CHAPITRE XVIII
Le gardien-chef pénétra dans la salle où se tenaient deux cosmatelots. Il s'inclina jusqu'à terre et balbutia:
— Seigneur, je suis au regret de vous apporter une triste nouvelle. Ce matin, nous avons eu la cruelle surprise de trouver le corps d'un de vos amis.
Il fit un geste de la main et deux gardiens entrèrent, portant péniblement un cadavre couvert de sang séché. Le Solanien étouffa un juron.
— C'est Lo-Al, murmura-t-il. Hier soir, il nous a quittés en disant qu'il allait faire une tournée d'inspection. Il demanda d'une voix rauque au gardien-chef des explications.
— Nous ne savons rien, seigneur. Mes hommes n'ont perçu aucun cri, aucun appel.
— Ils dormaient, ragea le Solanien. Pour le frapper ainsi, les agresseurs de notre ami devaient être au moins trois. Des prisonniers se sont-ils évadés cette nuit ?
— Certainement pas ! Ils craignent trop la puissance du collier.
Après un instant d'hésitation, il dut reconnaître:
— Nous ignorons le nombre de ceux restés sous la montagne.
— J'exige que les coupables de ce forfait soient retrouvés avant demain.
— C'est impossible, seigneur. Je sais qu'aucun esclave n'aurait osé porter la main sur un maître.
L'autre cosmatelot se pencha vers son acolyte pour lui murmurer une phrase à l'oreille.
— Parfait ! reprit le premier. Réunis tous les prisonniers sur la place. Nous vérifierons le numéro de leur collier. Les absents seront punis.
Dans la précipitation, les gardiens regroupèrent les esclaves.
— Il en manque une bonne trentaine, constata le deuxième cosmatelot.
— Active leur collier. S'ils ne sont pas déjà morts, ils crèveront !
Deux minutes plus tard, force fut de constater l'absence de réaction.
— Qui sait s'ils ne sont pas déjà hors de portée de l'émetteur ?
Le Solanien effectua un rapide calcul.
— C'est peu probable. En une nuit, à pied, ils n'ont pu parcourir trente kilomètres. Ils sont sans doute en train d'agoniser dans les environs.
— Alors, envoie ces sauvages ratisser la région. Je veux voir leurs cadavres.
Les ordres distribués, les Solaniens regagnèrent leur baraquement.
*
* *
Un appel de Ray éveilla Marc en sursaut.
— Le général est en ligne.
Les cheveux encore en bataille, Marc courut vers le poste de pilotage. En le voyant, Khov esquissa un sourire sarcastique.
— Il m'est agréable de savoir que pour une fois, c'est moi qui vous réveille. Vous vous doutez que votre rapport a vivement intéressé Neuman. Je sors d'une réunion chez le Président. Il a été décidé que vous agiriez sur Hark puisque vous êtes sur place. Tous les éléments étrangers à la planète doivent être éliminés. Nous comptons sur votre discrétion pour ne pas trop enfreindre la loi de non-immixtion. Dès qu'il aura éliminé le pirate, Parker réinstallera les satellites tueurs. Il communiquera le code à votre ordinateur. Laissez-le en état de veille quand vous quitterez votre vaisseau. Au travail, capitaine. Vous me ferez directement votre rapport car, bien à contrecœur, Neuman a reconnu qu'il se méfiait de son service.
Marc se redressa en soupirant.
— Cette tâche d'exécuteur des basses œuvres ne me plaît guère.
— Prends le temps d'absorber un solide déjeuner, dit Ray, car j'ai encore tes vêtements à brosser et il me faut te fabriquer une autre épée. Je pense qu'elle te sera utile. Peu après la tombée de la nuit, Ray posa le module de liaison à proximité de la mine.
— Mes détecteurs ne perçoivent aucune présence dans les environs. Nous pouvons sortir. Comment procédonsnous ?
— Notre premier objectif est l'élimination des Solaniens. Ils occupent le plus grand bâtiment. Ils avancèrent silencieusement. Arrivé à proximité de la maison, Ray émit:
— Reste ici ! Ce n'est pas une besogne pour toi. J'agi- rai seul.
Il disparut dans l'obscurité de la nuit pour reparaître dix minutes plus tard.
— Mission accomplie. Ils n'étaient que quatre. J'ai détruit tous les documents qu'ils avaient laissés traîner ainsi qu'un stock de lapis oniris. Près de cinq cents pierres !
De même, j'ai désintégré les pistolasers et leur communicateur radio. Nous pouvons regagner la Terre.
— Non, il nous faut aussi effacer leurs méfaits.
— Toi, tu vas encore t'attirer des ennuis avec la commission de non-immixtion.
— Je ne suis pas en mission pour le S. S. P. P. mais pour la Sécurité Galactique. Neuman ne pourra faire autrement que de me couvrir. Allons délivrer les prisonniers. En silence, ils se glissèrent vers le baraquement. Soudain, Ray s'immobilisa.
— Mes détecteurs perçoivent une présence à peu de distance. L'homme devait avoir des yeux de chat car une voix rude lança:
— Ne bougez plus ! Vous allez payer chèrement votre promenade. Vous serez livrés aux Maîtres et je me réjouis d'assister à votre agonie qui sera longue et douloureuse. A la maigre lueur des étoiles, Marc finit par distinguer la silhouette du gardien-chef qui brandissait son fouet. Il était accompagné d'un garde armé d'une pique.
Sans plus tergiverser, Ray avança de deux pas. Sans même se donner la peine de parer le coup de fouet destiné à
zébrer son visage, il frappa d'un direct au menton. Sous la violence du choc, le maxillaire se brisa et l'homme perdit immédiatement connaissance. Son acolyte tenta de réagir mais Ray dévia la lance et le sonna d'une lourde manchette sur la nuque.
Déjà, Marc avait ouvert la porte du baraquement. Deux minutes lui furent nécessaires pour retrouver Valmo qui dormait près d'une fenêtre. Il le secoua sans ménagement et, quand il le vit à peu près lucide, il dit:
— Je suis venu pour vous délivrer.
Le malheureux ancien roi secoua la tête et désigna son collier.
— Si nous le tentons, les démons vont nous torturer.
— Mon ami va vous l'enlever.
— Je vois que vous ne portez plus le vôtre. Comment est-ce possible ?
Ray qui les avait rejoints, posa l'index sur la plaque postérieure et le collier tomba sur le sol. Tout en se frottant machinalement le cou, Valmo murmura:
— Pourriez-vous également libérer mes compagnons ?
— Réveillez-les mais qu'ils fassent silence. Les maîtres ne sont plus à craindre, toutefois j'ignore le nombre de gardiens. Après plusieurs minutes de flottement, les prisonniers tirés de leur sommeil vinrent se ranger en file devant Ray qui les débarrassa de leur collier. Pendant ce temps, Marc discutait avec Valmo.
— Pensez-vous pouvoir les amener à vous suivre ?
— Ils sont tous originaires de Sippar et haïssent Norkas autant que moi.
— Il faudra trouver des armes.
— Nous prendrons d'abord celles des gardiens puis ce que nous trouverons en chemin. J'ai hâte de défier mon rival même s'il a conclu un pacte avec le diable.
— Je me charge de ce détail mais il ne saurait être question d'un combat au grand jour. Norkas peut lever une armée qui écrasera sans difficulté vos amis. Il convient d'agir par ruse.
Un instant désemparé, Valmo secoua la tête.
— Que me conseilleriez-vous ?
— Allez le plus discrètement possible à Sippar et pénétrez dans la ville par petits groupes. Vous vous regrouperez dans le théâtre du sieur Hédos où je vous retrouverai.
— Vous ne voyagerez pas avec nous ?
— Je préfère vous précéder pour examiner la situation et dresser un plan. Nous devons attaquer par surprise Norkas. C'est la seule façon de l'éliminer.
— Vous avez sans doute raison, soupira Valmo, mais j'aurais préféré un duel au grand jour comme le faisaient nos ancêtres.
— Vous êtes roi et non un preux chevalier. Il importe de penser d'abord à votre peuple qui subit le joug d'un tyran. Ray avait achevé de délivrer les prisonniers qui entouraient maintenant Valmo. Ce dernier expliqua ce qu'il attendait d'eux et obtint sans problème leur adhésion. Tous avaient envie de se venger de celui qui les avait condamnés à l'esclavage.
— Attention, recommanda Marc, des gardiens sont encore à l'extérieur. Prenez mon épée, sire, elle vous sera utile. Nous, nous partons dès maintenant et nous vous attendrons à Sippar.
A l'attention de Ray, il ajouta psychiquement:
— Nous prendrons le module car je veux retourner d'abord sur le Mercure.
*
* *
Depuis six heures, le croiseur Orion avait émergé dans le système de Hark et le colonel Parker s'impatientait.
— J'espère que les renseignements de Stone sont exacts, soupira-t-il.
Du regard, il s'assura que tous les officiers étaient à leur poste. Il se demanda s'il allait encore maintenir l'état d'alerte ou leur permettre d'aller se reposer. Le croiseur était sur une orbite très haute autour de Hark, bien au-delà
des satellites tueurs.
— Emergence au 125, lança soudain l'opérateur radar. Parker se redressa immédiatement pour ordonner de centrer tous les détecteurs sur l'arrivant.
— C'est incontestablement un pirate, ajouta l'officier. Il n'a aucune marque d'identification sur la coque. Faisonsnous les sommations ?
Le colonel hésita une fraction de seconde. Les consignes du règlement étaient imprimées dans ses neurones mais il se souvint qu'autrefois un pirate avait profité des quelques secondes de répit pour replonger dans le sub-espace.
— Envoyez d'abord une salve de six missiles, grognat-il, puis nous tenterons de le contacter par vidéo-radio. Il suivit la trajectoire sur l'écran de visibilité extérieure.
— Je n'obtiens aucun contact, dit l'officier radio une minute plus tard.
— Il est trop occupé pour répondre, ricana l'officier de tir. Voyez, mon colonel, il change de cap.
— Prenons-le en chasse ! Accélération maximale. Il fut un instant plaqué sur son siège mais regarda décroître avec satisfaction la distance séparant les deux appareils. Les propulseurs de l'Orion étaient plus performants que ceux du pirate.
— Deuxième salve, ordonna-t-il. Il ne faut lui laisser aucun répit.
Sur le vaisseau pirate, l'atmosphère était étouffante. Le visage aux traits grossiers d'Ar-Ko ruisselait de sueur. Le pirate ne comprenait pas comment un croiseur de la Sécurité
Galactique pouvait se trouver dans ce secteur. D'ordinaire, un contact l'informait des déplacements des unités dans les zones qu'il traversait.
— Missiles à dix mille mètres, cria son second d'une voix blanche. Ils gagnent rapidement sur nous. Ce sont les derniers modèles sortis des arsenaux terriens. Au dernier instant, Ar-Ko brancha son écran protecteur à
pleine puissance, privant d'énergie les propulseurs. En succession accélérée, six éclairs zébrèrent l'écran tandis que l'éclairage du poste de pilotage baissait, témoin de l'énorme consommation d'énergie.
Le pirate voulut relancer ses moteurs mais la sonnerie de danger imminent interrompit son geste. Déjà, les missiles de la seconde vague arrivaient et une troisième se profilait à l'horizon. Parker ne ménageait pas ses munitions. Le pirate jugea la situation avec lucidité.
Gagnons le canot de survie. Avec un peu de chance, nous pourrons atteindre Hark. Si nous arrivons à dépasser la zone des satellites tueurs, nous serons sauvés car le croiseur ne pourra nous poursuivre. Il ignore le code de désamorçage. Au pas de course, les deux hommes traversèrent une coursive pour arriver dans la soute. Des secousses de plus en plus violentes ébranlèrent le vaisseau qui se disloqua au moment où le canot était éjecté.
— Objectif détruit, annonça l'officier de tir. Parker se contenta de hocher la tête mais son regard brillant trahissait sa satisfaction.
— Attention, intervint l'officier du radar, un canot s'est échappé. Il se dirige vers la planète.
— Prenez une trajectoire d'interception, ordonna Parker.
— Je prépare un missile ?
— Nous allons d'abord tenter de le capturer avec des grappins magnétiques.
Un quart d'heure plus tard, le canot englué dans une série de rayons tracteurs fut amené à bord de l'Orion. Le capitaine Huster, bien sanglé dans un uniforme impeccable, fit son rapport à Parker.
— Nous avons fait une jolie prise. Ce pirate se nomme Ar-Ko. Il est fiché dans le service et l'imprimante de l'ordinateur a mis trois' minutes pour éditer la liste de ses méfaits. Un véritable roman-feuilleton ! Voulez-vous le voir?
— Inutile, conduisez-le dans la salle des interrogatoires et soumettez-le au sondeur psychique. Je veux tout savoir de ses trafics et de ses complices. J'ai également besoin de connaître le code de désamorçage des satellites tueurs. Cela nous évitera d'avoir à détruire ces engins très coûteux.
*
* *
La nuit tombait lorsque Sira se glissa dans le théâtre qu'elle connaissait bien. En silence, elle gagna le recoin fait de toile et de planches où les comédiens se regroupaient. Il en provenait un murmure de voix. Elle risqua un œil et resta un moment stupéfaite. Trois personnes, assises sur des tabourets se partageaient une volaille. Soudain, une main jaillie de l'obscurité la saisit par le bras et la poussa vers les convives.
— Lâche-la, Ray, tu ne reconnais pas la jolie Sira.
— Messire Marc, dit-elle, quelle joie de vous revoir. J'ignorais votre venue en ville.
— Nous ne sommes de retour que depuis peu.
— Vous seul allez pouvoir nous aider. Je voulais avertir Hédos de tristes nouvelles. Le roi Norkas, que l'enfer l'engloutisse, a décidé d'épouser la reine Ali va. La cérémonie doit se dérouler en grandes pompes après-demain à
midi dans la cathédrale.
— La reine est déjà mariée, grogna Hédos.
— Norkas a affirmé que Valmo était mort. Elle ne pourra que donner son consentement car, pendant la cérémonie, mon mari, le baron de Strak, se tiendra dans la loge à droite de l'autel avec son fils. Si elle refuse de dire oui, mon mari a ordre de trancher la gorge de l'enfant sous les yeux de sa mère. Je sais que ce chien en est capable. Marc resta un moment songeur. Il voulait espérer que Valmo n'aurait pas traîné en route et arriverait le lendemain.
— Merci de nous avoir informés. Retourne au château. Si tu as la possibilité d'approcher la reine, dis-lui que Valmo est bien vivant et qu'il ne tardera pas à apparaître. Inutile qu'elle mette la vie de son fils en danger puisque, de toute façon, son second mariage sera sans valeur. Enfin, je préférerais que tu ne parles pas de ma présence en ville. Après un instant d'hésitation, Sira s'élança vers Marc et l'embrassa à pleine bouche.
— Quand cette horrible histoire sera terminée, j'espère que vous pourrez me consacrer quelques heures.
— Sois-en persuadée, chère Sira, dit-il en se reculant prudemment car il connaissait le tempérament volcanique de la fille.
Lorsqu'elle eut disparu dans l'obscurité, Hédos soupira:
— Que pouvons-nous espérer ? Norkas ne sort jamais sans être escorté par une vingtaine de gardes qui lui sont tout dévoués.
— Demain, j'aimerais explorer la cathédrale. Prévoyez une représentation et ne vous étonnez pas si vous avez de nombreux spectateurs.
*
* *
L'annonce du mariage du roi avait provoqué une grande animation dans la ville. Dès le lever du jour, une grande foule se pressait le long du trajet que le cortège devait emprunter jusqu'à la cathédrale.
Marc et Ray s'étaient introduits à la fin de la nuit dans la sacristie et patientaient en attendant l'arrivée du grand prêtre et de ses assistants. La veille, Valmo avait réussi à se glisser en ville mais il n'était accompagné que d'une trentaine d'hommes. Tous s'étaient retrouvés au théâtre. Après une longue discussion, Marc et Valmo avaient fini par élaborer un plan d'action, malheureusement plein d'aléas. La réunion avait failli capoter dès le début car la vieille Kaba, intriguée par cet afflux insolite de spectateurs, était sortie pour alerter les gens du guet. Par chance, Nerva l'avait interceptée et la vieille s'était retrouvée ligotée et bâillonnée avec la promesse de Valmo de la faire écarteler si elle tentait de s'échapper.
La porte de la sacristie s'ouvrit pour laisser le passage au grand prêtre suivi de cinq assistants. Celui-ci était long, mince avec un visage étroit en lame de couteau. Ses yeux noirs parurent lancer des éclairs quand il découvrit les intrus dans son domaine.
— Saisissez-les, hurla-t-il.
Il ne put poursuivre car Ray avait laissé tomber une grenade anesthésiante, petite sphère de trois centimètres de diamètre emplie d'un liquide jaunâtre hautement volatil. Moins de dix secondes plus tard, les six hommes s'effondraient avec un parfait ensemble.
— Nous allons nous déguiser, sourit Marc.
Pendant ce temps, le cortège royal avait quitté le château et gagnait la cathédrale au milieu d'une foule particulièrement silencieuse. Les quelques vivats lancés par des hommes stipendiés ne rencontraient aucun écho dans le peuple. Le roi Norkas tenait fermement par le bras Aliva. En remontant l'allée centrale de la nef pour gagner les deux fauteuils en face de l'autel, il murmura:
— Je ne veux aucun scandale. Regardez la loge sur votre droite. Si vous hésitez, ne serait-ce qu'un instant, votre fils aura la gorge tranchée par le baron de Strak. L'esprit en déroute, les yeux noyés de larmes, Aliva dit:
— Vous êtes un monstre. Dieu vous punira un jour.
— Ne comptez pas trop sur l'aide divine, ricana-t-il. Asseyez-vous dans ce fauteuil et souriez, sinon je fais signe au baron et le sang de votre fils coulera sur ces dalles. La nef se remplissait lentement. Derrière le roi, ses gardes avaient pris place en un double cordon puis venait la cohorte des barons escortés des épouses qui avaient revêtu leurs plus beaux habits. A l'arrière, les places réservées au peuple avaient été rapidement garnies non sans une certaine bousculade. Nul ne remarqua le colosse barbu qui approcha de l'escalier menant à la loge. Un garde armé d'une pique en interdisait l'accès.
— Message urgent pour le baron de Strak.
— Bien, passez.
La sentinelle s'effaça sans méfiance. Aussi ne vit-elle point la lame du poignard qui s'enfonça dans son ventre. Le colosse soutint l'homme agonisant et le hissa de quelques marches dans l'escalier en colimaçon pour le soustraire à d'éventuels regards. Il gravit les marches de pierre dans le plus grand silence. Il s'immobilisa quand il aperçut Strak. Le baron était corpulent avec une nuque épaisse qui débordait de son pourpoint. Son bras gauche serrait contre lui un gamin aux cheveux blonds. La main droite tenait un long poignard. Hédos hésita un instant puis décida d'agir avec promptitude. Strak sentit soudain une main énorme s'appliquer sur sa bouche, empêchant tout cri. Une douleur dans le dos, une curieuse sensation de chaleur et il plongea dans un puits sans fond.
Sentant l'étreinte qui l'enserrait se relâcher, l'enfant se retourna pour voir l'immense silhouette sombre qui tirait en arrière le corps du baron.
— Je vous en prie, prince, ne criez pas, nous venons vous sauver.
L'enfant hocha la tête en murmurant:
— Ma mère... Il faut l'aider.
— Des amis vont s'en charger mais surtout ne bougez pas. Il faut faire croire que vous êtes toujours prisonnier. Une sonnerie de trompes annonça l'arrivée du grand prêtre. Hédos soupira de soulagement en reconnaissant Marc dont le regard se porta dans sa direction. D'un geste vif, il leva le pouce pour indiquer qu'il avait accompli sa mission.
A pas lents, Marc avança devant l'autel sous le regard intrigué du roi qui ne reconnaissait pas le grand prêtre qu'il avait soudoyé pour célébrer la cérémonie. Une voix vibrante s'éleva alors.
— Norkas, tu ne peux épouser cette femme qui est déjà
mariée.
— Son mari est mort, cria le roi.
— Non ! Il est vivant et exige vengeance.
Un tumulte s'éleva du fond de l'église.
— A mort le félon. Vive le roi Valmo.
Norkas plongea la main dans son pourpoint pour extraire un pistolet thermique.
— Cette arme maléfique ne te sera d'aucune utilité
contre ceux qui sont protégés par leur foi, lança Marc.
— N'exagère pas, émit psychiquement Ray, et augmente la puissance de ton champ protecteur.
Hors de lui, Norkas pressa sur la détente en visant le grand prêtre.
— Meurs donc, imbécile !
De multiples flammèches entourèrent Marc, tandis que des cris effrayés s'élevaient de la foule. Elles s'éteignirent vite tandis que Marc éclatait de rire. Médusé, Norkas regardait le grand prêtre qui le narguait. Soudain, il s'affaissa, un petit trou noir étant apparu au milieu du front. Nul n'avait remarqué le mince rayon rouge qui était sorti de l'index de Ray.
— Mon fils, cria Aliva, il faut le protéger.
— N'ayez crainte, Majesté, il est sous bonne garde, la rassura Marc. Placez-vous vite derrière moi.
D'un geste vif, il la saisit par le bras pour l'amener près de l'autel. Il tira son épée dissimulée sous sa grande chasuble dorée. Reconnaissant son sauveur, Aliva murmura:
— Il sera dit, Messire Marc, que vous viendrez me secourir chaque fois que je suis en grand danger. Les gardes avaient enfin réagi et voulurent venger leur maître. Ils avancèrent, arme à la main, poussant des cris furieux. Toutefois, ils n'eurent pas le temps d'atteindre l'autel car Valmo avait entraîné sa petite troupe dans son sillage et les prit à revers. Le combat ne dura guère et ils déposèrent rapidement les armes. Il n'est pas raisonnable de rester fidèle à un mort. Ils préférèrent donc s'en remettre à la générosité du vainqueur.
Valmo serra contre lui Aliva tandis que Hédos arrivait, tenant le prince dans ses bras puissants. Ils sortirent de l'église sous les acclamations de la foule enchantée de retrouver son ancien roi.
*
* *
Au soir de cette journée fertile en péripéties, Aliva avait tenu à organiser un banquet pour montrer à tous le retour de son mari. Valmo avait réussi à trouver dans un coffre oublié, d'anciens vêtements dans lesquels il flottait en raison de son amaigrissement. Tous les anciens esclaves avaient été conviés et ils s'empiffraient pour rattraper leur jeûne en captivité. Sur la fin du repas, Valmo se leva en disant:
— Amis, continuez à festoyer. Après toutes ces émotions, vous comprendrez que j'aie besoin de repos. Il sortit, suivi de la reine. Marc profita de l'occasion pour s'éclipser également. Alors qu'il hésitait sur l'endroit qui pourrait l'abriter pour la nuit, la reine l'appela:
— Messire Marc, voulez-vous vous joindre à nous ?
Elle le conduisit dans une petite pièce servant de bibliothèque comme en témoignaient les gros volumes à tranche dorée posés sur des étagères. Valmo lança aussitôt:
-— Ami, nous voulons vous récompenser pour nous avoir permis de retrouver notre trône. Quel poste souhaitez-vous occuper à la cour ? Nous vous les offrons tous.
— Aucun, Sire, car dès demain je retournerai dans mon lointain pays.
La reine esquissa un sourire et étouffa d'un geste la protestation de son mari.
— Il en sera fait selon votre désir mais ne pouvez-vous nous donner une explication ?
Marc respira profondément.
— Mon pays est loin, plus loin que vous ne pourrez jamais l'imaginer. Les hommes que vous avez vus à la mine, Sire, et qui donnaient des ordres aux gardiens en étaient également originaires. Ce sont eux qui ont donné à
Norkas cette arme maléfique en échange de la concession de la mine. Ils en tiraient les pierres du Diable qu'ils envoyaient dans mon pays au mépris de nos lois. Mon maître, sorte de grand prévôt, m'a chargé de les éliminer et de réparer si possible leurs mauvaises actions. Je dois maintenant lui rendre compte.
— Ne souhaitez-vous rien ?
— J'ai seulement une prière à formuler. Ne rouvrez jamais cette mine. Les pierres du Diable ne peuvent qu'apporter de grands malheurs à votre peuple.
— Il en sera ainsi fait !
A l'instant de se lever, il ajouta:
— Hédos et ses amis nous ont beaucoup aidés. Pouvezvous prendre son théâtre sous votre protection ?
— Nous le nommerons grand organisateur de nos loisirs, dit Aliva. Si vous souhaitez vous reposer, prenez l'appartement du baron de Strak. Cette crapule n'en a plus besoin.
— A son propos, la baronne n'est pour rien dans les vilenies de son époux et elle nous a prévenus de l'endroit où il se tiendrait avec votre fils, ce qui a permis à Hédos de le trucider discrètement. J'aimerais que vous lui conserviez votre amitié et lui laissiez ses biens.
— Vous savez que nous ne pouvons rien vous refuser. Si elle le souhaite, je la prendrai parmi mes dames d'honneur. La reine se leva pour ouvrir un coffret posé sur une étagère. Elle en tira une petite bourse de cuir qu'elle tendit à
Marc.
— Je tiens absolument à ce que vous acceptiez ce présent en souvenir de nous mais ne l'ouvrez qu'une fois arrivé dans votre pays.
Marc s'inclina et prit congé. Une servante croisée dans le couloir lui indiqua l'appartement du baron. Ce dernier ne devait guère être sympathique car la fille marmonna:
— J'espère qu'il grille en enfer !
La chambre était éclairée par une maigre chandelle. Le lit était vaste et recouvert d'une fourrure sous laquelle Marc se glissa après s'être déshabillé. A l'instant de plonger dans le sommeil, le grincement de la porte l'obligea à
ouvrir les yeux. Dans l'obscurité, il devina une silhouette et entendit le bruit d'un tissu froissé. Aussitôt, il sentit un corps jeune et nerveux se glisser sous la couverture et se presser contre lui.
— Au théâtre, tu avais fait une promesse, murmura la voix chaude de S ira.
— Que je vais me faire le plaisir de tenir, répondit-il en se coulant sur sa compagne.
*
* *
En s'installant sur le siège du poste de pilotage, Marc poussa un soupir. Sa joute avec la gente Sira s'était prolongée tard dans la nuit. Il n'avait dormi que quelques heures avant que Ray ne l'entraîne hors de la cité. Ils avaient marché une vingtaine de kilomètres avant de trouver une forêt discrète pour pouvoir appeler le module.
Tandis que Ray s'affairait à préparer le décollage, il ferma les yeux. La sonnerie de la vidéo-radio l'obligea à
émerger de sa demi-somnolence. L'amiral Neuman arborait un air satisfait totalement inhabituel.
— Je désirais avoir votre rapport.
— Mission accomplie, amiral. Tous les éléments étrangers à Hark ont été éliminés. De plus, j'ai reçu l'assurance du souverain que la mine serait définitivement fermée.
— Parfait ! Vos renseignements ont permis à Parker de détruire un navire pirate et de capturer son capitaine. L'interrogatoire de l'individu a été plein d'enseignements. Une moue dégoûtée se peignit sur son visage.
— Nous avions bien une brebis galeuse, un colonel du service des effectifs qui voulait arrondir ses fins de mois. Nous nous en sommes occupés. Parker est maintenant en route pour Terrania VI où il doit achever de faire le ménage. Avant de quitter ce système solaire, il a remis en état les satellites tueurs. Voici le code, dites à Ray de l'enregistrer. Il énuméra rapidement une série de chiffres avant de conclure:
— Votre mission est terminée. Vous pouvez regagner la Terre. Je me suis arrangé avec Khov. Il accepte de prolonger de deux semaines votre permission.
— Comment avez-vous obtenu une telle générosité ?
— Simplement en promettant de prendre votre salaire à
ma charge, ricana Neuman. Vous avez fait du bon travail. Merci.
— N'oubliez pas les frais du Mercure, ajouta précipitamment Marc avant que l'amiral ne coupe la communication.
— Venez me voir à votre retour.
Les propulseurs se mirent à ronfler et le vaisseau s'arracha du sol. Peu après, Marc ouvrit la petite bourse de cuir. Il savait d'avance ce qu'elle contenait. Il la secoua et une dizaine de grosses pierres précieuses tomba dans sa main. Diamants, rubis, émeraudes.
— Cela compensera les dépenses, dit Ray. Je connais les trésoriers des administrations. Il leur faudra des mois, sinon des années, avant de verser un dol.