon père a facilité mon admission. J'ai travaillé dur, plus dur que les garçons. Vous savez que nombre d'instructeurs sont encore de vrais machos qui pensent que les filles n'ont d'autre utilité que de leur tenir compagnie au lit !

Un nouvel appel de Kieffer interrompit la confession.

— Encore un pépin. Une patrouille a trouvé un cadavre dans le parc du centre ville. Il se pourrait que ce soit maître Shark mais il n'a pas de plaque d'identité sur lui. Allez làbas ! Barnett l'a rencontré hier et il pourra l'identifier. Le cadavre était bien celui de l'avocat. Il portait le même costume que dans le bureau du procureur. Sa poitrine s'ornait de trois petits trous noirs, groupés dans la région du cœur.

— Bien, grogna le lieutenant Summer arrivé sur les lieux en même temps qu'eux. Maintenant, disparaissez et laissez-moi travailler. Il a probablement été tué par un de ses clients mécontents.

— Bon courage, ironisa Dana. Depuis vingt ans, ce type a défendu les pires canailles de la ville. Cela vous demandera du temps pour vérifier leurs alibis !

Dans le trans, Craig remarqua le front plissé de rides soucieuses de son équipier.

— A quoi pensez-vous, sergent ?

Comptant lentement sur ses doigts, Mike murmura:

— Kostac, Warren, Shark. Le chef de l'organisation fait le vide pour vous empêcher de remonter la filière jusqu'à

lui.

— Pensez-vous que ces crimes soient liés ?

— Cela semble bien probable. Le fait que vous ayez arrêté Warren juste le jour de la livraison doit tracasser notre homme.

— Et vous en concluez ?

— Le prochain sur la liste devrait être vous, avec peutêtre moi en prime. Je ne pense pas que l'incendie de notre trans pourri soit un simple accident comme les autorités l'affirment.

Craig réfléchit une longue minute avant de soupirer:

— Inutile de vous inquiéter. Il suffira d'être sur s e s . gardes.

— Je serais plus tranquille si, pour quelques jours, vous veniez vous installer chez moi. Ma propriété possède un excellent système automatique de surveillance.

— C'est hors de question, gronda-t-elle tandis que ses traits se contractaient.

Toutefois, un très discret sourire parut quand elle ajouta:

— Ne serait-ce pas une ruse pour tenter de m'attirer dans votre chambre ?

* *

Le robot, immobile dans le trans aux vitres opaques, surveillait un immeuble. Il bougea un tentacule quand un véhicule s'arrêta à quelque distance. Quatre hommes en descendirent en silence, ombres indistinctes dans la rue mal éclairée. Un rayon lumineux se réfléchit un instant sur l'acier du canon d'un pistolaser. Le robot décrocha le téléphone de bord.

— Monsieur, je suis navré de vous réveiller mais des individus suspects approchent de l'immeuble de mademoiselle Craig. Mike éructa un juron corsé.

— J'arrive ! Tente de repérer où ils vont.

Il se leva d'un bond. Depuis trois nuits, il avait demandé

à James de veiller sur Dana. Aussi couchait-il tout habillé. Vingt secondes plus tard, il était dans son trans et démarrait en trombe, sans se soucier des protestations des turbines malmenées. Tout en maintenant une allure de grand prix dans l'avenue heureusement déserte à cette heure, il brancha le téléphone. Plusieurs sonneries retentirent.

— Réponds ! Réponds ! murmura-t-il.

Enfin, une voix ensommeillée retentit dans le haut-parleur.

— Craig, j'écoute.

— Lieutenant, réveillez-vous ! J'ai tout lieu de croire que des types armés vont vous attaquer. Ils sont quatre. Barricadez-vous, j'arrive.

Un bon point pour Dana. Pas de questions oiseuses, pas de discussions.

— Je me prépare !

Un ton calme, froid, glacé même. Mike négocia deux virages avec la virtuosité d'un pilote professionnel. Il se rappela alors que Tyson et Mac Nab devaient être en patrouille cette nuit. Il composa le numéro de leur téléphone portable car il ne voulait pas passer par le standard. Dès la communication établie, il lança:

— Paul, le lieutenant est en danger. Allez chez elle. Pas de sirène. Ne prévenez pas le sergent de garde pour le cas où nos lascars seraient à l'écoute de nos messages.

— Entendu. Nous serons sur place dans moins de dix minutes.

James se manifesta alors de sa voix distinguée.

— Les individus viennent de forcer la porte d'entrée et pénètrent dans l'immeuble.

— Tente de les retenir !

— Je ne le peux ! Monsieur sait que mon conditionnement interdit de toucher à un humain.

— C'est vrai, je l'avais oublié. Contente-toi d'observer. Les mains crispées sur le volant, Mike conduisait aussi vite que possible. Par deux fois, il évita de justesse un trans qui croisait sa route, laissant le chauffeur paralysé de peur et écumant de rage.

Il freina brutalement devant l'immeuble à l'instant où le trans de la Sécurité Galactique arrivait. Paul et Al en jaillirent, l'arme au poing. La porte de l'immeuble était restée ouverte mais le hall était désert. Mike hésita un instant avant d'ordonner:

— Montez par l'escalier ! Moi, je prends l'ascenseur. Troisième étage.

Les portes coulissèrent en silence. Un coup d'œil dans le couloir. Le cœur de Mike manqua un battement quand il vit la porte enfoncée de l'appartement de Dana. Un homme était allongé en travers du seuil. Trois autres se tenaient plaqués contre le mur. Un jet laser sortit de l'appartement, écaillant le mur à une dizaine de centimètres de la tête d'un des agresseurs qui se recula précipitamment.

— Sécurité Galactique, rendez-vous ! cria Mike en se démasquant.

Le plus proche des assaillants réagit avec promptitude, braquant son arme sur Barnett qui ne lui laissa pas le temps d'appuyer sur la détente. Deux jets laser touchèrent l'homme au bras et à l'épaule. Le pistolet tomba sur le sol. Les deux autres, moins combatifs, tentèrent de filer par l'escalier. Malheureusement pour eux, ils se heurtèrent à

Tyson qui arrivait au pas de course. Quelques chocs sourds, sans même une plainte. Sous le coup de l'émotion, Paul ne mesurait pas sa force et il les avait proprement assommés. Tandis que Mac Nab leur passait des menottes magnétiques, Tyson appela:

— Tout est clair de notre côté, Mike. As-tu besoin d'aide ?

— Non, le mien est blessé et il reste sage.

— Lieutenant, reprit Tyson, nous avons la situation en main.

La tête de Dana apparut. Elle avait la chevelure en bataille mais un sourire éclairait son visage.

— Contente de vous voir, dit-elle en replaçant son pistolaser dans son étui. La position devenait malsaine. Heureusement prévenue, je les attendais. Désignant le corps étendu, elle poursuivit:

— Celui-là a enfoncé la porte et immédiatement ouvert le feu. Méfiante, je m'étais abritée derrière un fauteuil. J'ai alors pu le neutraliser mais j'étais mal placée pour atteindre les autres.

— Qui sont-ils ? dit Mike.

— Nous allons le leur demander, grogna Tyson le visage peu amène.

Il s'agenouilla près du blessé, un type brun, les joues mangées par une barbe de plusieurs jours. Il avait les yeux injectés de sang.

— Encore un drogué, soupira-t-il.

Secouant l'homme par sa chevelure crasseuse, il lança:

— Qui t'a envoyé ici ? Réponds, sinon je me sens d'humeur à t'écraser la tête contre le mur.

— Je ne sais pas, bégaya le blessé.

Devant le regard de Paul qui s'assombrissait de colère, il ajouta:

— Un grand type costaud... Je n'ai pas discerné son visage dans l'obscurité de la nuit. Il nous a dit qu'il fallait descendre une fille mais il n'avait pas précisé qu'il s'agissait d'un flic. Il nous a donné à chacun un lapis oniris et nous en a promis deux autres, une fois la besogne terminée.

— C'est un simple exécutant, dit Dana. Nous n'en tirerons pas d'autres renseignements. Appelez du renfort pour les embarquer et...

— Je crois qu'il serait préférable, intervint Mike, que vous disiez au sergent de permanence que vous avez reçu un appel anonyme affirmant qu'un attentat se préparait contre le lieutenant. Vous avez voulu vérifier avant d'informer le central.

— Cela nous évitera des complications, acquiesça Paul. Quand les deux policiers eurent emmené les prisonniers, Dana murmura:

— Et vous, comment avez-vous été informé ?

Etouffant un soupir, Barnett répondit, mal à l'aise:

— Comme vous n'aviez pas consenti à accepter mon hospitalité, j'ai pensé qu'une surveillance s'imposait. J'ai donc demandé à James de passer ses nuits sous vos fenêtres. L'avantage du robot sur l'homme est qu'il n'a pas besoin de dormir. C'est lui qui m'a appelé.

— Merci, dit-elle sèchement, mais vous auriez pu m'en informer.

— Vous auriez refusé ! Maintenant, voulez-vous être mon hôte ?

— Non ! Je suis ici chez moi et j'y reste ! Tout au plus accepterais-je votre aide pour m'aider à réparer cette serrure.