CHAPITRE XVI

Arrivé le premier au bureau, Mike s'installa dans son fauteuil en réprimant un bâillement. Il n'avait guère fermé

l'œil de la nuit! L'arrivée du capitaine l'obligea à se redresser. Il s'empressa de sortir deux feuilles imprimées.

— Mon rapport, capitaine.

Kieffer les saisit machinalement et dit, pour une fois, d'une voix normale:

— Etes-vous remis de vos émotions ?

— Je le pense. Cela a été dur mais je récupère vite.

— Hier soir, je me suis longuement entretenu avec Tyson. Pour un type à la limite de la crise de nerfs, vous avez fait de jolis cartons.

— C'est plus aisé lorsque l'on possède du bon matériel. Dans le feu de l'action, on ne pense pas. La réaction vient secondairement.

— Et Craig ?

— Vous la connaissez ! La dame de plasto-titane. Nous n'allons pas tarder à la voir arriver, impassible, comme si elle avait passé une soirée au calme chez elle. Une petite lueur brilla fugitivement dans l'œil du capitaine qui murmura, l'air songeur:

— Quand j'étais jeune lieutenant, je crois que j'aurais aimé avoir un équipier comme vous.

Craig se manifesta alors, marchant de son pas décidé.

— Voici mon rapport, capitaine !

Un très discret clin d'œil à Mike qui l'avait rédigé la veille pendant qu'elle était au bloc sanitaire.

— Parfait ! Vous et Barnett êtes convoqués devant le tribunal à neuf heures. Vous n'avez que le temps de vous y rendre.

— Pour quel motif ?

— Je l'ignore mais le procureur était furieux. Vous vous expliquerez avec lui.

Devant la salle d'audience, ils virent madame Lynch. Cette dernière arborait sa mine des très mauvais jours. Elle apostropha aussitôt Craig.

— Vous avez encore commis une bavure de taille en intervenant sans mandat. Si Richardson, l'avocat de Zorn, exige des sanctions, je vous avertis que je m'associerai à

cette demande. Par votre maladresse, je vais être obligée d'annuler toute la procédure.

Mike voulut parler mais elle le rabroua sèchement.

— Taisez-vous ! Je ne veux rien entendre ! Vous partagerez la responsabilité de ces actes avec votre supérieur. Elle pénétra dans la salle suivie par les deux policiers qui s'installèrent sur un banc. Le robot greffier était déjà à

sa place. Le juge ne tarda pas à faire son entrée. Il s'assit immédiatement devant l'ordinateur judiciaire. Son seul travail était de contrôler ce qui devait être enregistré par la machine. Celle-ci se chargeait ensuite des actes et prononçait les sentences. Un homme grand, gros, les joues flasques, représentait la défense. Sur un geste du juge, il se leva.

— Mon client, monsieur Zorn, ne peut être présent à

cette audience. En effet, il est hospitalisé, blessé par des policiers qui se sont introduits illégalement dans son domaine. Mon premier témoin sera le lieutenant Craig. Dès que Dana eut pris place dans le fauteuil, l'avocat débuta:

— Connaissez-vous l'article seize du code de procédure pénale ? Il spécifie que pour pénétrer dans une propriété

privée, un policier doit être muni d'un mandat de perquisi-tion. Avez-vous le sentiment d'avoir respecté cet article la nuit dernière ?

— Non, Maître mais...

— Terminé, coupa sèchement l'avocat.

Craig voulut ouvrir la bouche mais le juge trancha:

— Le témoin doit se retirer !

Elle céda la place de mauvaise grâce et Mike lui succéda. A la même question, il répondit d'une voix ferme:

— Oui, Maître !

Les joues de l'avocat s'empourprèrent.

— Votre supérieur vient de déclarer le contraire !

— C'est parce que vous ne lui avez pas laissé le temps de s'expliquer.

Après deux amples respirations qui donnèrent à ses joues la possibilité de retrouver une coloration moins vive, l'avocat reprit d'une voix doucereuse:

— Dois-je comprendre que vous aviez un mandat de perquisition en bonne et due forme ?

— Non, Maître ! Nous n'en avions pas besoin car nous avons agi en vertu de l'article 937 bis du code.

— Et il vous dispense d'un mandat, s'exclama l'avocat.

— Exactement !

— C'est ridicule, Votre Honneur. J'exige que cette déclaration soit rayée du procès-verbal.

— Je maintiens mes affirmations !

Le ton était si assuré que l'avocat et le procureur, avec un ensemble touchant, pianotèrent sur leur ordinateur portable. L'ordinateur judiciaire réagit le premier, en émettant de sa voix métallique:

— Référence correcte mais elle ne s'applique qu'au trafic des armes de guerre.

— Veuillez consulter la liste du matériel saisi, rétorqua Mike. Vous noterez la présence, entre autres choses, de mitrailleuses thermiques et de missiles anti-véhicules, objets qui rentrent naturellement dans cette catégorie.

— Exact ! conclut dix secondes plus tard l'ordinateur. La procédure d'arrestation est donc valable et la demande de la défense est rejetée. Ricky Zorn restera sous la garde de la police jusqu'à son procès. L'audience est levée. Avec un mouvement de colère, l'avocat rassembla ses affaires et s'empressa de filer. Mike allait rejoindre Craig quand la voix du procureur l'immobilisa.

— Un instant, sergent ! Venez ici ! Pourquoi ne pas m'avoir parlé de cet article du code ?

— J'ai tenté de le faire mais vous n'avez rien voulu entendre et vous m'avez ordonné de me taire.

Madame Lynch émit un petit rire.

— Je reconnais mes torts ! C'est une vieille loi, votée il y a près de deux siècles lors d'une révolte des colons de Terrania VIII, rébellion suscitée par les Dénébiens. Elle était totalement oubliée.

— Mais non abolie et donc toujours en vigueur comme l'a reconnu l'ordinateur judiciaire.

— Comment en avez-vous eu connaissance ?

— Je pourrais affirmer que j'ai bien étudié mes cours à

l'Université mais je reconnais avoir bénéficié de l'aide d'un conseiller technique. Ce matin, à l'aube, j'ai réveillé

mon oncle, le juge Wesson. Il a une mémoire supérieure à

celle d'un cerveau électronique. Il ne lui a fallu que quelques secondes pour me donner la référence. Ce genre de jeu l'amuse beaucoup.

— C'est très intéressant. Grâce à vous et votre parent, je vais pouvoir travailler sérieusement sur ce dossier. Merci !

Elle reprit dans un murmure pour ne pas être entendue de Craig:

— Je persiste à penser que vous perdez votre temps à la Sécurité Galactique. J'aurais besoin d'un assistant de votre talent. Nous ferions un excellent travail. Songez-y sérieusement !